M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XXIV (pp. 348-364)

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CHAPITRE XXIV.

Continuation du même sujet.

DE TOUS les hypocrites, de tous les usurpateurs qui ont affligé la terre, Mahomet a été celui qui a le mieux connu par quels moyens & jusqu'à quel dégré il est possible d'abuser de la crédulité publique, & d'exciter dans ne nation ignorante & superstitieuse les transports forcenés d'un zèle outré, d'une dévotion mal dirigée & mal conçue : aussi quel autre s'est jamais servi plus adroitement du masque de la religion pour séduire, égarer & enchaîner les hommes ? Ce ne fut, comme je l'ai dit, qu'après avoir donné aux Arabes, ses prosélites les idées les plus fausses de Dieu, du culte qu'il exige de nous, du zèle que la Religion doit inspirer, des délices du paradis, &c. qu'il irrita leurs passions par le levain du fanatisme. Fidèles Musulmans, Dieu vous ordonne par ma voix de tirer le glaive contre tout incrédule, contre tout infidèle qui refusera d'adopter les vérités que j'annonce ; vous pouvez sans remords vous abreuver du sang des hommes ; n'épargnez que vos frères, les disciples du Prophète ; allez, frappez ; Dieu guidera vos coups ; tuez, exterminez quiconque osera résister à l'évidence de votre religion, ou à la force de vos armes.

A ces terribles paroles, on eut dit qu'une furie vomie des enfers, agitoit ses serpens sur les soldats enthousiastes de Mahomet. Dévorés de la soif des combats, ils ne respirent plus que la destruction, le meurtre, le carnage : chacun d'eux aussi cruel aussi féroce que l'implacable Ali, brûle d'impatience de signaler son zèle par le crime, le viol, le brigandage & les assassinats. Qui pourra compter les victimes que les Barbares immoleront ? Qui pourra compter les esclaves qui périront dans les fers Musulmans ? Quel homme, eut-il autant de langues que l'ange du septième ciel, pourroit raconter les erreurs & les superstitions que produisit alors cette fermentation, & que l'ardente imagination des Orienteaux a depuis si fort multipliées ? Il ne nous faut pas moins que l'évidence des preuves, le poids de l'autorité des sectateurs eux-même de l'Islamisme, pour nous persuader que l'absurde vision dont je viens de donner le récit, a été la trop funeste source des maux & des ravages qui pendant cinq à six siècles ont dévasté l'Orient. Il est vrai que Mahomet avoit fait précéder l'étrange relation de ce voyage céleste de bien des fables, de bien des fourberies, d'une étonnante quantité de superstitions ; mais ce fut cette dernière imposture qui acheva de troubler l'esprit des Arabes : elle fut le signal de la haine des Croyans contre les infidèles. Ce fut elle qui aiguisa les glaives des combats, qui forgea les chaînes de la servitude, qui cimenta le trône du despotisme, qui arma avec tant d'inhumanité les citoyens de la même patrie, & les particuliers de la même tribu les uns contre les autres : ce fut elle qui rompant tous les liens de la nature, fit périr le fils par les mains du pere, le pere par le glaive du fils, le frere sous le poignard du frere ; ce fut elle qui ranima la rage des tirans, la fureur des bourreaux, l'atrocité des parricides. A ces traits, à ces horribles traits, qui pourra méconnoître l'exécrable fanatisme ? Qui pourra le méconnoître à ces traces souillées du sang des parricides, ou du moins aux accusations non moins affreuses de parricide qu'il dicte aux frénétiques, agités de ses convulsions ? Eh ! quel autre que lui eut pu persuader de nos jours à une ville entière, d'accuser un vieillard, le plus vertueux des citoyens, le plus doux, le plus tendre des peres, d'avoir étranglé de sang froid, & je ne sçais sur quel prétexte de zèle & de dévotion, son fils, jeune homme plein de force, & dévoré depuis quelques années, de l'ennui de la vie ? Quel autre que le fanatisme…. Mais jettons un voile officieux sur cette sçène d'horreur. Laissons au spectre de Calas, le soin d'effrayer l'imagination du cruel qui l'assassina. O mes amis ! ô mes concitoyens, puissent l'Europe & la Terre, puissent les races futures oublier votre erreur !

Ouvrez les annales du monde, lisés, & vous verrez que tels ont toujours été les excès du fanatisme, ses progrès, sa trop cruelle histoire. Combien, plus redoutables doivent être les effets de ce farouche enthousiasme, quand un gouvernement tel que celui que Mahomet a établi, est fondé sur une religion toute superstitieuse ? Ne faut-il pas que cette religion rende, par principe de zèle, le peuple ennemi irréconciliable du genre humain ? Eh ! comment les prosélites de Mahomet n'eussent-ils pas été cruels & sanguinaires ? Outre l'atrocité des dogmes de la nouvelle religion, il leur étoit expressément enjoint de massacrer les incrédules ; & tous ceux qui mouroient les armes à la main, étoient assurés d'une éternité de bonheur. D'ailleurs, quel paradis que celui que Mahomet promet à ses sectateurs ! Le plus capable de toucher, d'émouvoir, d'enflammer des âmes sensuelles : une immortelle volupté, des fruits délicieux, des Houris toujours neuves & toujours ravissantes, une vigueur inépuisable, des plaisirs sans interruption & sans satiété. Mais cette volupté, ces fruits, ces brillantes Houris, ces plaisirs continus, n'étoient promis qu'à ceux qui par la force & le nombre de leurs exploits, auroient signalé leur zèle : le ciel étoit fermé aux lâches & aux cœurs trop compatissans. Ce fut ainsi que les anciennes Scandinaves, fatigués de la simplicité de leur religion, associèrent à l'être suprême le sanguinaire Odin, idole mille fois plus féroce que l'antique Moloch. Bientôt ils ne connurent plus d'autre dieu que le fier Odin. Lui seul méritoit, suivant eux, l'hommage des mortels, parcequ'il étoit sévère, terrible & toujours occupé à verser le sang des hommes : aussi croyoient-ils l'honnorer par les noms de Pere du carnage, Dieu depopulateur, agile, incendiaire, inflexible, bruyant. Comme ils pensoient que le plaisir le plus doux pour Odin, étoit celui de désigner & de compter lui-même ceux qui devoient périt dans un jour de bataille ; avant que d'engager le combat, ils promettoient solemnellement de sacrifier un certain nombre de victimes humaines à cette sombre divinité ; parceque, disoient-ils, ces hommes immolés sont le droit sacré d'Odin. Quel puissant aiguillon excitoit la valeur de ces anciens Danois ? Quel sentiment sublime élevoit leur courage ? C'étoit le fanatisme ; c'étoit l'idée folle & superstitieuse qu'ils se formoient d'Odin ; c'étoit l'ambition de plaire à ce Dieu destructeur, qui ne prodiguoit ses faveurs qu'à ceux qui périssoient dans le feu des combats. lls étoient persuadés que les âmes des guerriers tués sur le champ de bataille, étoient reçues avec distinction dans la céleste Valhalla, Odin les combloit des plus brillantes récompenses ; & ces récompenses étoient des éloges éternels sur leur bravoure, & la liberté de rester perpétuellement assis à la table d'Odin. C'étoit là le principe toujours actif, toujours pressant de l'héroïsme des Danois ; c'étoit cette douce espérance qui troubloit leur imagination au point que dans la chaleur du combat, dans le feu de la mêlée, ils croyoient voir Odin lui-même ranimer la fureur des combattans, frapper ceux qu'il avoit dévoués à la mort, & emporter leurs âmes dans l'immortelle Valhalla.

Si l'ambition de mériter d'aussi grossières récompenses avoit tant de puissance sur le cœur des Scandinaves ; à combien plus forte raison le ciel promis aux sectateurs de l'Islamisme devoit-il remplir leurs âmes d'héroïques sentimens ? Car il faut avouer que, malgré sa bisarrerie, le paradis de Mahomet ne laissoit pas d'être flatteur pour des peuples corrompus, & qui ne connoissoient que les plaisirs des sens, ne respiroient que pour jouir, ne soupiroient qu'après la volupté. Aussi l'Apôtre de Médine eut à peine donné à ses imbéciles disciples une légère idée des agrémens & du bonheur qu'ils goûteroient dans la vie future, que, transportés d'un zèle dévorant, ils ne songèrent plus qu'à marcher dans la carrière qui leur étoit ouverte : dangers, combats, supplices, rien ne les arrêta, rien désormais ne fut capable de rallentir leur ardeur meurtrière. En effet, comme le fanatisme étoit le grand resort que Mahomet faisoit mouvoir, l'intérêt étoit l'ame qui donnoit à ce fanatisme le dégré de chaleur & de vivacité qu'il importoit au faux Prophète de lui donner pour arriver au but où il tendoit. L'intérêt, ce mobile puissant des actions humaines, est mille fois plus fort, uni au fanatisme, que toutes les passions ensemble dans leur plus grande effervescence. C'est lui qui crée, qui soutient, augmente, & rend contagieux l'enthousiasme des fanatiques. Sans l'intérêt le fanatisme ou n'existeroit point, ou s'évanouiroit, & se consumeroit bientôt par sa propre activité : sans principe, sans objet, comment pourroit-il être épidémique ? Comment pourroit-elle durer cette flamme brûlante qui gagnant de proche en proche, se nourrit de son propre feu, & qui aulieu de s'affoiblir en s'étendant, prend de nouvelles forces à mesure qu'elle se communique ? Si ce n'eut été l'intérêt qu'elle auroit pu être jadis la cause de l'yvresse des Corybantes, qui s'irritoient à mesure de la violence des coups qu'ils frappoient sur leurs tambours, & qui après d'effrayantes convulsions, des heurlemens affreux finissoient par s'immoler eux-mêmes ? Si ce n'eut été l'intérêt, quel eut été le principe des transports des Bachantes, qui s'animant par dégrés à la lueur de leurs thyrses enflammés, passoient de folie en folie, jusqu'aux derniers excès de la fureur ? Les uns étoient intéressés à faire respecter le culte de Cybelle, & les autres à célébrer les orgies de Bacchus par des fêtes licentieuses, & très-souvent mêlées des plus infâmes prostitutions.

Mahomet agissoit par le même motif : je veux dire, que par le fanatisme, il vouloit aveugler ses prosélites & troubler leur raison, au point de les rendre inaccessibles à la crainte, sévères & cruels jusqu'à la barbarie, invincibles à force de témérité. Son dessein étoit encore de les rendre si superstitieux à son égard, qu'ils n'osassent jamais ouvrir les yeux sur sa conduite ; ou que, s'ils étoient frappés de l'énormité des crimes que l'intérêt de sa gloire le forceroit de commettre, ils les regardassent comme autant d'actes de rigueur que le ciel lui prescrivoit, & les excès de ses débordemens comme des preuves éclatantes de la faveur de Dieu, qui ne permettoit qu'à lui seul de violer les loix les plus sacrées, de se livrer à des amours adultères, de former des liens incestueux, & de s'unir indistinctement avec toutes les femmes qui exciteroient dans son cœur des désirs trop pressans.

Je n'ai rapporté de la vie de Mahomet que les traits qui m'ont paru les plus propres à prouver la justesse de mon observation au sujet de l'utilité qu'un homme de génìe peut retirer de l'absurdité même des superstitions reçues. J'avois dit, Chap. XIII, que le plus sûr moyen d'éclairer & de policer un peuple devenu stupide & corrompu à force de superstitions, étoit, à mon avis, de lui faire adopter des superstitions moins grossières & plus séduisantes que ses anciennes erreurs, analogues à son caractère, à ses passions, à ses penchans, & toutes relatives à la législation qu'on vouloit établir & à la nature du gouvernement qu'on se proposoit de fonder. Par les faits que j'ai racontés je crois avoir prouvé que ce moyen fut celui que Mahomet mit en usage ; ambitieux, & instruit du caractère des Arabes, il n'avoit pas d'autre route à choisir. Il est très-vraisemblable que chez toute autre nation, moins ignorante & moins superstitieuse ; il se fut bien gardé de recourir à tant de visions, à de si fréquens entretiens avec l'Ange Gabriel. L'imposture eut été trop frappante ; mais en Arabie, il pouvoit hazarder tout : ce n'étoit même qu'à force de fourberies, de fictions, de contes, qu'il pouvoit persuader le merveilleux de sa mission. Sans l'autorité des miracles, sans l'intervention expresse d'une intelligence céleste, ses loix & sa doctrine eussent été mal reçues par des hommes accoutumés à construire de leurs mains, à voir, à adorer & à entretenir chaque jour une foule de dieux. D'ailleurs, entièrement livrés au brigandage & aux débordemens, les Arabes n'avoient aucune idée, ou dumoins, il n'avoient qu'une idée très-imparfaite de Dieu, du paradis, de l'ame, de la vie future : ils n'aimoient, ne connoissoient, & ne goûtoient que les plaisirs des sens ; ils ne concevoient rien au-dessus de ces plaisirs. Pour leur plaire il falloit donc que la doctrine de Mahomet tint un peu à ce goût général & dominant pour la sale débauche. Le luxe & la licence avoient jetté les Spartiates dans la plus honteuse anarchie, quand Licurgue entreprit de leur donner une sage législation & de les ramener à la vertu : il y parvint : ses loix même étoient très-sévères ; mais elles permettoient le vol ; elles permettoient aux jeunes filles de Lacédemone l'indécence des vêtemens ; car enfin, il falloit bien pour réussir, que Lycurgue se rapprochât par quelqu'endroit des mœurs des anciens Spartiates.

Comme je n'ai parlé de Mahomet que pour montrer les avantages & les dangers de la superstition ; il me suffit d'avoir suivi ses pas depuis sa naissance jusqu'à l'instant où il est parvenu à fonder par le secours de l'erreur & de l'imposture, l'Islamisme & un vaste Empire sur les débris des superstitions de ses contemporains ; il ne me reste plus qu'à examiner la cause qui rendit ses sectateurs si indulgens pour ses crimes & pour ses vices.



James Eason or Please use the first address: this one's special.