M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XXVII (pp. 399-405)

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CHAPITRE XXVII.

Mahomet fut-il superstitieux, fanatique, ou imposteur ? Son caractère.

UN ECRIVAIN très-estimable, M. Deleyre a dit, dans l'article fanatisme[et ici] de l'Encyclopédie, que Mahomet fut d'abord un fanatique & puis un imposteur. J'ignore sur quels faits l'Auteur de cet article a pu fonder ce prétendu fanatisme. Je ne vois dans la vie de cet homme hardi qu'une suite réfléchie d'actions éclatantes & de crimes heureux, de démarches sagement combinées, d'entreprises profondement méditées, exécutées à propos & conduites avec art. Dès ses premières années je le vois rassembler les divers matériaux de l'édifice qu'il se propose d'élever : il prévoit tous les obstacles qui pourront l'arrêter ; il les prévoit, & sçait les aplanir. Il ne hazarde rien ; il commence, à l'exemple des grands Législateurs, par proposer en secret le plan de sa législation à quelques amis qu'il séduit, avant que de songer à éblouir la multitude. Il ne renverse les idoles qu'après avoir inspiré aux Arabes du mépris pour le culte que jusqu'alors ils leur avoient rendu. Il va, loin de la Mecque, s'éclairer chez le Moine Sergius, & puiser à Bostra les connoissances qui lui manquent, pour former un sistême de religion propre à lui captiver les différentes nations de l'Orient. Il étudie les vices & les préjugés de ses compatriotes, les caractères des peuples voisins de l'Arabie. Ce n'est enfin que quand il ne peut plus douter du succès, qu'il annonce sa mission, sa doctrine & ses loix.

Ce n'est point là, ce me semble, le caractère d'un fanatique. L'enthousiaste ne connoît ni les précautions, ni la prudence, ni les ménagemens. Le fanatique adopte avec transport les erreurs qui l'égarent ; mais il n'invente point ; il est trop agité, trop enflammé, trop plein des sentimens qu'on lui a inspirés pour avoir des idées à lui. Qu'on examine toutes les sectes qui ont égaré les hommes, & l'on n'en trouvera aucune qui ait été fondée par un fanatique ; quoique le fanatisme soit au progrès des sectes ce que les rayons du soleil sont à la végétation. Les innovateurs ont tous été ou des ambitieux, ou des fourbes : Mahomet a été l'ambitieux le plus hardi & l'imposteur le plus adroit qui ait encore existé ; or, le fanatisme exclut essentiellement l'un & l'autre de ces vices. Le Vieux de la Montagne, qui du fond de son rocher envoyoit au delà des mers poignarder les Souverains, n'étoit rien moins qu'un fanatique ; mais il avoit l'art d'inspirer le fanatisme à des superstitieux dont il faisoit des assassins, toujours prêts à immoler ceux qu'il leur désignoit. Si ce n'est pas d'après la frénésie de ses cruels émissaires qu'il faut juger le Vieux de la Montagne, c'est beaucoup moins encore d'après le zèle outré des Musulmans qu'on doit se former une idée de Mahomet. C'est d'après sa conduite, ses actions, ses conquêtes, sa législation ; & l'on verra alors qu'aulieu d'avoir été d'abord un fanatique & puis un imposteur, il commença par être ambitieux, qu'il fut ensuite un fourbe, & qu'il finit par se jouer ouvertement & du ciel & des hommes. Mahomet, en un mot, avoit toutes les qualités, tous les talens & tous les vices qui lui étoient indispensablement nécessaires pour réussir chez les Arabes.

L'ambition & l'amour du plaisir furent les deux passions dominantes de Mahomet. L'étendue de ses projets, & le mépris qu'il eut pour l'honneur, la vertu & l'humanité même qu'il sacrifia à ses vues, prouvent assez l'excès de son ambition. L'étonnante multiplicité de ses femmes & de ses concubines est une démonstration complette de ses débordemens. Ses meurtres, ses assassinats, la quantité prodigieuse de malheureux qu'il immola, indiquent la férocité de son âme. Ses visions supposées, ses prétendues révélations, & son attention à faire intervenir Gabriel & la Divinité en toute occasion, & toujours pour approuver ses crimes, découvrent son hypocrisie, son imposture & son impiété. Les Mahometans ne cessent de parler de sa profonde piété, de sa justice, de sa clémence, de sa sobriété : l'Alcoran & sa vie parlent plus hautement, & déposent en même tems & contre Mahomet & contre l'imbécile aveuglement de ses sectateurs. Je suis persuadé que tout entier à son ambition, & toujours occupé des moyens de remplir ses hauts projets, il ne se montra point aussi odieux que la plûpart des Ecrivains Européens l'ont dépeint : je crois même qu'il eut des vêtus apparentes : eh s'il n'en avoit pas montré, pourroit-on le taxer d'imposture ? eut-il joué le rôle d'un hypocrite ? Il parloit peu, disent encore les Musulmans, il étoit d'un humeur égale ; gai, & familier même dans le commerce ordinaire, accommodant, civil & complaisant : je le crois bien ; comment eut-il séduit les Arabes, s'il se fut montré à eux sous les traits d'un tyran ? C'est par les dernières années de sa vie, & quand il eut réussi dans ses vues, qu'il faut juger de son caractère. Or, alors il ne contraignit plus ses penchans ; ce fut alors seulement qu'il se montra cruel jusqu'à la férocité vindicatif, inflexible, barbare ; ce fut seulement alors qu'il passa toutes les bornes de l'impiété, de l'audace & des débordemens. Mais pourquoi se feroit-il contraint ? Ses stupides Disciples étoient persuadés que Dieu lui-même envoyoit chaque jour l'Ange Gabriel approuver ses débauches, ses crimes & ses usurpations.



James Eason or Please use the first address: this one's special.