Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE XI.

(1652.)

Le lendemain de mon arrivée,1 qui étoit le jeudi saint, l'on me vint éveiller à sept heures pour m'en aller me promener dans les rues pour prévenir la tentative que le garde des sceaux2 vouloit faire pour entrer avec le conseil. Je m'habillai en grande hâte, et j'envoyai querir le maire de la ville et M. le gouverneur3 pour m'accompagner. Comme les chaînes étoient tendues dans les rues, je ne voulois pas que l'on les baissât ; je m'en allai promener sur le pont, et je montai sur les tourelles du bout qui regardent sur le Portereau, qui est le faubourg de ce côté-là ; puis je vis M. de Champlâtreux,4 qui se promenoit devant les Augustins avec quantité de gens de la cour. Comme j'avois beaucoup d'officiers de nos troupes avec moi, je pris plaisir de les faire paroître, afin que l'on vît leurs écharpes bleues, et faire connoître par là que j'étois patronne dans Orléans. Tout le peuple qui étoit sur le pont crioit : Vive le roi, les princes ! et point de Mazarin ! Ceux du Portereau répondoient la même chose ; ainsi ces cris ne cessoient point, et je crois qu'ils furent même entendus du garde des sceaux, qui en étoit à un quart de lieue. La garde du pont fit une salve, après quoi ces cris redoublèrent, aussi bien que les gardes que j'ordonnai [être augmentées], les trouvant trop foibles : ainsi les mazarins connurent n'avoir plus rien à espérer.

Le Roi partit ce jour-là de Cléry pour aller coucher à Sully. Je dînai chez M. l'évêque,5 homme de mérite, et dont j'eus grand sujet de me louer de la conduite pendant ce voyage. Pendant que j'étois chez lui, le lieutenant général, qui étoit fort mazarin, m'apporta une lettre qu'il avoit reçue du garde des sceaux, parce qu'il savoit que j'avois appris qu'il l'avoit reçue ; je la brûlai et lui défendis d'y faire aucune réponse. J'envoyai arrêter des chevaux dans une hôtellerie, que le commissionnaire de l'armée ennemie avoit achetés ; enfin j'agissois avec une puissance absolue. J'allai à l'Hôtel-de-Ville, où j'avois ordonné que l'on s'assemblât. Cependant j'avois envoyé Flamarin6 dans le faubourg entretenir M. de Nemours, qui s'y étoit rendu, selon ce que nous avions résolu à Toury ; il avoit fait la même chose le jour de devant et M. de Beaufort aussi ; mais j'eus trop d'affaires pour y pouvoir aller. L'on y attendoit aussi M. de Beaufort, et j'avois dit à Flamarin de me venir dire quand il y seroit arrivé, afin que j'allasse parler à eux.

Comme je fus à l'Hôtel-de-Ville, assise dans une grande chaise, et que je vis un profond silence pour m'écouter, j'avoue que je fus dans le dernier embarras, moi qui n'avois jamais parlé en public et qui étois fort ignorante ; mais la nécessité et les ordres de Monsieur me donnèrent de l'assurance et les moyens de me bien expliquer. Je commençai donc :

« Son Altesse Royale, n'ayant pu quitter les grandes et importantes affaires qu'il a à Paris, n'a pas cru vous pouvoir envoyer une personne qui lui fût plus chère que moi et en qui il pût prendre plus de confiance, ayant l'honneur d'être ce que je lui suis, pour vous protéger contre les mauvais desseins du cardinal Mazarin, ou pour périr avec vous, si l'on ne s'en peut défendre. Son Altesse Royale est non-seulement persuadée du zèle que vous avez pour son service et pour la conservation de ce pays, mais elle m'a commandé de vous fair connoître qu'en cette rencontre vos propre intérêts lui sont aussi chers que les siens, et qu'ils se trouvent tellement unis, qu'il seroit difficile de les séparer. Elle a appris avec beaucoup de douleur les désordres que les troupes ont commis dans Blois et les environs, et elle souffre avec beaucoup de peine que la vengeance du cardinal Mazarin contre elle tombe sur tant de personnes innocentes qui en sont les victimes.

» Son Altesse Royale ne doute pas que, si cette armée mettoit les pieds dans Orléans, elle ne traitât cette ville avec beaucoup plus de rigueur, puisque c'est la capitale de l'apanage, et celle dont Son Altesse Royale porte le nom, et, comme tout ce qui y arriveroit lui seroit plus sensible, elle m'a envoyée pour défendre l'honneur, les biens et les vies de ses habitants, et exposer la mienne en toutes rencontres pour les conserver, et, comme la seule voie pour y parvenir est de n'y point laisser entrer l'ennemi commun, il se trouvera peut-être quelques gens parmi vous qui croiroient manquer à leur devoir, en refusant la porte au Roi, c'est le servir en cette rencontre que de lui conserver la plus belle et la plus importante ville de son royaume. Qui ne sait pas qu'à l'âge où est le Roi, personne ne doit avoir plus de part en ses conseils que Monsieur et M. le Prince, puisque personne n'a plus d'intérêt à l'État et à sa conservation ? Ainsi il ne faut que le bon sens pour connoître qu'on doit suivre leur parti, et que c'est celui du Roi, quoique sa personne n'y soit pas, et c'est ce qui cause tous nos malheurs présents, de le voir entre les mains d'un étranger, qui ne songe qu'à ses intérêts, et qui ne se soucie guère ni du Roi ni de l'État.

» Eh maintenant les ordres qui viennent de lui, où il nomme par abus le Roi, ne doivent point être suivis, mais bien ceux de Son Altesse Royale entre les mains de qui légitimement sa personne et son autorité doivent être. Vous êtes plus obligés que tout le reste de la France à lui obéir, par l'honneur que vous avez de lui appartenir. Son Altesse Royale m'a commandé de vous témoigner qu'elle est satisfaite des bons sentiments que vous avez pour elle, de vous en demander la continuation, de vous assurer de sa protection et de sa bonne volonté, espérant de recevoir des effets de la vôtre. Son Altesse Royale m'a aussi commandé de vous dire que jugeant que la proximité de son armée et de celle de M. le Prince, qui y est jointe, pourroit incommoder en quelque façon la ville, elle m'a ordonné de l'en faire éloigner au plus tôt ; et pour cela j'ai mandé à MM. les ducs de Nemours et de Beaufort de me venir trouver pour conférer avec [eux] sur ce sujet. »

Ces messieurs7 m'avoient fait dire, qu'ils seroient bien aises que les officiers qui étoient dans la ville en sortissent, parce que je crois que les cottes de buffle leur font peur, de sorte que je leur dis ensuite que je désirois qu'ils fissent publier un ban dans la ville, à mon nom, jugeant qu'il ne seroit pas obéi à un ordre de la ville, pour faire sortir tous ces officiers des troupes dans vingt-quatre heures, hors qu'ils fussent malades, ou que je leur donnasse permission de demeurer, afin de leur faire connoître que l'on vouloit éloigner tout ce qui leur pouvoit être suspect ; que je les priois que dorénavant ils ne fissent rien sans ma participation ; que je ne ferois rien de mon côté sans la leur, et que je voulois établir entre nous la dernière confiance. Ils me remercièrent, et après je m'en allai.

En sortant, je vis les fenêtres des prisons de l'Hôtel-de-Ville toutes pleines de nos soldats, qui me demandoient leur liberté. Je demandai à ces messieurs, qui me conduisoient, ce qu'ils avoient fait ; ils me dirent que l'on les accusoit de plusieurs choses. Je leur offris de les faire tous pendre dans les places publiques de la ville ; ils le refusèrent et me les rendirent tous. Je les envoya dès le soir à l'armée, et ils leur firent rendre leurs armes et leurs chevaux ; car il y avoit des cavaliers, et [ils] étoient en nombre de quarante ou soixante.

Comme je fus de retour à mon logis, je demandai à ces messieurs comme ils étoient contents de moi ; car avant que d'aller à l'Hôtel-de-Ville, ils m'avoient dit qu'il seroit bon de concerter ce que je dirois. Je leur dis : « Je sais sur quoi j'ai à parler ; si j'y songeois, je ne ferois rien qui vaille ; il faut que je dise tout ce qui me viendra dans la tête, et sur toute chose mettez-vous derrière moi ; car, si l'on me regarde, je ne saurai plus j'en suis. » Ils me dirent qu'il avoit bien paru que je ne les voyois pas et que j'avois fort bien parlé.

J'étois revenue à mon logis pour y attendre des nouvelles de MM. de Beaufort et de Nemours ; il n'en venoit point ; ce qui me donnoit beaucoup d'inquiétude. Le soir très-tard, M. de Beaufort me manda qu'il n'avoit pu venir, parce qu'il avoit attaqué Jargeau. Cela me mit fort en colère ; il le fit de sa tête, sans en parler à M. de Nemours. cette action fut fort brave, mais si peu d'un capitaine, étant faite mal à propos, que je n'en dirai rien, sinon que nous voulions conserver un pont que nous rompîmes.

Nous y perdîmes assez de gens, entre autres M. le baron de Sirot,8 homme de qualité, de mérite et de réputation parmi les gens de guerre. IL y reçut une blessure au menton, dont il mourut quelques jours après à Orléans. Je l'y avois fait apporter pour être mieux traité ; mais tous les soins que l'on put apporter ne servirent de rien. C'étoit un homme nourri dès sa jeunesse dans les armées de l'Empereur en Allemagne ; par là l'on peut juger de son expérience dans la guerre, où il avoit reçu un honneur assez extraordinaire, digne de remarque, et que peu de gens ont reçu, d'avoir, dans des batailles, fait le coup de pistolet contre trois rois, savoir : celui de Bohême, de Pologne et de Suède9 ; et même perça le chapeau de ce dernier.

Les médecins dirent qu'il mourut de chagrin. C'étoit un homme roué de coups, qui avoit servi le Roi fort longtemps ; et même à la bataille de Rocroy, il contribua beaucoup à la victoire, autant que les officiers, qui ont un chef aussi brave, aussi grand capitaine et aussi vigilant que M. le Prince, pouvoient y servir. Ensuite il ne fut pas récompensé comme il eût mérité ; il quitta et s'en alla chez lui en Bourgogne, où Monsieur l'envoya querir. Comme notre armée fut en Beauce, comme j'ai dit, elle étoit fort en état de faire quelque chose ; nos coureurs alloient jusqu'à Blois, et donnoient beaucoup d'effroi. M. de Sirot10 vouloit que l'on fît quelque chose de considérable, et croyoit que M. de Beaufort déféreroit à ses avis ; ce qu'il ne fit pas. Je crois aussi qu'il avoit ordre de Monsieur de ne rien faire. Ce bonhomme se fâchoit fort de manquer à fair paroître combien il étoit capable dans la guerre. L'on manqua encore une autre fois Jargeau, de sorte que toutes ces choses causèrent plus sa mort que sa blessure. Il mourut fort chrétiennement et avec beaucoup de résolution. J'eus soin qu'on lui rendît tous les honneurs funèbres qui furent possibles, et je le fis enterrer à Saint-Pierre-Ensentelée, dans le Martroy,11 à Orléans. L'on lui a mis une épitaphe que beaucoup ont cru que j'ai fait faire, parce qu'elle est fort frondeuse ; mais je ne l'ai vue que longtemps après.

Mais revenons à M. de Beaufort : la colère que j'ai vois contre lui se passa contre Brilet, qu'il m'avoit envoyé ; l'on lui dit de n'en rien dire à son maître, auquel je mandai de me venir trouver le lendemain, et M. de Nemours aussi. Comme j'eus reçu le matin de leurs nouvelles, l'on mit en délibération si je proposerois à messieurs de la ville de les faire entrer ; je jugeai que cela n'étoit pas à propos, et que ce seroit leur donner quelque soupçon, de faire entrer nos généraux accompagnés de tous les officiers, qu'ils ne se pouvoient pas dispenser de mener avec eux ; de sorte que cette difficulté fut vidée par la résolution que je fis d'aller au faubourg parler à eux. Il en naquit une de cela, qui fut que ces messieurs doutoient si je devois sortir de la ville, de crainte que l'on ne me laissât point rentrer. Pour moi, je ne mis point cela en doute et je me croyois fort assurée qu'on me laisseroit rentrer, et qu'ainsi je ne fisse aucune difficulté de sortir, et que dans le peu d'intelligence qui étoit entre nos généraux, ils ne prendroient assurément aucune résolution qu'en ma présence, et que la marche de l'armée étoit une chose si nécessaire, qu'il falloit absolument que j'allasse la faire résoudre ; et que, pour lever tous les soupçons, je mettrois pied à terre à la porte de la ville ; qu'y laissant mon carrosse et mes gardes, il n'y auroit rien à craindre.

J'envoyai querir messieurs de la ville, auxquels je dis : « Comme je ne veux rien faire sans votre participation, j'ai voulu vous avertir que je m'en vais dans le faubourg de Saint-Vincent voir MM. les ducs de Beaufort et de Nemours, pour faire partir l'armée dès demain ; et quoique j'eusse cru que vous auriez été bien aises de les voir, je n'ai pas voulu le proposer, dans l'appréhension que, voyant beaucoup d'officiers avec eux, cela ne donnât quelque soupçon au petit peuple. » Ils me remercièrent de ma bonté ; je partis aussitôt, et j'exécutai à la porte ce que j'avois résolu. M. le comte de Fiesque et Gramont demeurèrent sous la porte à entretenir M. le maire et quelques échevins. J'entrai dans une fort misérable maison, dégarnie de tout, où tous ces messieurs arrivèrent aussitôt après moi. M. de Beaufort me salua assez froidement ; M. de Nemours me fit force compliments sur ce qui s'étoit passé à mon entrée, comme fit tout ce qui étoit là d'officiers.

Après avoir parlé quelques moments de ma conquête, je leur dis qu'il falloit parler des affaires pour lesquelles l'on étoit venu ; de sorte que tous les gens qui n'assistoient point au conseil sortirent, de sorte qu'il ne demeura que MM. de Nemours, Beaufort, le baron de Clinchamp, lieutenant général des étrangers, le comte de Tavannes, qui l'étoit de l'armée de M. le Prince, et les maréchaux de camp des deux armées : Coligny, Raré, Languey, Valon et Villars-Orondate12 ; le comte de Hollac et Saumery ne l'étoient pas. Mais comme ils commandoient le premier, le régiment d'étrangers de Son Altesse Royale, et l'autre celui d'infanterie, je fus bien aise de les y faire entrer. Gouville y étoit aussi maréchal de bataille de l'armée de M. le Prince ; MM. de Rohan et Flamarin y assistèrent aussi ; mesdames de Fiesque, de Bréauté et de Frontenac étoient en un coin, et MM. de Croissy et Bermont. Clérambault ne voulut pas être du conseil, quoique maréchal de camp, à cause qu'il servoit en Guienne. Pradine, Préfontaine et La Tour étoient aussi à l'autre coin de la chambre.

La grande question étoit de savoir de quel côté iroit l'armée. Valon opina le premier par Montargis ; Clinchamp fut de cet avis. Celui de Tavannes fut d'aller passer la rivière à Blois, et M. de Nemours aussi, qui se mit fort en colère contre ceux qui étoient d'avis contraire ; il vouloit que l'on passât la rivière à quelque prix que ce fût, quoiqu'il m'eût promis le contraire. Je pensai [le] lui dire ; il se mit en une furie horrible contre moi ; nous étions, M. de Beaufort, M. de Nemours et moi, appuyés contre un vieux coffre de bois, et Clinchamp, qui ne se pouvoit tenir longtemps debout à cause d'une vieille blessure, étoit assis sur un châlit.

Après que tout le monde eut opiné, je demandai à ces messieurs les conseillers leurs avis. Ce qu'ils refusèrent d'abord, disant que ce n'étoit pas leur métier ; à quoi je répliquai que ce n'étoit pas le mien ; de sorte qu'ils se laissèrent aller à mes persuasions, et furent du grand avis, qui fut le mien ; car j'opinai. L'on jugera aisément que ce ne fut pas bien ; car les demoiselles parlent pour l'ordinaire mal de la guerre ; mais je vous assure qu'en cela, comme en toute autre chose, le bons sens règle tout, et que, quand l'on en a, il n'y a dame qui ne commandât bien des armées. Je conclus pour Montargis, étant le meilleur, parce que l'on alloit dans un très-bon pays, où les troupes subsisteroient bien ; que si l'on y arrivoit assez tôt, l'on pourroit envoyer des gens à Montereau ; qu'ainsi l'on seroit maître des rivières de Loire et d'Yonne, et que par là l'on couperoit le chemin à la cour, que l'on empêcheroit d'aller à Fontainebleau ; que l'avis de Blois me paroissoit mauvais en ce que l'on iroit dans un pays, où l'armée des ennemis avoit été trois semaines et avoit tout pillé ; et que donner dix jours de marche aux ennemis, quand l'on les pouvoit couper, il me sembloit que ce n'étoit pas prendre le bon parti ; que tout le monde avoit été pour Montargis, et qu'il y falloit aller absolument.

M. de Nemours se mit à jurer et à pester, que l'on abandonnoit M. le Prince, et que, s'il faisoit bien, il se séparoit de Monsieur. Je lui dis que je croyois que M. le Prince le désavoueroit de ce qu'il disoit, et qu'il ne devoit pas avoir un tel emportement sur une chose qui n'étoit point contre les intérêts de M. le Prince, qui m'étoient aussi considérable qu'à lui. Je lui dis toutes les choses que je pus pour le ramener : il me menaça de s'en aller ; je le priai de m'en avertir quand il le voudroit faire, parce que les ennemis étant proches et forts, il étoit bon de savoir bientôt s'il se voudroit séparer des troupes de Monsieur ; que je ne voulois pas qu'elles passassent la rivière, et que je verrois à les mettre en lieu de sûreté. Il étoit si en colère qu'il ne savoit ce qu'il disoit ; il se mit encore à pester et à jurer que l'on trompoit M. le Prince, et qu'il savoit bien qui c'étoit. M. de Beaufort lui demanda : « [Qui est-ce ?] » IL lui répondit : « C'est vous. » Sur quoi ils se frappèrent tous deux. Mais, comme j'avois la tête tournée, que je parlois à Clinchamp, je ne vis point qui frappa le premier ; j'ai su de ceux qui y étoient que ce fut M. de Beaufort, et c'est ce qui a causé ce qui est arrivé depuis ; ils mirent l'épée à la main, et l'on se jeta dessus pour les séparer.

Au moment, tout le monde qui étoit dehors entra : ce fut un bruit et une confusion horrible, dont M. de Clinchamp fut bien étonné. Car parmi les étrangers, on a plus de respect envers les gens à qui l'on en doit. M. de Nemours ne voulut jamais donner son épée à personne qu'à moi, avec grande peine, que je donnai au lieutenant des gardes de Monsieur, qui étoit avec moi, aussi bien que celle de M. de Beaufort, que je menai dans un jardin ; il se mit à genoux devant moi et me demanda pardon avec tous les déplaisirs possibles de m'avoir manqué de respect. M. de Nemours n'en fit pas de même ; car il fut une heure dans une telle furie que rien n'étoit égal. Je le prêchois et lui disois que cette action étoit la chose du monde la plus désavantageuse pour le parti, et que les ennemis s'en réjouiroient, comme d'un grand avantage qu'ils remportoient sur nous13 ; qu'il montrât en cette occasion le zèle qu'il avoit pour le service de M. le Prince, en sacrifiant sa passion à ses intérêts. Il n'entendoit rien.

D'un autre côté j'étois en grande inquiétude de voir qu'il étoit une heure de nuit, et que j'avois à rentrer dans une ville où le bourgeois pouvoit s'alarmer, et il y avoit assez sujet de le craindre ; néanmoins je ne voulus point partir que je ne les eusse raccommodés. Enfin Coligny et Tavannes pressèrent si fort M. de Nemours, qu'ils obtinrent avec beaucoup de peine qu'il me feroit des excuses. Je le priai d'embrasser M. de Beaufort ; il me le promit d'une fort méchante manière ; mais il falloit prendre de lui ce que l'on pouvoit. Je m'en allai querir M. de Beaufort, et je dis à l'un et à l'autre tout ce que je croyois qu'ils se devoient dire pour les empêcher de parler, sachant bien que M. de Nemours n'auroit pas dit ce que je disois pour lui. M. de Beaufort témoigna la dernière tendresse à M. de Nemours, et beaucoup de douleur de s'être emporté contre son beau-frère ; l'autre ne lui dit rien et l'embrassa comme il auroit fait un valet. La tendresse de M. de Beaufort alla jusqu'à pleurer, de quoi la compagnie rit un peu, et moi toute la première ; ce que je ne devois pas faire ; mais je ne m'en sus empêcher. Voyant donc les choses un peu radoucies, je les quittai, et j'ordonnai à tous les officiers de garder chacun leur général, et de ne leur pas obéir jusqu'à ce qu'ils se fussent tout à fait réconciliés, leur enjoignant de tenir la main à les mettre en bonne intelligence.

Je m'en retournai en ma ville, où je trouvai quantité de bourgeois qui étoient ravis de me revoir, sans que pas un demandât pourquoi j'avois tant tardé, ni témoignât de méfiance du séjour que j'avois fait dans le faubourg ; je le dis pourtant aux principaux, comme pour leur en donner part. Dès que je fus à mon logis, je dépêchai un courrier à Monsieur, pour lui donner avis de tout ce qui s'étoit passé. Le lendemain, j'envoyai les ordres à l'armée de marcher, qui partit le lendemain dès la pointe du jour. J'écrivis à MM. de Nemours et de Beaufort pour les prier de bien vivre ensemble ; ils m'envoyèrent un courier pour m'assurer qu'ils avoient obéi à mes ordres, tant en cela qu'à marcher ; et M. de Clinchamp me manda qu'ils avoient dîné ensemble.

[Le samedi de Pâques,14 l'on me vint dire le matin, qu'il y avoit du canon à Saint-Mesmin qui avoit remonté sur la rivière depuis Blois, et qu'ils attendoient de quoi le mener et l'escorter à l'armée. A l'instant, j'envoyai querir ces messieurs, et je leur dis : « Voici une occasion : il faut aller à Saint-Mesmin ; j'irai à cheval, et tous mes chevaux de carrosse serviront à amener ici le canon. Tout ce qui est à moi montera à cheval : il y aura cent bons hommes bien montés ; je prendrai deux cents mousquetaires de la ville, ainsi l'escorte sera assez forte, et nous aurons leur canon. » Ils se mirent tous à rire de voir l'envie que j'avois de faire quelque chose ; je ne trouvois rien d'impossible. Ils me dirent que, si j'avois des troupes, cela se pourroit faire, mais que n'en ayant point, cela étoit difficile, dont je fus très-fâchée.]

Je reçus le même jour la réponse de Son Altesse Royale, à la lettre que je lui avois écrite, qui me donna une sensible joie par la tendresse dont elle me parut remplie ; ce qui m'oblige à la mettre ici :

« Ma fille,

» Vous pouvez penser la joie que j'ai eue de l'action que vous venez de faire : vous m'avez sauvé Orléans, et assuré Paris ; c'est une joie publique, et tout le monde dit que votre action est digne de la petite-fille de Henri le Grand. Je ne doutois pas de votre cœur ; mais en cette action j'ai vu que vous avez eu plus de prudence que de conseil.15 Je vous dirai encore que je suis ravi de ce que vous avez fait, autant pour l'amour de vous que pour l'amour de moi. Dorénavant faites-moi écrire par la main de votre secrétaire les choses importantes, pour les raisons que vous savez.

» Gaston. »

Cette raison est que j'écris si mal qu'on a toutes les peines du monde à lire mon écriture.

A mon arrivée à Orléans, je reçus force plaintes des bourgeois et gentilshommes des environs, des désordres des gens de guerre, qui prenoient les bestiaux [et] les chevaux des laboureurs, battoient, faisoient enfin toutes les violences imaginables, à ce que l'on disoit ; brûloient les pieds des paysans pour avoir de l'argent, enfin tous les contes fabuleux que l'on fait aux bonnes femmes des champs. Comme je suis fort sensible à la misère des pauvres, cela m'attendrit, et comme j'aime fort la justice, l'un et l'autre m'obligèrent à faire faire de grandes perquisitions pour y donner ordre. L'on trouva les bestiaux et les chevaux dans les quartiers que l'on fit rendre, et les laboureurs se mirent à leurs charrues, vingt-quatre heures après mon arrivée, comme en pleine paix ; l'on alla aux marchés aussi. Pour tous les autres désordres, ils furent trouvés faux, et je fis tout rendre jusques à un poulet ; de sorte que l'on me donna autant de bénédictions dans la campagne que dans la ville.16 On ne vendoit plus de pour17 et les autres droits du roi ne s'y payoient plus ; ceux qui avoient accoutumé de les recevoir s'étoient cachés, craignant autant pour leurs personnes que pour l'argent qu'ils avoient déjà reçu : et ce n'étoit pas sans raison, par l'exemple de ce qui avoit déjà été fait dans les autres villes.

On crut si bien que je devois mettre la main sur cet argent, qu'on me vint donner avis qu'il y avoit des sommes considérables et que je les pouvois prendre ; pour me le mieux persuader, l'on me dit que je le devois faire pour payer nos troupes et pour en lever de nouvelles ; que ce seroit rendre un grand service au parti ; que je le pouvois même garder pour moi. Je ne fus pas seulement fâchée ; mais j'eus même horreur de cette proposition. La première m'auroit pu toucher, sans la crainte que j'avois que cela ne fît quelque préjudice aux particuliers qui en étoient chargés ; ainsi je n'écoutai rien là-dessus. Je fis venir tous les receveurs qui étoient à la ville et aux environs, pour les rassurer et pour leur dire qu'ils ne craignissent rien ; que l'argent du roi seroit en sûreté ; qu'ils continuassent leurs emplois. J'ai toujours cru qu'il faut en tout temps rendre à César ce qui appartient à César ; cette règle a été faite aussi bien pour les souverains que pour les sujets, et ils sont obligés de la suivre également. Je les assurai tous de ma protection, sous laquelle ils recommencèrent la levée de tous les droits du roi, dont ils me surent un très-bon gré ; et je m'en sus aussi à moi-même de n'avoir manqué à aucun de mes devoirs. Il y avoit quelques officiers de présidial,18 qui avoient des parents dans le service du cardinal Mazarin, qui ne savoient s'ils devoient sortir ou demeurer ; je les envoyai querir et leur dis que, pourvu qu'ils ne se mêlassent de rien, je les lairrois en repos chez eux ; ce qu'ils firent, et ce sont d'honnêtes gens qui s'appellent Brachet ; leur oncle, nommé Belesbat, étoit receveur de la ville.

Comme je revenois de complies de filles de Sainte-Marie, l'on me dit que M. le président de Nesmond19 et messieurs les conseillers, députés du parlement de Paris vers le roi pour lui remontrer la nécessité qu'il y avoit pour le bien de l'État d'éloigner M. le cardinal de Mazarin, étoient à la porte d'Orléans, qui attendoient, il y avoit une heure, pour entrer. A l'instant je donnai ordre que l'on y allât, et MM. de Croissy et de Bermont furent au-devant d'eux. Aussitôt après leur arrivée, ils me vinrent voir et me firent part du sujet de leur voyage, quoique je le susse bien. Je leur en donnai de tout ce qui s'étoit passé à Orléans depuis que j'y étois, et de toutes les choses que j'avois dessein de faire ; ce qu'ils approuvèrent fort.

Ils y séjournèrent le lendemain à cause de la fête, et comme ils étoient à mon logis, l'on leur vint dire qu'il y avoit un valet de pied de la part du roi qui les demandoient avec des lettres ; ils s'en allèrent ; et, aussitôt après les avoir lues, ils me les envoyèrent montrer par M. de Bermont, leur confrère, qui étoit avec moi. Ces lettres portoient que le Roi leur ordonnoit de l'aller attendre à Gien, où il se rendroit dans peu de jours. Ces messieurs répondirent qu'en passant à Sully ils s'y arrêteroient pour voir s'ils pourroient avoir l'honneur d'être ouïs de Sa Majesté, sinon ils passeroient à Gien. Ils partirent le lendemain ; ils me demandèrent deux de mes gardes pour les escorter jusqu'à ce que l'escorte que j'avois mandé que l'on leur envoyât de l'armée fût venue.

Ces gardes rapportèrent une nouvelle qui me donna grande joie, qui fut l'arrivée de M. le Prince à l'armée.20 Je ne le pouvois croire, tant je le désirois ; et dans la crainte que cela ne fût point vrai, je ne voulus pas que l'on le dit. Le lendemain, à mon réveil, j'en eus la certitude par Guitaut, qu'il m'envoya aussitôt après être arrivé à l'armée, par lequel il m'écrivit et me fit faire toutes les civilités et les assurances de service possibles, comme vous pouvez voir par sa lettre :

« Du camp de Lori,21 le 2 avril 1652.

» Mademoiselle,

» Aussitôt que j'ai été arrivé ici, j'ai cru être obligé de vous dépêcher Guitaut, pour vous témoigner la reconnoissance que j'ai de toutes les bontés que vous faites paroître pour moi, et à même temps me réjouir avec vous de l'heureux succès de votre entrée à Orléans. C'est un coup qui n'appartient qu'à vous, et qui est de la dernière importance. Faites-moi la grâce d'être persuadée que je serai toujours inséparablement attaché aux intérêts de monsieur, et que je vous témoignerai toujours dans les vôtres que je suis, avec tout le respect et la passion imaginable,

» Mademoiselle,

» Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

» Louis de Bourbon. »

La joie que j'eus de son arrivée fut très-grande, car j'espérois que sa bonne fortune accoutumée seroit avantageuse au parti et qu'elle ne l'abandonneroit pas dans les occasions à l'avenir, comme elle avoit fait par le passé ; ce qui parut bientôt après. Je me fis conter par Guitaut toutes les aventures qui lui étoient arrivées par le chemin : il se sauva miraculeusement des troupes du Roi ; car Sainte-Maure ne le manqua que d'un quart d'heure ; s'il eût été pris,22 ç'auroit été un grand malheur pour la France de perdre un prince qui l'a si bien servie, et qui continue tous les jours en faisant la guerre au cardinal de Mazarin, pour tâcher de le chasser.23 Il est vrai que les services qu'il lui rend présentement ne paroissent pas aux yeux tels que ceux des batailles de Rocroy, Fribourg, Nordlingue et de Lens, et d'un nombre infini de places qu'il a prises ; mais il faut que les intentions des grands soient comme les mystères de la Foi. Il n'appartient pas aux hommes d'y pénétrer ; on les doit révérer, et croire qu'elles ne sont jamais que pour le bien et le salut de la patrie. L'on doit juger ainsi celles de M. le Prince, puisque c'est l'homme du monde le plus raisonnable.24 Il fut assez embarrassé à une hôtellerie de son déguisement ; car il faisoit le valet ; et comme on lui dit de brider et seller un cheval, jamais il n'en put venir à bout.

Pendant sa prison, M. de Vendôme eut le gouvernement de Bourgogne par commission ; le comte d'Harcourt, celui de Normandie25 ; le maréchal de L'Hôpital, la Champagne, dont il est lieutenant de roi.26 A leur sortie, M. le Prince changea la Bourgogne à la Guienne avec M. d'Épernon, et le prince de Conti reprit la Champagne jusqu'à ce que le duc d'Enghien fût en âge de l'avoir ; car c'est le Berri qui est à M. le prince de Conti. L'on passa en ce temps-là le contrat de mariage au Palais-Royal, en présence de Leurs Majestés, de M. le duc d'Enghien avec ma sœur de Valois, troisième fille du second mariage de Monsieur. J'ai reparlé de l'échange de ces gouvernements, parce que l'on n'auroit pas compris comment M. le Prince n'étant pas bien à la cour, l'on lui avoit laissé passer toute la France pour aller à Bordeaux ; et comme il y avoit longtemps qu'il parloit de faire ce voyage pour s'y faire recevoir, celle ne surprit point. Il fit faire une litière pour faire son entrée, la plus magnifique du monde. Comme il portoit encore le deuil, elle étoit noire, toute chamarrée d'argent, et son carrosse de même.

Outre les avantages que l'on pouvoit espérer de la venue de M. le Prince, comme j'ai déjà dit, elle étoit d'une nécessité extrême, MM. les ducs de Beaufort et de Nemours n'étant reconciliés qu'en apparence, et ne l'étant point dans le cœur. Cela faisoit naître sans cesse des démêlés entre eux, qui causoient des divisions et partialités parmi les officiers, et avoient mis de tels soupçons dans les esprits des étrangers, qu'ils étoient quasi tous prêts à quitter ; et pour y remédier, M. de Clinchamp et les autres officiers généraux avoient résolu de m'envoyer prier de venir à l'armée, pour que toutes choses leur parussent être avec ma participation, et que cela seul pourroit rétablir la confiance des étrangers, qui en avoient beaucoup en moi. Ce n'est pas que ces messieurs les généraux fissent rien de leur tête depuis que j'étois à Orléans : ils envoyoient tous les jours me rendre compte de toute chose ; sur quoi j'ordonnois ce qu'il me plaisoit. M. de Clinchamp y renvoyoit tous les jours aussi, et il étoit plus soigneux de me rendre toutes sortes de respects et devoirs que les gens de Monsieur ; et quand j'envoyois des officiers en sauvegardes pour conserver des maisons ou villages, j'envoyois plutôt de ceux de M. de Clinchamp que des nôtres.

Dieu les délivra de l'embarras où ils étoient en leur envoyant un général, le plus habile et le plus expérimenté qui soit au monde. En arrivant, l'on l'arrêta à la garde ; il trouvoit mauvais que l'on ne le laissât pas passer, et ne vouloit pas dire qui il étoit. Un colonel allemand, nommé Vestrein,27 qui étoit de garde comme il arriva, se douta que c'étoit M. le Prince, mit pied à terre et lui embrassa les genoux. A l'instant toute l'armée le sut, et ce fut la plus grande joie du monde. Il jugea qu'il étoit nécessaire de tenir conseil pour délibérer ce qu'il y auroit à faire, voyant bien que l'on ne pouvoit pas demeurer plus longtemps au poste où l'on étoit, [tant] à cause du lieu que de l'utilité des affaires.28 M. de Nemours, qui croyoit qu'il changeroit tout ce que l'on avoit résolu, et qu'il suivroit son avis, lui conta tout ce qui s'étoit passé dans le faubourg d'Orléans. M. le Prince dit que les résolutions prises dans le conseil, où j'avois bien voulu être, devoient être suivis, quand elles ne seroient pas bonnes ; mais que celles que l'on avoit prises étoient telles que le roi de Suède n'eût pas pu mieux prendre son parti et que pour lui, il l'auroit fait quand je ne l'aurois pas ordonné, dont M. de Nemours fut fort attrapé ; de sorte qu'il fit marcher à l'instant, et alla droit à Montargis.

Lorsque l'armée y avoit été, M. de Beaufort y avoit laissé cent mousquetaires de l'Altesse (car l'on appelle les régiments de Monsieur ainsi), et cinquante maîtres29 de celui de cavalerie, de sorte que l'on croyoit que ces gens-là étoient maîtres de Montargis ; et j'avois envoyé un ordre aux habitants et au gouverneur d'y recevoir l'armée, de sorte que M. le Prince ayant appris cela, ne douta pas d'y être reçu ; mais les gens de Monsieur, qui sont peu prévoyants, et qui ne songent pas toujours à ce qu'ils font, avoient donné un ordre de Monsieur à M. Faure, qui en étoit gouverneur, pour faire retourner à l'armée les mousquetaires et les cavaliers.

En partant, les secrétaires de Monsieur avoient donné au mien des blancs signés de Son Altesse Royale, pour s'en servir quand je le jugerois à propos, de sorte que quelquefois dans le commencement j'en envoyois. C'étoit donc un de ceux-là qu'un garde avoit porté à Montargis ; il trouva ces troupes sorties du matin seulement, de sorte que sur le bruit de l'arrivée de l'armée, il y eut quelque effroi dans la ville ; et Mondreville, qui est un gentilhomme de ce pays-là, qui est à M. le cardinal, se servit de cette frayeur pour les obliger à fermer les portes, de sorte que M. le Prince trouva les choses en l'état que je dis. Il leur envoya dire d'ouvrir les portes, et regarda à sa montre, et leur manda que si, dans une heure, ils n'ouvroient les portes, il feroit piller la ville et pendre tous les habitants ; de sorte qu'ils lui ouvrirent, et nous disions qu'il avoit pris Montargis avec sa montre. J'écrivis au secrétaire de Monsieur de bonne manière, et j'avois quelque raison d'être un peu en colère ; car, sachant que j'étois plus proche de Montargis qu'eux, ils me devoient laisser faire ; et je menaçai fort sur cela de m'en aller à Paris et de tout quitter.

Je renvoyai Guitaut, et avec lui un gentilhomme pour aller faire mes compliments à M. le Prince. M. le comte de Fiesque et tous ces autres messieurs allèrent le voir aussi. Pendant leur absence, ces messieurs du parlement repassèrent, qui avoient vu le roi à Sully, à qui la remontrance avoit aussi peu profité que les précédentes. La réponse étant une action enregistrée au parlement, il seroit inutile de la mettre ici. M. de Nesmond me demanda où étoient ces messieurs les conseillers. Je lui dis qu'ils étoient allés voir M. le Prince. Il me répondit : « Si vous le leur avez commandé, ils ne sauroient faillir ; mais vous les auriez pu dispenser de ce voyage ; il ne convient guère à des gens de notre métier d'aller ainsi parmi les armées, non plus que d'opiner au conseil de guerre ; ce que je ne crois pas qu'ils aient fait. » Je lui dis qu'ils n'avoient garde.

Monsieur m'écrivoit très-soigneusement, tantôt de sa main, et quelquefois de celle de ses secrétaires ; car il n'aime pas à écrire. Goulas me manda que Monsieur avoit jugé nécessaire de m'envoyer un plein pouvoir pour commander dans tout son apanage comme lui-même, et pour que les officiers de l'armée m'obéissent. Je mandai que cela n'étoit pas nécessaire, et que l'on m'obéissoit très-volontiers ; et j'eus assez de vanité pour croire que cela choquoit l'autorité de ma naissance d'écrire qu'un morceau de parchemin m'en pût donner. Pourtant il ne laissa pas à quelque jours de là d'envoyer cette patente à Préfontaine, qui la garda dans sa cassette sans que personne le sût, ne jugeant pas à propos de le dire.

Au retour de ces messieurs, qui étoient allés rendre leurs devoirs à M. le Prince, ils me dirent qu'il souhaitoit fort de me venir voir, mais qu'il seroit bien aise de savoir si l'on le recevroit bien à Orléans. Il avoit envoyé querir l'évêque, qui étoit fort de ses amis, et sans le conseil duquel il ne faisoit rien. Il ne jugea pas à propos que M. le Prince vint à Orléans.30 Le marquis de Sourdis avoit eu une conduite dans toute cette affaire, qui donnoit assez de sujet de croire qu'il étoit mazarin. Pourtant, comme l'on doit juger des gens selon leur intérêt, le sien n'étoit pas de l'être, tous ces établissements dépendant quasi de Monsieur. Il a toujours été assez de mes amis ; ainsi je le pris un jour à part pour lui demander sincèrement pour qui il étoit ; que sa conduite envers Monsieur étoit assez mauvaise, mais que je voulois croire aussi que l'on lui avoit rendu de mauvais offices, et qu'à l'avenir il se conduiroit tout autrement, et particulièrement ayant affaire avec moi ; que de cette sorte il répareroit le passé. Il me fit mille protestations de service, et m'assura qu'il en rendroit à Monsieur et à moi en tout, et qu'il seroit content, et que j'aurois tout sujet d'être satisfaite de lui. Je le crus fermement et qu'il feroit en toutes occasions ce que je voudrois. Ce qui me fit croire qu'il auroit de la joie de voir M. le Prince ; mais [le] lui ayant proposé, il me dit que je me gardasse bien d'en parler, et que je gâterois tout si je le proposois à la ville ; ce qui ne me rebuta point.

J'envoyai querir messieurs de la ville, à qui je donnai une lettre de Monsieur, qui portoit qu'ayant su l'arrivée de M. le Prince à l'armée, et qu'il seroit peut-être nécessaire qu'il vînt à Orléans pour me voir, qu'en ce cas-là ils eussent à le recevoir selon sa qualité, et comme étant parfaitement uni à ses intérêts. Ils me dirent qu'ils s'en alloient assembler la ville pour voir cette lettre, qu'ils doutoient être venue de Paris. Ils avoient quelque raison en cela ; car elle n'avoit fait de chemin que de la chambre de Préfontaine à la mienne. J'appris que la peur que le marquis de Sourdis avoit de la venue de M. le Prince étoit qu'il craignoit qu'il ne le chassât. Cette pensée me fâcha ; car si je l'avois voulu mettre dehors, je n'aurois pas voulu que M. le Prince y eût été, dans la crainte que l'on eût cru que la mienne seule n'eût pas été assez forte sans soutien.

Le soir, messieurs de la ville me vinrent dire qu'ils ne pouvoient point recevoir M. le Prince sans envoyer à Monsieur ; ce que je trouvai fort mauvais, et je leur dis qu'il n'étoit point nécessaire d'envoyer à Paris ; que Monsieur m'avoueroit de tout ce que je ferois, et trouveroit fort mauvais s'ils ne faisoient les choses que je désirois. Sur cela, je m'emportai un peu ; je les grondai fort, et je leur dis qu'ils s'en allassent, et que j'enverrois dans une heure Préfontaine leur dire ce que je voulois qu'ils fissent. Je dis à ces messieurs qui étoient avec moi qu'il falloit pousser cette affaire ; et que si M. le Prince, après avoir témoigné désirer de me voir, ne venoit point, parce que je n'aurois pas eu le crédit de le faire entrer dans Orléans, cela feroit voir que je n'y ai point de crédit, et commettroit mon autorité et celle de Monsieur ; que je devois tout faire à l'égard de M. le Prince dans le commencement d'un raccommodement. Je leur appris que Préfontaine avoit un pouvoir dans sa cassette : il l'alla querir ; et après [le] leur avoir montré, ils me conseillèrent de le faire voir dans une assemblée générale, que je proposai de faire le lendemain. J'envoyai Préfontaine dire à la ville que je voulois que l'on s'assemblât, et que je me trouverois à l'Hôtel-de-Ville. J'envoyai querir M. de Sourdis, auquel je montrai mon pouvoir, et je lui demandai s'il n'y avoit rien qui le choquât. Il me dit que non, et qu'il ne feroit jamais difficulté de m'obéir. J'envoyai querir tous les principaux, qui devoient être à cette assemblée, séparément, pour leur faire connoître mes intentions ; j'en trouvai quantité de mazarins, lesquels je menaçai, et à qui je parlai en demoiselle de ma qualité. Il y en eut un assez hardi pour me dire que le nom de M. le Prince étoit odieux à la ville d'Orléans, et que son grand-père31 y avoit fait de si grand maux que l'on ne le pardonneroit jamais au nom. Je lui dis : « Le mien étoit du même parti du temps dont vous me parlez, et il n'appartient pas à des bourgeois d'Orléans, ni à qui que ce soit en France, de parler ainsi des princes du sang ; on les doit respecter comme des gens qui peuvent être les maîtres des autres. »

Le lendemain j'allai à l'Hôtel-de-Ville, où d'abord je dis que l'obéissance, que l'on m'avoit rendue jusqu'à présent, m'avoit empêchée de faire voir le pouvoir que Monsieur m'avoit envoyé ; et qu'étant persuadée que l'on en devoit plus à ma naissance qu'à toutes les patentes, j'avois négligé de le montrer ; mais, puisqu'il y avoit des gens qui n'étoient pas soumis, qu'il étoit bon de le faire voir. Préfontaine le donna au greffier de la ville ; et, après que la lecture en fut faite, je dis à l'assemblée : « Présentement que vous voyez le pouvoir que Monsieur me donne, je pense que vous ne ferez plus de difficulté d'obéir à mes ordres. Je suis venue pour vous dire que M. le Prince, étant arrivé à l'armée, désire de me venir voir ; je ne doute point que vous ne lui rendiez tous les respects qui sont dus à sa naissance, et encore plus s'il se pouvoit, vu l'union dans laquelle il est avec Monsieur, et à ma considération. C'est un prince à qui toute la France a tant d'obligation, qu'il n'y a pas une ville qui en son particulier ne lui doive toute la reconnoissance possible. » Je m'étendis davantage que je ne fais sur ce que l'on devoit à la naissance et au mérite de M. le Prince, et à l'obéissance que l'on me devoit ; et cela avec autant de fierté que l'on m'accuse d'en avoir en toutes mes actions. D'abord je parlois trop bas, l'on ne m'entendit point ; j'en fus assez étonnée, parce que je m'étois attendue que l'on me diroit que l'on feroit tout ce que je voudrois. Je ne me rebutai point ; je recommençai, et je dis que je voyois bien que j'avois parlé trop bas, puisque l'on ne me répondoit rien. Comme je finissois ces paroles, tout le monde cria : « Tout ce qui plaira à Mademoiselle, il le faut faire, et que M. le Prince vienne. » Je sortis très-satisfaite, et j'allai dépêcher un courier à M. le Prince. Le soir, le marquis de Sourdis me voulut parler ; je le grondai fort, et je lui dis qu'il n'avoit que faire de craindre M. le Prince ; que, si j'avois voulu le chasser, je l'aurois fait, et que je n'attendois personne, quand je voulois faire des coups d'autorité.

Comme j'avois montré mon pouvoir à la ville, il le falloit faire enregistrer au présidial. D'abord que l'on en parla à cette compagnie, quelques-uns en firent difficulté, sur ce que, M. le marquis de Sourdis étant pourvu par le roi, Monsieur pouvoit bien lui commander, mais non pas donner ce pouvoir à un autre, et qu'il n'y avoit point d'exemple que jamais fils de France en eût usé de cette manière dans son apanage. J'en conférai avec les conseillers du parlement de Paris qui étoient avec moi, à qui je dis qu'il me sembloit qu'en l'état où j'étois à Orléans, rien ne me devoit être impossible, et que, quand il n'y auroit point d'exemple de chose pareille, je serois bien aise d'en faire un pour l'avenir ; qu'il y avoit [de la gloire] de l'être d'une chose avantageuse, comme celle-là seroit à l'avenir pour tous les fils de France, de pouvoir commettre32 en des occasions où il n'y avoit jamais eu que le roi qui l'eût de mon avis. Comme la chose n'étoit point injuste, ils furent de mon avis. J'envoyai querir les gens du roi du présidial, entre les mains desquels l'on mit cette patente pour donner leurs conclusions ; j'envoyai pareillement querir le lieutenant général, homme fort mazarin, et duquel j'étois fort mal satisfaite.

Comme cette affaire fut engagé, Saujon, capitaine des gardes de Monsieur, arriva, qui n'étoit pas trop bien avec moi à cause de certaines intrigues qu'il avoit eus avec madame de Fouquerolles,33 dont je n'étois pas satisfaite ; car je n'aime point que l'on se vienne mêler dans mon domestique, si je ne l'ordonne. Il venoit chez moi ; je le souffrois ; mais c'est être fort mal, quand l'on est réduit là. Après avoir eu part à quelque confiance, il mit dans la tête du marquis de Sourdis qu'il me feroit faire tout ce qu'il voudroit ; de sorte que ledit marquis en étant persuadé, et du crédit qu'il avoit auprès de Monsieur, s'imagina qu'il étoit fort à propos de ne me plus voir, et de prendre prétexte sur ce pouvoir qui choquoit le sien, quoiqu'il l'eût approuvé, et de ne vouloir point que l'on l'enregistrât ; de sorte que tous ces messieurs me vinrent trouver pour me dire qu'il ne falloit point se commettre, parce que M. de Sourdis faisant une opposition à l'enregistrement, ou je me trouverois nécessitée à pousser une affaire de laquelle l'événement étoit incertain, ou à lui céder ; et pour me persuader que la chose n'étoit rien, ils me dirent sans cesse que j'avois dit tant de fois, que la chose étoit si au-dessous de moi qu'il la falloit traiter de cette manière. J'en convenois, mais je trouvois que, pour d'habiles gens, ils m'avoient embarquée mal à propos, puisque c'étoit même contre mon sentiment ; mais qu'il me sembloit qu'étant au point où j'étois, la chose étoit si peu importante qu'il falloit l'achever, et que, même en des bagatelles, il étoit rude à des personnes comme moi de se dédire.

Je me mis en colère, et je parlai quatre heures là-dessus, tournant l'affaire de tous côtés, et leur faisant voir toujours le but, de quelque manière que je le tournasse. Je ne sais si j'avois raison, mais je défendis si bien ma cause qu'ils en furent tout fort satisfaits, et me dirent que j'avois raison ; mais pourtant ils ne s'y rendirent pas ; de sorte que ma colère ne se diminuant pas, elle me mena jusqu'aux pleurs, me récriant que l'on croiroit que M. de Sourdis tiroit au bâton contre moi, et qu'il l'emporteroit. Enfin, après force lamentations impérieuses, ce qui me faisoit enrager, c'est que tous m'avoient engagée à cela, et puis l'un après l'autre avoient changé ; les conseillers du parlement avoient tenu ferme les derniers ; car ils avoient été même jusqu'à me dire qu'ils croyoient que l'on n'auroit pas fait difficulté de l'enregistrer au parlement de Paris, pour en faire l'exemple dont j'ai parlé. Ces messieurs m'alléguoient que j'avois peu de crédit dans le présidial ; qu'ils étoient tous fort mazarins, et que j'y devois avoir égard. Je n'en avois à rien, étant fort aheurté à mon opinion ; de sorte que tout le jour se passa ainsi, et tout le soir ; et même, comme je ne dormois point, je les envoyai réveiller les uns après les autres pour venir parler à moi, et pour tâcher de les gagner séparément, afin de trouver tous pour moi, lorsque je les reverrois ensemble.

Le matin ils vinrent me dire que j'étois la maîtresse, que je ferois tout ce que je voudrois ; mais qu'il falloit se rendre à la raison, et que ce seroit à cela que je me rendrois et non à leurs très-humbles prières, et qu'il étoit très-important pour la service de Monsieur que j'en usasse ainsi. Enfin je me rendis, et j'envoyai Préfontaine dire à messieurs du présidial de me venir trouver au retour de ma messe.

Comme j'arrivai, et que je sus qu'ils étoient dans mon logis, me revoici aux pleurs. Je fis fermer les fenêtres de ma chambre ; j'essuyai mes larmes et je les fis entrer, et leur dis que je savois qu'ils avoient opiné sur l'affaire que je leur avois proposée ; que je les priois d'en demeurer là et de ne pas passer outre, et cela avec une mine riante, comme si c'eût été la chose du monde qui m'eût le plus satisfaite. Voilà le tempérament que ces messieurs trouvèrent ; à quoi je consentis. Je laisse à juger si je ne me fusse pas mieux trouvé de suivre mes premiers sentiments en cela comme j'avois fait en autre chose. M. de Sourdis me vint voir, et nous nous raccommodâmes. Il avoit accoutumé de me donner tous les jours un paquet de confitures, en ayant de très-bonnes, et pendant notre démêlé je n'en avois point eu ; de sorte que je dis à M. l'évêque d'Orléans, qui nous raccommoda, qu'il me restituât tout ce qui m'appartenoit ; ce qu'il fit : car je ne perdis pas un de mes paquets. Ainsi j'en eus beaucoup à l'accommodement.

 

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NOTES

1. On a vu (Chap. X) que Mademoiselle avait fait son entrée à Orléans le 27 mars 1652.

2. Le garde des sceaux était Mathieu Molé.

3. On a vu (Chap. X) que Charles d'Escoubleau, marquis de Sourdis et d'Alluye, était alors gouverneur de l'Orléanais.

4. Jean-Édouard Molé, fils du président Mathieu Molé. Il fut reçu président à mortier en 1657, et mourut en 1682.

5. Il s'agit de l'évêque d'Orléans, Alphonse d'Elbène.

6. Le comte de Flamarin, ou Flamarens, était chambellan de Gaston d'Orléans. Il fut tué au combat de la porte Saint-Antoine (2 juillet 1652).

7. Il s'agit ici des magistrats municipaux d'Orléans.

8. On a remplacé ce nom, dans les anciennes éditions, par celui du baron de Vitaux. Sirot est fort connu par son rôle glorieux à Rocroy, comme Mademoiselle le rappelle dans la suite du passage. On a publié sous son nom des Mémoires. En voici le titre : Mémoires et vie de messire Claude de Letouf, chevalier, baron de Sirot, lieutenant général des camps et armées du roi (2. vol. in 12, Paris, 1683).

9. Les trois rois, désignés par Mademoiselle dans ce passage, sont Frédéric V, roi de Bohême ; Wladislas VII, roi de Pologne ; et Gustave-Adolphe, roi de Suède.

10. Les anciennes éditions mettent ici Monsieur (Gaston d'Orléans), au lieu de M. de Sirot. On a ainsi rendu inintelligible ce passage, puisque Gaston n'était pas à l'armée et qu'en aucun cas le duc de Beaufort n'aurait pu lui résister. Deux lignes plus bas on parle des ordres donnés par Monsieur à Beaufort pour ne rien entreprendre. Ce qui est en contradiction complète avec ce que l'on avait dit plus haut, en substituant Monsieur à M. de Sirot.

11. Le Martroy est une place de la ville d'Orléans. Le nom de martroy vient probablement de ce que c'était la place des exécutions. Il y avait à Orléans deux églises du nom de Saint-Pierre, dont l'une s'appelait Saint-Pierre-Ensentelée. Mademoiselle écrit Ensantelay.

12. Ce Villars, qui mourut en 1698, avait dû le nom d'Orondate ou Orondat à sa bravoure et à sa beauté. Orondat est un personnage du roman de Cyrus, célèbre par sa bonne mine, et qui charmait toutes les héroïnes du roman. Saint-Simon a raconté la circonstance qui valut ce surnom à Villars (Mémoires de Saint-Simon, édit. Hachette, t. II, p. 104).

13. On voit, en effet, par les lettres des agents de Mazarins, qu'ils se hâtèrent de répandre cette nouvelle. L'un d'eux écrit à Mazarin, le 31 mars 1652 : « V. Ém. sait la querelle de M. de Beaufort et de M. de Nemours, qui ont mis l'épée à la main l'un contre l'autre en présence de Mademoiselle. Monsieur a fait partir Raré cette nuit pour les réconcilier ; ce qui sera assez difficile, y ayant longtemps qu'ils n'ont pas d'inclination l'un pour l'autre. »

14. Le passage entre [ ] ne se trouve pas dans le manuscrit autographe de Mademoiselle. Il semble indispensable pour la clarté du texte ; ce qui m'a déterminé à le conserver. D'ailleurs il y a dans le manuscrit de Mademoiselle un signe de renvoi, et il est probable que ce passage avait été transcrit sur une feuille volante, qui aura été perdue.

15. On a changé cette phrase dans les anciennes éditions, et on y a substitué une pensée toute différente : « mais en cette action j'ai vu que vous avez eu encore plus de prudence que de cœur. » La phrase, telle que je l'ai donnée, est la reproduction exacte du manuscrit.

16. Les lettres, que l'on recevait à Paris, prouvent que l'on se plaignait amèrement des désordres commis par les soldats aux environs d'Orléans. On lit dans le Journal de Dubuisson-Aubenay : « Lettres d'Orléans du 134 avril à madame de Cornuel, contenant les choses horribles, violements, sacriléges et impiétés commises vers lieux circonvoisins de cette ville-là. »

17. Tout ce passage depuis On ne vendoit plus de sel jusqu'à Il y avoit quelques officiers du présidial, manque dans le manuscrit autographe.

18. On appelait présidial un tribunal qui jugeait sans appel les procès, où la somme en litige n'excédait pas deux cent cinquante livres de capital, ou dix livres de rente. Pour les sommes plus considérables, il y avait appel devant les parlements. Les présidiaux avaient aussi une juridiction criminelle : ils jugeaient sans appel les brigandages commis sur les grandes routes, les vols à main armée, les vols avec violence et effraction, les révoltes et rassemblements en armes, les levées de troupes faites sans autorisation, les attentats commis par les vagabonds ou par des soldats en marche.

19. François-Théodore de Nesmond avait été reçu président à mortier au parlement de Paris, le 20 décembre 1636. Il mourut le 25 novembre 1664. Le Tableau du parlement le caractérise en ces termes : « Se préoccupe, va vite, a épousé la sœur de M. le premier président (Guillaume de Lamoignon) ; est gouverné par elle ; a donné sur lui grand crédit à M. le premier président, aussi bien qu'à l'abbé son fils. » Le président de Nesmond mourut pendant le procès de Fouquet, dont il était un des juges. Voy. sur sa mort les Mémoires de Conrart.

20. Condé partit d'Agen le 24 mars, et le 1er avril il était à la tête de l'armée des princes.

21. Mademoiselle écrit Lauri pour Lori, ou Lorris, en Gâtinais (Loiret). On a omis cette indication de lieu dans les précédentes éditions des Mémoires de Mademoiselle.

22. Les précédentes éditions ont ajouté : on ne lui auroit point fait de quartier, membre de phrase qui ne se trouve pas dans le manuscrit autographe. Le reste de la phrase a été également modifié. Mademoiselle ne dit pas, comme on l'a imprimé, que la France eût perdu le prince de Condé, seulement elle indique qu'elle eût été en péril de le perdre.

23. Cette partie des Mémoires de Mademoiselle a été écrite pendant que Condé servait dans l'armée espagnol.

24. Il serait superflu de relever cette étrange opinion de Mademoiselle sur la conduite des grands, dont on doit révérer les desseins à l'égal des mystères de la religion. Son jugement sur Condé, qu'elle trouve l'homme du monde le plus raisonnable, ne paraîtra pas moins singulier à ceux qui prendront la peine de lire les autres Mémoires de cette époque. Parmi les auteurs qui ont présenté la conduite de Condé sous l'aspect le plus défavorable, il faut citer Coligny-Saligny, dont les Mémoires ont été publiés par la Société de l'histoire de France.

25. Il y a dans le manuscrit autographe : « Et celui de Normandie, le comte d'Harcourt. »

26. On appelait lieutenants de roi des gouverneurs de villes importantes, ordinairement ports et forteresses, qui ne relevaient que du roi. Ils ne dépendaient en rien des gouverneurs et avaient été placés dans les provinces pour diminuer la puissance de ces derniers.

27. Il est très difficile de déchiffrer le nom de cet officier allemand. On pourrait encore lire Vesfoun, Vestoun, Vestran, ou Vestrun.. Ce qui est certain, c'est que Mademoiselle n'a pas écrit d'Estouan, comme le portent les anciennes éditions de ses Mémoires.

28. Il y a dans le manuscrit : « soit à cause du lieu que de l'égalité des affaires. »

29. On désignait, dans l'ancienne organisation de l'armée, les cavaliers par le titre de maîtres, parce qu'ils étaient accompagnés primitivement d'écuyers et d'archers, et combattaient comme un seigneur, ou maître, accompagné de ses vassaux. Pour s'en convaincre, il suffit d'étudier l'organisation des compagnies d'ordonnance du temps de Charles VII.

30. Les anciennes éditions ont omis ce passage depuis Il avoit envoyé jusqu'à vînt à Orléans. C'est évidemment une distraction du copiste qui trouvant le mot Orléans à la fin de cette phrase, comme à la fin de la précédente, a sauté l'intermédiaire.

31. Il s'agit ici du bisaïeul du Condé, de Louis de Bourbon, né en 1530 et tué en 1569. Il se signala dans les guerres de religion, et fut quelque temps maître d'Orléans.

32. Commettre veut dire ici nommer par commission.

33. Jeanne Lambert d'Herbigny, dont il a été question dans Chap. II des Mémoires de Mademoiselle.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XI : p. 1-35.


 

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