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Deuxième Partie


CHAPITRE VIII

(juin 1666 – décembre 1667)

Le roi avoit pris le régiment de dragons du maréchal de La Ferté et l'avoit mis sous son nom et l'avoit donné à M. de Péguilin, à la tête duquel il avoit fait de fort belles actions et même extraordinaires depuis l'âge de quatorze ans qu'il avoit servi, n'ayant été à l'académie que les hivers pour ne pas perdre le temps des campagnes. Il a fait les premières dans le régiment de cavalerie du maréchal de Gramont, son oncle. La manière dont sont utiles les dragons, qui les distingue des autres troupes, et celle dont ce régiment s'étoit distingué depuis que M. de Péguilin le commandoit, donna envie au roi de le montrer aux dames et de le faire venir à Fontainebleau. Ils campèrent un jour entre le parc et le mail. Tout le monde admira cette troupe, et le bon air qu'elle avoit et surtout celui de leur colonel ; car j'ai ouï dire en ce temps-là (depuis il ne seroit pas surprenant que l'on me l'eût dit) que rien ne fût plus joli, mieux fait ni de meilleure mine que lui.1 Cela donna envie au roi de faire décamper les troupes de sa maison. On fit un camp auprès de Moret2le roi alla et mit pied à terre dans les tentes de M. de Péguilin, que l'on trouva meublées et accommodées avec beaucoup de magnificence et de propreté, et quoique le régiment des gardes fût là, M. de Péguilin fit monter la garde, et lui à la tête de ses dragons, dans la tente où étoit le roi. On trouva cela extraordinaire ; mais comme c'est un homme qui l'est en toute chose, personne n'y trouva à redire, ou peut-être on ne l'osa par la protection que le roi avoit la bonté de lui donner. Ces dragons plaisoient tant au roi qu'il résolut d'en faire d'autres régiments, et de créer la charge de colonel général en sa faveur. Je vis tout cela dans la Gazette et dans toutes les lettres que l'on écrivoit. J'étois fâchée de n'y avoir pas été. J'estimois fort M. de Péguilin ; il me plaisoit : je le trouvois de bonne compagnie ; mais je n'avois nulle habitude avec lui.

Je fis ma campagne ordinaire à Forges, et [je passai] quelques jours ici, où je mariai mademoiselle de Prie qui en fut fort aise, ayant grande envie de l'être (et elle avoit raison ayant de l'âge, peu de beauté et de bien, et beaucoup de qualité), à un gentilhomme nommé Gonneville,3 assez riche, un jeune garçon qui s'estimoit honoré de son alliance, qui vivoit avec elle avec beaucoup de respect et de déférence, qui avoit une belle maison et pas éloignée d'ici ; elle trouvoit beaucoup d'agrément en cet établissement. Le secours que mademoiselle de Vandy tiroit de Prie la rendoit encore plus paresseuse ; ainsi j'étois quasi nécessité à ne me pouvoir plus passer de filles. On m'en proposa deux sœurs de la maison de Créqui, qui n'étoient pas riches ; on me les amena pour les voir et je les trouvai à ma fantaisie ; l'une étoit grasse, et l'autre maigre ; la cadette assez jolie ; elles avoient l'air de campagne ; mais les filles de qualité se font bientôt à la cour. Je les emmenai avec moi à Paris. Je trouvai la cour à Vincennes,4 où je fis la mienne souvent le temps que j'y fus. Je ne demeurai que quinze jours à Paris. Je ne montrai point les deux filles nouvelles. Je m'en allai en Berry, où j'ai des terres, dans le dessein de voir à vendre les bois, où je réussis mal ; on prit l'affaire de travers, et au lieu d'en faire une bonne j'en fis une très-mauvaise. Je fus voir madame de Saint-Germain-Beaupré en la Marche, qui n'étoit qu'à cinq ou six lieues d'Argenton, où je demeurai dix ou douze jours. C'est un fort vilain lieu ; le château est tel que je n'y logeai pas ; mais celui de Saint-Germain est très-beau, très-magnifique et sent bien sa maison de grand seigneur.

J'y fus deux jours, où l'on me fit grande chère ; je n'y en voulois être qu'un ; mais ils avoient des poissons d'une si prodigieuse grandeur que cela m'obligea à y demeurer, par les instantes prières qu'ils m'en firent. Madame de Saint-Germain me vint conduire jusqu'à Chiverny, où je passai en revenant. Je passai aussi à Champigny, où madame de Palvoisin, veuve de feu Boisrogues, de la maison de Châtillon, me vint voir pour m'amener sa fille qu'elle m'avoit pressée de prendre et que j'avois acceptée. C'étoit encore une fille de grande qualité et de peu de bien ; mais son père avoit été toute sa vie à Monsieur ; ainsi je ne la pouvois refuser. Elle étoit petite, assez grosse et courte. Elle n'avoit pas bon air ; mais en peu de temps elle se fit.

En arrivant à Paris je les menai avec moi à Saint-Germain. On n'en dit rien, qui étoit ce que je voulois. M. de Valois, fils de Monsieur, étoit dans une grande langueur ; tout d'un coup il tourna à la mort, et mourut en parlant. Nous fûmes tout le jour à le voir agoniser5 ; cela fâcha fort Monsieur. Aussitôt en carême je venois quelquefois un tour de plusieurs jours ici. Aussitôt après Pâques, le roi fit tendre ses tentes dans la garenne de Saint-Germain ; elles étoient toutes neuves et beaux ; il y donna une grande fête ; on étoit un monde infini à table. Madame de Montausier en fit une petite, où j'envoyai Châtillon et Créqui avec elle ; c'étoit assez qu'il y en eût une avec la reine ; car la table de madame de Montausier étant dans le même lieu, celles qui n'auroient pas dû avoir l'honneur de manger avec la reine, n'auroient pas été admises à celle-là. J'ai ouï dire qu'à une fête de Versailles, où je n'étois pas, madame de Navailles en tint une, où madame de Langeron voulut aller ; elle lui dit : « C'est comme celle de la reine. » Il venoit beaucoup de dames de Paris voir les tentes du roi. Le roi ordonna à M. le maréchal de Bellefonds de donner une fête, il y vint un moment. Je partis pour m'en venir en ce pays-ci. On me manda qu'il y avoit eu une revue dans la plaine d'Ousville,6 proche Saint-Germain, qui avoit duré trois jours ; que cela avoit un air de guerre et que c'en étoit les préparatifs.

On ne parloit point du tout de marier ma sœur d'Alençon, quand je partis. Je fus tout étonnée que M. le Duc m'envoya un page et me manda que son mariage7 étoit fait avec M. de Guise (je n'en fus point aise), et que le roi partoit pour aller en Picardie et me marquer le jour qu'il seroit à Amiens.8 Je résolus de m'y en aller et d'y être le lendemain qu'il y arriveroit. Madame m'écrivit pour me donner part du mariage ; ma sœur, mademoiselle de Guise, M. de Guise, tous m'écrivirent. Je fis réponse. Comme il n'y a que dix-sept lieues d'ici à Amiens, je m'y en allai en un jour. Le lendemain, comme le roi vint dîner, il me dit : « Je ne vous ai point fait part du mariage de votre sœur, parce que ce n'est point moi qui l'ai fait ; je n'y ai que consenti. Votre belle-mère m'est venue voir pour me dire qu'elle souhaitoit fort que sa fille épousât le prince Charles. Je lui ai dit que les choses n'étoient point en cet état. Elle m'a répondu : Je souhaite de voir ma fille mariée devant que de mourir. Si Votre Majesté veut bien qu'elle épouse M. de Guise, je le souhaite fort. Je lui ai dit que oui. Mademoiselle de Guise m'en est venue parler. On ne m'a rien demandé ; je ne lui ai rien donné. M'en voilà quitte. » Je lui répondis : « Pourvu que vous ne lui ayez rien donné, cela sera fort bien ; mais je crains qu'en croyant vous en défaire, vous ne m'en ayez fait.9 — Ce n'est pas mon intention. Votre belle-mère dit qu'il la falloit marier ; cela est fait. On l'amena le dimanche au matin ; on les fiança dans ma chambre ; puis on les maria. Il n'y a pas eu d'autre cérémonie : on avoit si peu pourvu qu'ils n'eurent point de carreaux. On alla en chercher ; on ne trouva que ceux des chiens de madame de Montespan ; elle vous le contera.10 » Madame de Montespan me le conta le plus plaisamment du monde. Elle dit : « J'étois dans la tribune ; quand ils se levèrent à l'Évangile et que je vis les carreaux de mes chiens ainsi honorés et servant à une telle noce ; cela me fit rire. »

Comme le roi rôdoit sur la frontière de ville en ville, sans avoir déclaré la guerre, il ne laissoit pas de marcher en corps d'armée. Il mena la reine voir ses troupes ; puis il partit et nous allâmes à Compiègne,11 où on menoit la vie ordinaire que la reine mène partout. Comme le conseil y étoit, cela amenoit du monde, et la proximité de Paris, étant assez grande pour y venir coucher et non pas pour retourner comme à Saint-Germain, faisoit qu'il y en avoit davantage. M. l'évêque de Noyon y venoit souvent. Madame de Montespan se promenoit fort à pied avec moi, pendant que la reine jouoit. Un jour qu'il lui manqua quelque joueur, elle voulut que madame de Montespan jouât ; mais le jeu étant trop cher, on m'obligea à être de moitié ; ce que je voulus bien. Nous nous étions promenées jusqu'à trois heures sur la terrasse de Compiègne. A cinq heures du matin, j'entendis du bruit sur ma tête, où logeoit la princesse de Bade. J'envoyai prier que l'on se tût ; que j'avois fort envie de dormir. On me vint dire : « C'est que le roi a mandé la reine ; on s'en va. » Je me levai fort vite, et je m'en fus toute déshabillée chez madame de Bade, où je trouvai madame de Montespan. Le prince de Bade me dit qu'il étoit arrivée en courrier et que le roi ordonnoit à la reine de l'aller trouver à Avesnes et qu'elle partoit le lendemain ; qu'elle s'étoit rendormie. Je donnai ordre à mon équipage et nous allâmes, madame de Montespan et moi, éveiller tout le monde. Ce fut des embarras non pareils pour les équipages. Pour moi le mien étoit en bon ordre ; ainsi cela ne me fit nul embarras.

Avant que de partir [de Paris], le roi avoit déclaré une fille qu'il avoit de mademoiselle de La Vallière.12 En arrivant à Amiens, il la trouva dans le carrosse de la reine ; on lui avoit fait un équipage, et l'on disoit qu'à l'avenir on ne verroit plus d'enfants. Quand le roi partit, elle s'en alla demeurer à Versailles, et mademoiselle Marianne (on appeloit ainsi cette petite fille) parut publiquement chez madame Colbert. On dit qu'il y avoit eu deux garçons, qui étoient morts. Elle étoit née à Vincennes après la mort de la reine mère ; et j'ai ouï conter bien des fois depuis que, comme elle étoit en mal d'enfant, Madame passa au travers de sa chambre pour aller à la messe à la Sainte-Chapelle ; on cacha Boucher, qui l'accouchoit.13 Elle dit à Madame : « J'ai la colique que je me meurs ! » Et quand Madame fut passée, elle dit à Boucher : « Dépêchez-vous ; je veux être accouchée devant qu'elle revienne. » C'étoit un samedi ; on joua dans sa chambre jusqu'à minuit. Elle mangea comme les autres à medianoche, avoit la tête découverte tout comme si elle n'eût point accouché le matin.

La reine, en partant de Compiègne, alla coucher à La Fère ; comme elle jouoit le soir, je voyois des allées et des venues. J'allai a ma chambre ; on me dit : « Madame de La Vallière doit arriver ce soir. » Je ne m'étonnai plus de toutes les mines ; après souper la reine parut fort chagrine. Je m'en allai me coucher. Elle avoit dit qu'elle ne partiroit qu'à dix heures, heureusement je m'éveillai matin ; à huit heures on me vint dire que la reine s'habilloit et que je me hâtasse. Je fus chez elle. Je trouvai la duchesse et la marquise de La Vallière14 et madame de Roure,15 assises sur un coffre ; rien qu'elles trois dans la chambre de la reine ; elles saluèrent et me dirent qu'elles étoient fort lasses ; qu'elles n'avoient point dormi ; qu'elles étoient parties très-tard de Versailles. Je causai un moment avec elles. Je leur demandai : « Avez-vous vu la reine ? » Elles me dirent que non. Je m'en allai dans le cabinet. Je trouvai la reine qui pleuroit, qui avoit vomi, qui se trouvoit mal. Madame de Montausier, la princesse de Bade, me disoient : « Voyez l'état où est la reine ! » Madame de Montespan [aussi]. Je ne disois rien. Enfin elle alla à la messe dans une tribune en haut ; la duchesse [de La Vallière] descendit en bas. La reine fit fermer la porte de peur qu'elle ne remontât ; mais quelque précaution que l'on prît, elle se présenta à la reine comme elle montoit en carrosse, qui ne lui dit rien. A la dînée, la reine dit : « Qu'on ne lui envoie pas à manger ; » mais je crois que Villacerf16 ne l'osa pas.

On ne parla que d'elle dans le carrosse. Madame de Montespan disoit : « J'admire sa hardiesse de s'oser présenter devant la reine ; de venir avec cette diligence sans savoir si elle le trouvera bon : assurément le roi ne lui a point mandé [de venir]. » Madame de Bade et madame de Montausier se récrioient. Enfin tout le monde raisonnoit sur sa venue. Madame de Montespan disoit : « Dieu me garde d'être maîtresse du roi ! Mais si je l'étois, je serois bien honteuse devant la reine. » La reine pleuroit. J'écoutois et parlois peu, ayant toujours gardé un grand silence sur le chapitre du roi. Elle ne parut pas le soir. A Guise, la reine défendit que personne partît devant elle et aux troupes qui étoient venues pour l'escorter de donner aucune escorte à personne. Elle ne sut partir devant la reine ; mais comme nous fûmes proche du roi, que l'on le croyoit sur la hauteur, elle fit aller son carrosse à travers les champs et trotter à toute bride. La reine vit cela, qui vouloit l'envoyer arrêter ; cela la mit fort en colère. Tout le monde la pria de ne rien dire ; qu'elle le diroit elle-même au roi.

Le roi ne voulut pas monter en carrosse, parce qu'il étoit crotté, quoique l'on l'en pressât beaucoup ; je pense qu'à la fin il s'y mit. En arrivant, il fut un moment avec la reine ; puis alla chez madame de La Vallière, qui ne vint point ce soir-là. Le lendemain elle vint à la messe avec la reine ; quoique le carrosse fût plein, on se pressa pour lui faire place, et elle dîna avec la reine. Les dames y mangèrent tout le voyage. On fut deux ou trois jours à Avesnes.17 Madame de Montespan me laissa jouer ; elle logeoit chez madame de Montausier dans une de ses chambres, qui étoient proche de la chambre du roi ; et l'on remarqua qu'à un degré qui étoit entre deux, où l'on avoit mis une sentinelle à la porte qui donnoit à l'appartement du roi, on la vin ôter, et elle fut toujours en bas. Le roi demeuroit souvent tout seul à sa chambre, et madame de Montespan ne suivoit point la reine.

Le roi s'en retourna de son côté, et nous du nôtre. Il y avoit une garde de cavalerie devant la maison du roi, tout comme en guerre, et si elle n'étoit pas déclarée. La reine fut à Vervins, et le lendemain à Notre-Dame de Liesse. Madame de La Vallière revint avec la reine. Elles furent à confesse, madame de La Vallière et madame de Montespan ensemble. On eut nouvelle que M. le Dauphin18 se trouvoit un peu mal, puis qu'il avoit la rougeole. En arrivant à Compiègne, comme je ne lui étois point nécessaire, je n'entrai pas dans sa chambre ; mais j'allois dans celle de la reine. Nous le trouvâmes quasi guéri ; son mal avoit été très-léger, dont je fus fort aise, l'aimant fort. La reine fut malade ; elle eut crainte d'avoir la rougeole ; mais ce ne fut rien.

L'ambassadeur d'Espagne, qui étoit lors le marquis de Fuentes, étoit fort fâché de voir que la guerre s'acheminoit. Il disoit toujours que l'on ne l'auroit point. Quand il vit Tournay attaqué et pris19 en peu de temps, il fut au désespoir. Pendant que l'on alla au Te Deum, que l'on chante à Sainte-Corneille, il demeura avec la reine, qui étoit dans son lit. M. le Dauphin y fut, et tout ce qui étoit à Compiègne. Le roi attaqua ensuite Douai, qu'il prit de même en deux ou trois jours20 ; puis il vint à Compiègne. J'étois logée dans son appartement ; il ne voulut pas que j'en délogeasse pour si peu de temps : il prit seulement l'antichambre. Madame de La Vallière ne vint point à Compiègne ; elle y demeura peu de jours après que la reine y fut.21 Le roi fut à Saint-Cloud voir Madame, qui avoit pensé mourir d'une fausse couché ; Monsieur avoit été la voir lorsqu'il partit de l'armée.

Le roi y vit madame de La Vallière. Il voyoit souvent madame de Montespan, à ce que l'on disoit, à sa chambre. Pendant ce voyage elle logeoit au-dessus de lui. Un jour en dînant, la reine se plaignit de quoi on se couchoit trop tard, et se tourna de mon côté et me dit : « Le roi ne s'est couché qu'à quatre heures ; il étoit grand jour. Je ne sais pas à quoi il peut s'amuser. » Il lui dit : « Je lisois des dépêches et j'y faisois réponse. » Elle lui dit : « Mais vous pourriez prendre une autre heure. » Il sourit, et pour qu'elle ne le vît pas pas, tournoit la tête de mon côté. J'avois bien envie d'en faire autant ; mais je ne levai pas les yeux de dessus mon assiette. Madame de Montespan y venoit. Le roi étoit d'une gaieté admirable.

J'avois résolu d'aller à Forges dès que le roi seroit parti, et comme il avoit pris son jour, il demanda quand je partirois, je lui dis à même temps que Votre Majesté. Un matin à la messe, il me dit : « Je mène la reine en Flandre. » Je lui dis : « Et moi aussi j'irai, et Forges ce sera pour une autre année. » Ce voyage-là me fit grand plaisir. Nous allâmes en partant coucher à Montdidier. Je ne soupai pas avec le roi ; j'avois la migraine ; je m'allai coucher. Le lendemain en entrant le roi me dit : « Madame de Montespan n'est plus de moitié avec vous : la reine voulut jouer gros jeu au brelan, et j'ai pris sa place, croyant que vous n'en voudriez pas être. » Je lui dis que j'en étois bien aise. Le roi l'étoit de la nouvelle qu'il venoit d'avoir que Coutrai étois pris par le maréchal d'Aumont,22 qui y commandoit l'armée. Cette place fut prise bien plus tôt qu'elle n'auroit été par un logement que M. de Péguilin fit sur la contrescarpe d'une manière la plus vigoureuse du monde, qui le rendit maître de tous les dehors du côté de son attaque, où il commandoit un corps séparé de six à sept mille hommes, que le roi avoit détaché de son armée. Les ennemis firent battre la chamade et envoyèrent un otage à même temps, avant que l'on en eût ouï parler au quartier du maréchal d'Aumont.

On continua le chemin à Amiens. [On passa à] Mailly, qui est un beau château, mais pas assez grand pour toute la cour. Ce fut là où Monsieur la vint rejoindre, puis à Arras,23 où on ne séjourna point ; on n'y fit que coucher, mais à Douai24 on y fut deux ou trois jours. C'est une assez belle ville, mais fort mélancolique. Comme il faisoit un grand chaud, on résolut de partir le soir. Comme toutes les mesures furent prises, la pluie vint ; ainsi on n'eut pas chaud. En passant sur la chaussée près le fort de la Scarpe, pour faire honneur à Leurs Majestés, ils tirèrent à balle, et le boulet passa sur la carrosse. Nous l'entendîmes siffler.

On arriva à la nuit au quartier de M. de Turenne, où étoit toute l'armée en un village nommé Coutiche ; on entra dans une grange qui étoit tapissée. La reine se mit à jouer. J'allai écrire dans la chambre de M. de Turenne pour avoir le plaisir de dater du camp. Le feu prit à la cheminée de la cuisine de M. de Turenne. Cela déconcerta le souper, qui ne fut ni poli ni magnifique ; mais le roi, qui savoit la manière dont M. de Turenne traitoit, nous en avoit avertis. On joua toute la nuit. Je dormis un peu la tête appuyée contre un poteau de la grange sur une chaise. La reine dormit dans le carrosse du roi où il couche à l'armée. Comme elle en sortit, je voulus m'y mettre pour voir si on y étoit à son aise. Je m'y endormis. Cependant on mit les chevaux au carrosse pour marcher ; il s'en fallut rien que l'on ne m'emmenât ; mais comme on battit le premier [rappel] dans le camp et que cela faisoit grand bruit, je m'éveillai. On partit à petit jour, qui fut plus tard qu'à l'ordinaire, parce que le temps étoit fort couvert. Je dormis dans le carrosse, et les tambours qui étoient avec les troupes détachées, qui étoient dans les bois pour la sûreté de la marche, ni les trompettes qui étoient aussi sur notre chemin, tout cela ne m'éveilloit pas. Le roi et madame de Montespan s'avisèrent, comme nous passions sur le pont d'Orchies, de crier : on verse. Je m'éveillai en sursaut. Je vis des capucins avancés sur le bord du fossé contre les murailles de leur jardin, qui regardoient passer le roi. Je m'écriai : « Ah ! la vilaine vision que des capucins. »

A la pointe du jour nous arrivâmes à Tournay.25 A six heures, on alla à la cathédrale, où il n'y avoit personne prêt à recevoir le roi. On entendit la première messe que l'on trouva. Puis les chanoines vinrent, mais pas assez en ordre, pour chanter le Te Deum pour la venue de la reine. On alla à son logis à l'abbaye de Saint-Martin, où nous trouvâmes le couvert mis. La reine ne voulut point manger. La plupart des dames firent de même. Le roi me dit : « Ne mangerez-vous pas ? » Je lui dis que oui. Il me demandoit : « Quelle façon est-ce là que font toutes ces femmes, parce que la reine n'y est pas, puisque vous y êtes ? » Enfin il en vint quelques-unes. Puis on s'alla coucher. On me dit que l'évêque étoit mort depuis peu. Je logeois à l'évêché ; j'eus peur que l'on me mît dans la chambre où il étoit mort. Je fus longtemps avant que de faire tendre ma chambre à faire des perquisitions pour savoir la chambre où il étoit mort. Enfin je trouvai une vieille servante qui me le dit ; ce qui me mit l'esprit en repos : car je suis fort peureuse. Après avoir bien dormi, je fus le soir souper chez la reine. Elle alla à toutes les églises et à tous les couvents. Madame de Montespan ne la suivit qu'à la messe. Les soirs, quand elle venoit chez la reine, elle disoit qu'elle avoit dormi tout le jour.

Dans toutes les villes de Flandre, ils ont de certains hommes gagés, que l'on appelle des bouffons et toute leur bouffonnerie consiste à avoir des sonnettes sur leurs habits. A Douai, il y eut quelque chose de bien joli ; mais on arriva si tard que l'on ne le vit quasi pas : C'étoit des machines au coins des rues ; l'une étoit une montagne, l'autre un jardin, un vaisseau ; tout cela rempli de beaucoup de personnages vêtus de différentes manières qui chantoient ou disoient des vers. C'étoient les jésuites, les jacobins et quelques colléges qui avoient fait cela. On en apporta les écrits le lendemain. Je me suis bien repentie de ne pas les avoir gardés ; car je crois que cela étoit bien plaisant. Il y avoit aussi un géant et une géante qui courroient par les rues tant que l'on y fut, qui faisoient rire, tant cela étoit sottement imaginé.25

Après avoir été trois jours à Tournay, le roi me dit : « La reine a laissé ses officiers à Arras ; j'ai mandé, qu'ils soient demain à Douai pour lui donner à souper ; vous avez les vôtres ici, donnez lui à dîner à Orchies.26 » C'étoit un jour maigre. On n'a point de poisson en ce pays-là, au moins pendant la guerre, les pourvoyeurs ne pouvant aller avec sûreté. Je lui dis : « Je le veux bien, mais la reine fera méchante chère. — Il n'importe » dit-il. On partit de Tournay à six heures du matin. On se sépara hors la ville le même jour. A deux ou trois heures de temps, les ennemis attaquèrent l'escorte du roi. Il y eut un combat où les gendarmes du roi et les officiers firent merveille. On le manda le lendemain. Je donnai à dîner à la reine à Orchies, mieux que je n'aurois osé espérer. Nous couchâmes à Douai, où la peste commençoit. Le lendemain, entre Douai et Arras, on eut une alarme. On alla plus vite qu'à l'ordinaire. On fit trotter la pauvre infanterie de l'escorte. Je ne trouvai rien de si plaisant que quantité de charrettes de vivandiers, qui s'en venoient à Arras querir des vivres, de voir la vigueur et la force qu'une alarme donnoit à de méchants petits chevaux ; ils couroient comme des Cravates. On envoya sur la hauteur, où l'on avoit cru voir des troupes. On ne trouva qu'un nombre d'hommes assez médiocre que faisoient l'août, et le gentilhomme, à qui étoit le blé, qui le voyoit faire. On se moqua de ceux qui avoient eu si mauvaise vue. La [reine] demeura à Arras. On avoit tous les jours des nouvelles du roi. On prioit fort Dieu pour sa conservation et pour la prospérité de ses armes. M. le marquis de Montpezat, qui en étoit gouverneur, étoit un homme assez amusant. Il avoit des manières singulières qui divertissoient fort la reine et tout ce qui étoit avec elle. Madame de Montespan logeoit chez madame de Montausier, à son ordinaire ; elle alloit souvent à un hôpital de petites filles les voir travailler. Les soirs chez la reine, elle nous contoit tout ce qu'elle avoit vu, les contrefaisoit le plus plaisamment du monde. La reine lui témoignoit beaucoup d'amitié et prendre un grand plaisir avec elle.

Le roi fit une longue marche ; puis il vint assiéger Lille le jour de la Notre-Dame de la mi-août.27 L'on apporta le soir une lettre à la reine de la poste ; je m'étois retirée de bonne heure avec la migraine, et même je l'eus si forte toute la nuit que je ne me levai que le lendemain au soir pour aller souper chez la reine ; je me recouchai, après avoir entendu la messe, et dormis tout le jour. J'allai donc chez la reine comme elle jouoit, en robe de chambre. On ne dit rien ; nous soupâmes. Après souper, comme tout le monde fut sorti, il n'y resta que madame de Montausier et madame de Montespan, elle me dit : « J'ai reçu hier une lettre qui m'apprend bien des [choses], mais que je ne crois pas. On me donne avis que le roi est amoureux de madame de Montespan et qu'il n'aimoit plus La Vallière, et que c'est madame de Montausier qui mène cette affaire ; qu'elle me trompe ; que le roi ne bougeoit de chez elle à Compiègne ; enfin tout ce que l'on peut dire pour me le persuader et pour me la faire haïr. Je ne crois point cela et j'ai envoyé la lettre au roi. » Je lui répondis : « Votre Majesté a fort bien fait. »

Sur cela madame de Montespan me parla fort sur les obligations qu'elle avoit à la reine, les bontés qu'elle lui avoit témoignées, et qu'elle se doutoit bien d'où cela venoit. Je ne sais si dans lettre on ne parloit point aussi de la princesse de Bade.28 On parla tout le soir de cela, et madame de Montespan et la reine en accusèrent d'abord madame d'Armagnac.29 La reine traita encore mieux madame de Montespan depuis la lettre. La princesse de Bade négligeoit fort la reine ; elle ne la suivoit point ; elle se faisoit attendre pour jouer. Un jour dans le petit cabinet, qu'il n'y avoit que madame de Montausier, la Molina et moi, la reine se mit à parler des manières de madame de Bade, qui lui déplaisoient ; qu'elle faisoit la favorite ; qu'elle déplaisoit à tout le monde ; qu'elle voyoit bien qu'elle empêchoit les gens de lui faire la cour, parce que l'on craignoit son esprit ; que si elle continuoit, elle la feroit chasser ; qu'elle vivoit mal avec la Molina et qu'elle lui avoit les dernières obligations ; qu'elle se vouloit mêler de toute chose. Madame de Montausier la voulut excuser et dit à la reine : « Puisque l'on m'accuse de vouloir donner des maîtresses au roi, à qui ne peut-on point rendre de mauvais offices ? » La reine dit fort [haut] : « Je vois bien les choses ; je ne suis pas si dupe que l'on s'imagine ; mais j'ai de la prudence. » Cette conversation dura longtemps, et je ne compris point où cela aboutissoit. En sortant, Villacerf me demanda ce que c'étoit. Je lui dis : « Cela regarde madame de Bade. » Le lendemain il me vint voir et me dit : « On a bien dit d'autres choses. » Je lui répondis : « C'est que je ne sais pas raconter ce que j'entends. » Je crois que ce fut cette conversation qui fut sue, qui donna lieu à la lettre ; car elle vint peu de jours après.

Lille dura plus que les autres places,30 mais pas à comparaison de ce qu'elle devoit durer, vu la grandeur et la force de la place et le peu de gens qu'il y avoit à l'attaquer, quoique l'armée fût forte ; mais il en falloit une bien plus grande, si on avoit eu affaire à d'autres gens ; mais la présence du roi, la manière vigoureuse dont elle fut attaquée, les étonnèrent. M. de Péguilin s'y fit distinguer par beaucoup d'actions particulières, entre autres il prit la demi-lune, qui obligea les ennemis à battre la chamade à son attaque. Ils lui donnèrent les otages, qu'il envoya au roi par Lamy, qui lui servoit d'aide de camp. Le roi fut si content de ce qu'il venoit de faire, qu'il le fit relever devant que la capitulation fût signée, pour lui donner un détachement de deux mille chevaux, qu'il alla prendre à Tournay, pour aller joindre le marquis de Créqui, avec ordre de marcher avec lui aux ennemis qui avoient fait quelque mouvement pour venir secourir Lille, et comme ils apprirent, qu'ils étoient proche, et que M. de Bellefonds, avec un détachement, pouvoit se joindre à eux pour être en état de les aller combattre, ils lui proposèrent la chose, et l'ayant refusée, j'ai ouï dire que M. de Péguilin dit à M. de Créqui : « laissons-le aller où il voudra et marchons aux ennemis. » Ce qu'ils firent ; le lendemain ils les combattirent. Comme les ennemis étoient beaucoup plus forts, la chose fut contestée assez longtemps,31 jusqu'à ce que M. de Péguilin s'avisa de faire mettre pied à terre à ses dragons qui vinrent faire une décharge en flanc qui ébranla les ennemis, qui lui donna une occasion de prendre un temps que les ennemis étoient ébranlés, et on les acheva de battre.32 Il y eut quantité de prisonniers considérables et beaucoup de morts.33 Le lieutenant général de la cavalerie, don Antonio de Cordova, le chevalier de Villeneuve, commissaire général, [furent de nombre des prisonniers]. Le Rhingrave s'en alla en Hollande sur sa parole. Le roi amena à la reine les deux autres à Arras.

M. de Péguilin eut tous ses habits déchirés de coups, sans en avoir reçu qui le blessât. Il l'avoit été à Lille ; mais la hâte de partir l'empêcha de se faire panser, et il en guérit. Sans cela, dans la relation que le roi envoya à Arras il y étoit fort parlé de lui. Il n'a été en lieu du monde où on n'en ait toujours parlé.

Le roi revint en diligence nous trouver à Arras.34 En arrivant il dit à la reine : « Je vous ai amené deux prisonniers que vous serez bien aise de voir. Ils sont honnêtes gens, et ils ont été ravis quand je leur ai dit qu'ils viendroient ici. » C'étoit un samedi que le roi arriva de fort bonne heure. On attendit minuit pour faire medianoche, que l'on trouva long à venir, le roi s'étant levé fort matin. On parla fort de tout ce qui s'étoit passé à la campagne.35 On fut le lendemain coucher à Péronne, où je pris congé de la cour pour m'en venir ici [à Eu] me reposer. J'y fus deux mois. Je trouvai la cour à Paris, en y arrivant. M.de Lorraine envoya son fils M. de Vaudemont, saluer le roi et lui faire sa cour, que l'on trouva très-beau et bien fait. Il avoit déjà été à Paris ; mais on ne le montroit pas ; on ne savoit comment on l'y traiteroit ; c'étoit le fils de madame de Cantecroix.36 Il se croit légitime ; tous les princes de cette maison le croient bâtard. Je ne déciderai de rien là-dessus. On le traita comme un cadet de Lorraine. Le roi d'Angleterre avoit envoyé son fils naturel, le duc de Monmouth, qui étoit fort joli et fort bien fait et aussi bien que M. de Vaudemont ; mais c'étoit deux manières différents.

Madame la duchesse de La Vallière étoit accouchée au mois d'octobre d'un fils en cachette, comme les autres fois et encore un samedi, et l'on avoit fait medianoche dans sa chambre ; mais celui-là ne fut pas longtemps caché ; on l'avoua et il fut légitimé au parlement sous le nom de comte de Vermandois, et la fille on la nomma mademoiselle de Blois. Ils logèrent et logent encore chez madame Colbert. On dansa un ballet dont Madame étoit, M. de Vaudemont y dansa fort bien. Il devint amoureux de mademoiselle de La Mothe, dont j'ai parlé.

 

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NOTES

1. Les anciennes éditions ont tellement modifié ce passage, que je crois devoir conserver leur texte en note. On fait dire à Mademoiselle à l'occasion des changements que fit le roi dans le régiment des dragons :

Il avoit voulu prendre un homme de mérite et de qualité pour le mettre à la tête. M. le Cardinal lui avoit voulu donner son neveu pour cela ; il voulut de son chef aller prendre le marquis de Péguilin, qui étoit capitaine dans le régiment de Gramont, son oncle, dans lequel il avoit fait des actions extraordinaires ; de manière que le roi trouva dans sa personne un homme de la première qualité de France, d'une valeur infinie, et qui en avoit donné des marques dans des occasions où sa tête avoit autant de part que son courage. Lorsqu'il fut dans les dragons, il les rendit encore plus redoutables qu'ils n'avoient jamais été, par des actions qui surprenoient les généraux d'armée sous les ordres desquels il servoit, parce qu'ils voyoient qu'il ne les comptoit pour rien, tant il se sentoit un courage au-dessus de ce qu'il venoit de faire. M. de Turenne en donna une marque publique : il le choisit pour commander dans Furnes, qui étoit une place ouverte de tous côtés et au milieu des ennemis. Cela lui attira une telle envie, que celui qui commandoit le régiment de la marine se sentit blessé de ce que M. de Turenne ne lui avoit pas confié la garde de ce poste, et il voulut faire difficulté de lui obéir. M. de Péguilin ne consulta que le service du roi : il lui fit connoître qu'il n'avoit pas demandé à commander à sa place, ni pensé à lui faire aucune injustice ; qu'il devoit songer à lui obéir, ou qu'il le mettroit en état de le devoir faire. L'autre continua dans sa première difficulté ; il le fit arrêter prisonnier et tous ceux qui voulurent murmurer. Cette résolution et cette conduit, qui n'est pas ordinaire à un jeune homme de dix-huit ans, plut extrêmement au roi ; ses amis en furent pénétrés, et ceux qui étoient jaloux de son mérite ne pouvoient pas se défendre de l'admirer. J'ai ouï parler de ce fait plusieurs fois ; j'ai voulu expliquer les raisons que le roi avoit eues de rendre les dragons de bonnes troupes, parce que je dois être naturellement portée à justifier le bon goût qu'il a et le bon choix qu'il sait faire des gens et de tout.

Cela m'a insensiblement fait sortir du campement de Fontainebleau, dans lequel je vais rentrer, pour expliquer que la maison du roi, les régiments des gardes françoises et suisses, étoient campés auprès de Moret, où nous les allions voir tous les jours. Les dragons avoient un camp séparé : ils n'étoient pas moins distingués dans la paix que parleurs actions dans la guerre ; leur manière d'habillement avec leurs bonnets marquoit une espèce de bravoure dans cette troupe qui ne se voit pas dans les autres. Un jour le roi les voulut faire voir aux dames : il les fit venir camper entre le mail et le parc ; on admira l'adresse avec laquelle cette troupe faisoit l'exercice, et personne n'étoit surpris d'entendre parler des actions qu'elle avoit faites pendant la guerre. Leur colonel parut avec un air qui le distinguoit autant des autres officiers, qu'il avoit fait dans les occasions, où ils ne pouvoient l'imiter qu'avec peine. Je parle de ce brave et de ces officiers ainsi que je l'apprenois et comme tout le monde le disoit dans ce temps-là. Dans celui-ci l'on ne seroit pas surpris de m'en entendre dire du bien, puisque celui que tout le monde m'en a dit et celui que je lui ai connu m'ont donné des sentiments d'estime pour lui qui ne lui sont pas désavantageux. Pendant le camp de Moret, le roi alloit visiter les troupes tous les jours ; un, entre autres, il mit pied à terre et entra dans la tente de M. de Péguilin, qu'il trouva magnifiquement meublée. Tout aussitôt qu'il fut dedans, il monter la garde par ses dragons devant la porte de sa tente : ce qui parut nouveau, parce que le régiment des gardes, qui n'étoit pas loin, doit toujours garder le roi. Celui qui avoit donné cet ordre étoit extraordinaire en tout : ce qui auroit paru une entreprise dans un autre devint pour lui une action naturelle pour tout le monde. Pour moi, qui le trouvois un homme de bon esprit, j'aurois dès ce temps-là aimé à lui parler, tant la réputation d'honnête homme et d'homme singulier me touche. Il étoit particulier ; il se communiquoit à peu de gens. Je savois plus de nouvelles de ce que je viens d'écrire par autrui que par moi-même ; et c'est de cette manière que j'appris que, lorsque la guerre fut déclarée contre l'Espagne, après le siége de Lille, où M. de Péguilin, selon son ordinaire, se comporta d'une manière surprenante, le roi augmenta les dragons de deux régiments et créa exprès la charge de colonel général pour la lui donner. »

2. Cette revue eut lieu au mois de juillet 1666. On s'en occupait déjà en juin. Olivier d'Ormesson écrit dans son Journal, à la date du 26 juin : « La cour est à Fontainebleau, d'où l'on croit qu'elle reviendra bientôt à cause de la grossesse de la reine. L'on parle d'une grande revue de troupes dans la prairie de Moret ; que toutes les dames y doivent camper trois jours et que le roi a fait faire des tentes de toutes couleurs. L'on a ajouté que l'on feroit la siége de Moret dans les formes pour montrer aux dames la manière de prendre les places. » Au mois de juillet, Olivier d'Ormesson dit : « La revue a été faite durant trois jours avec toute la magnificence possible, ne se pouvant voir des troupes plus belles de cavalerie. »

3. Les anciennes éditions portent Goufreville. On ne trouve aucun village près d'Eu du nom de Gonneville ni de Goufreville. Celui qui s'en rapproche le plus est Goutseauville.

4. La cour était à Vincennes au mois d'août 1666. Olivier d'Ormesson écrit dans son Journal,à la date du 26 août : « Ce jour le roi fit une revue des troupes de sa maison dans le bois de Vincennes ; ma femme y fut avec madame de Nogent. Il n'y eut jamais rien de si brave ni si magnifique en habits. » — On lit dans le même Journal, à la date du 15 octobre 1666 : « Le roi a quitté Vincennes pour se rendre à Saint-Germain. »

5. Philippe-Charles d'Orléans, duc de Valois, mourut le 8 décembre 1666. Les anciennes éditions ont omis ce passage.

6. Tout ce qui concerne ce camp de Saint-Germain a été omis dans les anciennes éditions. Ce fut au mois d'avril 1667 qu'il fut réuni. Olivier d'Ormesson écrit dans son Journal à la date du 20 avril 1667 : « Le roi alla voir les troupes qui étoient campées dans la plaine d'Ouville, où le roi demeura durant trois jours, mangeant sous ces tentes et où toutes les troupes étoient magnifiques, les officiers y ayant fait beaucoup de dépense. On commença à parler que le roi devoit marcher en campagne le 15 mai, et se préparoit pour faire la guerre en Flandre. »

7. Ce fut le 15 mai 1667 qu'eut lieu le mariage d'Élisabeth d'Orléans avec Louis-Joseph de Lorraine, duc de Guise.

8. Le roi partit pour Amiens le 16 mai.

9. Le sens de cette phrase paraît être que le roi, en croyant ne rien faire pour la sœur de Mademoiselle, lui aurait fait du bien à ses dépens.

10. La plupart des paroles que Mademoiselle prête au roi et à madame de Montespan ont été retranchées dans les anciennes éditions.

11. La reine arriva à Compiègne le 20 juin 1667.

12. Cette fille fut Anne-Marie de Bourbon, connue sous le nom de mademoiselle de Blois. Née le 2 octobre 1666, elle fut légitimée en mars 1667. Madame de La Vallière fut créée duchesse peu de temps après, comme on le voit par le passage suivant du Journal d'Olivier d'Ormesson: « Le samedi 14 mai, les lettres d'érection de la terre [de Vaujours] en duché en faveur de mademoiselle de La Vallière et de sa fille, que le roi avoue pour être à lui, furent vérifiées sous le nom de La Vallière, en sorte que l'on l'appelle madame la duchesse de La Vallière. » — Louis XIV dit dans ses Mémoires, à l'occasion de cet événement (OEuvres de Louis XIV, t. II., p. 290, édit de 1806) : « Avant que de partir pour l'armée, j'envoyai un édit au parlement. J'érigeois en duché la terre de Vaujours, en faveur de mademoiselle de La Vallière, et je reconnoissois une fille que j'avois eue d'elle ; car n'étant pas résolu d'aller à l'armée pour y demeurer éloigné de tous les périls, je crus qu'il étoit juste d'assurer à cette enfant l'honneur de sa naissance, et de donner à la mère un établissement convenable à l'affection que j'avois pour elle depuis six ans. »

13. Voy. l'Appendice.

14. Gabrielle Glé de La Cotardaye, marié à Jean-François de La Baume-le-Blanc, marquis de La Vallière. Cette belle-sœur de la duchesse de La Vallière devint plus tard dame du palais de la reine.

15. Claude-Marie du Guast, mariée en 1666 à Louis-Scipion de Grimoard, comte de Roure.

16. Premier maître de l'hôtel de la reine.

17. La cour fut à Avesnes du 9 au 14 juin 1667.

18. Les anciennes éditions ont remplacé M. le Dauphin par madame de Montespan.

19. Tournay fut pris le 26 juin 1667.

20. Douai se rendit le 6 juillet.

21. J'ai reproduit exactement le manuscrit ; mais comme la phrase présente une contradiction évidente, il faut supposer que Mademoiselle a oublié quelques mots dans le premier membre de phrase ; il faut peut-être lire : Madame de La Vallière vint point à Compiègne AVEC LE ROI.

22. La prise de Coutrai est du 18 juillet 1667.

23. Le roi coucha à Arras le 22 juillet.

24. La cour arriva à Douai le 23 juillet.

25. Ce passage, depuis dans toutes les villes de Flandre jusqu'à imaginé, est omis dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle. Les géant et géante dont elle parle sont probablement les personnages traditionnels qui figurent encore dans les fêtes, ou ducasses de Douai, sous le nom de Gayant et sa famille.

26. La cour revint à Orchies le 29 juillet.

27. L'armée était arrivée devant Lille dès le 10 août 1667.

28. Louise-Christine de Savoie-Carignan, mariée, en 1653, à Ferdinand-Maximilien, margrave de Bade. Elle mourut le 9 juillet 1689. La princesse de Bade était, comme madame d'Armagnac, dame du palais de la reine.

29. Catherine de Neufville-Villeroy, mariée le 7 octobre 1660 à Louis de Lorraine, comte d'Armagnac et grand écuyer. Voy. sur madame d'Armagnac les Mémoires de Saint-Simon (t. VI., p. 146 et suiv., éd. Hachette in-8).

30. La ville de Lille, assiégée le 10 août 1667, fut prise le 27 du même mois.

31. Les anciennes éditions ont ajouté ici un passage qui ne se trouve pas dans le manuscrit autographe. Le voici : « M. de Péguilin fut deux ou trois fois pris et autant de fois débarrassé des ennemis, percé de dix coups d'épée en son justaucorps, et une de ses bottes coupée d'un coup de sabre. Il opposa de nouvelles forces aux ennemis dans le temps que le marquis de Créqui en faisoit de même sur la droit, et que tantôt étoit victorieux, un moment après l'autre renversoit ce qui lui étoit opposé. »

32. Voici encore une addition des anciennes éditions dont je ne trouve pas trace dans le manuscrit : « Lamy, qui lui servoit d'aide de camp, lui rendit compte qu'il avoit exécuté son ordre ; il attaqua avec de nouvelles forces les ennemis, qui, dans le temps qu'ils voulurent revenir à la charge, reçurent la décharge des dragons, qui lues mirent en désordre. M. de Péguilin s'aperçut de leur état, les poussa et acheva de les rompre. M. de Créqui en fit de même de son côté ; il y eut quantité de prisonniers, parmi lesquels il y avoit beaucoup d'officiers considérables, et extrêmement de tués. »

33. Ce combat eu lieu le 31 août 1667.

34. Le roi rejoignit la reine à Arras le 3 septembre.

35. Les anciennes éditions, qui ont fait des additions aux pages précédentes, ont ici retranché une partie du texte de Mademoiselle.

36. Beatrix de Cusance, princesse de Cantecroix, que le duc de Lorraine avait épousé du vivant de sa première femme Nicole de Lorraine.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1859. T. IV, Chap. VIII : p. 37-62.


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