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Deuxième Partie


CHAPITRE IX

(janvier 1668 – mars 1670)

Le roi s'en alla sur la fin de janvier1 à Saint-Germain pour mener la reine et M. le Dauphin. On parloit fort d'un voyage de guerre. Toutes les troupes marchoient ; on ne savoit de quel côté elles alloient. M. le Prince étoit allé tenir les États de Bourgogne dès le commencement de janvier. Les derniers jours, le roi dit qu'il partoit, et le 1er de février qu'il alloit en Bourgogne. Il partit le 2 après la messe par un temps effroyable, fut en grande diligence droit à la Franche-Comté. On attaqua Dôle.2 On le prit en deux ou trois jours. Les autres places se rendirent. Tout cela alla si vite que Monsieur, qui étoit demeuré à Paris, en attendant que le roi fût attaché à quelque chose pour l'aller trouver, partit en diligence,3 sut à Auxerre qu'il revenoit et que tout étoit fait : il revint.4

Je demeurai quasi toujours à Saint-Germain pendant ce temps-là. La reine étoit grosse. Je m'allois promener à pied dans le parc. Madame de Montespan et mademoiselle de La Vallière venoient avec moi. On fit des voyages à Versailles au retour du roi ; on alloit et venoit à l'ordinaire. Je vins en ce pays, à Pâques, pour m'en retourner5 prendre congé du roi. On me manda qu'il partoit dans huit jours ; je n'en fus que très-peu ici. Je m'en retournai en grande diligence. En arrivant j'appris qu'il se parloit fort de la paix6 ; que cela avoit retardé le voyage du roi. J'étois bien fâchée d'être venue ; car je m'amusois fort ici : j'y faisois travailler. J'y demeurai jusqu'à la saison de Forges que je revins. Je mariai avant que de m'en retourner une de mes filles, l'aînée des Créqui, au marquis de Lisbourg, un vieux seigneur de Flandre, homme de grande qualité de la maison de Neuville, où il y a toujours eu des chevaliers de la Toison.

Je m'en allai à Paris assez tard. La princesse de Bade avoit été chassée, et madame d'Armagnac.7 On accusoit la dernière de la lettre que l'on avoit écrite à la reine ; l'autre, on n'en disoit pas la raison. La reine accoucha de M. le duc d'Anjou,8 pendant que j'étois ici. Ce fut une grande joie, ayant eu deux filles qui étoient mortes et ayant demeuré deux ans sans avoir d'enfants. J'envoyai faire mes compliments. Il y eut de grands divertissements à Versailles, et Monsieur et Madame furent fort mal à cause de M. de Montmouth. M. le chevalier de Lorraine s'étoit attaché à Monsieur, et devint un vrai favori, logea au Palais-Royal, se brouilla avec Madame. Je trouvai toutes ces tracasseries, quand je retournai à la cour ; de quoi je m'informois le moins qu'il m'étoit possible, n'aimant pas les intrigues, et en étant plus éloignée que personne du monde.

Je pris, en la place de madame de Lisbourg, mademoiselle de Milandon, du pays de Liége. Sa grand'mère étoit de la maison de Joyeuse ; sa sœur qui a épousé le comte de Rache, Flamand, qui a présentement la seconde charge en Flandre après le gouverneur, m'étoit venue voir ici. Quand madame de Lisbourg s'en alla en Flandre, sa sœr et Châtillon l'allèrent conduire. Madame de Rache m'écrivit pour me prier de prendre sa sœur ; ce que je voulus bien. J'avois promis à madame de Courtenay de prendre sa nièce.9 Ainsi j'en eus quatre. Madame de Rache m'envoya sa sœur à Paris. La cour y étoit cette année-là.

M. Le Tellier et M. de Louvois, voulant établir Rochefort, et lui donner une autre charge que celle des gendarmes de M. le Dauphin, trouvèrent la conjoncture heureuse de M. de Mortemart qui vouloit vendre la sienne de premier gentilhomme de la chambre.10 M. de Vivonne voulant avoir celle de général des galères, qu'avoit M. de Créqui, qui venoit d'être fait maréchal de France, avec Humières, Bellefonds.11 On avoit fait force ducs quelques années devant12 ; mais les histoires sont pleines de cela. M. de Villequier, gendre de M. Le Tellier et beau-frère de M. de Louvois, fut fait premier gentilhomme de la chambre, et Rochefort capitaine des gardes. Le roi fut à Saint-Germain, en carême, voir quelques changements qu'il faisoit faire à l'appartement de la reine et au sien. Après dîner, il fut voir une place où il faisoit faire un camp ; il étoit tracé ; on y travailloit ; c'étoit les Suisses. Il y avoit des redoutes. C'étoit un vrai camp retranché.

Je me souviens que l'on avoit fait des chansons sur un air d'une fête de Versailles, qui étoient des contrevérités. La comtesse de Soissons, qui étoit revenue, les chantoit. Il y en avoit une qui parloit de l'esprit de La Vallière et de M. Le Grand,13 qui disoit :

Et pour M. Le Grand,
Il est tout mystère ;
Quand il est galand,
Il a comme La Vallière
L'esprit pénétrant.

Celle de M. de Lauzun parloit de beaucoup de gens ; mais ce qui le regardoit disoit :

    De la cour
La vertu la plus pure
Est en Péguilin.

Le roi dit : « Si on a voulu le fâcher, je trouve que l'on a tort, et que quand les gens agissent comme lui, ils ne se doivent inquiéter de rien ; mais pour les autres on les traite fort mal. » On ne dit plus rien. Je pris plaisir à voir la manière dont le roi parloit de lui : j'avois quelque instinct de ce qui devoit arriver.

Après Pâques on alla au camp ; les troupes y vinrent, et tous les commandants tenoient table et traitoient tous leurs amis. Le roi et la reine y alloient souvent. Ils donnoient la collation à la reine. Ils commandoient et traitoient par semaine. MM. les capitaines des gardes commencèrent, [puis] les commandants de la gendarmerie. Je ne sais pas si cela alla jusqu'aux colonels ; mais je sais bien que Dangeau traita. Je crois que cela finit à lui ; car la dépense étoit forte.14

M. le duc de Mazarin qui étoit devenu fort dévot, depuis la mort de son père le maréchal de La Meilleraye, se mit dans la tête qu'il ne pouvoit en conscience avoir beaucoup de charges et de gouvernements, et se voulut défaire de celle de grand maître d'artillerie. Il le dit à madame la princesse de Conti, qui étoit fort dévote. Elle en parla à madame de Longueville, qui résolut de l'acheter pour M. le comte de Saint-Paul.15 Je ne sais si j'ai dit que M. de Longueville étoit mort,16 et comme l'on lui avoit donné la survivance17 pour ses deux enfants, l'un après l'autre, et que n'étant pas en âge de l'exercer, on l'avoit donnée à M. de Montausier par commission, lequel a été duc depuis. M. le comte de Dunois,18 l'aîné, en sortant du collège se fit jésuite. Le comte de Saint-Paul avoit toujours été plus joli et mieux fait que son frère, avoit servi de capitaine de cavalerie dans la régiment de M. le Prince, où il avoit fort bien réussi, avoit été en Candie, où il avoit fait de très-belles choses ; mais ce voyage ne lui avoit pas fait ce qu'il auroit fait à un autre : le roi n'avoit pas d'inclination pour lui. M. le prince de Conti étoit mort aussi.19 J'ai oublié de mettre les choses dans le temps où elles sont arrivées. C'est qu'il y en a une qui m'occupe tant que je ne puis marquer que ceux de sa durée.20

M. de Mazarin donc traita avec madame de Longueville. M. le Prince en parla au roi pour avoir l'agrément, espérant que l'envie qu'il témoignoit par là de vouloir s'accrocher à tout pourroit lui faire rendre le gouvernement de Normandie, dont le brevet avoit déjà été renouvelé au bout (je crois même de plus) de trois ans,21 à à M. de Montausier. M. de Longueville avoit un régiment de cavalerie. Le roi refusa l'agrément à M. le Prince et dit au grand maître qu'il vouloit acheter sa charge et ne la vouloit plus vendre. Le roi la voulut donner à M. de Lauzun. On commença à l'appeler ainsi : la terre de Péguilin ayant été vendue, et son frère aîné étant malsain et ne venant point à la cour, il prit le nom de sa maison, au moins de ses pères ; car son vrai nom est Caumont. Il se confia à Chamarande, premier valet de chambre du roi, qu'il croyoit de ses amis et lui dit qu'il ne lairroit pas faire la charge à M. de Louvois et qu'il ne vouloit pas être son valet. Il [Chamarande] l'alla dire à M. de Louvois22 et empêcha M. de Lauzun de parler au roi, disant qu'il étoit empêché, et M. de Louvois gagna les devants et fit donner la charge au comte du Lude, qui est un fort grand seigneur, qui en a le bien et la mine, comme la naissance, mais non pas l'humeur à rien soutenir contre un homme en faveur. Il donna sa charge de premier gentilhomme de la chambre au marquis de Gesvres, et on fit M. de Lauzun capitaine des gardes, et sa charge de colonel général des dragons, le marquis de Ranes, l'acheta une grosse somme qui entra dans le payement de ses charges23 ; car celle de Rochefort et de M. de Lauzun avoient été payées à sept cinquante mille francs.24

Je ne sais point ce détail par lui ; car jamais il ne contoit rien de ce qui le regardoit. Je l'ai appris depuis sa prison de gens, qui même ne le savoient pas de lui ; mais tout se sait, et le grand intérêt que je prends à tout ce qui le regarde, fait que l'on m'en a conté beaucoup de choses, et même il y en a qui m'ont causé plus de chagrin que de plaisir. Toutes les choses qu'il a faites à la guerre, en mille ans il ne m'en auroit rien dit ; mais comme il est fort aimé dans les troupes, n'ayant jamais fait que du bien et point de mal, je trouve partout où je vais des gens qui prennent autant de plaisir à me parler de lui que j'en ai à l'écouter. Ainsi on m'a conté tout cela dont il sera au désespoir quand il le saura ; car il n'y a point d'homme au monde plus modeste sur les louanges.25

Son affaire se fit dans le mois de juillet (1669), qui étoit son quartier26 ; ainsi il prit le bâton au moment. Il faisoit cette charge du meilleur air du monde ; il étoit soigneux sans empressement, de la dernière exactitude. Je crois que ses soins étoient bien récompensés ; car il paroissoit qu'ils étoient agréables au roi. Quand je lui fis mes compliments, il me répondit qu'il étoit bien persuadé de l'honneur que je lui faisois, et que depuis quelque temps que je lui parlois tout bonheur lui arrivoit. Je commençois dès lors à l'entretenir avec plaisir : il est fort agréable ; bien des gens y en ont pris, mais sans aucune préoccupation ; c'est qu'il est de fort agréable conversation et a des manières de s'expliquer tout extraordinaires.

On attendoit, en ce temps-là, M. le prince de Toscane,27 mon beau-frère, qui avoit voyagé et qui étoit en Angleterre. Il lui arriva quelque chose de mal agréable avec l'ambassadeur de France ; je ne me souviens plus du détail ; mais le roi prit cela avec une grande hauteur ; ce qui lui déplut fort et ne contribua pas à le faire venir ici avec plaisir, quoique l'on lui en donnât beaucoup. Je ne fus point à Forges à cause de lui. On le régala fort : on lui donna des comédies à Saint-Germain ; on fit rejouer l'opéra de l'hiver de devant. A Versailles, on fit une grande fête, où M. de Lauzun, qui n'étoit pas accoutumé à cela, se donnoit de grands mouvements et s'en acquittoit fort bien. Je lui en donnai une par hasard. Il se rencontra que le comte de Jarnac, aîné de la maison de Chabot,28 se maria avec mademoiselle de Créqui, une de mes filles, que je fis ma dame d'honneur et à qui je donnai un très-gros mariage. Elle fut fiancée dans mon cabinet, où il y avoit un monde infini, la maison de Chabot étant parente de tout ce qu'il y a de plus grands seigneurs à la cour, la maison de Créqui de même, et sa mère à elle étoit de Lannoy. C'étoit un monde infini. Tout cela s'en alla : il ne resta que les plus proches du comte de Chabot : madame de Rohan, madame de Soubise, mademoiselle de Créqui et madame de Marsillac, qui étoit du côté de Lannoy, dont sa mère étoit, et quelques autres dames de mes amies particulières (cela faisoit vingt personnes), M. le grand-duc et force hommes. On joua Tartoufe, qui étoit la pièce à la mode, et puis toutes ces dames soupèrent avec moi. M. le grand-duc étoit incommodé ; il ne voulut pas manger. On les maria après minuit.

J'envoyai prier madame de Guise d'y venir ; elle ne voulut pas. Comme elle n'étoit pas toujours à la cour, on ne la voyoit guère et on ne parloit guère d'elle. Aussi elle avoit demeuré à Luxembourg quelque temps après son mariage, et M. de Guise à l'hôtel de Guise ; puis elle étoit allée aux Tuileries, où mademoiselle de Guise logeoit à la Volière ; mais le roi reprit cette maison. Elle alla à l'hôtel de Guise, où on avoit fait raccommoder les appartements. M. de Guise n'avoit pas dix-sept ans quand il se maria ; il étoit beau, bien fait, mais un air fade, délicat. On avoit grand peine à l'élever, et comme mademoiselle de Guise l'aimoit beaucoup, on le conservoit de même : il n'alloit point au serein ; il ne mangeoit jamais hors de chez lui, parce que l'on lui donnoit ce que mademoiselle de Guise l'aimoit beaucoup, on le conservoit de même : il n'alloit point au serein ; il ne mangeoit jamais hors de chez lui, parce que l'on lui donnoit ce que mademoiselle de Guise ordonnoit.29 Il ne faisoit rien sans sa permission, de sorte que ma sœur étoit plus soumise à mademoiselle de Guise qu'à sa mère : le mari et la femme n'osoient se parler sans sa permission. Je ne sais si ma sœur s'étoit attendue à cela ; mais si elle n'avoit pas fait son compte là-dessus elle étoit attrapée. Il n'alloit point à Saint-Germain sans mademoiselle de Guise ; elle couchoit dans un cabinet proche de leur chambre.

Trois ou quatre mois après qu'elle fut mariée, on lui chassa une femme de chambre qu'elle aimoit fort et à qui elle étoit accoutumée, l'ayant eue depuis qu'elle étoit au monde ; on lui ôta son écuyer et son secrétaire, qui étoit frère de cette femme. Je crois que c'étoit par grandeur, parce que dans les pays étrangers on chasse les François d'ordinaire. Madame de Poussé étoit sa dame d'honneur et ne laissoit pas d'être dame d'atour de Madame. Sa fille, dont j'ai déjà parlé, qui a de l'esprit, causoit avec M. de Guise. On prit prétexte de dire que l'on craignoit que M. de Guise n'en devînt amoureux, on la chassa, et elle retourna à Luxembourg auprès de Madame, et on y mît une madame Du Deffant, une femme du Poitou qui avoit été en Toscane. Son histoire est assez extraordinaire pour la mettre ici.

Madame Du Deffant est fille d'une manière de gentilhomme, qui avoit été maître d'hôtel de feu M. le comte de Fiesque, mari de ma gouvernante. Elle avoit quelque bien et [avoit] épousé le sieur Du Deffant, gentilhomme de Poitou. Cet homme avoit été fort débauché ; elle s'étoit séparé d'avec lui. Elle étoit jolie femme avec de l'esprit ; quand madame la maréchale de La Meilleraye alloit en Poitou, elle la prenoit avec elle, la menoit en Bretagne, l'avoit amenée une fois avec elle à Paris. C'étoit de ces dames qui appellent les grandes dames madame tout court. Elle un usoit ainsi pour madame de La Meilleraye. Le voyage qu'elle vint avec elle à Paris, elle vint voir madame la comtesse de Fiesque, et il me souvient que madame la comtesse de Fiesque lui disoit : « Asseyez-vous ; » l'autre ne voulut pas. La bonne femme lui disoit : « Mais asseyez-vous ; vous avez épousé un gentilhomme de bon lieu. » Je voyois cela en regardant à la porte, que l'on ne me voyoit pas. Comme cette dame demeuroit ordinairement à Poitiers et qu'elle étoit une des plus spirituelles, elle voyoit fort les intendants. Comme la cour fut à Poitiers, M. de Villemontée, qui y avoit été longtemps, en donna la connoissance à M. Le Tellier, qui aimoit à causer les soirs. Elle l'alloit voir et lui contoit toutes les nouvelles de la ville. Le gré qu'elle avoit pris à la cour, les connoissances qu'elle y avoit faites lui firent juger qu'elle pourroit parvenir par son savoir-faire, si elle alloit à Paris. Elle y vint, alla voir madame la duchesse d'Aiguillon ; l'oncle de cette femme avoit été son tuteur, la famille des Vignerod étant originaire de Bressuire. Cela est imprimé dans des plaidoiries que feu M. le Prince fit faire lors de son procès contre elle. Cette femme est flatteuse, insinuante ; elle plaisoit à madame d'Aiguillon, s'adonna à aller à Saint-Sulpice. Madame d'Aiguillon étoit parvenue à gouverner ma belle-mère ; la dévotion lui avoit fait oublier qu'elle l'avoit voulu faire démarier pour épouser mon père. Elle auroit pu l'oublier sans en faire sa principale amie ; mais les humeurs sont différentes.

Madame d'Aiguillon étant donc un jour chez elle, ma belle-mère parloit que sa fille de Toscane étoit près d'accoucher ; qu''il falloit qu'elle y envoyât quelque dame ; qu'elle étoit en peine de savoir qui. Madame d'Aiguillon s'écria : « Grand Dieu ! madame, quel effet de sainte providence ! J'en ai une qu'il semble qu'il a envoyée tout exprès : c'est une femme de qualité de Poitou, que je connois il y a longtemps, qui a beaucoup d'esprit et d'un piété extrême. Elle a fait depuis peu une confession admirable à Saint-Sulpice, à ce que M. Piotte m'a dit. » Madame loua Dieu de cet heureux rencontre30 et dit : « J'enverrai demander avis à la reine. » Madame d'Aiguillon dit : « Elle est connue de M. Le Tellier. » Quand on en parla à la reine, elle dit : « Je ne connois rien d'elle que de lui avoir vu danser le tricotet à Poitiers. » M. Le Tellier parla en sa faveur ; on lui fit donner quelque petite somme par le roi, et Madame lui en donna aussi ; ce qui étoit une grosse pour elle, et on l'envoya par le carrosse de Lyon, voiture qu'elle admira, n'ayant jamais été que par le messager ou le coche.

Par grand extraordinaire en arrivant en Toscane, elle se fit aimer de toute la famille. Je ne sais si, pour se faire valoir, elle ne contribua pas un peu à maintenir ma sœur dans le dégoût qu'elle avoit du pays. Elle y fit plusieurs voyages. On la mit auprès de madame de Guise pour sa dame d'honneur, quoique celles qui ont ces charges auprès des petites-filles de France aient l'honneur d'entrer dans le carrosse de la reine et d'y manger avec elle, on ne trouva pas cette dame d'étoffe à cela ; mais elle étoit comme il la falloit à mademoiselle de Guise, souple. Ainsi elle regardoit plus le dedans de son domestique que la grandeur de ma sœur. Cela faisoit que, dès qu'il y avoit une fête madame de Guise n'alloit point à la cour. Comme Madame vit que j'avois une dame d'honneur, qui par elle aussi bien que par moi pouvoit tout avoir, elle fit défaire madame de Poussé de sa charge, et madame Du Deffant fut sa dame d'atour et entra dans le carrosse de la reine. Je trouvai que cela nous faisoit tort et que l'on devoit l'y faire aller par madame de Guise ; mais le peu de considération que l'on avoit pour elle en ce temps-là en fut cause.

[ Madame Du Deffant m'a donné une occasion de parler de Toscane. J'ai quitté les noces de madame de Jarnac, où je m'appliquai à bien divertir M. le grand-duc, qui ne parut nullement embarrassé de la grosse et bonne compagnie que je lui avois donnée : il parloit admirablement bien de tout ; il connoissoit fort bien la manière de vivre de toutes les cours de l'Europe ; dans celle de France il ne fit pas une seule faute. Voilà comme tout le monde en parloit, et voilà aussi ce que je dois dire que j'ai connu par moi-même, lorsque je voulus étudier son humeur et son esprit.]31 M. le grand-duc étoit d'entre deux tailles, un peu gros pour un homme de son âge, n'ayant que vingt-cinq ou vingt-six ans ; une fort belle tête, les cheveux noirs et bouclés, de gros yeux noirs, une grosse bouche vermeille, de belles dents, le teint vif et de santé, enfin de ces gens qui n'ont rien qui déplaise ; beaucoup d'esprit, agréable en conversation, sachant toutes choses comme s'il n'avoit bougé de France, étant instruit de même de toutes comme s'il n'avoit bougé de France, étant instruit de même de toutes les cours où il avoit été ; fort civil. Sa vue donna à ma sœur le tort d'avoir été mal avec lui. Il parla d'elle le plus obligeamment qu'il se pouvoit à tout le monde, et à moi particulièrement, avec qui il vécut avec une grande distinction de tout le reste de ma famille.

Madame de Choisy mourut, qui avoit eu de grands chagrins contre moi auparavant ; quand nous avions séparé Luxembourg, on avoit séparé sa maison, dont elle avoit été fort fâchée. Elle voulut me vendre des accommodements qu'elle y avoit faits ; je ne voulus pas. Elle emporta tout, et ses lambris lui devinrent inutiles ; elles les vendit peu. Je logeois mes pages dans cette maison et beaucoup d'autres de mes gens ; mais les pages lui tenoient bien à cœur ; elle disoit qu'ils l'empêchoient de dormir. Je n'eus nulle tendresse pour ses plaintes. Elle en avoit si mal usé pour moi qu'il y avoit quelque justice à moi de ne lui faire nul plaisir.32

Quand madame Du Deffant eut les honneurs,33 ma sœur fut plus souvent à la cour ; elle s'y montra fort pendant le séjour que M. le grand-duc y fit. M. de Guise ne le quittoit pas ; ce qui l'ennuyoit fort : car il avoit fort peu d'esprit, et étoit bien enfant ; il y avoit peu qu'il n'appeloit plus mademoiselle de Guise ma bonne tante, devant le monde. Après que le grand-duc fut parti, je vins ici. En partant, M. de Lauzun me pria fort, si j'avois quelque commission à donner à la cour, que je m'adressasse à lui ; qu'il seroit mon solliciteur ; qu'il me prioit de croire que, quoique je le connusse depuis peu de temps, il ne céderoit en rien à mes plus anciens serviteurs ; qu'il se persuadoit que j'avois quelque confiance en lui ; que cela l'avoit touché vivement.

Comme je vins tard ici, j'y demeurai de même ; je ne m'en retournai qu'au milieu de décembre. J'arrivai la surveille de la Notre-Dame,34 et le soir je fus coucher à Saint-Germain. Le jour que j'y séjournai je fus chercher Madame, qui étoit venue à Paris dire adieu à madame de Saint-Chaumont, que Monsieur avoit chassée,35 dont Madame étoit au désespoir. Elle étoit gouvernante de Mademoiselle36 et tante du comte de Guiche. Madame lui dit adieu aux carmélites de la rue du Bouloi.37

C'est un nouveau couvent. A la guerre de Paris, le grand couvent de Saint-Jacques38 fut obligé de sortir pour rentrer dans la ville, et quoique ce soit de ces choses qui n'arrivent qu'en mille ans une fois, soit pour les prévenir dès que l'on les a crues possibles, ou pour une espèce d'infirmerie, lorsque leur air, qui est très-subtil étant sur le haut de Paris, seroit mauvais à quelque religieuse, pour ne pas sortir de la clôture et ne pas blesser la régularité d'un ordre aussi réglé que celui des carmélites, elles achetèrent une petite maison dans la rue du Bouloi, où l'on mit dix ou douze religieuses, comme un hospice, où toutefois il y avoit une chapelle, où étoit Notre-Seigneur. On y envoya sœur Thérèse de Jésus,39 autrement Remenecour, qui a été fille de ma belle-mère, dont j'ai parlé dans ces Mémoires. Il y avoit une fille de Rouen,40 qui a de l'esprit et qui savoit parler espagnol avant que d'être religieuse, beaucoup de personnes sachant cette langue à Rouen, par le grand commerce qui fait qu'il y a beaucoup d'Espagnols. La reine mère y fut, qui les prit en amitié : elle y voulut fonder un salut à perpétuité le dimanche. Cette fondation leur donna envie de ne plus dépendre du grand couvent et d'en vouloir être séparées et de devenir un troisième couvent de carmélites à Paris. La reine mère donna là-dedans. Le grand couvent ne s'y opposa que médiocrement, voyant bien que l'on ne pouvoit résister aux volontés de la reine et ne voulant en cela que les choses à quoi leurs règles les obligeoient, leur étant indifférent, d'ailleurs, qu'il y ait un troisième couvent de leur ordre. La chose se décida, et elles firent le couvent du Bouloi.41 Je ne leur sais point d'autre nom.

La reine mère y alloit souvent ; elles la partageoient sur la fin avec Val-de-Grâce. Elles avoient plus d'esprit savoient plus de nouvelles et étoient plus proches du Louvre, et comme sa santé baissoit, la commodité lui faisoit mieux aimer les lieux où elle la trouvoit. La reine y alla avec elle, au commencement ; elle s'y accoutuma à cause de la supérieure qu parloit espagnol ; ce fut son couvent. Comme il est très-petit, peu de gens y entroient. Elles étoient plus en liberté. Madame y alloit beaucoup aussi. Ce fut là où la reine apprit par la comtesse de Soissons l'amour du roi pour La Vallière. Elles l'entendirent, les carmélites, et ce fut par là que le roi le sut et pourquoi elle fut chassée. Car, quoiqu'elle eût part à la lettre,42 on ne le crut pas dans le temps ; mais comme j'ai déjà dit, je me méprendrai souvent, et la cause de mes distractions ne me permet pas de relire ce que j'écris ; tels que sont ces Mémoires, ce n'est que pour moi : ainsi il n'importe pas qu'ils soient ni polis ni si justes. C'est seulement pour m'amuser, quand je serai vieille, comme j'espère et souhaite le devenir, afin de me faire souvenir de ma jeunesse : c'est une espèce de plaisir ; et pour le parti que j'en veux tirer, c'est pour mépriser de plus en plus le monde et de connoître le peu de sûreté qu'il y a à ses grandeurs, puisqu'étant née avec toute celle que l'on peut avoir et avec tous les avantages que Dieu m'avoit [donnés], j'ai été si malheureuse toute ma vie et connoître par là qu'il n'y a de vrai repos que lorsque l'on cherche à le servir et que l'on le sert véritablement. Comme je ne le fais pas, je ne suis pas aussi encore heureuse ; je tâche à le devenir et à prendre avec patience les soucies qu'il m'a donnés jusqu'ici.

Monsieur chassa aussi l'évêque de Valence,43 son premier aumônier, mais c'étoit par un ordre du roi qu'il fut envoyé hors de son diocèse. Monsieur fut longtemps à délibérer qui il donneroit à MML ; mais enfin ce fut la maréchale de Clérembault ; elle est fille et femme de deux hommes qui avoient bien de l'esprit : M. de Chavigny et le maréchal de Clérembault, et qui savoient bien la cour. Pour elle, elle n'y avoit pas été ; c'est un esprit savant : elle sait le latin, l'astrologie et mille choses fort particulières ; elle aime sa santé, vit d'un grand régime et a beaucoup de politesse. J'allai donc, comme j'ai dit au mois de décembre, à Saint-Germain, d'où je ne partis point. Je m'y accoutumai fort. Je n'y étois d'ordinaire que trois ou quatre jours. On s'étonnoit du long séjour que j'y faisois : J'y passai Noël. Le lendemain on fut à Versailles, où j'allai avec la reine, et comme elle s'en retourna la veille du jour de l'an à Saint-Germain, j'allai à Paris. Je m'y ennuyois fort et je ne pouvois dire ce que je faisois à Saint-Germain qui me divertit plus qu'à l'ordinaire. Je demeurai à Paris plus que je ne voulois : une de mes filles eut la petite vérole ; quoique je ne l'eusse pas vue, parce qu'elle lui avoit pris chez moi, d'où elle délogea dès qu'elle eut paru, je demeurai deux ou trois jours, sans oser aller à Saint-Germain par respect. On me manda d'y aller ; j'en fus fort aise : M. de Lauzun étoit souvent chez la reine ; je causois souvent avec lui.

Le roi fit arrêter le chevalier de Lorraine.44 J'étois à Paris ce jour-là. On me vint dire le matin : « Monsieur est arrivé la nuit, et Madame ; ils s'en vont à Villers-Cotterets ; le chevalier de Lorraine est arrêté. » J'allai au Palais-Royal ; je trouvai Monsieur fort fâché, se plaignant de son malheur, ayant toujours vécu avec le roi comme il avoit fait, être assez malheureux pour en avoir un si mauvais traitement ; qu'il s'en alloit à Villers-Cotterets, ne pouvant demeurer après cela à la cour. Madame étoit fâchée de voir Monsieur fâché. Elle disoit : « Je n'ai pas sujet d'être fâchée du chevalier de Lorraine : nous n'étions pas bien ensemble ; mais il me fait pitié. » Elle faisoit très-bonne mine, et je crois qu'elle étoit fort aise : car le chevalier et elle étoient fort mal ensemble, et elle étoit fort bien avec le roi. Ainsi on eut peine à détromper le public qu'elle n'eût pas contribué à sa disgrâce. Monsieur vint l'après-dînée me dire adieu ; le soir je retournai chez lui, où on rit assez.

Il y avoit longtemps que le chevalier n'étoit pas bien avec Madame ; que ses manières ne plaisoient pas, à ce que l'on disoit, au roi qui avoit trouvé mauvais que Monsieur se fût plaint de quoi on ne lui avoit pas donné le gouvernement du Languedoc ; que le chevalier de Lorraine avoit parlé là-dessus, d'autres choses encore, dont le roi avoit témoigné à Monsieur le trouver mauvais. Voilà ce que le monde disoit.

Voici ce que je sais ; je l'ai ouï dire au roi : le chevalier de Lorraine voulut avoir un éclaircissement avec lui sur beaucoup de choses. Le roi lui donna audience ; après beaucoup de discours, le chevalier dit au roi : « Sire, Monsieur est un bon homme ; il aime Votre Majesté ; assurément il ne fera jamais rien qui vous déplaise, et j'en serai garant. Prenez-vous-en à moi, s'il fait quelque chose. » Le roi reprit : « M'en répondez-vous ? — Oui, sire. » Le roi dit : « J'en suis bien aise. » A peu de jours de là l'évêque de Langres mourut,45 qui avoit plusieurs abbayes dans l'apanage de Monsieur, que feu Monsieur lui avoit données, et comme les fils de France présentent au roi et que c'est sur les nominations du roi que le pape pourvoit, Monsieur donna Saint-Benoît-sur-Loire au chevalier. Tout le monde lui en fit compliment. Le chevalier alla au secrétaire d'État en mois, qui dit que le roi ne le vouloit pas. Je pense, si je m'en souviens bien, que Monsieur en parla au roi, qui dit à Monsieur qu'il ne le vouloit pas. Monsieur bouda, alla chez lui, envoya Madame au roi. Le soir comme le chevalier de Lorraine sortoit de la chambre de Monsieur au château-neuf, le comte d'Ayen,46 capitaine des gardes en quartier, l'arrêta. On le mena au vieux-château, puis coucher au bourg, et le lendemain droit au château d'If.47

Force gens allèrent à Villers-Cotterets ; on parla fort du retour de Monsieur. M. Colbert y fut, et il vint tôt après ; son absence ne dura pas plus de trois semaines.48 Le roi envoya un présent à Madame le plus joli du monde49 : un coffre de calambour, garni d'or, où il y avoit de toutes sortes de bijoux, de gants garnis, que madame de Montespan avoit pris plaisir à garnir. Elle avoit pris grand plaisir à ajuster tout cela. Elle témoigna n'être pas des amies du chevalier de Lorraine : elle le regardoit passer dans la cour comme on le menoit. Ce fut une joie pour tout le monde quand Monsieur et Madame revinrent à la cour. Madame ne retournoit plus les après-dînées au château-neuf. Elle alloit dans un appartement, où il ne logeoit personne. Je pense que c'étoit pour être plus en liberté de parler à qui il lui plairoit qu'au lieu où étoit Monsieur. Je l'allois voir souvent. Nous avions toujours été, comme j'ai dit en plusieurs endroits, très-froidement ; mais depuis quelque temps elle s'amusoit assez à causer avec moi, et me disoit : « Quand on vous connoît, on vous aime. » Je lui disois la même chose : car nous ne nous connoissions guère auparavant. M. de Lauzun étoit fort bien avec elle, il y venoit souvent, et deux ou trois fois [par jour]. Elle étoit quasi toujours sur le lit quoique habillée. Comme elle étoit fort délicate, elle étoit bien aise de se reposer ; elle me disoit : « Allez-vous chauffer et amusez-les. » Je faisois cela volontiers pour lui faire plaisir. C'étoit d'affaires qu'ils parloient. Quoique Madame fût fort aimable, qu'elle eût pu être aimée et que M. de Lauzun aimât assez volontiers, je n'ai jamais ouï dire qu'il y ait eu rien entre eux.

 

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NOTES

1. Le 22 janvier 1668.

2. Cette place, attaquée le 9 février, se rendit le 13.

3. Monsieur partit le 14 février.

4. Le roi revint à Saint-Germain le 24. Voy. l'Appendice.

5. C'est-à-dire dans l'intention de m'en retourner.

6. Le traité fut signé à Aix-la-Chapelle le 2 mai 1668. La paix fut publiée à Paris le 30 mai, et le même jour un Te Deum fut chanté à Notre-Dame.

7. Saint-Simon (Mémoires, édit. Hachette, in-8, t. VI, p. 146), dit que madame d'Armagnac fut chassée pour les intrigues du comte de Guiche, de Vardes et de la comtesse de Soissons ; c'est une erreur, comme le prouvent les Mémoires de Mademoiselle. Saint-Simon a confondu la lettre remise au roi par la Molina en 1665 (voy. t. III, p. 551-552 des Mémoires de Mademoiselle) avec celle que lui envoya la reine en 1667.

8. Le 8 août 1668.

9. Les anciennes éditions ajoutent après « sa nièce » qui s'appeloit Catillon et à présent madame la comtesse de Lanoy.

10. Ce changement dans les charges de la cour eut lieu au mois de mars 1669, comme le prouve le passage suivant du Journal d'Olivier d'Ormesson: « Le mardi 5 mars (1669), j'appris un changement dans les charges de la cour : M. le duc d'Aumont acheté la charge de premier gentilhomme de la chambre de M. de Mortemart 800,000 livres, dont M. de Mortemart reçoit 400,000 livres pour payer ses dettes, en donne 400,000 à M. de Vivonne, qui achète la charge de général des galères de M. de Créqui 500,000 livres. M. de Rochefort est fait capitaine des gardes et donne 500,000 livres d'argent et la charge de lieutenant des gendarmes de monseigneur le Dauphin, que l'on donne à La Trousse pour 80,000 livres et sa charge de sous-lieutenant de la même compagnie. M. Le Tellier a souhaité ce changement parce qu'il a obtenu la survivance de la charge de premier gentilhomme pour les deux petits enfants de son gendre (Villequier), l'un à l'autre, et ils n'étoient pas en âge de l'avoir de celle de capitaine des gardes. » Louis-Marie-Victor d'Aumont, marquis de Villequier, était fils du duc d'Aumont, dont vient de parler Olivier d'Ormesson. Il avait épousé Madelaine-Fare Le Tellier, fille de Michel Le Tellier. La marquise de Villequier était morte peu de temps après son mariage, le 22 juin 1668, à l'âge de 22 ans.

11. Ce fut au mois de juillet 1668 qu'eut lieu cette promotion de trois maréchaux.

12. Voy. à l'Appendice la réception des ducs et pairs du 2 décembre 1665.

13. Le grand écuyer, Louis de Lorraine, comte d'Armagnac.

14. Ces trois paragraphes, depuis M. Le Tellier et M. de Louvois jusqu'à étoit forte, ont été transposés dans le manuscrit au fo 120 du t. II. Tout ce qui concerne le camp de Saint-Germain a été omis dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle.

15. Charles-Paris d'Orléans, comte de Saint-Paul, né en 1649, tué au passage du Rhin en 1672.

16. Le duc de Longueville était mort le 11 mai 1653.

17. Il s'agit de la survivance du gouvernement de Normandie.

18. Charles d'Orléans, comte de Dunois, né en 1646, mort en 1694.

19. Le prince de Conti était mort le 21 février 1666.

20. Ce passage, depuis je ne sais jusqu'à de sa durée a été omis dans les anciennes éditions. — Mademoiselle, comme on l'a déjà vu, a écrit cette seconde partie de ses Mémoires à l'époque de sa passion pour Lauzun.

21. Louis XIV avait exigé que les provisions ou brevets des gouverneurs de province fussent renouvelés tous les trois ans.

22. Comparez le récit de Saint-Simon (Mémoires, t. XX, p. 140 et suiv., édit Hachette, in-8). Il n'y a de différence que sur le nom du valet de chambre. Les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle ont complétement changé ce passage. On y fait refuser à Lauzun la charge de grand maître de l'artillerie, parce qu'il ne voulait pas en partager les fonctions avec Louvois.

23. Des charges de Lauzun.

24. Ces ventes de charges eurent lieu au mois de juillet 1669. Olivier d'Ormesson écrit dans son Journal, à la date du 24 juillet 1669 : « L'on dit qu'il se faisoit à Saint-Germain un grand changement de charges : M. de Mazarin, qui a vendu à M. de Chaulnes sa lieutenance de Bretagne 400,000 livres, à M. de Noailles son gouvernement de Vincennes 200,000 livres, remettoit au roi sa charge de grand maître de l'artillerie pour 600,000 livres ; que le roi donnoit cette charge à M. le comte du Lude, en ayant attribué une partie à M. de Louvois ; que la charge de M. du Lude de premier gentilhomme de la chambre passoit à M. de Gesvres but à but pour celle de capitaine des gardes, laquelle le roi donnoit à M. de Péguilin. » D'après Olivier d'Ormesson, Lauzun reçut du roi, sans rien débourser, une charge que Mademoiselle suppose avoir été payée à un prix très-élevé.

25. Le témoignage de Mademoiselle sur Lauzun est naturellement suspect. On fera bien de comparer ce que Saint-Simon dit de Lauzun, qui était son beau-frères et qu'il avait parfaitement connu (Mémoires, t. XX, p. 37 et suiv., édit. Hachette, in-8).

26. On a déjà dit que les capitaines des gardes servaient par quartier ou chacun trois mois alternativement.

27. On a mis dans les anciennes éditions le grand-duc de Toscane; mais Cosme III ne devint grand-duc de Toscane qu'à la mort de son père, Ferdinand III, arrivée le 23 mai 1670. Mademoiselle l'appelle plus loin grand-duc par inadvertance ; il n'était alors que prince de Toscane.

28. Guy-Henry Chabot, comte de Jarnac, épousa Marie-Claire de Créqui, fille d'Adam de Créqui et de Jeanne-Lamberte de Lannoy.

29. Ces détails sur M. et madame de Guise, depuis comme elle n'étoit pas toujours jusqu'à ordonnoit, ont été omis dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle. Ce qui suit a été résumé dans les lignes suivantes : « M. de Guise avoit été élevé dans cette soumission (à mademoiselle de Guise), qui lui donnoit un air ridicule dans le monde, etc. »

30. Le mot rencontre était du genre masculin au XVIIme siècle.

31. Le entre [ ] n'est pas dans le manuscrit de Mademoiselle. Ce qui suit, depuis M. le grand-duc jusqu'à ma famille, se trouve sur une feuille détachée du t. I, entre les p. 16 et 17.

32. Phrases omises dans les anciennes éditions depuis mais les pages jusqu'à nul plaisir.

33. Les honneurs du carrosse de la reine; voy. plus haut, p. 78.

34. 6 décembre 1669.

35. Ces événements eurent lieu en novembre 1669. La disgrâce de madame de Saint-Chaumont se rattache à celle de l'évêque de Valence. (Voy. les Mémoires de Daniel de Cosnac, publiés par la Société de l'histoire de France, t. I, p. 396.) Le passage suivant du Journal d'Olivier d'Ormesson montre la coïncidence des deux événements. Il écrit au mois de novembre : « On dit l'aventure de M. l'évêque de Valence : ce prélat ayant fait des intrigues dans la maison de Monsieur pour les intérêts de Madame contre le chevalier de Lorraine, il avoit été chassé de Paris, renvoyé dans son évêché avec ordre de n'en pas sortir. Néanmoins, continuant ses intrigues, il étoit venu à Paris en habit déguisé et s'étoit logé dans une petite chambre au troisième étage dans la rue Saint-Denis. Le roi, averti, envoie un prévôt des monnoies, lequel faisant semblant de chercher un faux monnoyer, prit M. de Valence comme un homme suspect et le conduisit au For-l'Évêque, où ce prélat fut obligé de se faire connoître, ôter sa perruque et dire sa qualité. Nonobstant il coucha dans la prison ; mais le lendemain le roi ordonna qu'il se retireroit à l'Ile-Jourdain en Languedoc jusqu'à nouvel ordre. Tous ses papiers furent pris, et depuis le roi a renvoyé chez elle madame de Saint-Chaumont, qui étoit gouvernante de Mademoiselle. Madame en a témoigné du chagrin, a fait parler au roi par l'ambassadeur d'Angleterre, mais sans aucun fruit. » On voit, par les Mémoires de Daniel de Cosnac, évêque de Valence, que l'on saisit parmi ses papiers un billet de madame de Saint-Chaumont ; ce fut la cause de sa disgrâce.

36. Marie-Louise d'Orléans, fille de Philippe de France, duc d'Orléans, et de Henriette d'Angleterre.

37. Mademoiselle écrit toujours la rue du Bouloir, et quelquefois simplement les Carmélites du Bouloir. J'ai suivi pour ce nom, comme pour tous les noms propres, l'orthographe moderne.

38. Le grand couvent des Carmélites était situé, comme on l'a vu, au faubourg Saint-Jacques.

39. Les anciennes éditions appliquent ce nom à madame de Saint-Chaumont. Le texte de Mademoiselle est très-positif et confirmé d'ailleurs par le Catalogue des Carmélites qu'a publié M. Cousin (appendice à la Jeunesse de madame de Longueville). Mademoiselle de Remenecour y figure au no 156, sous le nom de mère Thérèse de Jésus.

40. Au lieu d'une fille de Rouen, les anciennes éditions portent une fille de la maison d'Ardonne. Le manuscrit ne laisse aucun doute sur ce point. Il est probable que cette demoiselle de Rouen était la mère Françoise de la Croix, de la maison rouennaise Le Seigneur de Reuville.

41. Le couvent de la rue du Bouloi fut définitivement organisé en 1664.

42. Il s'agit de la lettre envoyée à la Molina, et dont Mademoiselle a parlé plus haut (t. III, p. 551-552).

43. Voy. les Mémoires de cet évêque, Daniel de Cosnac, publiés par la Société de l'histoire de France.

44. Le Journal d'Olivier d'Ormesson fixe les dates. On y lit : « Le jeudi 30 janvier (1670) il se passa à Saint-Germain une histoire fort importante. La nouvelle y étant venue de la mort de M. de Langres, M. le duc d'Orléans, qui avoit promis à M. le chevalier de Lorraine les deux abbayes que M. de Langres avoit dans son apanage, fut demander au roi qu'il lui plût agréer son choix. Le roi lui ayant dit qu'il ne le pouvoit en conscience, et nonobstant toutes ses instances l'ayant refusé, Monsieur se retira fâché et commanda que l'on démeublât son appartement pour quitter la cour. Le roi cependant étant allé à Versailles, M. Le Tellier fut parler à Monsieur pour le détourner de son dessein ; mais il ne le put, et Monsieur lui dit que, s'il avoit une maison à mille lieues, il iroit. Le roi en étant averti et revenu de Versailles, il crut que c'étoit le chevalier de Lorraine qui excitoit la colère de Monsieur, et commanda que l'on l'arrêtât prisonnier. Les gardes du corps furent redoublés autour de l'appartement de Monsieur, où étoit le chevalier de Lorraine. M. Le Tellier fut dire à Monsieur la résolution du roi, et M. le chevalier de Lorraine, après que Monsieur l'eut embrassé et [lui eut] témoigné beaucoup d'amitié, sortit, et au sortir de la chambre de Monsieur il trouva la capitaine des gardes qui l'arrêta prisonnier, et fut mené sur le chemin de Lyon pour être conduit à Montpellier. Monsieur partit à minuit de Saint-Germain avec Madame, vint à Paris, où il a demeuré un jour, et personne ne l'a été voir, sinon M. le Prince et M. le Duc, qui ne l'ayant pas trouvé chez lui le furent chercher à Luxembourg. Il est parti pour aller à Villers-Cotterets. » On voit par le récit de Mademoiselle qu'elle alla aussi visiter le duc d'Orléans à son passage à Paris.

45. L'évêque de Langres (autrefois abbé de la Rivière, favori de Gaston d'Orléans) mourut le 29 janvier 1670.

46. Anne-Jules de Noailles, né le 5 février 1650, avait depuis 1661 la survivance de la charge de capitaine des gardes du corps.

47. Les anciennes éditions, après avoir indiqué le motif de l'arrestation du chevalier de Lorraine, donnent sur cette arrestation même des détails, dont il n'y a pas trace dans le manuscrit autographe. Cependant j'ai cru devoir conserver ce passage en note : « Voilà le motif pressant qui obligea à le faire arrêter par le comte d'Ayen, capitaine des gardes du roi, qui servoit auprès de sa personne. Il étoit encore jeune et l'affaire étoit délicate ; le roi avoit jeté les yeux sur M. le comte de Lauzun et lui donna ses ordres. Après lui avoir dit qu'il les alloit exécuter, il le supplia très-humblement de trouver bon qu'il lui représentât que c'étoit toujours le capitaine des gardes qui servoit auprès de sa personne, à qui il avoit la bonté de donner ces sortes de commissions. Le roi, qui n'a jamais résisté à la raison lorsqu'on la lui peut faire connoître, changes de sentiment et envoya chercher le comte d'Ayen, lui donna ses ordres, et voulut que M. le comte de Lauzun le suivit, pour l'empêcher de faire quelque faute. Ainsi M. le chevalier de Lorraine fut arrêté au château-neuf, lorsqu'il étoit dans une chambre renfermé avec Monsieur. Le comte d'Ayen le fit demander pour lui parler ; il vint et M. d'Ayen l'arrêta. Le chevalier de la Hillière, qui étoit avec lui, dit à M. le comte d'Ayen de lui faire rendre son épée ; ce qu'il fit ; et après ils le menèrent dans la chambre du capitaine des gardes du corps dans le Louvre et ensuite coucher dans une maison dans le bourg. Il fut couvre et ensuite coucher dans une maison dans le bourg. Il fut conduit à Lyon et mis à Pierre-Encise. Les officiers et les gardes du roi, qui l'avoient conduit, le laissèrent entre les mains de l'archevêque de Lyon ; comme ils revenoient, ils reçurent un ordre du roi de reprendre le chevalier de Lorraine, de lui ôter le valet qu'il avoit auprès de lui, d'empêcher qu'il ne reçût des nouvelles, ni qu'il eût communication avec personne ; de le conduire et de le garder au château d'If. Cela provenoit d'un voyage que M. Colbert avoit fait à Villers-Cotterets pour parler à Monsieur, qui ne voulut pas revenir auprès du roi qu'il ne lui eût rendu M. le chevalier de Lorraine. Jusqu'à Lyon on lui avoit toujours permis d'écrire à Monsieur et à ses amis ; les officiers avoient ordre de lui laisser librement prendre et donner des lettres à des courriers, que monsieur lui envoyoit. Le roi crut que c'étoit lui qui lui inspiroit cette fermeté : il voulut châtier plus rigoureusement M. le chevalier de Lorraine et mortifier davantage Monsieur, et lui ôter les moyens de pouvoir lui faire donner ni recevoir de ses lettres. Ainsi il fut conduit et gardé au château d'If jusqu'à ce que Monsieur fût revenu à la cour et qu'il eût demandé au roi avec soumission de lui donner la liberté. Après qu'il fut sorti de cette prison, on lui dit s'en aller à Rome, d'où il n'est revenu qu'après la mort de Madame. »

48. Ce fut au commencement de mars que Monsieur et Madame revinrent à la cour, comme le prouve le passage suivant du Journal d'Olivier d'Ormesson: « Le lundi 3 mars (1670), M.le duc d'Orléans revint, avec Madame, de Villers-Cotterets coucher à Saint-Germain, où ils furent reçus avec la plus grande joie du monde. L'on prétendit qu'il étoit revenu sans conditions sur la parole de M. Colbert, qu'étant à la cour il obtiendroit du roi toutes choses. D'autres [disent] que ces deux abbayes se donnoient au frère du chevalier de Lorraine et à lui une pension de 10,000 écus. Le temps fera connoître le vrai ; mais ce qui est certain, c'est qu'il est parti un courrier porter les ordres de laisser le chevalier de Lorraine dans Marseille et lui donner la ville pour prison au lieu de le mener au château d'If, où on le menoit. »

49. « L'on ne parle que du présent que le roi avoit envoyé à Madame à Villers-Cotterets, qui valoit, tant en vingt bourses de cent louis chacune que diamants et autres galanteries, cinquante mille livres. » (Journal d'Olivier d'Ormesson.)

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1859. T. IV, Chap. IX : p. 63-90.


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