HORUS

ET

SAINT GEORGES

D'APRÈS

UN BAS-RELIEF INÉDIT DU LOUVRE

Notes d'archéologie orientale et de mythologie sémitique

PAR

CH[arles-Simon] CLERMONT-GANNEAU [1846-1923]

AVEC PLANCHE ET GRAVURE

EXTRAIT DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE

PARIS

AUX BUREAUX DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE

LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER ET Ce

QUAI DES AUGUSTINS, 35

1877

Horus

I II III IV V VI VII
VIII IX X XI XII XIII Appendice

I - V

I

J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie(1) la photographie et l'estampage sommaire d'un monument qui appartient aux collections égyptiennes du Louvre et qui m'a paru offrir un intérêt considérable. Ce monument, d'une basse époque et d'une exécution barbare, ne semble pas avoir jusqu'à ce jour attiré l'attention des savants, bien qu'il soit au Louvre depuis une douzaine d'années.(2)

Il est placé au bas de l'armoire D, dans la salle des Dieux; il ne porte pas de numéro d'ordre et n'est pas mentionné dans les Catalogues.

J'ai pu, grâce à l'obligeance de M. Pierret, conservateur du Musée égyptien, examiner de près ce morceau dont l'aspect m'avait vivement frappé, et j'ai obtenu l'autorisation d'en faire exécuter la reproduction que voici.(3)

C'est un bas-relief, ou, pour parler plus exactement, un fragment de bas-relief en grès, haut actuellement de 0m, 48 et reproduisant une scène da la mythologie égyptienne bien connue par les textes et les monuments figurés: le combat d'Horus contre Set ou Typhon.

Mais ici cette scène est traitée d'une manière tout à fait extraordinaire et avec des détails d'un caractère exceptionnel, qui en font tout le prix.

Horus est représenté, comme d'habitude, sous la forme d'un homme à tête d'épervier; seulement — et c'est ce qui constitue la principale singularité du monument — le dieu est à cheval.

Le cavalier hiéracocéphale, vu de profil, a un costume tout militaire; il porte, comme les officiers supérieurs de l'armée romaine, le paludamentum d'ordonnance qui, attaché sur l'épaule droite, retombe en une pointe triangulaire sur la cuisse gauche et cache une cuirasse, ou une cotte de mailles, dont on distingue encore un bout sur la hanche droite; la jupe courte de la tunique est recouverte de plusieurs rangs de lambrequins imbriqués. La jambe et le pied sont nus. Pas d'étriers.

De la main gauche, le cavalier tire sur la rêne gauche du cheval qui, placé de profil comme lui, mais obéissant à l'appel du mors, tourne la tête de manière à faire face au spectateur.

De la main droite levée plus haut que sa tête, Horus tient presque verticalement une lance dont il enfonce le fer (hamatum) dans le cou d'un crocodile également vu de profil, engagé entre les quatre jambes du cheval et tourné dans le même sens que lui.

La monture est richement harnachée; une postilena et une antilena ornée de phalères en guise de pendeloques, maintiennent un ephippium assujetti par une sangle qui passe sous le ventre de l'animal.

A gauche s'élève un montant mouluré qui ne devait pas servir précisément d'encadrement, car il ne se continue point sur le bord horizontal inférieur et il s'écarte sensiblement de la verticale représentée par le bord latéral extérieur d'équerre avec le bord inférieur. Il est difficile de dire ce que ce montant, incliné en dedans, devenait au bord supérieur, tout le haut du monument ayant été brisé ainsi que la partie de droite. Il est plus que probable qu'il devait se répéter symétriquement à droite. Faut-il y voir, malgré l'absence de piédestal et l'aspect de la moulure, un pilastre soutenant le fronton d'un petit édicule conventionnel?

Une particularité à noter c'est que ce bas-relief est travaillé complètement à jour; le fond sur lequel se détachent les figures est constitué par des claires-voies à travers lesquelles passe la lumière. Peut-être est-ce pour remédier à l'affaiblissement produit par ces vides que le sculpteur a imaginé de faire circuler, entre le cadre et le sujet, là où les évidements étaient trop considérables, une sorte de tige ornementale d'apparence sarmenteuse qui commence à l'extrémité de la gueule de crocodile et monte jusqu'à la tête du cheval.

Cette tige sinueuse devait se prolonger au-delà, car on en distingue encore un fragment adhérent au bras droit d'Horus.(4) Ce bras et un morceau de lance, brisés antérieurement, ont été recollés. Le bras gauche est endommagé. La rêne droite, la jambe droite de derrière du cheval et sa queue, ainsi que celle du crocodile, ont complètement disparu. Le bec de l'épervier est légèrement ébréché. Il se pourrait que la tête d'épervier ait été surmontée de la double couronne, coiffure ordinaire d'Horus: une cassure au raz de la tête d'oiseau autorise cette conjecture dans une certaine mesure.

L'épaisseur du bas-relief, six centimètres, est considérable si l'on songe au procédé de sculpture adopté et aux difficultés de l'exécution.

Cet effet de claire-voie est évidemment intentionnel: le bas-relief ajouré, disposé à la manière des balustrades du moyen âge, devait se détacher sur un fond sombre, modelant vigoureusement les masses pleines dont l'épaisseur exagérée disparassait dans l'ombre. La face postérieure est absolument brute; elle n'était donc pas destinée à être exposée aux regards; on y a seulement ménagé un grossier rebord d'un centimètre environ de saillie, pour faciliter, apparemment, l'encastrement ou le scellement de la plaque.

II.

Comme je l'ai dit en commençant, la signification de la scène n'est pas douteuse: l'assimilation d'Horus à l'épervier, et de Set au crocodile, est un fait absolument certain et dont il serait oiseux de refaire la démonstration.

L'antagonisme, sous ces formes respectives, des deux divinités rivales qui, jusqu'aux derniers temps, ont divisé l'Égypte en deux camps opposés est également attesté par de nombreux témoignages. Un curieux passage d'Élien est tout à fait topique sur ce point: il nous apprend que les Tentyrites adoraient les éperviers, tandis que les Coptites, qui adoraient les crocodiles, crucifiaient les éperviers ennemis de ceux-ci.(4a)

Ce renseignement est complété par Pline, d'après qui les adorateurs d'éperviers de Tentyra faisaient une guerre acharnée au crocodile, qui fuyait jusqu'à leur odeur.(4b)

Plusieurs monuments nous montrent Horus, à pied ou en bateau, perçant de sa lance Set sous la forme d'un homme, d'un hippopotame, du serpent Apep, etc.(5) L'introduction du cheval dans ce combat surprendra certainement tous ceux qui se rappellent le rôle absolument nul de cet animal dans la mythologie égyptienne.

Cependant l'association du cheval à Horus — association tardive bien entendu — avec le crocodile comme corrélatif, dans le combat typhonien, me semble déjà indiquée, à mots couverts, par deux passages jusqu'ici fort obscurs du traité de Plutarque sur Isis et Osiris.

Osiris, au moment où son fils Horus se prépare à le venger en combattant Typhon, demande à Horus quel animal il pense devoir être le plus utile pour le combat.

C'est le cheval, répond Horus. Sur quoi, Osiris s'étonne, demandant pourquoi le cheval et non le lion. Horus dit alors que le lion est utile à qui a besoin d'aide, mais que le cheval permet de diaspa/sai(6) et de tuer l'ennemi qui fuit:i3ppoj de\ feu/gonta diaspa/sai kai\ katanalw=ssai to\n pole/mion. Or c'est surtout pour échapper à la poursuite d'Horus que Set prend la forme du crocodile, comme nous l'apprend ailleurs Plutarque lui-même: 79O Tufw_n to\n 7[Wron a)pe/dra kroko&deiloj geno/menoj.

Il est à remarquer justement que, sur le bas-relief, le crocodile ne fait pas tête à Horus et à sa monture; il leur tourne le dos; il n'y a donc pas de combat réel. Le monstre, placé dans le même sens que le cheval qui le foule aux pieds et même le dépasse un peu, vient évidemment d'être rejoint par l'adversaire agile devant lequel il fuyait, et c'est par derrière que le frappa la haste d'Horus.

On ne saurait, il faut l'avouer, souhaiter un commentaire plus littéral du texte de Plutarque.

III.

Il est impossible, à mon sens, de ne pas être frappé à première vue de l'extrême ressemblance qu'offre ce bas-relief, unique en son genre, avec les plus anciennes représentations de saint Georges transperçant le dragon.(7) Le saurien tué, la lance, le cheval, l'uniforme d'officier romain porté par le vainqueur, tous ces détails se retrouvent identiques dans l'iconographie byzantine. Si, par suite d'un accident à jamais déplorable, la tête d'épervier du cavalier avait disparu, personne assurément n'aurait hésite à reconnaître dans ce grossier fragment un saint Georges, mutilé, prototype de ces nombreux saints vainqueurs du dragon, et l'on aurait été en droit de considérer comme la plus gratuite, comme la plus téméraire des hypothèses l'opinion qui aurait proposé de voir dans ce combat la lutte séculaire d'Horus et de Typhon. Heureusement cette tête d'épervier, qui est la clef même du monument, a été préservée et le doute n'est pas permis.

Ici se présente à nous, et sous une forme plastique saisissante, un des problèmes les plus compliqués de la symbolique orientale, de la mythologie sémitique. Je n'ai pas, dans cette courte note rédigée à la hâte et destinée uniquement à faire connaître une donnée désormais fondamentale de ce problème, la prétention de résoudre ni même d'aborder la totalité des questions qu'il comprend. Je crois toutefois devoir avertir que cette esquisse, faite à grands traits et réduite, à dessein, à des indications extrêmement sommaires, n'est point le produit d'une improvisation inspirée par la vue de ce monument, mais comme le tracé d'études théoriques poursuivies pendant des années; j'avais même, il y a quelques mois, dans une note incidente accompagnant un article publié par la Revue critique, consigné laconiquement les conclusions que je vais exposer, et auxquelles ce bas-relief est venu apporter une confirmation inespérée, mais simplement une confirmation. Je résumerai brièvement aujourd'hui les principaux résultats de mes recherches dans cette direction, en les réduisant à des espèces d'équations dont je fournirai plus tard les calculs rigoureusement établis d'après les éléments que j'ai entre les mains. Je fais donc appel à l'indulgence de ceux qui parcourront ces quelques pages systématiquement dépourvues de tout appareil scientifique.

Les analogies iconographiques si remarquables qui existent entre le combat d'Horus tel qu'il est traité sur notre bas-relief et le combat de saint Georges ne sont point fortuites, et je voudrais faire voir par quels intermédiaires le saint apocryphe se rattache au dieu égyptien.

Une base essentielle sur laquelle je me suis, en dehors de l'iconographie, constamment appuyé pour essayer de reconstruire cette fable étrangement déformée et transformée, c'est la localisation géographique; il y a à observer, dans le développement sémitique de cette légende, une véritable unité de lieux prêtant aux identifications obtenues une solidité qu'on ne saurait demander aux rapprochements purement philologiques.

Tout se joue sur un théâtre parfaitement circonscrit: la scène peut être représentée par un triangle dont les sommets sont les trois villes de Palestine: Arsouf, Lydda, et Asdoud, et dont le grand côté est le rivage de la Méditerranée au nord et au sud de Jaffa.

Lydda-Arsouf-Asdoud Triangle

Le culte de saint Georges, qui s'est de bonne heure étendu sur toute l'Égypte, a pris un caractère spécial et a reçu un développement considérable en Syrie,(8) où il a eu pour centre principal Lydda, la Diospolis des Gréco-Romains.

Là s'élèva, sous Justinien au plus tard, une superbe basilique contenant, disait-on, les reliques du tribun militaire décapité sous Dioclétien.

Dans les listes épiscopales, Lydda porte le nom de 79Agiogewriou&spolij en un seul mot. Lydda passait pour la patrie du saint ou celle de sa mère, pour le lieu de son martyre, etc.; les habitants montrent encore la maison de Khidhr, nom arabe de saint Georges.

Une tradition ou hâdith, attribuée à Mahomet par d'anciens commentaires du Coran, dit que Jésus tuera l'Antechrist sur la porte de Lydda, ou même sur la porte de l'église de Lydda. L'Antechrist, appelé par les musulmans Dadjdjâl, est décrit comme un monstre et appelé la bête de la terre. Ce hâdith bizarre a incontestablement pour origine l'interprétation, plus ou moins arbitraire, d'un bas-relief du portrait de la basilique où était figuré le combat de saint Georges. En effet, l'on ajoute, en même temps, que Jésus tuera aussi le sanglier, et l'on place quelquefois le lieu de cet événement sur l'une des portes de Jérusalem; or l'on connaît par l'histoire l'existence d'un bas-relief, représentant le sanglier de la Xe légion, qui était encastré au-dessus de la porte d'Aelia Capitolina.(9)

L'explication apocalyptique de ce sujet adoptée par les musulmans se justifie par des analogies réelles qui ont déjà été signalées entre le rôle militant de saint Georges et celui de l'archange Michel et des divers cavaliers de l'Apocalypse.

Certaines traditions sont mêmes plus explicites encore et montrent jusqu'à l'évidence qu'il s'agit bien dans le hâdith d'un monument figuré, et particulièrement du combat du cavalier contre le dragon. Elles disent, en effet, que Jésus, coiffé d'un turban vert (khadhra), ceint d'une épée, tenant à la main une lance (harbè), monté sur une jument (faras), poursuivra le Dadjdjâl jusqu'à ce qu'il l'atteigne à la porte de Lydda, où il le tuera.(10)

Mais d'un autre côté le mot arabe dadj[d]jâl me paraît l'exact équivalent phonétique du mot hébreu Dagon, le dieu amphibie adoré par les Philistins spécialement à Echdod (Esdoud). Or Dagon a été rapproché avec raison du Set égyptien; son adversaire, le Isa ou Jésus des musulmans, et le saint Georges syrien qu'il recouvre, s'identifieraient donc déjà par simple symétrie avec Horus à cheval, poursuivant et tuant Typhon.(11)

Le souvenir de Dagon semble s'être d'ailleurs conservé d'une façon encore plus direct à Lydda: d'anciens géographes arabes nous parlent formellement d'une porte de Dâdjoûn à Lydda; entre Lydda et Yabné l'Onomasticon signale un Capher Dagon qu'on identifiait jusqu'ici avec le village de Beth Dadjan; mais je crois que c'est un lieu appelé encore Dâdjoûn, que j'ai retrouvé en 1874; Dâdjoûn répond beaucoup mieux, en effet, aux indications de l'Onomasticon. Il se peut que le village se soit déplacé et ait été transporté de l'endroit aujourd'hui inhabité de Dâdjoûn à Beit Dadjan;(12) dans ce cas nous aurions une preuve pertinent extrêmement solide de la transition phonétique de Dâdjoûn à Dadjdjâl, Dadjan fournissant un état intermédiaire du mot. La forme archaïque Dâdjoûn se serait, comme de coutume, conservée dans le nom de l'emplacement ancien. A ce compte, il faudrait voir dans Dâdjoûn, non-seulement le Capher Dagon de l'Onomasticon, mais aussi le Beth Dagon mentionné par le livre de Josué dans le territoire de Juda.(13)

IV.

L'histoire de Persée et d'Andromède, dont les affinités avec l'histoire légendaire de saint Georges ont été depuis longtemps remarquées, est localisée expressément par beaucoup d'auteurs classiques non loin de Lydda, sur la côte de Syrie, à Jaffa, c'est-à-dire toujours dans l'aire géographique déterminée plus haut.

Tout s'accorde à prêter à cet épisode, intercalé dans le cycle du Persée hellénique, une origine orientale. Les noms de plusieurs des personnages qui s'y montrent sont aisément explicables par les langues sémitiques: Cepheus, Belos, Jopé (cf. Kassiope, Kassiopa, Kassiopeia), etc.(14)

Des traits non douteux achèvent de donner à ce personnage une couleur franchement phénicienne. Persée est surtout le héros d'Argos; or Argos a pour père Agénor; et Agénor, père de Phoenix, Kilix et Cadmus, représente incontestablement, à l'état fabuleux, l'élément phénicien; le roi de Jaffa lui-même, le père d'Andromède, Kepheus, est parfois désigné comme fils d'Agénor, ce qui le met sur le même rang que les trois frères. La généalogie de Persée, qui le fait remonter jusqu'à Io, lui prête entre autres ancêtres Belos et Aigyptos, le rattachant ainsi à la fois à la Phénice et à l'Égypte.

Mais il y a plus. Je puis démontrer que Persée correspond d'une façon directe à un dieu phénicien Reseph (= flamme) dont les inscriptions du Chypre nous ont révélé l'existence: c'est l'analogie des noms Reseph = Perseus qui a probablement déterminé l'attraction; la simple interversion qui différencie les deux mots trouve sa contre-partie dans la légende grecque qui fait de l'île de Seripho un des principaux lieux de l'histoire et du culte de Persée.

Je ne veux pas dire que le mythe de Persée ne soit pas hellénique dans son ensemble, mais je désire établir, par des arguments décisifs, qu'il a au moins subi, comme on le pressentait déjà, une addition phénicienne.

Je n'ai pas besoin, pour cela, de revendiquer comme phénicien le nom même de Persée; un simple rapprochement entre Reseph et Perseus est suffisant. Ce rapprochement n'a rien d'invraisemblable, et il serait aisé d'en montrer d'analogue. Je me contenterai d'invoquer un seul exemple, qui a l'avantage de nous ramener en même temps au coeur de la question.

La déesse phénicienne Anat (tne), l'Anaïtis assyro-chaldéenne, d'ordinaire identifiée avec Artémis,(15) l'est aussi avec Minerve, par exemple dans une inscription bilingue de Chypre. Pourquoi? Parce que l'on avait cédé au désir de rapprocher les deux mots Anat, ou Anata, et Athana (= 70Aqhna=, 70Aqh/nh ); nous voilà en face d'une transposition absolument semblable à celle qui a permis de passer de Reseph à Perseus.

La parèdre féminine de Reseph(16) est précisément cette déesse Anat,(17) comme le prouvent les monuments figurés égyptiens.

Cela posé, rappelons que les mythologues les plus autorisés ont démontré le caractère profondément apollonien de Persée: or Reseph paraît avoir eu pour équivalent général Apollon.

L'assimilation de sa parèdre Anat à Artémis pouvait déjà le faire pressentir; mais on a plus que de simples inductions à ce sujet: des inscriptions grecques de Chypre mentionnent Apollon-Amyklaios, et l'on a comparé ce dieu au Reseph Mikel ou Mékîl d'inscriptions phéniciennes originaires du même endroit.(18)

Ce qui n'était qu'une présomption devient un fait certain par l'observation suivante: le nom moderne de la ville d'Arsouf, située au nord et tout près de Jaffa, est formé régulièrement avec le nom du dieu Reseph;(19) c'est la ville de Reseph; or les Grecs l'avaient appelée Apollonia, exactement comme, en Égypte, Edfou, centre principal du culte d'Horus, avait été nommée par eux Apollonopolis, parce que Horus correspondait dans leur Panthéon à Apollon.

Reseph est donc Apollon au même titre qu'Horus.

Ce terme de comparaison hellénique nous permet du même coup de conclure que Reseph et Horus, équivalent respectivement à Apollon, sont, dans une certaine mesure, équivalents entre eux; or nous avons vu que Persée, d'un côté, était une forme secondaire, spéciale d'Apollon; de l'autre, se rattachait en partie, phonétiquement et mythologiquement, à Reseph: nous voilà amenés à rapprocher directement Persée d'Horus, et il faut confesser qu'à un autre point de vue ces deux personnages, comparés immédiatement l'un à l'autre, dans leur rôle de vainqueur du crocodile ou du dragon, offrent d'incontestables analogies.

C'est ici le lieu de rappeler qu'Hérodote parle longuement d'un culte de Persée en Égypte, fait confirmé par d'autres auteurs. J'omets à dessein, pour abréger, une foule de détails qu'il y aurait lieu d'examiner à ce propos. Je me bornerai à signaler, par exemple, que le nom de Diktys, qui joue un rôle important dans la légende de Persée et de Danaé, se retrouve en Égypte, cité par Plutarque, comme celui d'un nourrisson d'Isis qui se noya en voulant cueillir des oignons.

Quelle divinité avait au juste en vue Hérodote en reconnaissant en Égypte Persée, comme il l'avait déjà reconnu ou cru reconnaître en Assyrie? Était-ce Horus lui-même dans certains de ces rôles? Était-ce Reseph qui apparaît, en effet, sur des monuments avec sa compagne Anat? Le fils d'Isis et de Zeus, nommé par Plutarque Arsaphès(20) et désigné par lui comme Dionysos, a-t-il quelque chose à voir ici? Je ne saurais, en ce moment, aborder ces questions; il nous suffit de constater que Persée est positivement rattaché à l'Égypte, auquel la fable elle-même le liait déjà par son ancêtre Aegyptos.

V.

Reseph, ou Recheph (Rechpou), sur les monuments égyptiens, est armé de la lance, du carquois et de la hache; sa parèdre Anat(21) est armée de même,(22) et, sur les monuments asiatiques, la hache qu'elle porte prend exactement la forme de la harpé, épée à lame courbe ou faucille: Reseph réunit donc la lance d'Horus, le carquois d'Apollon, et la harpé(23) de Persée.

Persée, de son côté, tend à se rapprocher d'Horus assimilé à l'épervier;(24) de très-anciens monuments grecs le représentent ailé, et les épithètes caractéristiques qui lui sont fréquemment appliquées, w)kupe/thj,(25) eu1pteroj, ptero&eij, ai0qe/rioj,pth/noj, w)kupe/diloj, etc., indiquent suffisamment une conception plus ou moins ornithologique.(26)

Autre parallélisme: Persée a pour auxiliaires, dans ses luttes, Mercure et Minerve: Horus a pour auxiliaires Thoth et Isis, expressément identifiés avec Hermès et Athéné.


Part 2 (VI-X)


Notes

(1) Note lue devant l'Académie des inscriptions et belles-lettres (séances des 8 et 15 septembre).

(2) Acquisition Delaporte.

(3) V. Planche XVIII.

(4) Peut-être faut-il y voir un souvenir de la chaîne à laquelle Typhon est souvent attaché dans cette scène, à laquelle ressemble tant celle du Christ enchainant la Mort et la perçant d'une lance dont la hampe est surmontée de la croix. Cependant la présence de volutes rudimentaires indiquerait plutôt un simple rinceau.

(4a) Aelian, X.xxiv: "Accipitres Tentyritae sanctissime colunt; contra eos Coptitae, ut crocodilorum hostes, odio adducti saepe in crucem agunt."

(4b) Pliny HN VIII xxxviii(92)

(5) La lance paraît être l'arme spéciale d'Horus, car sur un bas-relief de Karnak on le voit apprendre à Touthmès III à se servir de la lance, tandis que Set lui enseigne à tirer de l'arc.

(6) Diaspa/w a les sens de distrahere, divellere, dirimere; le traducteur latin le rend, dans l'édition Didot, par rumpere (hostem); il se pourrait que ce fût un terme technique militaire, et l'on serait tenté par moment de lui attribuer la signification de couper, isoler. V. le Thesaurus pour des exemples. Quant à katanali/skw avec l'acception de conficere, interimere, il n'y a pas de doute.

(7) L'existence du saint Georges légendaire des actes apocryphes a été, comme on le sait, rejetée, et avec raison, par l'Église catholique; elle appartient donc, sans conteste, à la critique historique.

(8) C'est là que saint Georges, sous le nom de Khidhr, s'est identifié entièrement, dans des croyances communes aux musulmans orthodoxes ou hérétiques et aux Arabes chrétiens, avec deux autres personnages mythologiques fort remarquables: 1o Elias (le prophète Élie) l'immortel, confondu formellement lui-même avec 73Hlioj d'une part et Aly de l'autres; 2oPhinehas (le petit-fils d'Aaron) qui perça de sa lance Zimri le Siméonite et la Madianite Kozbi, et qui apparait déjà dans les légendes talmudiques comme un équivalent d'Élie, auteur de douze miracles, héroïque immortel, destiné à être l'un des Anges de l'Arche, et à jouer un rôle à la fin du monde. Avant même d'établir les rapports étroits qui existent entre saint Michel et saint Georges, je ferai remarquer dès maintenant que les gnostiques semblent avoir visé dans leur Michael Ophiomorphe une des significations possibles du nom de Phinehas équivalent de saint Georges: Phinehas peut en effet être interprété par « Face-de-Serpent » (avec samech-chîn). Nous verrons plus loin qu'il y a dans Elias -73Hlioj-79Aly un écho du dieu phénicien El, et que Khidhr lui-même a été l'objet d'autres identifications populaires.

(9) Il faut dès à présent noter que dans la mythologie égyptienne Set est souvent assimilé au porc et confondu sous cette forme avec l'hippopotame, que combat si fréquemment Horus. Les Arabes appellent le sanglier le porc sauvage (el-khanzîr el-berry).

(10) Jésus s'abattra sur la terre; l'emploi du mot habat, qui s'applique aux oiseaux et aux anges ailés, n'est pas à négliger. Le turban vert est assurément le nimbe qui enveloppait la tête du cavalier; on sait que dans l'iconographie occidentale le nimbe en est arrivé à être traité comme une simple coiffure, une véritable casquette (le mot est de Didron). On a des exemples d'anciens nimbes ou auréoles de couleur verte; le vert tient d'ailleurs une place importante dans le rituel catholique.
Pour ce qui est du Jésus cavalier, on en a des représentations (par exemple, le Christ équestre de la fresque d'Auxerre avec nimbe rosâtre croisé de vert). La confusion commise par les musulmans n'est donc point sans excuse. Pourquoi ont-ils attribué à Jésus le rôle de saint Georges, qu'ils connaissent cependant bien non-seulement comme Khidhr, mais même sous sa forme grecque de Djerdjes et Djiriès (Mar)? J'essayerai de l'expliquer plus loin. On vénère encore, dans un lieu désert des environs de Lydda, l'empreinte du sabot de la jument du prophète (Hadouèt faras en-nabi).

(11) Dadjdjâl-Dadjâl-Dagâl-Dadân-(Dadjoûn)-Dagon. Tous ces changements se justifient rigoureusement; la réduplication du djim s'explique par le désir de donner au mot ainsi transformé le sens tout à fait de mise de trompeur, en le rapprochant de la racine Dadjal. Cf. Masîh et Masîk, et autres altérations intentionnelles.
Le Dadjdjâl est dit fils de Saïd ou de Sayyâd, dont le nom rappelle singulièrement celui du dieu phénicien Sed ou Sid (par le Sadi); or non loin de Dâdjoûn existe encore le village de Saïdoun (cf. Sidon); de plus Saïdâné désigne une espèce de démon femelle. D'autres traditions assignent au Dadjdjâl, comme monture, l'âne, c'est-à-dire l'animal typhonien par excellence. Une pierre gnostique représente un dieu à tête d'âne avec l'inscription CHQ. Il ne faut pas oublier à ce propos que Balaam, envisagé comme le prototype des hérésiarques, a joué un certain rôle dans la formation des légendes relatives à l'Antechrist juif, d'Armilaos, où l'on a ingénieusement démêlé une sorte de traduction du nom de Balaam. Voir pour la position de Dâdjoûn, Beit Dadjan, Yabné, etc., le diagramme géographique.

(12) Ce qui arrive fréquemment en Syrie, dans le pays de plaines; je n'en veux pour exemple que le village de Sarfend situé à moins d'une heure de Lydda: au S.-O. et non loin de ce village est l'emplacement de Sarfend el-Kharâb, l'ancienne Sarfend désertée par ses habitants. Notons qu'on vénère à Sarfend le tombeau de Loqman; Loqmân est, dans la légende juive du moyen âge, comme l'a montré M. Derenbourg, le représentant arabe de Balaam; d'autre part nous avons vu plus haut que la personnalité de Balaam se mêlait intimement au mythe de l'Antechrist juif localisé à Lydda.

(13) [Joshua 19:27]

(14) Pk (apyk), lek, wpy, wpy-Uq (ou Uyq ?). Pour Kepheus = Képha, rocher, pierre, il est singulier de voir que le nom du roi de Jaffa est identique à celui que portait en araméen saint Pierre (Khfa=j), dont le souvenir est intimement lié par la tradition à celui de Joppé (il est fils de Jonas; il habitait chez Simon le corroyeur, Burseu&j. Il y a probablement lieu de tenir compte dans une certaine mesure, pour expliquer la dislocation de la fable en Éthiopie, des rapports superficiels existant entre Kassiopa, Iopé, Æthiopia, etc. Il faut également noter que Kassiepeia, la femme de Kepheus, apparaît ailleurs comme fille d'Arabus et femme de Phoenix, et surtout que Suidas explique ce nom par Kallonh/, beauté, ce qui est précisément le sens du nom hébreu de Jaffa: Yapho! (Kassiope veut disputer aux Néréides le prix de la beauté). Kepheus avait pour frère un Phineus auquel était promise Andromède; ce Phineus, fils de Bélos, figure dans d'autres rôles comme fils de Lycaon, d'Agénor, et quelquefois même de Phoenix et de Kassiepeia, ou encore de Poseidon, etc. Ces alliances le rattachent au monde sémitique et plus particulièrement à notre légende; il a pu y avoir quelque attraction entre Finee&j et Finee/sshj. En outre, sans aller jusqu'à faire dériver, avec Scaliger, le nom des Phéniciens de Mxnyp, il faut remarquer que dans les combinaisons mythologiques des Grecs le nom de Phineus s'échange constamment avec celui de Phoenix. Ce nom semble s'être conservé longtemps dans la tradition locale de Jaffa, car Pomponius Mela dit: titulum ejus (Cephei), fratrisque Phinei veteres quædam aræ cum religione plurima retinent.
Une monnaie douteuse de Ptolémaïs (Saint-Jean-d'Acre), citée par M. De Saulcy, et une autre certaine (AKH), mal comprise par Mionnet, représentent Persée tenant à la main la tête de Méduse. Non loin de Jaffa et d'Arsouf était Krokodeilopolis.
M. S. R. Poole, du British Museum, m'a dit qu'il attribuait à Jaffa certaines monnaies des Ptolémées avec la harpé devant l'aigle (la harpé tiendrait la place de la massue des pièces d'Aradus et du trident de celles de Beyrouth).

(15) Et aussi avec Aphrodite.

(16) Deux inscriptions grecques de Curium, colonie argienne de Chypre, mentionnent une divinité, auparavant inconnue, nommé PERSEUTH.
Je serais par moment tenté de retrouver Anat dans 70Androme/dh, qu'on pourrait décomposer, par exemple, en Anat + romet, An't + romet (tmr tne) : Anat l'Élevée? Anat l'Archère? (Cf. Artémis et l'arc attribut d'Anat). Je me hâte d'ajouter que cette explication, purement conjecturale, n'est donnée qu'avec de grandes réserves et qu'elle peut être écartée sans que le fond de la question en souffre; elle n'implique en tout cas qu'une assimilation et non une identité entre les deux mots, dont le second (Andromède) peut conserver, concurremment, son interprétation hellénique. L'Artémis paralia de Chypre implique une Anat marine (Anadyoméné?).

(17) Il ne faut pas négliger un curieux embranchement de la légende céphénienne: Il y a un autre Kepheus qui faisait partie de l'expédition des Argonautes; il était fils de Neæra et de Aleus, roi de Tegée, père de 20 fils qui périrent presque tous avec lui dans un combat contre Hercule. Ce Kepheus avait une fille Stero&ph, à laquelle Hercule confia des boucles de cheveux de Méduse (cf. Persée et Andromède). Cette Stéropé pourrait fort bien être = Asteropès; dans ce cas, Asteropé devenant l'équivalent légendaire d'Andromède, Andromède serait une espèce d'Astoret ou d'Astarté; nous aurions donc dans le mythe une réduplication d'Anat et Astar (= Reseph et Melqart).

(18) Je ne me sers pas, à dessein, de l'inscription bilingue de Dali, où l'on a lu dans la partie chypriote to-a-po-lo-ni-to-a-mi-ko-lo-i répondant au Reseph Mikel de la partie phénicienne, parce que le déchiffrement des inscriptions chypriotes, quoique très-plausible, n'est pas encore universellement accepté.

(19) Dans Arsouf l'élif initial est prosthétique: la forme primitive est r'souf , Resoûf (R'soûf et arsoûf, comme par ex. himâr, âne, devient h'mâr et ah'mâr). Rien ne prouve qu'il ne faille lire le mot phénicien Psr, Resouph ou Resoph (ou Resîph) : ces formes sont fréquentes dans les noms sémitiques de divinités (p. ex., Kemoch); il se peut que le dieu primitif fût un Baal-Resouph analogue aux Baal-Zeboub, Baal-Peor, Baal-Hamon, Baal-Hazor, Baal-Zephon, etc. En tout cas, une dérivation de Arsouf procédant de Reseph n'aurait rien que de fort régulier.
La ville d'Arsouf, qui joua un rôle important à l'époque de la domination des Croisés sous les noms plus ou moins écorchés d'Arsur, Arsuth, Assur et Arsuf (les seigneurs d'Arsur, de la famille d'Ibelin, avaient droit de haute cour, c'est-à-dire « cour, coin ou monnoye, et justice »), appartenait, par sa position géographique, au territoire de la tribu d'Éphraïm; or l'on sait que les catalogues du livre de Josué ne nous fournissent pas les listes des villes de cette tribu. Toutefois, dans les généalogies d'Éphraïm recueillies par les Chroniques, beaucoup de personnages nous apparaissent avec un caractère éponyme non équivoque et semblent être des noms de villes: parmi ces descendants ethniques ou topiques je remarque justement un Reseph ou Recheph, Psr, en qui je propos formellement de voir le représentant de notre ville de Reseph-Arsouf.
Curieuse coincidence! le nom de la parèdre de Reseph se retrouve également dans le nom d'une ville de la tribu de Naphtali, Beth Anat.
À Arsouf existe encore aujourd'hui un sanctuaire musulman objet de la plus grande vénération;c'est plus qu'un sanctuaire ordinaire, c'est un temenos, un Haram, comme le Haram de la Mecque et celui de Jérusalem: on l'appelle le Haram de 'Ali fils de A'leym ou de A'leyl. Ce personnage, malgré les origines historiques que Moudjir-ed-dîn s'efforce de lui attribuer (il le fait descendre d'Omar), a des allures tout à fait fabuleuses; il est tellement populaire, dit le chroniqueur arabe de la Palestine, que sa renommée est comme la lumière du jour; chaque année son sanctuaire est le théâtre d'une grande fête périodique à la saison d'été et une foule considérable de visiteurs y afflue de toutes parts; les Francs eux-mêmes le tiennent en haute estime, etc. Nous avons déjà vu qu'Aly a été confondu par les musulmans avec Elie, Elias, 73Hlioj. J'essayerai de prouver qu'il faut voir dans ce Aly et ce A'leym, un reflet très-sensible des divinités phéniciennes El et Elioun (l'incertitude de la finale dans A'leim ou A'leyl, incertitude noté par Moudjir-ed-dîn lui-même, n'est pas sans importance pour l'équation A'leim = Elioun ). Pour les rapports de El et de Reseph-Persée, voir plus bas.
Voilà donc Arsouf qui prend tout à coup une importance inattendue; il y aurait lieu d'y procéder à une enquête qui pourrait avoir d'intéressants résultats; il faudrait à la fois interroger la tradition locale et entreprendre des excavations. On peut dès aujourd'hui prévoir qu'on trouvera là des inscriptions dédiées à Apollon et à Reseph.

(20) Je n'ignore pas qu'Arsaphès a été rapproché avec beaucoup de vraisemblance d'une forme particulière d'Horus, Harshefi; il est frappant, en tout cas, de voir Harshefi mis en parallélisme absolu avec Anata, dans le papyrus magique de Harris traduit par M. Chabas: « Que son glaive tue comme Harsefi, qu'il massacre comme Anata. »

(21) Il résulte des travaux de M. de Rougé (cités par M. de Vogüé) qu'Anat se présente sur les monuments égyptiens sous deux autres formes, Qadech et Ken, et que Qadech a d'étroites relations avec Astarté; un bas-relief du temple d'Edfou montre cette déesse phénicienne montée dans un char traîné par quatre chevaux passant sur le corps d'un homme renversé; voilà qui rappelle de près le rôle de notre Horus à cheval terrassant son ennemi, et l'analogie devient considérable si l'on se rappelle qu'Anat est la parèdre du dieu Reseph, c'est-à-dire qu'elle peut se substituer à lui dans plusieurs de ses fonctions.

(22) L'identité d'Anat et d'Anaïtis implique forcément l'existence d'un représentant de Reseph-Persée dans le Panthéon assyrien et babylonien; je ne puis ici toucher à ce point, cela m'entraînerait beaucoup trop loin. Quant à l'introduction de la Perse dans le mythe de Persée, elle a été singulièrement facilitée par son nom; on a encore insisté sur cette assonance en donnant au héros argien un fils Persès dont on fait dériver les Perses; le nom d'Andromède n'a pu que favoriser cette explication mythologique. La légende de Persée a pénétré d'ailleurs au coeur même de l'Asie, dans les récits merveilleux des historiens musulmans relatifs à la fameuse Alanko et aux origines de la race turque. Notons dès à présent que Khidhr, l'équivalent syrien de Persée, est dit d'origine persane; Diospolis-Lydda est parfois indiquée dans la légende comme une ville de Perse; la langue parlée par l'Antechrist ou Dadjdjâl sera le persan; il doit lui-même venir de l'Orient, d'Ispahan, et avoir pour partisans les Juifs et les Turcs, etc. Nous aurons à relever, chemin faisant, d'autres particularités qui tendent à faire dans une partie de ce mythe hétérogène, une place à l'influence perse. Cf. le dieu hiérococéphale perse de Sanchoniathon.

(23) On peut se demander, avec Bochart, si cette arme, dont l'origine orientale est admise par tous les archéologues, n'a pas quelque chose de commun avec l'hébreu hereb, épée, couteau, etc., et l'arabe harbé, lance, pique, etc. (le Jésus cavalier dans son combat contre le Dadjdjâl est armé de la harbé); il ne s'agit pas, ici non plus, d'une identification absolute, mais d'une assimilation des deux mots.
Le représentant assyrien de Horus-Persée, le dieu Bel (cf. plus bas la triade [I]los-BELOS-Reseph de Sanchoniathon), attaque le dragon, la Tiamat, le monstre marin, avec l'épée à lame courbe, la Saparu; l'interversion du mot Saparu en Rasapu, a pu rendre encore plus facile le rapprochement avec Reseph.

(24) Dans les épistolographes grecs on voit souvent les amoureux envier les ailes de Persée pour se transporter auprès de l'objet de leurs désirs. Cf. certain personnage d'Aristophane qui demande, dans un cas analogue, les ailes rapides et légères de l'épervier.

(25) Cette épithète est donnée à l'épervier par Hésiode: w)kupe/thj i3rhc. Apollon lui-même (le prototype de Persée), a des affinités marquées avec l'épervier; on se rappelle qu'Homère nous montre Apollon descendant de l'Ida comme un épervier: Bh= de\ kat 0 70Idai/wn o0re/wn, i3rhki e0oikw_j w)ke/i fassofo/nw|, w3j t 0 w!kistoj petehnw=n. Il y a là plus, il semble, qu'une simple image poétique, car l'épervier passait quelque fois pour consacré à Apollon: dh=lon de\, o3ti & 70Apo/llwnoj i9ero/j o9 rhqei\j i9e/rac (avec jeu de mots probable sur i9ero/j et i9e/rac). Homère appelle ailleurs un oiseau congénère, le faucon (ki/rkoj), le messager d'Apollon(cf. son expression i3rhc ki/rkoj). Eustathe dit expressément que l'épervier est l'oiseau d'Hélios-Apollon; c'est le cas de se rappeler (à propos de Reseph signifiant flamme), que les Tentyrites comparaient l'épervier au feu. La fable grecque qui nous montre les dieux se changeant en animaux pour échapper à Typhon ne manque pas de transformer Apollon en épervier, quoique Ovide dise Delius in corvo. Cf. la Minerve glaucocéphale (?).
Dans la Bible, nous recontrons un certain oiseau appelé peres (par le samech, transmutable du reste en chîn) où les commentateurs voient une espèce d'aigle, l'orfraie ou aigle de mer (?). Mais voici qui est plus singulier: cet oiseau, quel qu'il soit, est un être réel, puisqu'il figure au nombre des animaux impurs qu'il est interdit de manger; or, les Septante et la Vulgate rendent son nom par gru/y et gryphus! Comment le griphon fabuleux, l'oiseau caractéristique d'Apollon, s'est-il introduit là? Les traducteurs ont-ils cédé à l'espèce de mirage que présente le nom de Peres? N'oublions pas que sur des monuments figurés nous rencontrons une sorte de griphons à tête d'épervier.
Il y aurait à faire, à ce point de vue, une recherche approfondie sur l'origine de l'aigle de Jupiter; j'ai recueilli diverses particularités semblant indiquer que ce rapace avait été primitivement conçu comme un épervier; je n'ai pas le temps de les noter ici (par ex., l'aetos de l'architecture grecque qui correspond à la place occupée par l'épervier solaire au-dessus des monuments égyptiens). Le seul bruit des ailes de l'aigle met le dragon en fuite, selon Élien; dans l'Apocalypse, c'est grâce aux ailes d'aigle que la femme s'enfuit dans le désert pour échapper au dragon, etc. On pourrait dire que l'aigle est à l'épervier, dans la symbolique, comme Zeus est à Apollon dans la mythologie.

(26) Je réclame à ce propos — sans y attacher cependant une importance exagérée — le bénéfice de l'interprétation (d'ailleurs contestée) de l'expression de Job: ynb Psr, par aves rapaces ut aquilæ.


This page is part 1 (my division) of Ch. Clermont-Ganneau (1877) Horus et Saint Georges, Paris: Librairie Académique Didier et Cie. The article appeared originally in Revue Archéologique.

It is part of the notes on St. George for Chapter XVII of Book V of Browne's Vulgar Errors.

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