M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XIII (pp. 226-225)

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CHAPITRE XIII.

Si par-tout où il y a des hommes, il y a aussi des superstitions ? quels avantages procurent-elles ? de quel bien peuvent-elles être ?

D'UNE très-grande utilité, je conviens qu'à considérer seulement les maux que la superstition a causés, elle et très pernicieuse ; mais si je fais attention aux ressources qu'elle offre pour réunir les hommes divisés, irrités, & prêts à s'entre-détruire, aux moyens qu'elle présente de rétablir l'ordre & les loix, où regnoient l'anarchie & la confusion, aux projets qu'elle dicte ou fonder ou étendre de nouveaux gouvernemens : si je réfléchis aux voye qu'elle prépare à sa propre destruction, quand le culte qu'elle a institué, est dégénéré en pratiques totalement absurdes ; quand ses ténèbres épaissies ont aveuglé tous les yeux, & abruti tous les esprits. Alors je vois, alors je suis forcé de convenir que les superstitions sont tout au moins aussi utiles qu'elles ont d'abord été pernicieuses. C'est ainsi que dans les mains d'un habile Chymiste les poisons se changent en remèdes actifs. Heureuse la Nation, qui, lorsque son ignorance, ses préjugés, ses superstitions sont parvenues à leur plus haut dégré d'aveuglement & de stupidité, produit un imposteur, un ambitieux, un homme de génie qui par de nouvelles erreurs, moins grossières & moins avilissantes, tire ses compatriotes de l'abime où ils étoient tombés ; quand même par la séduction de l'imposture & de l'enthousiasme, il les conduiroit dans un précipice nouveau, mais moins profond & moins affreux que celui dans lequel ils ont été ensevelis. Tels étoient les Arabes, quand Mahomet forma l'audacieux projet de fonder un puissant empire sur les débris des superstitions publiques, d'opposer l'erreur à l'erreur, de placer & l'autel & le trône sur les ruines des anciens préjugés, & de donner à ses concitoyens une législation nouvelle, de les assujettir au joug du despotisme. La législation qu'il leur donna, la doctrine & la religion qu'il rétablit, sont à la vérité fort superstitieuses ; mais cette doctrine & ces loix, sont aussi plus élevées, plus nobles, moins absurdes que le culte bisarre & le gouvernement insensé des tribus qu'il se proposa d'asservir. Mahomet réussit au-delà de ses espérances : le génie de sa nation, l'éclat de la vérité, les charmes de l'erreur, tout le servit, tout le favorisa, tout concourut à l'exécution de ses hardis projets. Il n'eut été qu'un enthousiaste ridicule, ou un factieux redoutable partout ailleurs qu'en Arabie : le hazard le plaça dans une époque heureuse, & la seule qui put seconder ses vûes ; car s'il fut né plutôt, son hypocrisie & son ambition eussent échoué contre le fanatisme des superstitions, qu'il lui fut plus aisé d'éteindre, quand le feu de leur première fermentation fut passé ; & s'il fut né plus tard, les Arabes plus éclairés n'eussent jamais voulu se prêter à ses visions. Il suffit en effet de sçavoir dans quel siècle Mahomet naquit, & quel étoit à sa naissance le peuple qu'il subjugua, pour se convaincre de la justesse des moyens qu'il prit, les plus sures qu'il put mettre en usage pour établir sa domination. J'avoue que plus sage, plus modéré, plus vertueux, il eut pu, ingénieux & éloquent comme il l'étoit, éclairer l'Arabie du flambeau du catholicisme ; mais il est vrai aussi que Mahomet vouloit regner ; & le catholicisme ne l'eut pas élevé sur le trône. Dailleurs, les Arabes abrutis par la grossièreté de leurs vieilles superstitions, eussent-ils eu la force de soutenir l'éclat de l'auguste vérité ? C'est ce qui reste à décider d'après une esquisse légère, mais exacte, des préjugés reçus & respectés alors chez les Arabes, & un recit abrégé des premiers succès de Mahomet, inconnu presque à tous ceux qui ont écrit sa vie ; les uns trop prévenus en sa faveur, & les autres trop animés contre ses impostures.



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