M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XVII (pp. 271-277)

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CHAPITRE XVII.

De l'enfance de Mahomet.

BIEN des Philosophes prétendent que tous les hommes naissent avec le même caractère, les mêmes dispositions, en un mot, la même inclination au bien & au mal ; & que ce n'est que l'éducation qui les rend vertueux ou méchans, doux ou cruels, impies ou réligieux. Une foule d'exemples semblent prouver le peu de certitude de cette opinion ; car on ne voit que trop souvent la même éducation inspirer à un enfant le goût de la vertu, & développer dans le cœur de l'autre l'amour & le germe des vices. Mais quelle éducation n'eut point échoué contre l'irrésistible penchant de Mahomet à l'imposture & à l'ambition ? Ce penchant étoit en lui si fort, si naturel, que sa langue n'étoit pas encore déliée, qu'il faisoit des efforts pour exprimer les idées de fraude dont son ame étoit occupée ; ses premiers sons furent des expressions de fourberie & de mensonge. Soit que son imagination fut frappée des contes effrayans qu'il avoit entendu raconter aux Arabes qui l'entouroient ; soit que dès-lors il voulut essayer ce que peut l'imposture sur des esprits crédules, il en imposa un jour à Halima & à son époux, qui s'étant éloignés pendant quelques heures, le trouvèrent étendu par terre, le corps couvert de sueur, la bouche écumante, les yeux égarés, ses vêtemens déchirés, dans un désordre extrême. Etonnés de le voir dans cet état, ils l'intérogèrent, & il leur répondit que deux hommes grands & robustes étoient venus à lui, qu'ils l'avoient obligé de lutter contr'eux ; que malgré la foiblesse de son âge, il avoit longtems combattu, mais qu'enfin ils l'avoient terrassé, & lui avoient ouvert le ventre. Ce discours plus étonnant dans la bouche de cet enfant, que la violence de l'état où il paroissoit avoit été, fit croire à Halima que Mahomet avoit eu quelque vision extraordinaire, & déjà elle ajoûtoit foi à cette folle rélation, quand son époux moins crédule, & l'examinant de plus près, dit à sa femme qu'il falloit au plutot porter cet enfant à sa mere ; parcequ'à cette écume, à la sueur dont il étoit couvert, & aux convulsions qui l'avoient agité, il ne doutoit pas que ce ne fut là une attaque d'épilepsie. La suite prouva la justesse de cette observation.

Halima se hâta de rendre Mahomet à sa mere, qui mourut trois ans après, & le laissa occupé de grandes vües, quoiqu'âgé à peine de six ans, & dans la plus dure indigence. Motalleb, son grandpere, le prit dans sa maison, & l'aima plus tendrement que ses propres enfans. Deux ans après, la mort enleva Motalleb, qui avant d'expirer, chargea Abu-Taleb, l'aîné de ses enfans & frere utérin d'Abd'allah, de prendre soin de Mahomet. Abu-Taleb eut pour son jeune pupille des sentimens vraiment paternels ; il l'aima autant qu'un pere tendre peut aimer son fils unique ; & il prit lui-même le soin de l'élever dans le commerce ; car les Arabes ne connoissoient alors d'autre profession que le commerce d'échange ; & comme il étoit la seule source de leurs richesses, ils étoient tous commerçans, principalement les Chefs des tribus & les plus distingués de la nation.

Quand Mahomet fut parvenu à l'âge de douze ans, Abu-Taleb, afin de le perfectionner dans l'état qu'il désiroit de lui faire embrasser, le mena voyager avec lui dans la Syrie. Arrivés à Bostra, ils allèrent visiter un monastère, & furent accueillis par un Moine Nestorien, qui passoit pour être le sçavant du canton, & qui, à la vérité, étoit l'honneur & le flambeau de ce couvent, habité par une troupe d'hommes grossiers, & presque sauvages. Ce Moine, plus fanatique que pieux, ignorant plein d'imagination, s'est rendu dans la suite fort célèbre sous le nom de Sergius; il a eu aussi beaucoup de part à la composition de l'Alcoran. L'extrême vivacité de Mahomet, son air fourbe & orgueilleusement modeste, frappèrent Sergius, qui dès lors s'intéressa pour lui, & reçut les deux Voyageurs avec distinction. Comme c'est Mahomet qui a rendu compte de ce qui se passa dans cette première visite, on peut, je crois, se dispenser d'ajouter foi au recit qu'il en fait ; car il dit que Sergius, en le voyant, aperçut une nuée lumineuse & transparente au-dessus de sa tête : que s'étant approchés l'un de l'autre, & Mahomet s'étant assis, les arbres sous lesquels il s'étoit reposé, s'étoient au même instant revêtus de feuilles ; qu'enfin surpris de ces prodiges, Sergius l'avoit prié de se laisser examiner, & que l'ayant considéré, il avoit vû entre ses deux épaules le signe de la prophétie ; qu'alors le Moine pénétré de respect, s'adressant à Abu-Taleb, retournés-vous en, lui dit-il, amenez cet enfant ; prenez garde surtout qu'il ne tombe entre les mains des Juifs, & songés qu'il deviendra un jour un homme extraordinaire, qu'il s'élévera même au-dessus de l'humanité. Sergius n'a jamais démenti cette fable ; il n'avoit garde ; il étoit attaché à Mahomet par des liens trop forts, pour qu'il osât le démasquer.



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