M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XVIII (pp. 277-283)

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CHAPITRE XVIII.

Des premières actions de Mahomet.

FLATTÉ de l'amitié du Moine Sergius, & tout enorgueilli des grandes choses qui lui avoient été prédites dans le couvent de Bostra, Mahomet de retour à la Mecque, jugea, quoique bien jeune encore, qu'il étoit tems d'en imposer à ses grossiers concitoyens. Riche des dons de la nature, il se distingua bientôt de tous ceux de son âge, & par les qualités les plus rares de l'esprit, & par sa force & son adresse dans tous les exercices du corps. Il n'étoit pas seulement le plus fort & le plus infatigable de tous les jeunes gens de sa tribu, mais il avoit encore au dessus d'eux & de tous ceux de sa nation, des vertus inconnues depuis longtems en Arabie. Judicieux dans ses propos, énergique dans ses expressions, fidelle à ses amis, & plus encore à ses promesses, plein de candeur dans ses actions, il évitoit avec un soin extrême tout ce qui eut pû faire soupçonner en lui quelque goût pour le vice, quelque penchant à la licence. Etonnés d'une conduite aussi sage, aussi soutenue, les Koreishites, quoique méchans & corrompus, respectèrent Mahomet. Ils ne se doutoient pas de l'étendue des projets, de l'excessive ambition, de la profonde hypocrisie que le pupille de Caleb renfermoit dans son cœur ; ils ne se doutoient pas qu'en lui tout étoit faux, perfide, dangereux.

C'étoit ainsi qu'enveloppé du voile de la sagesse, & sous prétexte de s'instruire, il préparoit les esprits à recevoir ses impostures, à adopter la législation qu'il se proposoit de donner, & à embrasser la nouvelle doctrine & la religion qu'il vouloit établir sur les ruines de l'idolâtrie, sur les débris de tous les cultes reçus en Arabie, & s'il le pouvoit même, sur le renversement de la religion naturelle, qui cependant devoit être la base de sa morale & de ses dogmes.

Il ne suffisoit pas à Mahomet de passer pour le plus sage & le plus religieux de ses concitoyens ; il étoit nécessaire de leur donner aussi une haute idée de sa valeur dans les combats, & de sa profonde habileté dans l'art de gouverner ; car il étoit important d'intimider par avance les ennemis que la hardiesse de ses projets pourroit lui susciter, & de décourager les rivaux qui voudroient lui disputer un jour les rênes de l'état. Courageux, parcequ'il falloit l'être pour remplir ses projets, Mahomet profita de la première occasion que la fortune lui offrit de donner des preuves éclatantes de son intrépidité. Les Koréishites avoient déclaré la guerre aux Tribus de Kénan & de Hawazan, & ils marchèrent contr'elles commandés par Abu Taleb. L'armée des deux Tribus réunies, étoit infiniment supérieure à celle de Koreishites, soit par le nombre, la force & la bravoure des soldats qui la composoient, soit par l'exacte discipline qui regnoit dans leur camp. Mahomet seul balança tous ces avantages, inspira par sa confiance de la valeur à ses compatriotes, qui honteux de voir le plus jeune d'entr'eux, (il n'avoit alors que 20 ans) s'exposer aux dangers, & leur donner l'exemple, fondirent sur les ennemis, & précédés de Mahomet, battirent les deux Tribus, les dispersèrent, & en firent un horrible carnage.

Les lauriers que le neveu d'Abu-Taleb cueillit dans cette guerre, l'éclat de ses exploits, sa modestie, & son humanité dans le sein même de la victoire, le firent regarder comme le plus grand des Héros qui eussent jusqu-alors illustré l'Arabie : une nouvelle circonstance acheva de lui concilier l'estime & l'admiration de ses concitoyens. Les Koreishites avoient fait démolir la Caaba, maison quarée du Temple de la Mecque, dans le dessein de l'aggrandir & de lever. Quand le nouveau batiment se trouva à la hauteur prescrite pour placer la pierre noire, idole principale du temple, les habitans de la Mecque divisés en plusieurs Tribus, ne furent pas d'accord sur le choix de celui qui auroit le bonheur de placer cette pierre. Après beaucoup de discussions, on consentit à s'en rapporter à celui qui le lendemain paroitroit le premier à la porte du temple. Mahomet fut instruit de cette délibération, & il n'eut garde de manquer de se présenter le premier. Les tribus s'assemblèrent, & chacun attendoit en silence la décision de Mahomet : mais il étoit bien éloigné de céder à quelqu'autre un choix qu'il étoit maitre de faire tomber sur lui-même : il fit coucher la pierre noire sur un riche tapis, qu'il fit élever ensuite par deux Arabes de chaque Tribu, & la prenant alors, il la plaça lui-même, au bruit des applaudissemens de tous les habitans de la Mecque, trop enchantés de la noblesse de cette action, pour démêler l'orgueil qui en avoit été le motif.

La vie de Mahomet, depuis cette époque jusqu'à ce qu'il eut atteint l'âge de vingt-cinq ans, fut obscure, ou dumoins ses actions ont été inconnues même aux Docteurs Musulmans, qui sont très-embarrassés de remplir ce vuide de cinq ans. Il est toutefois bien aisé de comprendre par ce qu'il a fait dans la suite, qu'il employa tout cet espace de tems à préparer l'édifice de sa fausse doctrine, & à chercher les moyens les plus propres à la faire adopter.



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