M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XIX (pp. 283-290)

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CHAPITRE XIX.

Du mariage de Mahomet.

ABU-TALEB enorgueilli de la gloire de son neveu, mais cependant trop peu favorisé de la fortune pour lui donner un rang distingué, lui fournit les moyens de s'enrichir par l'industrie. Il y a avoit à la Mecque une Veuve très-riche, qui seule & sans enfans, ne pouvoit que difficilement veiller à son commerce, & mettre fin aux grandes entreprises que son mari voit formées quelque tems avant sa mort. Khadija, (c'étoit le nom de cette veuve), quoiqu'elle eut près de 40 ans, étoit très-belle encore, & le soin de conserver sa fraîcheur & ses graces, ne laissoit pas de lui rendre très-gênantes les opérations assidues & multipliées de son commerce. Abu-Taleb lui parla de l'intelligence & de l'activité de son neveu. Mahomet étoit beau, il n'avoit que 25 ans, ses traits & sa jeunesse n'avoient pas échappé au discernement de Khadija ; elle convint sans peine que le fils de la belle Amenah devoit être un homme intelligent, fort actif, & très capable de conduire les affaires de commerce les plus considérables. Elle commença par permettre, & finit par prier Abu-Taleb de lui amener son neveu le plutôt qu'il lui seroit possible : Abu-Taleb ne tarda point ; il présenta Mahomet à la veuve, qui le retint chez elle en qualité de son facteur. Bayle toujours trompé par ses mémoires, prétend que Mahomet fut le conducteur des chameaux de Khadija : ce fait est aussi faux qu'il est peu vraisemblable : car comment supposer que Mahomet, déjà considéré à la Mecque, estimé par ses mœurs, admiré par son courage, l'un des principaux Koréishites par sa naissance, neveu d'un Général puissant, sorti d'une famille illustre, comment, dis-je, supposer qu'un tel homme à l'âge de 25 ans, eut accepté l'emploi, très-vil chez les Arabes, de conducteur de chameaux ? On sçait d'ailleurs que l'orgueil a été la passion dominante de Mahomet : or, le moyen de concilier la fierté de l'ambition avec l'humiliation de la servitude ? Déjà depuis quelques années Mahomet songeoit à s'élever audessus de ses compatriotes, & le métier de conducteur de chameaux l'eut nécessairement contraint d'abbandoner ses projets, de renoncer à ses espérances.

J'ai dit en parlant des usages & des coutumes des Arabes, que chez eux le commerce consistant tout en échange, il leur suffisoit de connoître la valeur réciproque des marchandises ; mais qu'il leur étoit tout-à-fait inutile d'être instruits dans les opérations de calcul, & de sçavoir écrire. Aussi quoique très-ignorant en écriture & en arithmétique, Mahomet étoit-il habile commerçant. Il rendit par son activité & son intelligence des services si importans à la veuve Khadija qu'elle l'épousa, à son retour d'un voyage en Syrie, où elle l'avoit envoyé.

Ce mariage d'une veuve de 40 ans, très riche, avec un jeune homme fort beau à la vérité, mais très-pauvre, eut été le sujet des entretiens de la Mecque, si Khadija n'eut eu de très-bonnes raisons pour s'unir avec Mahomet, qui étoit la sagesse-même, & qui lui avoit dit que pendant ses courses dans la Syrie, deux anges l'avoient couvert de leurs ailes, pour le garantir de l'ardeur du soleil. Les Arabes eussent été bien méchans, bien impies d'oser, après cela, supposer quelque passion trop vive dans le cœur d'une femme, qui n'étant plus dans sa jeunesse, donnoit sa main à un jeune homme, visiblement protégé du ciel & des anges, comme il le disoit lui-même. Les Arabes gardèrent le silence, respectèrent cette union, & crurent fort docilement aux anges conservateurs du saint époux de Khadija.

Dans ce second voyage en Syrie, Mahomet avoit rendu visite à son ami, le Moine Sergius, qui l'avoit instruit des principes & des mystères de la religion chrétienne, & qui, suivant tous les auteurs, s'engagea à lui fournir des matériaux en abondance pour former l'édifice de l'Islamisme. Echauffé par les discours & les exhortations de Sergius, Mahomet de retour à la Mecque, parla de ses nouveaux sentimens sur la religion à quelques uns de ses amis, & leur fit part du désir brûlant qu'il avoit de détruire pour jamais le culte des idoles & toutes les superstitions qui déshonnoroient sa patrie. La docilité des Koreishites, & l'espèce d'approbation qu'ils donnèrent à cette proposition, firent naître de grandes espérances dans le cœur de Mahomet ; mais il jugea qu'il n'étoit pas tems encore d'exécuter son grand projet. Il ne songea qu'à s'attacher le plus d'amis qu'il lui seroit possible, & à se rendre le peuple favorable : il y parvint d'autant plus aisément, que l'immense fortune de Khadija lui permettoit de prendre un rang conforme à sa haute naissance & à l'élévation de ses vues. Il employa quinze ans à gagner, à force de contrainte, de dissimulation & de bienfaits répandus à propos, la confiance des différentes tribus qui vivoient à la Mecque. Ce ne fut qu'après ce long intervalle, & quand il crut s'être concilié l'estime & la bienveillance du plus grand nombre de ses concitoyens, qu'il publia hautement, qu'inspiré par Dieu lui-même, il alloit introduire une nouvelle religion ; ou plutôt, que Dieu lui avoit ordonné de rétablir en Arabie, dans l'Orient, & sur la terre entière la religion d'Adam, de Noë, d'Abraham, de Moïse & de Jesus ; que docile à ses ordres il vouloit tenter de détruire l'idolâtrie grossière de ses compatriotes, & rendre au culte du Dieu unique sa pureté primitive. Ces grandes promesses irritèrent quelques Khoreishites, jaloux peut-être de la gloire que Mahomet alloit acquérir : mais le peuple excité par les amis de l'imposteur, reçut avec transport la nouvelle de cette réformation prochaine, & attendit avec impatience l'exécution de ce vaste projet.



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