M. L. Castillon (1765) Essai sur les Erreurs et les Superstitions Chapitre XX (pp. 291-297)

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CHAPITRE XX.

Soins que Mahomet prend pour disposer les esprits à recevoir l'Islamisme.

MAHOMET connoissoit trop l'importance & les difficultés du rôle qu'il alloit jouer, pour commencer son entreprise, sans avoir prévu les obstacles qui pourroient l'arrêter, & sans avoir préparé tous les matériaux qu'il devoit employer. Il étudia les dogmes des Juifs ; il médita ceux des Chrétiens ; & quand il eut appris avec quelle fureur les diverses sectes de ces deux religions se déchiroient, il pensa, ce me semble, avec beaucoup de justesse, que le plus sûr moyen de réussir étoit de proposer une religion dont les principes fussent propres à séduire ce qu'il y avoit de plus relâché parmi les Juifs, les Chrétiens & les Idolâtres même. Ce moyen, très-condamnable, impie, sacrilège, infernal, si l'on veut, mais bien adroit & fort ingénieux, fut la base du sistême de Mahomet, de sa doctrine, de ses loix, & du culte dont il fut l'instituteur ; il ne s'en éloigna jamais. La lecture de l'Alcoran suffit pour se convaincre de la vérité de cette observation, & pour y découvrir l'esprit de l'Islamisme ; qui n'est qu mélange bisarre de tout ce qui peut irriter & flatter la sensualité ; un assemblage, monstrueux en apparence, mais d'un art infini, de quelques principes hétérodoxes pris de diverses sectes hérétiques, de quelques préceptes sur les devoirs moraux, & de rites empruntés du judaïsme & du paganisme. Une telle doctrine démontre, à mon avis, que l'entreprise de Mahomet ne fut rien moins qu'un effet de son enthousiasme, qu'elle fut & plutôt une suite très-naturelle de son ambition. Il vouloit dominer, & donner aux Arabes une législation ; mais pour les assujétir à l'empire qu'il se proposoit d'établir, pour les rendre dociles à ses loix, il comprit qu'il étoit nécessaire de flatter leurs passions, & de ne pas contraindre leurs desirs ; projet réfléchi de sang froid par un imposteur habille, adroitement couvert du masque de la religion.

Veut-on sçavoir combien une telle doctrine devoit plaire aux Arabes, & s'assurer de la facilité qu'elle eut à se répandre dans l'Orient ? Qu'on examine à quel dégré d'ignorance & de corruption les Arabes étoient parvenus ; qu'on songe à leur ardeur pour la débauche & les débordemens ; qu'on jette un coup d'œil seulement sur l'étonnante quantité & sur la bisarrerie de leurs superstitions ; qu'on se fasse une idée de leur empressement à croire, à adopter tout ce qui pouvoit flatter la perversité de leurs inclinations ; & l'on conviendra que Mahomet eut bien moins de génie que d'adresse ; qu'il eut l'art de profiter des circonstances, auxquelles il fut redevable de ses premiers succès & de la rapidité des progrès que fit sa doctrine, quand la force & le bonheur de ses armes lui eurent fait franchir les bornes de l'Arabie. J'ai aucontraire bien de la peine à comprendre pourquoi les progrès de l'Islamisme ne furent pas plus rapides, quand je me représente la foiblesse de l'empire Romain & la confusion qui régnoit dans la monarchie des Perses, qui, s'ils eussent conservé quelques restes de leur ancienne force, eussent été l'inébranlable écueil contre lequel tous les efforts de Mahomet seroient venus se briser & s'enéantir. Mais comment ces Puissances, jadis si rédoutables, eussent-elles alors pu servir de barrière aux Arabes ? Des guerres intestines, le feu des factions, une foule de fanatiques divisés en plusieurs sectes, les désordres de l'anarchie, agitoient, déchiroient le royaume des Perses. L'empire d'Orient étoit plus foible encore. La Grèce étoit plongée dans une molle léthargie, d'où elle ne devoit sortir que pour tomber dans les chaînes flétrissantes du despotisme. L'Arabie profitoit des malheurs de ces états ; elle devenoit florissante à mesure que la Grèce & la Perse penchoient vers leurs destruction, & Mahomet seul connoissoit les causes de l'accroissement de sa nation. Il ne s'agissoit donc que de persuader à ses concitoyens que ce feroit à leur zèle pour la religion qu'il se proposoit de fonder, qu'ils devroient le succès de leurs armes & la conquête des nations.

Telle étoit la situation de l'Arabie & de l'Orient, quand Mahomet jugea qu'il ne falloit plus différer l'exécution de ses projets. Les plus grands obstacles qu'il avoit à surmonter, étoient l'attachement des Koréishites à leurs anciennes erreurs, la difficulté de leur persuader qu'il étoit envoyé du ciel pour leur donner un nouveau culte, les efforts des chefs des tribus qui ne manqueroient pas de s'opposer à son élévation, & de lui refuser le titre de Prophète : car s'il pouvoit parvenir à être regardé comme tel par le peuple, il ne doutoit pas d'asservir l'Arabie, qui une fois soumise, le rendroit en peu d'années maître de l'Orient. Voici par quelles fourberies, par quelle chaîne de grandes actions, & de crimes plus grands encore, il remplit l'immense & périlleuse carrière qu'il avoit à parcourir.



James Eason or Please use the first address: this one's special.