Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE XXIV.

(septembre – décembre 1656 )

Le lendemain, je reçus des visites de tout ce qui étoit à [Forges] ; il y avoit assez de monde. Les dames avec qui je fis le plus d'habitude, ce fut madame la comtesse de Noailles,1 et madame d'Estrades,2 madame l'abbesse de Caen,3 fille de madame de Montbazon, qui y étoit, et quantité d'autres religieuses.

La vie de Forges est assez douce, mais bien différente de celle que l'on mène ordinairement. On se lève à six heures au plus tard ; on va à la fontaine ; car pour moi, je n'aime pas à prendre mes eaux au logis. On se promène en les prenant ; il y a beaucoup de monde ; on parle aux uns, aux autres. Le chapitre du régime et de l'effet des eaux est souvent traité aussi bien que celui des maladies qui y amènent les gens, et du progrès que l'on fait à les détruire. On sait tous ceux qui sont arrivés le soir, et quand il y a un nouveau-venu ou une nouvelle [venue], on l'accoste ; car c'est le lieu du monde où l'on fait le plus aisément connoissance.

Quand on a achevé de boire (qui est ordinairement sur les huit heures), on s'en va dans le jardin des Capucins, qui n'est point fermé de murailles, parce que c'est le seul lieu où on se peut promener ; et si la clôture y étoit, les femmes n'y entreroient qu'avec des personnes de ma qualité, et il y en a si peu qu'il n'y en a pas toujours à Forges. Ce jardin est petit, mais les allées sont assez couvertes ; il y a des cabinets avec des siéges pour se reposer ; mais, pour moi, je me promenois toujours, parce que, dès que j'étois assise, les vapeurs de l'eau me donnoient envie de dormir.4 Personne ne pouvoit résister à se promener quatre heures ; ainsi on se relayoit.

Je parlois souvent à deux gentilshommes qui y étoient : l'un nommé Berville, qui avoit infiniment de l'esprit, de la délicatesse, et par les mains de qui beaucoup de choses considérables avoient passé ; mais une touche d'apoplexie5 qu'il avoit eue lui avoit un peu appesanti la langue. Ainsi il bégayoit, et même sa mémoire étoit un peu attaquée ; mais les jours qu'il se portoit bien, il ne laissoit pas d'être de bonne compagnie. L'autre est un nommé Brays, qui étoit lieutenant-colonel en Hollande, qui y a servi trente ans ; c'est un homme de guerre, qui a de l'esprit et moins de politesse que l'autre.

Ces deux messieurs et les dames que j'ai nommées, étoient mon entretien le plus ordinaire. Je ne laissois pas de me promener avec le reste du monde ; il y avoit assez de temps pour cela. C'est un lieu où il y a toutes sortes de gens, des moines de toutes couleurs, des religieuses de même, des prêtres, des ministres huguenots, et des gens de tous pays et professions : cette diversité est assez divertissante.

Après que l'on s'est promené on va à la messe ; puis chacun va s'habiller, les habits du matin et ceux de l'après-midi étant fort différents ; car le matin on a de la ratine et de la fourrure, et l'après-dînée du taffetas. La meilleure saison pour prendre les eaux est la canicule, qui pour l'ordinaire est assez chaude ; mais, quand on a beaucoup d'eau dans le corps, on a grand froid. On dîne à midi avec beaucoup d'appétit : ce qui m'est nouveau ; car hors les eaux, ou que je sois fort longtemps sans manger, je n'ai quasi jamais faim.

L'après-dînée on me venoit voir ; à trois heures,6 j'allois à la comédie. Une des troupes de Paris étant à Rouen, je la fis venir à Forges ; ce qui étoit d'un grand secours. A six heures on soupe ; après souper, on va se promener aux Capucins, où on dit les litanies ; quasi tout le monde les va entendre avant la promenade, puis à neuf heures chacun se retire.

J'y fus fort visitée : M. de Longueville y vint, madame sa femme, et tout ce qu'il y a de personnes de qualité dans la province, beaucoup de dames de Rouen et de messieurs du parlement ; de sorte que ma cour étoit toujours fort grosse.

Les eaux me profitèrent beaucoup. Madame de Frontenac et mademoiselle de Vandy, qui ne prenoient point d'eau, ne venoient point à la fontaine. La comtesse de Fiesque en prenoit ; mais elle y venoit tard. Ainsi nous n'allions point ensemble. Leur conduite envers moi fut bientôt connue de tout le monde, et blâmée en même temps ; et, comme j'avois toujours de nouveaux sujets de m'en plaindre, je fus assez aise d'avoir remarqué que ces deux gentilshommes n'en étoient pas satisfaits. Ils s'aperçurent que, parce que je leur parlois, elles les fuyoient. Ainsi je leur contai tous mes griefs, et ce m'étoit une consolation d'en parler avec eux. Ils s'attachèrent d'abord à faire connoissance avec mademoiselle de Vandy. Berville la connoissoit de chez madame la comtesse de Maure, et ce fut lui qui lui fit connoître Brays. Ainsi ils entrèrent dans la connoissance de mes affaires domestiques et en causèrent fort bien. Je leur disois : « Cela est admirable que je compte ainsi mes affaires à des gens que je n'ai jamais vus ; mais il me semble que les honnêtes gens, quand on en rencontre, sont les meilleurs amis que l'on ait au monde : car on en rencontre si rarement. » Ils s'en allèrent tous [deux] devant mot, le temps de mes eaux étant achevé. J'en fus bien fâchée. Le pauvre Berville fit un grand voyage ; car il mourut, deux jours après être parti de Forges, de son apoplexie ; j'en eus beaucoup de regret.

Madame de Longueville ne vint que lorsque je fus prête à partir ; j'eus une grande joie de la voir, et encore plus de l'entretenir. Car elle me témoigna tant d'amitié qu'il ne se peut pas plus ; et comme c'est la personne du monde la plus aimable, il est facile de l'aimer. Nous parlâmes fort de M. son frère, puis de mes misérables affaires avec Son Altesse royale, et de la conduite de ces femmes,7 qu'elle désapprouva fort : elle me dit qu'elle feroit une réprimande à la comtesse de Fiesque. Nous nous éclaircîmes sur la peine qu'elle nous avoit faite à toutes deux ; madame de Longueville me fit avouer que j'avois eu tort de juger si mal favorablement d'elle, et sur cela d'avoir écrit mille choses fort désobligeantes à M. son frère ; je lui en demandai pardon.

La comtesse de Fiesque l'alla voir, lui fit des plaintes de moi ; à quoi elle répondit le mieux du monde ; de manière que la comtesse de Fiesque en fut fort mal satisfaite. Mademoiselle de Vandy, qui a l'honneur d'être connue d'elle et sa servante particulière, lui conta tout ce qu'on me faisoit. Elle en fut pénétrée de douleur, connoissant par expérience que les embarras domestiques sont cent fois plus rudes que des choses plus importantes. Elle lui fit ses plaintes des traitements qu'elle recevoit aussi de ces dames, parce qu'elle ne s'étoit pas voulu déchaîner contre moi avec elles. Madame de Longueville fut dans un tel étonnement de toutes ces choses, qu'elle ne savoit qu'en dire.

Comme je fus prête à quitter mes eaux, je marchandai en moi-même si je m'en retournerois par le même chemin, ou si je passerois la rivière à Mantes ou à Vernon, ne me donnât plus de chagrin dans ma solitude. Mais m'étant examinée, je me trouvai si peu sensible aux joies, et tellement abattue de mes déplaisirs, mais pourtant tant plus forte que jamais à les soutenir, ma santé étant meilleure, que je me résolus à prendre la même route, croyant que je pourrois avoir quelque ordre à donner à mes affaires. Je dis à madame de Longueville la pensée que j'avois eue ; elle la trouva fort raisonnable, et me dit : « Vous avez bien fait de vous examiner ; car si vous vous étiez trouvée trop sensible au plaisir de voir le monde, vous auriez dû vous en priver volontairement, dans la crainte que cela ne vous eût augmenté vos chagrins. »

La veille que je devois partir, Aubeville vint encore de la part du roi m'apporter une lettre, par laquelle il m'ordonnoit de parler à M. le chancelier, et qu'ayant jugé que je devois passer à trois ou quatre lieues de Paris, je n'avois qu'à lui faire savoir [le jour de mon passage], qu'il me viendroit trouver ; et que, si Saint-Cloud ne me détournoit point, et que j'y voulusse passer comme j'avois fait en venant, je n'avois qu'à le dire à Aubeville ; [que M. le chancelier s'y trouveroit], et que je pourrois moi-même l'informer de mes affaires avec Son Altesse royale, de celle du compte de tutelle et de celle avec le duc de Richelieu, dont Sa Majesté vouloit aussi prendre connoissance.

Je fis réponse que je passerois à Saint-Cloud ; que je serois fort aise de voir M. le chancelier, et qu'il pût terminer mes affaires avec M. le duc d'Orléans ; que pour celle du duc de Richelieu concernant Champigny, que c'étoit une chose finie, ayant gagné le procès que j'avois contre lui ; ainsi que je n'avois rien à dire là-dessus à M. le chancelier, et ensuite je remerciai Sa Majesté des bontés et des honneurs qu'elle me faisoit, en termes les plus respectueux qu'il m'étoit possible. Aubeville partit le même jour que moi de Forges. Je quittai madame de Longueville avec déplaisir, me plaisant fort avec elle, et j'étois si sensiblement touchée de ses bontés et de la manière dont elle avoit parlé à ces dames, qu'il ne se pouvoit pas plus.

Je m'en allai coucher chez madame de Flavacourt, et le lendemain à Pontoise où je trouvai MM. les comtes de Béthune, d'Escars, et le chevalier de Charny. J'y séjournai un jour pour y attendre un habit de deuil, ma sœur de Chartres étant morte à Blois. Comme je ne l'avois jamais vue, mon affliction fut médiocre ; celle de Leurs Altesses royales fut grande ; car ils aiment fort leurs enfants. Je leur envoyai Colombier ; ils reçurent mes lettres, et Madame me fit réponse. Je fus fort surprise d'une telle grâce, y ayant longtemps que je n'en avois reçu de pareilles.

Le soir à minuit, comme je m'allois coucher, Aubeville arriva pour me dire que M. le chancelier viendroit à Saint-Cloud, et qu'il venoit savoir mon heure. Aubeville me dit : « Voyez si vous voulez y coucher ; il ne tiendra qu'à vous. » Je lui dis : « S'il est nécessaire, j'en serai bien aise ; sinon je ne m'en soucie point du tout, et l'approche de Paris m'est fort indifférente. Je serai demain à dîner à Saint-Cloud ; c'est tout ce que je vous puis dire. » Ce que je fis. Je m'y rendis à midi ; je dînai ; tous mes mulets demeurèrent chargés, et le reste de mon équipage attelé jusqu'au soir, comme une personne qui croit passer chemin. J'y fus fort visitée.

M. le chancelier vint sur les quatre heures. Nous entrâmes dans une chambre ; d'abord il me dit : « J'ai amené Fanchon, si vous voulez la faire chanter .... » C'étoit une petite fille qui avoit été à feu madame la Princesse et à madame sa belle-fille ensuite, et qui étoit de retour de Flandre depuis peu. Je lui répondis que je n'étois pas venue pour entendre chanter Fanchon ; mais pour lui parler de mes affaires. J'entrai en matière sur celles de mon compte de tutelle, et je lui fis voir et comprendre sans beaucoup de peines les raisons que j'avois de me plaindre de la mauvaise conduite des gens d'affaires de Son Altesse royale, en l'administration de mon bien pendant ma minorité, et [de celle] qu'ils avoient aussi pour lors de nous embarquer dans des procès pour leur seul intérêt, et pour les sauver et cacher la vérité à leur maître ; que pour Champigny, c'étoit une affaire finie ; que je n'avois que faire d'arrêt du conseil, en ayant du parlement. Il me répondit : « Quoi ! vous n'aimez pas mieux les arrêts du conseil ? » Je lui répondis que non ; qu'on les donnoit trop légèrement. Sur cela il se mit à me parler des affaires qui étoient pour ce sujet entre le parlement et le conseil, et ne me parla plus des miennes.

Comme il étoit tard, je résolus de coucher à Saint-Cloud ; et comme j'avois dîné chez des Noyers, qui est un honnête cabaret, je m'en allai coucher chez madame de Launay-Gravé.8 J'appris que la reine de Suède étoit à Fontainebleau9 ; et comme je la devois trouver en m'en allant, je dépêchai à la cour, qui étoit alors à La Fère, pour demander si le roi trouveroit bon que je la visse, étant de ma dignité, quoique exilée, de ne pas voir une princesse étrangère sans la permission du roi. La maison de madame de Launay est en fort belle vue : il faisoit clair de lune ; la comtesse de Fiesque et madame de Frontenac faisoient de grandes lamentations en regardant Paris. Pour moi, je le regardois sans aucune envie, et comme la personne du monde la plus détachée de toute chose.

Le lendemain le duc d'York me vint dire adieu, et me fit les excuses de la reine d'Angleterre de quoi elle ne me venoit point voir ; qu'elle étoit malade et la princesse royale aussi. Le duc d'York s'en alloit en Hollande trouver le roi, son frère ; moi, je m'en allai à Chilly, où je trouvai madame d'Épernon et la comtesse de Béthune : j'y séjournai un jour. Je sus que la reine de Suède devoit partir de Fontainebleau ; j'avois grande impatience que mon envoyé à la cour fût de retour, craignant que la reine de Suède ne partît. Il arriva dans le moment que j'en étois en peine, et me dit que le roi trouvoit bon que je visse la reine de Suède.

J'envoyai à l'instant un gentilhomme à Fontainebleau lui faire un compliment, et savoir où je pourrois avoir l'honneur de la voir, et pour lui faire demander comme elle me traiteroit. Le comte de Béthune, qui étoit à Chilly, me dit : « Il faut que vous disiez ce que vous désirez. » Je répondis que je désirois une chaise à bras ; il s'écria que je me moquois. Je me moquai de sa réponse, et je lui dis : « Puisque je n'ai point d'ordre du roi de la manière dont je dois vivre avec elle, je ne saurois trop demander ; il vaut mieux manquer de ce côté-là que du trop peu, et assurément elle ne sera point étonnée. » Ce fut M. de Guise à qui on le dit pour lui demander. Il étoit auprès d'elle de la part du roi, l'ayant été recevoir à Lyon.

Comme on lui demanda comme elle me traiteroit, elle répondit : « Tout comme elle voudra, car quoique l'on doive beaucoup à sa qualité, il n'y a point d'honneur que je ne veuille rendre à sa personne. » On lui proposa la chaise à bras. Elle n'en fit point de difficulté ; ensuite elle demanda : « Voudra-t-elle passer devant moi ? car de la manière dont j'en ai ouï parler, il est bon de le savoir ; car si elle se trouvoit à la porte, elle ne se retireroit pas. » On lui dit que je n'avois garde de le prétendre, et que j'étois obligée de faire l'honneur de la France.

J'étois partie de Chilly et j'étois allée à Petitbourg, maison de M. l'évêque de Langres, ci-devant l'abbé de La Rivière, laquelle maison n'est qu'à une lieue d'Essonne. On m'apporta là cette réponse à sept heures du soir. Je m'habillai et m'y en allai. J'avois avec moi madame la comtesse de Béthune, madame Bouthillier, madame de Frontenac, mesdemoiselles de Vandy et de Ségur, sœur du comte d'Escars. La comtesse de Fiesque, qui étoit allée la veille à Paris, n'étoit pas de retour ; ce qui étoit assez mal à elle. Comme j'arrivai, M. de Guise, Comminges, qui y étoit de la part de la reine, et tous les officiers du roi qui étoient à la servir, vinrent au-devant de moi.10

Elle étoit dans une belle chambre à l'italienne, qui est chez Esselin11 ; elle alloit voir un ballet. Ainsi elle étoit entourée d'une foule infinie de gens, et il y avoit des bancs à l'entour de sa place ; de sorte qu'elle ne put faire que deux pas pour venir au-devant de moi. J'avois tant ouï parler de la manière bizarre de son habillement, que je mourrois de peur de rire en la voyant. Comme on cria gare et que l'on me fit place, je la vis ; elle me surprit, mais non pas de manière à faire rire. Elle avoit une jupe d'étoffe de soie grise avec de la dentelle d'or et d'argent, un justaucorps de camelot couleur de feu, avec de la dentelle de même [que] la jupe, et une petite tresse or, argent et noir ; de même il y avoit sur la jupe aussi un mouchoir noué de point de Gênes avec un ruban couleur de feu ; une perruque blonde, et derrière un rond comme les femmes en portent ; un chapeau avec des plumes noires, qu'elle tenoit.

Elle est blanche ; les yeux bleus ; des moments, elle les a doux, d'autres fort rudes ; la bouche assez agréable quoique grande, les dents belles, le nez grand et aquilin ; fort petite, son justaucorps cache sa mauvaise taille.12 Enfin à tout prendre, elle me parut un joli petit garçon. Elle m'embrassa et me dit : « J'ai la plus grande joie du monde d'avoir l'honneur de vous voir ; je le souhaitois avec passion. » Elle me donna la main pour passer par-dessus le banc et me dit : « Vous avez assez de disposition pour sauter. » Je me mis dans la chaise à bras. Il y avoit une porte par où l'on voyoit un enfoncement pour voir un ballet. Elle me dit : « Je vous ai attendue. » Je m'en voulois excuser, sur ce que je portois le deuil d'une de mes sœurs, qui étoit morte il n'y avoit que quinze jours : elle me pria de demeurer ; ce que je fis. Ce ballet fut fort joli.

Je m'amusai assez à causer avec les gens qui étoient autour de moi. Il s'y rencontra Comminges que je fus fort aise de voir et d'entretenir, M. Servien, le maréchal d'Albret.13 Elle me demanda combien j'avois de sœurs, des nouvelles de mon père, où il étoit ; elle me dit : « Il est le seul en France qui ne m'a pas fait l'honneur de m'envoyer visiter. » Elle me demanda de quelle maison étoit ma belle-mère ; elle me fit plusieurs questions et des cajoleries infinies, me louant sur toutes choses ; puis sur le ballet, à quoi elle voyoit que je n'avois pas grande attention, elle me disoit : « Quoi ! après avoir été si longtemps sans en voir, vous vous en souciez si peu ! cela m'étonne bien. » La comtesse de Fiesque arriva et madame de Monglat ; je [les] lui présentai, comme j'avois fait les autres dames qui étoient avec moi ; elle me dit : « La comtesse de Fiesque n'est guère belle, pour avoir fait tant de bruit. Le chevalier de Gramont est-il toujours amoureux d'elle ? » Quand je lui présentai M. le comte de Béthune, elle lui parla de ses manuscrits. Elle témoignai être bien aise de faire paroître qu'elle connoissoit tout le monde et qu'elle en savoit des nouvelles.

Après le ballet nous fûmes à la comédie ; là, elle me surprit ; car en louant des endroits qui lui plaisoient, elle juroit Dieu ; elle se couchoit dans sa chaise, jetoit ses jambes d'un côté, d'un autre, les passoit sur les bras [de sa chaise] ; enfin elle faisoit des postures que je n'avois jamais vu faire qu'à Trivelin et à Jodelet, qui sont deux bouffons, l'un italien et l'autre françois. Elle reprenoit les vers qui lui plaisoient ; elle parla sur beaucoup de choses. Ce qu'elle dit, elle le dit assez agréablement. Il lui prend des rêveries profondes ; fait de grands soupirs ; puis tout d'un coup elle revient comme une personne qui s'éveille en sursaut ; elle est tout à fait extraordinaire.

Après la comédie on apporta une collation de fruits et de confitures ; et on alla ensuite voir un feu d'artifice sur l'eau. Elle me tenoit par la main à ce feu, où il y eut des fusées qui vinrent fort près de nous ; j'en eus peur ; elle se moqua de moi et me dit : « Comment ! une demoiselle qui a été aux occasions et qui a fait de si belles et grandes choses, a-t-elle peur ? » Je lui répondis que je n'étois brave qu'aux occasions, et que c'étoit assez pour moi.

Elle parla tout bas à M. de Guise, qui lui dit : « Il le faut dire à Mademoiselle. » Elle disoit que la plus grande envie qu'elle auroit au monde seroit de se trouver à une bataille, et qu'elle ne seroit point contente que cela ne lui fût arrivé, et qu'elle portoit furieusement envie au prince de Condé de tout ce qu'il avoit fait. Elle me dit : « C'est votre bon ami ? — Oui, madame, lui répondis-je, et mon parent très-proche. — C'est le plus grand homme du monde, dit-elle ; on ne lui sauroit ôter cela. » Je lui répliquai qu'il étoit bien heureux d'être si avantageusement dans son esprit.

Comme le feu fut fini, nous allâmes dans sa chambre. Puis elle me dit : « Passons au delà ; je vous veux entretenir. » Elle me mena dans une petite galerie, qui en est proche, et ferma la porte. Nous demeurâmes toutes deux : elle me demanda ce que c'étoit que les affaires que j'avois à démêler avec Son Altesse royale. Je les lui contai ; elle trouva que j'avois grande raison, et lui beaucoup de tort ; qu'elle souhaitoit de le voir pour lui en parler, et qu'elle seroit bien aise de nous raccommoder ; qu'il étoit injuste de m'avoir ôté des gens qui me servoient bien ; qu'elle vouloit s'employer par toutes sortes de voies pour me les faire rendre, et à me raccommoder à la cour et avec Son Altesse royale ; que je n'étois pas faite pour demeurer à la campagne ; que j'étois née pour être reine, qu'elle souhaitoit avec passion que je la fusse de France ; que c'étoit le bien et l'avantage de l'État ; que j'étois la plus belle et la plus aimable, la plus riche et la plus grande princesse de l'Europe ; que la politique vouloit cela ; qu'elle en parleroit à M. le cardinal.

Je la remerciai de tant d'honneur qu'elle me faisoit, et de la manière obligeante dont elle en parloit ; mais que pour ce dernier article, je la suppliois très-humblement de n'en pas parler. Après, elle me fit des plaintes d'un gentilhomme que j'avois envoyé à Auxerre lui faire des compliments, lequel, étant en débauche dans une hôtellerie, avoit dit pis que pendre d'elle. Je fus fort surprise de son impertinence ; je lui fis toutes les excuses imaginables, et je lui dis que je le chasserois. Elle me répondit : « Vous ferez bien et j'en serai bien aise. » Elle me dit : « Vous savez tout le bien que je vous ai dit de M. le Prince et l'affection que j'ai toujours eue pour lui ; maintenant je suis au désespoir d'avoir sujet de m'en plaindre. On m'a dit que, lorsque j'étois à Bruxelles et depuis que je suis partie, il a fait des railleries et des discours de moi les plus outrageants du monde ; je me flatte que ce sont ses gens et que ce n'est pas lui, afin de diminuer sa faute en mon égard, quoiqu'elle soit toujours assez grande d'avoir souffert que l'on m'ait déchirée : moi qui l'ai toujours estimé et honoré plus que tous les hommes du monde, me traiter ainsi ! » Je justifiai M. le Prince auprès d'elle, autant qu'il me fut possible ; elle me sembla être fort touchée de ce discours.

On lui vint dire que sa viande étoit venue ; je pris congé d'elle et m'en retournai à Petitbourg. Il étoit deux heures après minuit, et avant que j'eusse soupé et que je fusse couchée, il étoit grand jour. Le lendemain j'envoyai savoir de ses nouvelles ; elle me manda qu'elle me viendroit voir. Mais comme elle alloit de l'autre côté de l'eau, et qu'il eût fallu qu'elle eût retourné pour passer sur le pont de Corbeil, elle m'envoya faire des excuses, et me manda que les gens du roi qui la conduisoient l'avoient empêchée de me venir voir, dont elle étoit fort fâchée.

M. de Vardes14 revint de Paris avec la comtesse de Fiesque ; il s'étoit depuis peu marié avec mademoiselle de Nicolaï, fille du feu premier président de la chambre des comptes, personne de qualité et de grands biens. Il y eut bien du bruit pour ce mariage ; la mère le vouloit, et tout le reste de sa famille n'en étoit pas trop d'accord. Je pense qu'ils n'étoient pas satisfaits du procédé de Vardes, qui avoit pris l'affaire de haut avec eux. Madame la présidente de Champlâtreux15 alla un matin chez madame de Nicolaï, et fit demander le président et sa sœur (la mère étoit allée à la messe) ; elle prit madame de Nicolaï dans son carrosse et la mena à son logis. Comme M. de Vardes le sut, cela l'alarma, il savoit que le président de Champlâtreux n'étoit pas pour lui ; il le dit à M. l'abbé Fouquet, qui étoit son ami intime. L'abbé Fouquet, sans songer à autre chose, le dit à M. de Candale, et ils résolurent ensemble de faire entourer le logis du président de Champlâtreux de troupes. Des gardes partirent de leur quartier tambour battant et vinrent prendre leurs postes aux environs du logis de M. de Champlâtreux, et mirent des sentinelles aux portes. Comme il logeoit à la place Royale, cela fit un bruit enragé. Le parlement pensa s'assembler pour se plaindre que l'on traitât ainsi un de leurs confrères ; mais comme l'on en avertit promptement le cardinal Mazarin, il envoya lever les gardes et gronda l'abbé Fouquet. Tout le monde cria contre ce procédé dudit sieur l'abbé, de commettre ainsi le cardinal Mazarin, et on le trouva bon de souffrir de tels emportements de cet abbé. M. de Candale fut blâmé, ne devant point faire prendre les armes sans ordre du roi.

Madame Bouthillier, qui m'étoit venue voir à Chilly, m'offrit Pont pour m'aller baigner, sachant que mon médecin me l'avoit ordonné. Pour moi, j'avois plus d'envie de m'en retourner à Saint-Fargeau que de m'amuser aux environs de Paris. Le comte de Béthune me dit : « Puisque l'on vous a ordonné de vous baigner, allez à Pont ; vous serez plus près ; la cour reviendra ; je ferai la guerre à l'œil ; puis je vous irai trouver ; » et me donnoit par là espérance de voir quelque fin à mes affaires. Je n'étois pas trop en humeur d'en prendre ; mais je ne voulois pas que l'on me pût reprocher que je m'en étois allée courant à Saint-Fargeau, et que j'évitasse les occasions de m'accommoder.

Ainsi, de Petitbourg, je m'en allai à Pont ; je couchai à Melun et à Provins. Madame Bouthillier me reçut avec beaucoup de joie. Madame de Brienne,16 sa petite-fille, y étoit. Comme ce n'est pas loin de Paris, il y vint beaucoup de monde me voir. M. de Matha n'y manqua pas ; on savoit bien ce qui l'y amenoit.17 Madame de Thianges y vint ; son mari l'y amena, en allant en Bourgogne, et l'y laissa, et j'appris ensuite qu'à son retour de l'armée, où il avoit perdu tout son équipage, il lui dit : « Mes affaires ne sont pas en état d'en faire un autre ; il faut que le vôtre me serve ; ainsi venez-vous en Bourgogne avec moi. » Cette proposition lui déplut fort. Il lui dit : « Si vous ne voulez pas venir avec moi, mettez-vous dans un couvent. » A quelques jours de là, elle lui proposa de la mener à Pont, où j'étois, et qu'elle me suivroit à Saint-Fargeau et passeroit auprès de moi le temps qu'il seroit en Bourgogne. Il accepta la proposition, et lui témoigna être fâché de quoi elle ne la lui avoit pas faite plus tôt, étant plus honorable pour lui qu'elle préferât de demeurer auprès de moi que d'aller dans un couvent.

Elle logeoit au-dessus de ma chambre ; comme je me levois matin pour me baigner, je me couchois de bonne heure. Elle aime fort à veiller ; elle alloit les soirs dans la chambre de la comtesse de Fiesque, et en revenant faisoit un bruit enragé. Je pris la liberté de lui en faire une réprimande ; et sur cela la comtesse de Fiesque et madame de Frontenac disoient : « On voit bien l'humeur de la demoiselle, qui veut que l'on soit toujours en contrainte, qui ne peut souffrir le plaisir des autres : jamais il n'y eut une telle créature. » Elles parloient de moi de cette manière à tous les gens, à qui elles parloient, se déchaînoient contre ma conduite à l'égard de Son Altesse royale, louoient la sienne au mien, prenoient le parti de ses gens, trouvant que j'étois encore trop heureuse que l'on me laissât de quoi vivre.

Je pense que ces discours ne donnoient guère bonne opinion de leur jugement, étant auprès d'une personne de ma qualité ; quand elle auroit eu autant de défauts que ceux qu'il leur plaisoit me donner, on n'a guère accoutumé de les publier, et encore [moins] madame de Frontenac, qui étoit ma domestique,18 et à qui j'avois fait assez de bien et d'honneur pour en avoir de la reconnoissance. Elles faisoient sans cesse des pièces à mademoiselle de Vandy pour me déplaire : c'étoit une guerre domestique qui me donnoit beaucoup de chagrin.

Madame l'abbesse de Jouarre m'envoya visiter et me prier de l'aller voir. Comme le comte de Béthune m'écrivoit sans cesse de ne me point éloigner, je fus bien aise d'avoir ce prétexte d'allonger mon séjour. Je lui mandai que j'irois passer la Toussaint chez elle. Madame de Brienne accoucha d'une fille, laquelle je tins avec M. de Pont, son frère.19 Son mari vint à ses couches, madame la comtesse de Brienne, sa belle-mère, et madame de Gamaches.20 Madame de Brienne, qui est fort de la cour et qui ne bouge d'avec la reine dans tous les couvents, qui la suit toujours à toutes les dévotions, me parla de force choses, et, entre autres, qu'elle mouroit d'envie de me voir mariée avec Monsieur, frère du roi ; qu'il l'avoit tout à fait dans la tête ; que comme il avoit confiance en elle, il lui avoit conté qu'à Compiègne, en parlant au roi qu'il falloit qu'il lui donnât un apanage, il lui avoit répondu : « Je vous marierai avec ma cousine : elle est fort riche ; elle fera votre fortune ; » et que depuis ce temps il n'avoit autre chose dans la tête.

Cela me fit souvenir qu'un jour en me promenant à Saint-Fargeau avec Préfontaine, et raisonnant sur mon établissement et sur les gens qui m'étoient propres, il me dit : « Voici un parti qui vous vient : Monsieur croit ; dans peu il sera un homme ; quoique vous voyez plus vieille que lui, entre des personnes de vos qualités on n'a pas d'égard aux âges. »21 Nous n'en parlâmes plus davantage. Madame de Brienne me disoit mille biens de lui infinis, et je compris assez que ce parti m'étoit sortable, et j'avois assez de plaisir d'entendre dire qu'il souhaitoit cette affaire.

La Toussaint venue, je mandai au comte de Béthune que je serois la veille à Jouarre et qu'il m'y vint trouver. Je partis de Pont la surveille de la Toussaint ; et comme je ne voulois être qu'un jour à mon retour, je fis partir ma maison à même temps que moi pour Saint-Fargeau. J'allai coucher aux Marais, chez madame des Marais, où il y avoit beaucoup de monde du pays. Elle me reçut à son ordinaire avec beaucoup de joie et de magnificence ; j'y vis un des mes anciens amis, que je pris grand plaisir à entretenir, La Salle, sous-lieutenant des gendarmes du roi.

J'arrivai un peu tard à Jouarre ; mais comme on m'y attendoit, j'y trouvai les portes ouvertes ; je couchai dans le couvent. M. l'évêque d'Amiens22 y étoit arrivé un peu devant moi ; nous eûmes une conversation très-agréable le soir en attendant d'aller à matines. C'est un prélat qui a beaucoup d'esprit ; et quoiqu'il ait été cordelier, il n'a rien qui tienne du moine, ayant été longtemps à la cour. Il nous donna un très-beau sermon le jour de la Toussaint. On fait admirablement bien le service à Jouarre, comme je crois l'avoir dit ailleurs. M. et madame de Béthune y arrivèrent le jour de la Toussaint après la messe ; mais ils ne m'apprirent rien de nouveau. Les religieuses de Jouarre firent une plaisante remarque : il y a eu de mes grandes tantes abbesses de Jouarre, Anne et Jeanne de Bourbon. En passant dans une tribune, je frappai de la main sur le bord pour faire lever les yeux aux religieuses ; les vieilles dirent que mes tantes faisoient tout de même. Je me promenai dans les jardins, qui sont grands et spacieux. Cette maison a beaucoup de dignité ; l'abbesse est de la maison de Lorraine, fille de M. le duc de Chevreuse.23

Comme j'étois là, on parla de Nanteuil, et on dit qu'il n'y avoit que dix lieues. Comme cette terre étoit à vendre, il me prit fantaisie d'y aller. Je séjournai encore le jour des morts à Jouarre, et celui d'après j'allai à Nanteuil. Je passai par Meaux, et j'allai voir la fille du comte de Béthune, qui étoit dans l'abbaye de Notre-Dame. Comme je fus dans ces grandes plaines de l'île de France, il avoit plu ; le carrosse de M. le comte de Béthune, qui n'étoit pas trop bien attelé, s'embourba, de sorte que j'arrêtai. Il mit pied à terre, et vint parler à moi, pendant que tous mes gens étoient après pour tirer son carrosse de ce bourbier. Il me demanda si j'avois mes pierreries ; je lui dis que oui. Il me fit quasi une réprimande de quoi j'étois si peu accompagnée ; car je n'avois pas même des pages à cheval ; je n'avois que mon écuyer, qui étoit en carrosse, celui que la reine de Suède m'avoit priée de chasser, et qu'elle m'avoit priée depuis de reprendre. Je trouvai que le comte de Béthune avoit raison, et je résolus de ne faire plus de voyage si mal accompagnée. Comme il étoit tard, il me dit : « Si on étoit avec d'autres qu'avec vous, on seroit en inquiétude de ne pas souper, arrivant si tard ; mais vos officiers sont devant. » Je me mis à rire et je lui dis : « J'ai envoyé de Pont ma maison à Saint-Fargeau, et comme je n'ai pas prévu que je ferois ce voyage, je n'ai gardé aucun officier. Mais j'ai envoyé Vermoy devant, qui nous fera apprêter à manger. » Nous arrivâmes à une heure de nuit à Nanteuil : par bonheur, la maison étoit meublée. Je couchai dans un lit fort propre ; je soupai fort bien, à la vérité dans des plats d'étain. Je séjournai le samedi pour voir la maison et les promenoirs. Mais comme il plut tout le jour, je n'eus pas beaucoup de plaisir. Cela m'obligea à n'en partir que le lendemain l'après-dînée, afin de la voir mieux par le beau temps. Il vint comme j'avois souhaité ; car il fit le plus beau soleil du monde.

Madame Duplessis-Guénégaud24 et madame de Martel, et Le Boulay25 qui est à Son Altesse royale, me vinrent voir. Le Boulay fut un peu embarrassé d'une chose qui lui étoit arrivée, dont il ne me fit pas semblant, ni moi à lui. Son fils avoit été pris prisonnier à Valenciennes par les troupes de M. le Prince ; il m'écrivit pour me supplier de lui écrire pour sa liberté. Il me mandoit : « Je sais bien que vous dites à tout le monde que vous n'avez point de commerce en Flandre ; mais à un vieux domestique du papa, on ne lui fait pas de ces finesses. J'ai prié le pauvre Préfontaine, mon cher ami, de vous en supplier et de joindre ses prières aux miennes. » Je trouvai cette lettre fort artificieuse et méchante, et je ne doute pas que Goulas, qui est son ami particulier, n'eût aidé à la lettre, croyant me tendre un panneau, où je donnerois assurément. Je lui fis réponse qu'il étoit fort mal informé de croire que j'eusse commerce avec M. le Prince, et que je n'en avois plus du tout, et qu'il s'étoit mal adressé à Préfontaine et de le prier de m'écrire de cette affaire, n'ayant pas entendu parler de lui ni reçu aucune de ses nouvelles, depuis que Son Altesse royale avoit désiré qu'il quittât mon service ; que je m'étonnois qu'ayant vécu à la cour, il fût si dupe que de faire ce que les autres lui disoient, parce que j'aimois mieux le croire tel que méchant, et qu'il falloit être l'un ou l'autre pour m'écrire une telle lettre. Goulas croyoit qu'il tireroit quelque aveu de moi pour me brouiller, ou à la cour, ou avec Son Altesse royale.

MM. de Béthune et d'Escars, et la comtesse de Béthune s'en allèrent à Paris, et moi je m'en retournai à Jouarre fort satisfaite de Nanteuil, et en dessein de l'acheter. J'allai coucher à Meaux dans l'évêché, où M. l'évêque26 n'étoit pas. Je trouvai une belle maison, toute neuve, et meublée le plus proprement du monde. Je fus fort aise de revoir de la vaisselle d'argent ; et comme les hôtelleries sont meilleures à Meaux qu'à Nanteuil, j'y fis bien meilleure chère. Les violons de la ville vinrent à mon souper ; madame de Thianges me proposa de danser ; je fis entrer sept ou huit filles fort jolies, qui m'étoient venues voir souper dans ma chambre, et nous dansâmes jusqu'à minuit. Le degré de l'évêché est fort extraordinaire ; on le pourroit plus proprement nommer une montée : car il n'y a point de marches ; il est de briques, et l'on monte insensiblement. Comme je n'en avois jamais vu de cette manière, cela me le fit remarquer.

Le matin, avant que de partir, je me promenai dans le jardin, qui est très-beau, et j'y cueillis force oranges et citrons doux, dans une fort belle orangerie qui y est. Je fus à la messe à deux lieues de là, à Saint-Fiacre, qui est une grande dévotion, et où j'en ai une particulière, ayant été guérie de la dyssenterie fort promptement, et l'on attribua ma guérison à une neuvaine que l'on fit à ce saint. Ensuite j'allai voir Monceaux, parce que l'on disoit que l'on le vouloit vendre ; je trouvai une maison ruinée et en si pitoyable état qu'elle ne donnoit nulle envie. J'appris à mon retour à Jouarre que madame de Chevreuse et M. de Noirmoutier27 y avoient été. Madame de Jouarre me fit force excuses de quoi ils ne m'avoient pas attendue ; mais que madame de Chevreuse avoit une affaire à Paris fort pressante. Je ne voulois séjourner qu'un jour à Jouarre ; mais madame l'abbesse me pria tant, que j'y en fus deux jours, et la veille que je devois partir, il me prit une colique bilieuse, la nuit, qui me dura huit heures, la plus violente du monde. Heureusement j'avois mon médecin ; mais n'ayant point de chirurgien (ce qui étoit fort nécessaire ; car à ces maux-là il faut beaucoup saigner ; et les commencements étoient si violents, qu'il y avoit apparence qu'elle dût longtemps durer), je dis à mon médecin : « Je suis jeune, forte ; je viens des eaux, où j'ai fait beaucoup de remèdes. C'est pourquoi mon mal ne sauroit longtemps durer ; ainsi, je ne veux point faire de remèdes, et je veux laisser agir la force de mon tempérament. » Après avoir été malade le temps que j'ai dit, je m'endormis, et à mon réveil je fus guérie.

M. de Guise arriva le soir ; je me levai pour l'aller entretenir à la grille. Il m'apprit une nouvelle qui me fâcha : que M. le Prince avoit fait arrêter le comte de Hollac. Je séjournai à Jouarre un jour plus que je n'avois cru, et ensuite je m'en allai coucher à Monglat, où il n'y avoit personne ; mais je ne laissai pas d'y trouver bien à souper et à coucher, et le lendemain je gagnai Pont. En y arrivant, j'y trouvai un valet de pied de madame de Longueville, qui m'y attendoit il y avoit un jour ou deux ; elle me mandoit par écrit que son frère l'avoit chargée de m'écrire, n'osant le faire lui-même, de peur de m'embarrasser, pour se justifier auprès de moi de la prison du comte de Hollac ; et le président Viole envoyoit une grande relation à madame de Longueville, des sujets que M. le Prince avoit eus de se plaindre de lui et de le faire arrêter.

Ce que M. de Guise m'en avoit dit m'avoit affligée ; mais je ne le pouvois croire. Je la fus bien davantage, lorsque je vis la chose assurée, madame de Longueville m'en écrivant avec beaucoup de déplaisir, pensant bien que j'en serois fâchée, je lui témoignai le ressentiment que j'avois, et je la priois de mander à M. son frère que toute la terre savoit que c'étoit moi qui avois engagé le comte de Hollac à son service, étant ma créature, et que l'on verroit qu'il l'avoit fait arrêter, et que les sujets n'en seroient point publics ; qu'ainsi il paroîtroit au monde le peu de considération qu'il avoit pour moi ; que cela ne m'étoit pas avantageux ; mais que j'osois dire aussi que peut-être il ne le seroit pas pour lui ; que pour les sujets de plainte que j'avois vues dans la lettre du président Viole, m'en avois souvent entendu parler ; que moi-même j'avois raccommodé le comte de Hollac avec M. le Prince, et que j'avois encore les lettres de M. le Prince, par où il me témoignoit qu'il en étoit satisfait. Enfin je n'oubliai rien de tout ce qui se pouvoit mettre de pressant à madame de Longueville, pour qu'elle témoignât à monsieur son frère que je me sentois fort blessée de la prison du comte de Hollac, et que je désirois sa liberté.

Je trouvai à Pont un attelage de petits chevaux isabelles, avec des crins noirs et une raie noire sur le dos de même, que [le comte de Hollac] m'envoyoit. Mais il y avoit longtemps qu'ils étoient partis d'Allemagne ; car ils ne venoient pas de Flandre. Je fus un jour ou deux à Pont ; il y vint un gentilhomme qui est à Son Altesse royale, nommé Graudry, qui a du bien en Nivernois et habitude dans la maison de Mantoue, qui me vint proposer, de la part de M. le duc de Mantoue, d'acheter la duché28 de Nevers ; qu'il me la donneroit pour sept cent mille écus ; que je n'avois qu'à signer, et que la chose seroit faite. Je lui demandai quinze jours de temps, parce que, de la qualité dont j'étois, je n'oserois faire un traité avec un prince étranger sans la permission du roi, et surtout dans un temps où l'on disoit que le duc de Mantoue se séparoit des intérêts de la France. Il me dit qu'il viendroit à Saint-Fargeau, où je m'en allai. Je passai à Chevillon chez madame de Courtenay, qui m'y reçut fort magnifiquement. Rien n'est plus propre que sa maison, [ni] plus ajusté ; elle a tout à fait l'air de celle d'une femme de grande qualité et qui a été nourrie à la cour. En arrivant à Saint-Fargeau, j'eus la plus grande joie du monde, et je trouvai ma solitude fort agréable.

Je n'ai point parlé de la réception que l'on fit à Paris à la reine de Suède,29 parce que les gazettes dont on fait des recueils en parleront assez ; je dirais seulement qu'elle est pareille à celle de Charles-Quint, hors qu'il étoit accompagnée de plus d'hommes qu'elle de femmes, n'en ayant pas une. Elle fit son entrée à cheval ; mais elle n'étoit pas bien vêtue, ayant les mêmes habits que lorsque je la vis à Corbeil.30 Le jour qu'elle arriva à Paris elle avoit couché à Conflans, où beaucoup de gens la furent voir : la curiosité y mena Préfontaine et Nau. Elle demanda qui ils étoient ; et comme elle le sut, elle les appela et leur dit qu'elle avoit entendu parler de leur mérite, et qu'elle savoit qu'ils avoient été chassés d'auprès de moi pour m'avoir trop bien servie, et leur fit mille civilités.

Pendant son séjour à Paris, elle fut voir toutes les belles maisons et les bibliothèques, tous les gens savants l'allant visiter. Elle alla communier à Notre-Dame, où ceux qui la virent ne furent pas édifiés de sa dévotion pour une personne qui s'étoit faite catholique depuis peu et qui devoit être encore dans le premier zèle ; elle causa tout le temps de la messe avec des évêques, quasi toujours debout. Celui d'Amiens, à qui elle se confessa, m'a conté que l'abbé Le Camus, aumônier du roi, qui la servoit, lui ayant demandé à qui elle se vouloit confesser, elle lui dit : « A un évêque, choisissez-m'en un. » Il alla querir M. d'Amiens ; il étoit dans son cabinet, avec son bonnet carré et son rochet. Elle y entra, se mit à genoux et le regarda toujours entre deux yeux ; ce qui est assez extraordinaire : car il faut au moins un extérieur aussi pénitent que le cœur pour approcher de ce sacrement. Il dit qu'elle se confessa fort bien et avec beaucoup de dévotion, et qu'il fut plus édifié de ses sentiments que de sa mine. Elle vit madame de Thianges à Paris, qu'elle prit en grande amitié.

Après y avoir quelques jours, elle fut à Compiègne, et coucha à Chantilly,31 où M. le cardinal Mazarin l'alla visiter. Il mena avec lui le roi et Monsieur, qui avoient ôté leurs ordres. Il lui dit : « Voilà deux gentilshommes de qualité que je vous présente. » Ils lui baisèrent la robe ; elle les releva et les baisa disant : « Ils sont de bonne maison ; » puis elle les entretint, appela le roi mon frère, et Monsieur aussi ; lesquels, après avoir fait leur visite, s'en retournèrent toute la nuit au galop à Compiègne. Le lendemain ils revinrent avec la reine à la maison du maréchal de La Mothe-Houdancourt, nommée Le Fayel, au-devant de la reine de Suède ; c'est une maison bâtie de neuf agréablement. Leurs Majestés l'attendirent sur une terrasse qui sépare la moitié de la cour, qui étoit remplie de beaucoup de monde. La reine, qui m'a conté cette entrevue, me l'a dépeinte d'une manière fort belle ; car je n'y étois pas.

La reine de Suède descendit au milieu de la cour. La reine dit qu'elle ne fut jamais si surprise que de la voir, et que, quoique l'on lui eût bien dit qu'elle n'étoit pas faite comme les autres, elle ne se la pouvoit imaginer faite comme elle la trouva. Le maréchal et la maréchale de La Mothe donnèrent une grande collation. Cette maison étoit magnifiquement meublée ; car le maréchal avoit les plus beaux meubles du monde, qu'il avoit eus, en Catalogne, du duc de Cardonne, et des buffets de vermeil doré, et même des pierreries dont sa femme étoit parée aussi bien que de ses grâces naturelles32 ; car c'est une belle femme et qui paroit bien sa maison.33

Le temps que cette reine fut à Compiègne, on tâcha de lui donner tous les divertissements possibles : les comédiens françois et italiens, et les vingt-quatre violons du roi ; mais elle ne voulut pas danser ; toutes sortes de musiques et de chasses. Elle se plaisoit fort à la cour ; mais comme elle n'y plaisoit pas tant, on lui fit dire qu'elle y avoit été assez longtemps, mais fort honnêtement. Il se rencontra que les jésuites de Compiègne firent jouer une tragédie par leurs écoliers ; on la convia d'y aller ; ce qu'elle fit, et Leurs Majestés aussi. Elle se moqua fort de ces pauvres pères, les tourna en ridicule au dernier point ; elle fit les postures que je lui avois vu faire à Essonne, dont la reine fut fort surprise.

Elle avoit entendu parler de l'amour du roi pour mademoiselle de Mancini ; de sorte que, pour faire sa cour, elle s'alloit mettre en tiers, et leur disoit qu'il falloit se marier ensemble ; qu'elle vouloit être la confidente, et disoit au roi : « Si j'étois à votre place, j'épouserois une personne que j'aimerois. » Je crois que ces discours ne plurent ni à la reine ni à M. le cardinal, et qu'ils contribuèrent à hâter son départ ; car à la cour, on n'aime pas les gens qui entrent en matière sans que l'on les en prie.

J'étois à Pont, lorsqu'elle partit de Compiègne34 ; je croyois qu'elle y dût passer, et c'eût été son chemin, si elle eût pris celui de Bourgogne. J'envoyai à Melun lui faire compliment ; elle me manda qu'elle vouloit me venir voir à Pont ; mais que l'on lui avoit dit que j'étois à Saint-Fargeau, et que c'étoit son chemin d'y passer et qu'elle étoit au désespoir de ne me point voir. Le gentilhomme que j'y avois envoyé me dit qu'elle coucheroit le lendemain à Montargis ; la fantaisie me prit de la voir encore une fois. J'envoyai des relais, et je partis à la pointe du jour, j'arrivai à Montargis à dix heures du soir. Je n'avois que madame de Thianges et madame de Frontenac avec moi, la comtesse de Fiesque et mademoiselle de Vandy n'ayant pas assez de force pour soutenir une telle fatigue.

Comme j'arrivai, je fus droit à son logis ; on me dit : « La reine se vient de coucher. » Je fis semblant de n'entendre pas l'italien, et je disois que l'on dit à la reine que c'étoit moi. Enfin, après l'avoir dit plusieurs fois, on me vint dire de monter toute seule. Je la trouvai couchée dans un lit où mes femmes couchoient toutes les fois que je passois à Montargis, une chandelle sur la table, et elle avoit une serviette autour de la tête comme un bonnet de nuit ; pas un cheveu ; car elle s'étoit fait raser il n'y avoit pas longtemps ; une chemise fermée sans collet, avec un gros nœud couleur de feu ; ses draps qui ne venoient qu'à la moitié de son lit ; une vilaine couverture verte. Elle ne me parut pas jolie en cet état. Elle me salua d'abord, et me dit qu'elle étoit bien fâchée de la peine que j'avois prise ; que j'avois bien eu de la fatigue de me lever si matin ; puis me demanda qui étoit venu avec moi. Je lui dis : « Madame de Thianges et madame de Frontenac. » Elle me dit de les faire appeler ; elle fit assez bonne chère à madame de Thianges.

Je lui demandai comme elle avoit trouvé le roi. Elle me dit : « Fort bien fait et fort honnête homme ; » que c'étoit dommage qu'il n'aimât une plus belle personne que mademoiselle de Mancini ; qu'elle trouvoit Monsieur fort joli ; mais qu'il avoit été honteux avec elle ; ce qui l'avoit surprise, croyant le roi le plus farouche. Puis elle me demanda des nouvelles du comte de Hollac. Je ne lui dis pas qu'il étoit prisonnier, car je ne le savois point pour lors. Elle me parla encore de M. le Prince ; si je lui écrivois. Je lui dis que non, que cela m'étoit défendu ; puis je m'en allai, jugeant bien que ma visite avoit été trop longue. Si elle eût été plus civile, elle me seroit venue voir le lendemain avant que de partir ; mais ce seroit trop demander à une reine des Goths.

Je me levai matin et m'en allai à son logis ; je la trouvai jolie, avec un justaucorps neuf, bien poudrée,35 en belle humeur. Elle proposa à madame de Thianges de s'en aller à Rome avec elle, et que c'étoit une raillerie de s'amuser à son mari ; que le meilleur n'en valoit rien, et qu'il étoit fort à propos de le quitter. Elle pesta fort contre le mariage, et me conseilla de ne me jamais marier, trouvant abominable d'avoir des enfants. Elle se mit à parler des dévotions de Rome d'une manière assez libertine. Ensuite elle me dit : « Je passe à Turin ; que voulez-vous que je dise si on m'y parle de vous ? » Je lui répondis que je ne doutois pas que ce ne fût de la bonne manière, parce que madame Savoie étoit ma tante et qu'elle m'avoit toujours témoigné beaucoup d'amitié. A quoi elle répliqua : « Son fils vous aime plus qu'elle ; il vous désire fort et il a raison ; mais pour elle, elle vous craint, parce qu'elle veut gouverner, et elle a peut-être raison aussi de son côté. »36

On la pressa de partir, ayant une assez longue journée à faire. Elle disoit : « Vous me donnez le plus sensible déplaisir que je sois capable de recevoir, de me séparer de Mademoiselle ; je ne la verrai peut-être jamais. » Enfin elle me fit mille cajoleries de cette force. Je la vis monter en carrosse avec Sentinelli, un autre, et un gentilhomme qui étoit au roi, nommé Lesin. Rien n'est si bizarre que de voir une reine sans pas une femme. Je m'en allai coucher à Egreville chez madame la duchesse de Vitry, et de là je m'en retournai à Pont, où je fus le temps que j'ai dit.

Apremont arriva à Saint-Fargeau peu de temps après mon retour. Comme on me l'eût dit, je lui envoyai dire par un de mes écuyers nommé Darrets, fils de La Tour, qui alloit souvent chez madame la comtesse de Fiesque, qu'il sortît à l'instant de Saint-Fargeau, ou qu'autrement je le ferois jeter par les fenêtres. Ce garçon avoit beaucoup de peine à se résoudre d'exécuter cet ordre ; il s'en défendit tant qu'il put, mais il fallut bien le faire. Madame la comtesse de Fiesque étoit dans son lit ; elle envoya querir un de mes gens pour savoir ce qu'avoit fait Apremont : si je voulois dire le sujet que j'avois de me plaindre de lui, qu'elle le chasseroit ; qu'elle seroit au désespoir d'avoir quelqu'un qui me pût déplaire ; mais que d'en user comme je faisois, elle croyoit avoir quelque sujet de se plaindre de moi. Je lui mandai que je lui dirois quelque jour le sujet que j'avois de me plaindre d'Apremont, mais que je ne le pouvois présentement, et que je la priois de ne m'en point parler. Je montai à sa chambre, elle causa avec moi de force choses ; à la vérité il y avoit bien du monde. Elle avoit la mine un peu colère ; mais elle ne m'en témoigna rien, et ma visite fut courte.

Il me vint de Paris une chose que je n'avois point sue dans le temps qu'elle s'étoit passée : au voyage que j'avois fait à Forges l'été, il s'étoit rencontré que mademoiselle de Vandy étoit à une portière où l'on met ordinairement ma cassette aux pierreries, et ayant pris cette place, elle continua de s'y mettre toujours. Madame de Frontenac s'avisa, au retour de Nanteuil, d'en parler à Pont à Maulevrier, qui y vint avec la maréchale d'Estrées,37 qui étoit alors à Villenauxe. Maulevrier, y étant retourné, conta à M. l'évêque de Laon que cela étoit fort plaisant qu'elle fût juchée sur un coffret comme un coq de bagage, et qu'elle y eût été l'hiver et l'été. Voilà le plan que madame de Frontenac donna, sur lequel ils firent deux couplets de chanson fort plaisants, mais en intention de tourner mademoiselle de Vandy en ridicule ; à quoi ils ne parvinrent pas. Quand je sus cette plaisanterie, je m'en fâchai d'abord ; puis je jugeai que ce seroit leur faire plaisir que de traiter cela sérieusement. Je les chantai à leur nez ; ils en furent embarrassés et les désavouèrent.

L'accommodement de Son Altesse royale à la cour, dont ces dames avoient eu tant de joie, ne produisit pas grand'chose ; car le voyage qu'il fit à La Fère, dans le temps que j'étois à Forges, n'avança ni ses affaires ni celles de toutes les personnes qui étoient bannies ou qui souffroient pour ses intérêts. Le cardinal Mazarin feignit d'avoir la goutte pour n'aller pas au-devant de lui, et pour que toute la France vit qu'il l'avoit recherché le premier. Je jugeai avant que cela arriveroit comme il arriva, et la comtesse de Fiesque me disoit : « Cela ne se peut : je gagerois que le cardinal ira au-devant de Son Altesse royale. » Et moi je trouvois qu'il avoit raison, et si j'eusse été en sa place j'en aurois fait autant : il lui avoit fait assez de mal pour être bien aise de se faire faire cette manière d'amende honorable.

Après que Son Altesse royale eut vu le roi et la reine,38 il alla à la chambre de Son Éminence ; repassant à Paris, il y fut deux ou trois jours seulement, et à son retour de Blois il envoya querir M. le duc de Beaufort, auquel il n'avoit donné nulle part de son voyage. Je pense qu'il ne s'y rendit pas à l'instant, et qu'il s'excusa sur ce qu'il n'étoit pas utile pour le service de Son Altesse royale, et que lorsqu'il avoit été question de le servir, il s'y étoit toujours trouvé des premiers.

Le fils de La Tour, dont j'ai parlé, étoit un jeune garçon de seize ans, à qui son père avoit désiré que je donnasse la survivance de sa charge ; ce que j'avois fait. Il est assez bien fait. Peu après son arrivée à Saint-Fargeau, en s'amusant à causer avec mademoiselle de Piennes, fille de madame la comtesse de Fiesque, il en étoit devenu amoureux. Un jour il lui avoit écrit un billet, et l'avoit donné à son frère, qui étoit mon page, pour lui rendre. Ce petit page lui ayant voulu donner, et elle l'ayant refusé, il en avoit chargé un petit valet de pied qui n'avoit que six ans, qui voyant que mademoiselle de Piennes ne le vouloit pas recevoir, le jeta sur la table de ma chambre en lui disant : « Quand il sera là, il faudra bien que vous le preniez. » On peut juger, quand je ne l'aurois pas dit, de l'âge des amants, pas leur prudente conduite et par le choix de leurs confidents. Madame de Frontenac et mademoiselle de Bourdeille,39 en venant de dîner et entrant dans ma chambre, virent une lettre sur ma table, la prirent et coururent au-devant de moi, me disant : « Voici un poulet. » Nous le lûmes ; il étoit fort d'un enfant ; personne ne douta d'où il partoit.

La comtesse de Fiesque, au lieu d'en être fâchée, se mit à rire et dit : « Qu'ils sont plaisants ! Cela ne leur peut nuire et leur fera l'esprit. » Comme c'étoit dans le temps que l'on parloit du mariage de sa fille, il me sembla que cela ne devoit pas éclater. Je dis à Darrets : « Si l'on vous accuse d'avoir écrit ce poulet et que l'on vous en parle, reniez-le. » Quoi qu'il en soit, l'affaire en demeura là et fut étouffée par le soin que j'en pris ; car pour madame la comtesse de Fiesque, elle trouva cela si joli, qu'elle eût été toute propre à le conter à tout le monde, croyant louer sa fille, et assurément cela n'eût pas plu à Guerchy. Depuis ce temps ils ne se parlèrent plus,40 et Guerchy rioit le jour de ses noces, de voir qu'il m'avoit menée à l'église, et qu'il n'avoit su y demeurer. Cette amitié diminua peu à peu, et l'habitude qu'il41 avoit eue à aller chez madame de Fiesque continua ; elle lui donnoit force avis, comme les jeunes gens en ont besoin, sur toutes choses, et particulièrement sur son habilement et sur son coiffure. Comme il avoit les cheveux frisés d'une manière qu'ils ne croissoient point, elle lui conseilla de mettre des coins42 ; et comme il faut un soin bien grand pour les ajuster, je pense qu'elle lui dit qu'il fit venir son perruquier parler à elle ; de sorte qu'un jour, comme elle étoit à table avec moi à Pont, il lui vint dire tout haut : « Vous ne me gronderez plus de mes coins ; car le perruquier est venu, et vous les lui ferez accommoder à votre fantaisie. » Je ne sais si ce fut ensuite, ou un autre jour, qu'elle les ajusta devant le monde ; ce qui fit rire les regardant.

Quand on a accoutumé de parler d'une affaire, et que cela continue, quelque petite qu'elle soit, on en fait une grande. Madame de Thianges, qui aime à rire, et qui n'est pas plus charitable pour les autres que l'on n'est pour elle, s'en divertit et se mit à faire valoir tout ce qu'elle faisoit. Vantelet, dont j'ai parlé ailleurs, qui est assez étourdi, étoit fâché contre la comtesse de Fiesque, je ne sais de quoi ; comme c'est un garçon fort étourdi, il se fâche pour peu de chose. Bref son chagrin le porta à dire : « Si elle me fâche, je conterai que l'autre jour, revenant de jouer de la ville, à deux heures après minuit, j'avois envoyé mon laquais pour me faire ouvrir la porte. Il me dit qu'il avoit trouvé que l'on ouvroit. Je vis un homme qui se cachoit dans le bâtiment qui n'étoit point achevé ; je ne fis pas semblant de rien ; je montai et demeurai à la fenêtre. Je vis passer Darrets ; je lui demandai d'où il venoit. Il me parut assez interdit, et me répondit : « Je viens d'écrire. »

Comme je sus cela, et que la comtesse de Fiesque se plaignoit de lui, et qu'elle en avoit fait des plaintes à madame de Thianges et à mademoiselle de Vandy, j'envoyai querir Vantelet, et lui dis que je lui défendois de rien dire qui déplût à la comtesse de Fiesque ; que c'étoit une femme de qualité que je considérois, et dont le mari étoit mon parent. Il me conta l'histoire que je viens de dire, et me dit qu'il n'en parleroit jamais à personne, et qu'il prieroit madame de Thianges et mademoiselle de Vandy de dire à madame la comtesse de Fiesque qu'elles n'en avoient jamais ouï parler. Je fus fort satisfaite de lui ; car, contre son ordinaire, il en usa très-sagement. Madame de Thianges et mademoiselle de Vandy parlèrent à la comtesse ; elle reçut les compliments de Vantelet fort mal, et dit qu'elle lui feroit donner des coups de bâton. Ce sont de ces choses dont on ne menace guère un gentilhomme, quand on est une demoiselle. Les princes ne se portent à ces menaces qu'à de grandes extrémités ; on n'en fait guère aux gens qui appartiennent à des personnes comme moi, de qui on doit respecter jusqu'au moindre marmiton.

Je ne pris nulle connoissance de cette affaire, sur laquelle j'aurois voulu que Vantelet l'eût satisfaite ; car c'étoit la raison, et il voulut aussi. Mais ce que je ne voulois, [c'étoit] entrer en aucun éclaircissement avec elle, craignant d'en venir à l'éclat où elle se porta. Madame de Sully vint à Saint-Fargeau ; comme elle est son amie, et que Vantelet étoit de sa connoissance, elle voulut faire l'accommodement. Madame de Fiesque se déchaîna toujours contre lui ; ce qu'elle ne devoit point faire ; car les fous il ne les faut pas pousser à bout. J'admirois la patience [de Vantelet] ; car plus elle se déchaînoit, et plus il étoit sage. Elle en écrivit à Paris. Je fus tout étonnée que madame de Brienne me manda qu'elle étoit étonnée comme je souffrois que l'on eût fait un tel conte de la comtesse de Fiesque, et qu'elle avoit mandé qu'il étoit vrai que Darrets avoit été ce jour-là tard dans sa chambre à lire des vers, mais qu'il y avoit d'autres gens. Ce fut la veille de Noël que je reçus cette lettre, à laquelle je répondis ; et je mandai à madame de Brienne que l'on étoit bien plus savant à Paris de ce qui se passoit à Saint-Fargeau que ceux qui y étoient, et que je n'avois point entendu parler de toute cette histoire, et que je la croyois fausse. La comtesse de Fiesque commença à dire, le jour de Noël, qu'elle vouloit aller à Guerchy voir sa fille ; personne ne la dissuada de ce voyage.

Mes affaires avec Son Altesse royale, qui étoient demeurées, et dont je n'avois point entendu parler depuis Saint-Cloud, revinrent à se manifester. On m'envoya un arrêt du conseil, par lequel le roi confirmoit la transaction que madame de Guise avoit faite, et qu'elle nous avoit fait signer à Son Altesse royale et à moi à Orléans. Je reçus cet arrêt par l'ordinaire ; j'en ris un peu, cela me paroissant traiter notre affaire avec bien du mépris, de n'envoyer pas un exprès. Je pensois que M. d'Aubeville auroit pu faire un quatrième voyage. Comme Son Altesse royale avoit toujours dit que, dès que mes affaires seroient finies, il me verroit, je lui écrivis qu'ayant reçu un arrêt du conseil qui terminoit mes affaires, je croyois que Son Altesse royale auroit agréable de me voir, et que, sans un rhume que j'avois, je serois partie ; mais que je suivrois Colombier de près, qui étoit le porteur de ma lettre.

Au voyage que madame de Sully avoit fait à Saint-Fargeau, elle m'avoit dit que la comtesse de Fiesque lui ayant témoigné le déplaisir qu'elle avoit de voir qu'elle ne m'étoit pas agréable, elle lui avoit conseillé de s'en aller chez elle. Je lui fis connoître que j'en serois très-aise ; mais que connoissant la comtesse de Fiesque prompte, et me sentant fort mal satisfaite d'elle, il étoit bon que cela se fit sans éclaircissement, afin de ne nous pas brouiller pour jamais ; de sorte que, sur les discours qu'elle continuoit de parler tous les jours de son voyage de Guerchy, et de l'impatience qu'elle avoit d'y aller, j'écrivis à madame de Sully, et je lui mandai ce qu'elle disoit, et qu'il me sembloit que c'étoit une fort belle occasion de nous séparer ; qu'elle ne me diroit adieu que pour Guerchy, et qu'elle ne reviendroit plus. Quelque menace qu'elle fit, je craignois qu'elle n'en viendroit point à l'exécution. Frontenac, qui étoit à Saint-Fargeau, partit pour s'en aller chez lui ; sa femme, ce jour-là, ne descendit point à ma chambre ; elle feignit d'être malade. Je l'allai voir : elle me parut avoir un grand étouffement.

Le lendemain, qui étoit le dernier jour de l'année 1656, elle vint à la messe, et de mes gens remarquèrent qu'elle avoit toujours pleuré. Madame de Thianges me le dit ; j'eus quelque espérance du départ de la comtesse [de Fiesque] ; mais la crainte que j'avois qu'elle ne pût prendre une telle résolution la diminuoit. Pourtant je ne savois à quoi attribuer les pleurs de madame de Frontenac, qui n'est pas tendre, qu'à cela ; car ce fut un préjugé terrible pour elle par la liaison qu'elles avoient ensemble, et par l'aversion que je leur témoignois en toutes rencontres, avec assez de fondement.

 

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NOTES

1. Louise Boyer, mariée à Anne de Noailles, comte d'Ayen, qui devint duc et pair en 1663. Elle mourut le 22 mai 1697. Voy. ce qu'en dit Saint-Simon dans ses Mémoires (édit. Hachette, in-8o, t. I, p. 438-441.)

2. Marie du Pin, femme de Godefroi d'Estrades, mourut en janvier 1662.

3. Marie-Éléonore de Rohan, abbesse de la Trinité de Caen, puis de Malnoue. Elle mourut le 8 avril 1682.

4. Le mot dormir est parfaitement écrit dans le manuscrit. On l'a remplacé dans les anciennes éditions par vomir.

5. Une attaque d'apoplexie.

6. Le manuscrit porte trois heures et non cinq,, comme on l'a imprimé dans les anciennes éditions.

7. Les comtesses de Fiesque et de Frontenac.

8. Françoise Godet des Marais, veuve de Launay-Gravé depuis 1655. Elle figure dans le Dictionnaire des précieuses sous le nom Ligdaride. Elle se remaria avec Antoine de Brouilly.

9. Christine, reine de Suède, avait abdiqué le 16 juin 1654. Après avoir traversé le Danemark, Hambourg, Munster, la Hollande, elle séjourna à Anvers, à Bruxelles, puis à Rome. Elle se rendit en France en 1656, et entra dans le port de Marseille le 29 juillet. Le duc de Guise, envoyé à sa rencontre, la rejoignit à Lyon.

10. L'entrevue de Mademoiselle avec la reine de Suède à Essonne eut lieu le 6 septembre 1656.

11. Ce nom est assez mal écrit et les anciennes éditions donnent Anselin ; mais je présume qu'il est question d'Esselin ou Hesselin, maître de la chambre aux deniers du roi, dont on a parlé plus haut [Chap. XXIII].

12. Le duc de Guise qui avait été chargé, comme on l'a vu (note 9), de recevoir et d'accompagner la reine de Suède, traçait ainsi son portrait : « Elle n'est pas grande ; mais elle a la taille fournie ; la croupe large ; le bras beau ; la main blanche et bien faite, mais plus d'homme que de femme ; une épaule haute, dont elle cache si bien le défaut par la bizarrerie de son habit, sa démarche et ses actions, qu'on en pourroit faire des gageures. Le visage est grand, sans être défectueux, tous les traits de même et fort marqués ; le nez aquilin ; la bouche assez grande, mais pas désagréable, les dents passables ; les yeux fort beaux et pleins de feu ; le teint, nonobstant quelques marques de petite vérole, assez vif et assez beau ; le tour du visage assez raisonnable, accompagné d'une coiffure fort bizarre. »

13. Il a déjà été question de ces personnages dans le t. 1 des Mémoires de Mademoiselle. [Chaps. 6, 7, 14, etc.]

14. François-René du Bec, marquis de Vardes, fut un des favoris de Louis XIV. Il sera question dans la suite des Mémoires de Mademoiselle des intrigues qui le firent disgracier. Il mourut le 8 septembre 1688. Il avait épousé Catherine de Nicolaï, fille d'Antoine de Nicolaï, premier président de la chambre des comptes. Madame de Vardes mourut en 1661.

15. Elle se nommait Madeleine Garnier, et était fille de Mathieu Garnier, trésorier des parties casuelles.

16. Henriette Bouthillier, ou Le Bouthillier, fille de Léon Le Bouthillier, comte de Chavigny ; elle avait épousé, en 1656, Henri-Louis de Loménie, comte de Brienne, fils du secrétaire d'État. Henri-Louis de Loménie a laissé des Mémoires, qui ont été publiées par M. Fr. Barrière.

17. Il a été question plus haut [chap. XXIII] de l'amour de M. de Matha pour madame de Frontenac.

18. Ce mot, que les anciennes éditions ont remplacé par madame d'honneur, se trouve dans le manuscrit de Mademoiselle. D'ailleurs le mot domestique n'avait pas à cette époque le sens qu'on lui a donné depuis : il indiquait seulement qu'on faisait partie de la maison d'un prince.

19. Armand-Léon Le Bouthillier, comte de Chavigny, seigneur de Pont, mort en 1684.

20. Marie-Antoinette de Loménie, mariée le 4 juin 1642 à Nicholas-Joachim Rouaut, marquis de Gamaches ; elle mourut le 8 décembre 1704, à l'âge de quatre-vingts ans. Saint-Simon qui en parle à l'occasion de sa mort (t. IV, pp. 382-383, édit. Hachette, in-8o), la caractérise en quelques mots : " C'étoit une femme aimable, de beaucoup d'esprit toute sa vie, fort du grand monde, et qui conserva sa tête, sa santé, et des amis jusqu'à la fin. »

21. Philippe de France, second fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche, était né le 21 septembre 1640. Il avait par conséquent seize ans, en 1656. Mademoiselle, née en 1627, en avait vingt-neuf.

22. François Faure, de l'ordre de Saint-François, avait acquis par ses sermons une grade réputation, et fut nommé successivement évêque de Glandève et d'Amiens ; il mourut en 1687, à l'âge de soixante et dix-huit ans.

23. Henriette de Lorraine, née en 1631, morte le 25 janvier 1694.

24. Claudine-Alphonsine Martel, mariée en 1647 à Claude Duplessis-Guénégaud, trésorier de l'épargne. Arnauld d'Andilly en fait l'éloge dans ses Mémoires (collect. Petitot, 2e série, t. XXXIV, p. 92) : « Son esprit, son cœur, sa vertu semblent disputer à qui doit avoir l'avantage. Son esprit est capable de tout, sans que son application pour les grandes choses l'empêche d'en avoir en même temps pour les moindres. Son cœur lui auroit, dans un autre sexe, fait faire des actions de courage tout héroïques, et sa vertu est si élevée au-dessus de la bonne et de la mauvaise fortune, que ce ne seroit pas la connoître que de la croire capable de se laisser éblouir par l'une et abattre par l'autre. »

25. Nicolas Brulart, seigneur du Boulay, avait été chambellan de Gaston d'Orléans et capitaine du Luxembourg. Il mourut le 1er novembre 1659.

26. L'évêque de Meaux était alors Dominique Séguier.

27. Louis de La Tremouille, né en 1602, mort en 1666.

28. Mademoiselle fait le mot duché féminin, suivant la coutume du moyen âge, qui s'était perpétuée jusqu'au XVIIe siècle.

29. La reine de Suède fit son entrée à Paris le 8 septembre 1656, par la porte Saint-Antoine. Voy. les Mémoires de Monglat à l'année 1656.

30. Il y a Corbeil dans le manuscrit ; c'est une erreur ; l'entrevue avait eu lieu à Essonne.

31. La reine de Suède arriva à Chantilly le 15 septembre, et le lendemain à Compiègne.

32. La maréchale de La Mothe-Houdancourt était Louise de Prie qui fut dans la suite gouvernante du Dauphin, fils de Louis XIV, et des enfants de France. Elle mourut en 170, à quatre-vingt cinq ans. Saint-Simon en a parlé à l'occasion de sa mort (Mémoires, édit Hachette, in-8o, t. VII. p. 33-35).

33. La fin de cette phrase a été altérée dans les anciennes éditions, au lieu de : et qui paroit bien sa maison, on a imprimé : et qui paroit bien ce qu'elle est.

34. La reine de Suède quitta Compiègne le 23 septembre.

35. Le manuscrit porte poudrée, au lieu de brodé, qu'on a mis dans les anciennes éditions, en faisant rapporter ce mot à justaucorps.

36. Ce dernier membre de phrase a été omis dans les anciennes éditions.

37. La maréchale d'Estrées était Anne Habert, seconde femme de François-Annibal d'Estrées maréchal de France. Elle mourut le 25 juillet 1661.

38. Ce fut le 5 août 1656 que Gaston d'Orléans se rendit à la Fère ; il en repartit le 7.

39. Il s'agit probablement ici de Jeanne de Bourdeille, fille d'André de Bourdeille, et de Jaquette de Montberon.

40. Cette phrase a été changée dans les anciennes éditions, où on l'a remplacée par ces mots : on n'en parla plus. Ce changement rend la suite du récit peu intelligible.

41. Il s'agit toujours ici du jeune gentilhomme fils de De La Tour.

42. On appelait coins les faux cheveux que les hommes et les femmes ajoutaient à leurs cheveux naturels pour les faire paraître plus longs et plus épais.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XXIV : p. 446-489.


 

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