Chapitre ISir Thomas Browne PageMademoiselle PageChapitre III

Deuxième Partie


CHAPITRE II

(février – avril 1660 )

On chanta le Te Deum de la paix, et elle fut publiée le second jour de février, qui étoit celui de la Notre-Dame, dans l'église cathédrale en suite du Te Deum, dans toutes les places publiques et les carrefours. Le parlement y étoit en robes rouges; toutes les autres compagnies et corps de ville, les ambassadeurs, enfin tout y étoit comme l'on a accoutumé avec autant de cérémonie qu'à Paris. C'étoit une joie générale. La mienne fut troublée sans savoir de quoi. Je m'en allai à mon logis pleurant, et ces pleurs me durèrent deux heures. Je dis à Comminges: « Il faut qu'il me soit arrivé quelque chose que je ne sache point et dont ce soit un pressentiment. » Il se moqua de moi et me dit: « Ce sont des vapeurs qui ne signifient rien. » J'en fus vingt-quatre heures dans une grande inquiétude; mais à force que l'on me tourmenta de cela, je n'y songeai plus, et le bruit de la venue de M. le Prince m'occupa et me rejouit fort.

M. de Longueville vint deux jours devant M. le Prince. Le jour qu'il arriva,1 j'étois chez la reine, fort empressée de voir M. le Prince. Elle me dit: « Ma nièce, allez-vous-en faire un tour à votre logis; car M. le Prince m'a fait prier qu'il n'y eût personne la première fois que je le verrois. » Je me mis à sourire de dépit et je lui dis: « Je ne suis personne; je crois que M. le Prince sera fort étonné s'il ne me trouve pas ici. » Elle insista d'un ton fort aigre. Je m'en allai, résolue de m'en plaindre à M. le cardinal; ce que je fis le lendemain, et lui dis que, si pareille chose m'arrivoit une autre fois, je m'en irois. Il me fit de grandes excuses. J'envoyai faire des compliments à M. le Prince et lui témoigner l'impatience que j'avois de le voir. Il me manda qu'il étoit au désespoir de n'oser venir chez moi qu'il n'eût vu Monsieur, de sorte que je ne le vis que le lendemain. Il étoit à la cour comme s'il n'en eût jamais bougé. Le roi étoit familier avec lui, l'entretenant de toutes les choses anciennes qu'il avoit faites tant en France qu'en Flandre, avec tant d'agrément que si elles s'étoient toutes passées pour son service. Le Milord Germin vint à Aix, à qui je parlai du mariage d'Hortense et du roi d'Angleterre, et il le désavoua fort.

L'on résolut d'aller à la Sainte-Baume et à Toulon. Comme la cour faisoit de petite journées, je suppliai la reine de me permettre de ne pas partir avec elle, parce que j'avois fort la migraine la veille de son départ, ayant veillé. On avoit donné un bal et une comédie où étoit M. le Prince, avec qui je causai beaucoup; il étoit auprès de moi, et le roi fut toujours de la conversation. On parla fort de la guerre, et nous raillâmes fort de toutes les sottises que nous avions faites, et le roi entra le mieux du monde dans ces plaisanteries. Quoique j'eusse fort la migraine, je ne m'y ennuyai pas. Comme M. le cardinal avoit la goutte et qu'il demeuroit aussi bien que moi à Aix, nous devions le lendemain travailler à nos dépêches, lui et moi, pour Blois, où je devois envoyer Brays, qui étoit revenu de Piémont il y avoit déjà quelque temps; mais comme il falloit concerter ce que nous écrivions à Monsieur, M. le cardinal et moi, et qu'il avoit toujours eu beaucoup d'affaires, il remettoit de jour à autre.2

En arrivant, Brays m'avoit conté qu'à son arrivée à Turin, on avoit eu beaucoup de curiosité de savoir qui il étoit; il avoit pourtant un de mes valets de pied avec lui; apparemment on ne connut pas mes livrées. ON envoya Prudhomme, qui est fils d'un barbier du roi, jugeant que connoissant tous les gens de la cour, il pourroit savoir qui c'étoit. Aussitôt il alla le dire; on lui envoya un carrosse de M. de Savoie avec des valets de pied et un maître des cérémonies dedans. Il alla chez Madame royale. Comme elle l'avoit vu à Lyon, elle lui dit: « Quelle bonne raison oblige ma nièce de m'envoyer visiter? » Il lui donna ma lettre et lui dit: « Votre Altesse royale verra. » Elle la lut et lui répondit: « Je ne sais ce que c'est; je ne me plains pas d'elle; » et n'entra pas en nulle matière avec lui. Elle parut surprise et embarrassée. Elle le mena voir un cabinet où il y avoit beaucoup de bijoux; puis lui dit: « Voulez-vous pas voir mon fils? » Il lui répondit qu'il n'en avoit point d'ordre. Elle repartit: « Je veux que vous le voyiez. »

Le lendemain il y alla; il lui demanda où j'étois, comme je me portois, où étoit la cour, et tout cela en allant et venant comme il s'habilloit. Il fut là cinq ou six jours, sans que l'on lui parlât de le dépêcher. Madame royale l'envoya à la comédie, un jour où étoit M. de Savoie auprès de mademoiselle de Treseson. En sortant, il lui: « Venez demain dîner avec moi. » Il y fut; il le fit monter dans un cabinet, par une machine à ressort, où il y avoit cinq ou six personnes dont j'ai oublié les noms; on peut croire qu'il lui fit bonne chère; on y but à ma santé. Puis il lui dit: « Je m'en vais glisser sur la glace; venez avec moi. » Il le fit mettre seul avec lui dans sa calèche, puis commença: « On dit que je suis la cause innocente de votre voyage: je serois bien malheureux si j'avois fait quelque chose qui pût déplaire à Mademoiselle. » Brays lui dit: « Il est vrai que l'on a dit à Monsieur des choses qui ont déplu à Mademoiselle, et Votre Altesse sait que cela n'est pas.3 » Il lui dit: « Je ne suis pas assez heureux pour que Mademoiselle m'écrive; mais je suis assez malheureux, à ce que l'on m'a dit, pour qu'elle se soit moquée de moi à Lyon. » Brays répondit ce qu'il y avoit à dire là-dessus. M. de Savoie reprit: « S'il y avoit quelqu'un dans mes États qui eût déplu à Mademoiselle, je le ferois périr; » et sur cela lui fit mille honnêtetés pour moi, force protestations de service, et le chargea de me le dire.

Il glissa sur la glace. Brays envoya querir un valet hollandois, qu'il avoit, qui glissa mieux que toute la cour de Savoie. Puis ils remontèrent en calèche pour aller à des ramasses4 et en traîneau. Le marquis de Fleury arriva. M. de Savoie dit à Brays: « Voyez ce coquin; il vient pour m'espionner et pour voir ce que je vous dis; allons lui passer sur le ventre. » Brays lui dit: « Ah! monsieur, songez que je suis ici; je vous supplie de ne rien faire.5 » Il s'emporta horriblement contre Fleury. Comme ils arrivèrent à la ramasse, devant que de sortir de la calèche, il l'embrassa et lui fit encore force protestations de service pour moi. Brays lui dit qu'il iroit prendre congé de lui. M. de Savoie dit: « Mais je n'oserois pas vous dire ce que je vous dis devant le monde, ni vous embrasser. » En retournant à son logis, il trouva la réponse [que Madame royale avoit faite] à la lettre; mais comme c'étoit la veille de Noël, il supplia Madame royale de trouver bon qu'il demeurât jusqu'au lendemain. Elle lui manda qu'il [resteroit] tant qu'il lui plairoit; mais il avoit aussi hâte de s'en aller qu'elle de le voir partir.

Le soir qu'il prit congé de Madame royale, en sortant dans une salle peu éclairée, on le vint prendre par la tête et lui boucher les yeux. Il voulut se débarrasser: c'étoit M. de Savoie qui l'embrassa encore et lui fit force compliments pour moi. Ce procédé me parut bien enfant et ne me fit pas repentir de celui que j'avois tenu envers madame sa mère, qui me mettoit hors d'état de renouer jamais commerce avec elle. Quand on en rendit compte à Leurs Majestés et à M. le cardinal, elles n'en furent pas étonnées; elles connoissoient mieux que moi M. de Savoie. La lettre que Madame royale m'écrivoit en réponse de la mienne, j'avois arrêté avec M. le cardinal de l'envoyer à Monsieur.6 [Elle étoit aussi soumise que la mienne lui devoit avoir paru fière. Elle me marquoit qu'elle n'avoir rien écrit ni dit de ce que Monsieur se plaignoit. Ainsi j'eus le plaisir de la faire dédire honteusement de tout ce qu'elle avoit mandé.]7

M. le Prince partit l'après-midi [du jour] dont le roi étoit parti le matin,8 pour s'en aller à Paris où il n'avoit pas encore été avant que d'avoir vu le roi; il me vint dire adieu. Nous causâmes deux heures de toutes les choses passées. Il me dit fort qu'il n'oublieroit jamais les obligations qu'il m'avoit; qu'il seroit toujours fort dans mes intérêts; enfin il me parut pour moi comme je pouvois désirer. Sur le chapitre de la comtesse de Fiesque, il en usa fort bien, et j'en fus contente. Je lui dis que, comme j'aimois fort le comte de Fiesque, je le suppliois d'avoir toujours la bonté pour son fils; car il étoit mort, il y avoit deux ou trois mois. Il me promit merveille; mais je crois qu'il oublia bientôt; car je n'ai pas ouï parler qu'il ait rien fait pour la comtesse ni pour son fils, quoique [le père] l'eût servi avec beaucoup d'honneur et de fidélité et qu'il y eût mangé beaucoup de bien. Il y a de grandes prétentions dans la maison de Fiesque, et s'il fût demeuré dans le parti du roi. M. le cardinal le traitoit fort bien. Sa méchante étoile le brouilla avec lui, et par là il sacrifia tout à M. le Prince, et sa maison n'en sera pas mieux.

Comme M. le Prince partit tard, et qu'il avoit dîné chez M. le cardinal; je crus qu'il le falloit laisser en repos9 et attendre le lendemain à aller lui parler sur le voyage que je voulois de Brays.10 Guitaut qui étoit demeuré à Aix étoit dans ma chambre le soir; je travaillois à mon ouvrage dans ma chambre; il entra un courrier, qui étoit à Monsieur, une matière de folâtre dont j'ai peut-être parlé ailleurs. Il me jeta un gros paquet sur ma table et me dit: « Votre père n'est pas mort; je crois qu'il n'en mourra pour cette fois. M. le cardinal est-il ici? J'ai un paquet pour lui. » Je fus fort effrayé [et] lui demandai ce que c'étoit. Il me conta que Monsieur avoit eu un transport au cerveau, et qu'il en étoit revenu; que l'on avoit envoyé à Paris querir M. Guenaut.

J'ouvris mon paquet, où je trouvai une relation avec la lettre de Mascarany; elle étoit écrite de la main de Bellai, médecin de Blois, très-habile homme, qui étoit consultant de Monsieur (il est présentement à moi); de M. Guenaut, et d'autres qui étoient là; du premier [médecin] de Monsieur, qui s'appeloit Brunier, fort bonhomme; mais il ne passoit pas pour le plus grand docteur du temps; il a eu beaucoup de savoir pour lui, puisqu'il a vécu quatre-vingt quinze ou cent ans.11 Cette relation marquoit une fort grande maladie; mais elle ne décidoit rien de l'état présent [de Monsieur], et il paroissoit, que si c'eût été un particulier, il y avoit encore beaucoup à craindre,; mais que, comme c'étoit un grand prince, il étoit hors de danger. J'envoyai chez M. le cardinal, qui m'envoya faire des compliments de l'inquiétude où le mal de Monsieur le mettoit; que s'il n'eût pas été si tard, il me feroit venu voir; mais qu'il y viendroit le lendemain. Je lui envoyai dire que j'avois envie de m'en aller à l'instant à Blois, et que je ne pouvois pas demeurer en repos en l'état où étoit Monsieur, quoique l'on m'assurât qu'il se portoit mieux; que je le suppliois de me donner son avis. Il me manda qu'il ne savoit pas assez les manières de France pour savoir comme l'on en usoit en pareille occasion.

Le duc de Damville, qui avoit été toute sa vie à Monsieur, et qui avoit un grand attachement pour lui, étoit resté à Aix; [il] vint le soir et me persuada d'attendre au lendemain à prendre ma résolution. Je questionnai fort mon médecin, qui me dit: « Je ne serois pas si hardi que ces messieurs [qui ont écrit la relation]; car je ne déciderois pas que Monsieur fût hors de danger, et je trouve sa maladie d'une nature, ou à craindre que le même accident ne revienne dans quelque redoublement et qu'il ne l'emporte, ou bien que l'humeur se jette sur quelque partie du corps et qu'il en demeure paralytique; car rarement on guérit d'abord de ces maux-là. » On peut juger que je ne passai pas la nuit avec beaucoup de tranquillité. Tant de choses fâcheuses me passèrent par la tête, qu'il me seroit difficile de pouvoir dire véritablement ce que je pensai.

Le matin M. le prince de Conti, qui avoit toujours fort bien vécu avec moi, et surtout depuis quelque temps, vint me voir. Nous parlâmes de mon voyage; il trouva que 'avois raison de vouloir aller trouver Monsieur. Nous ajustâmes toutes choses; je devois aller en relais, prenant de ville en ville les chevaux des évêques, des gouverneurs (on en trouvoit quasi jusqu'à Blois) ou des personnes de condition qui étoient sur cette route. J'aurois mené peu de gens, qui auroient été en poste, et mon équipage auroit suivi la cour, que j'aurois été rejoindre, après avoir été assez de temps auprès de Monsieur pour voir sa santé rétablie, de manière à n'avoir plus rien à craindre. Tout cela résolu, M. le prince de Conti, à qui mon médecin avoit dit, comme à tout le monde, hors à moi, qu'il croyoit que Monsieur n'en pouvoit réchapper; qu'une grosse fièvre continue avec des transports au cerveau, une bouche refermée et beaucoup d'autres accidents [l'annonçoient], et qu'ainsi il ne doutoit pas que la première nouvelle qui viendroit ne fût celle de sa mort, il (le prince de Conti) me dit et madame sa femme que leur avis étoit que j'envoyasse un courrier à Blois savoir ses nouvelles de Monsieur et que, selon l'état où il seroit, j'exécuterois mon voyage. Je m'opiniâtrois fort à partir: mille raisons me faisoient désirer avec passion, outre celle de mon devoir, de voir Monsieur. M. le prince de Conti me dit: « Si vous ne nous voulez pas croire, vous croirez M. le cardinal; nous lui allons rendre compte de toutes choses, afin qu'il décide. » Ils y allèrent et revinrent me dire qu'il étoit au désespoir de ne pouvoir venir lui-même me dire son sentiment; mais qu'il se trouvoit un peu mal et qu'il étoit obligé de partir le lendemain de grand matin; mais que [son avis] étoit que je demeurasse jusqu'à ce que j'eusse des nouvelles. Je me soumis à son avis; je dépêchai un de mes valets de chambre, qui étoit un garçon qui avoit de l'esprit. Madame la princesse de Conti ne bougea d'avec moi. Nous allions tout le jour dans des couvents; le reste du temps, tout ce qui étoit à Aix, ne bougeoit de mon logis, pour tâcher en m'amusant de diminuer mon inquiétude. J'envoyai prier les grands vicaires de M. le cardinal Grimaldi, de faire prier Dieu partout. Ils ordonnèrent les prières de quarante heures; le parlement fit cesser les comédiens; enfin on fit toutes les choses qui pouvoient marquer le respect et l'affection que l'on avoit pour Monsieur.

Le dimanche gras, je fus à la messe au Pères de l'Oratoire, et l'après-dînée, au sermon, vêpres et au salut; M. [le prince] et madame la princesse de Conti y vinrent avec moi. M. de La Vrillière, secrétaire d'État, qui étoit demeuré à Aix, ouvrit la malle du courrier qui passoit pour la cour, pour voir s'il n'y avoit point de lettre pour moi qui me pût apprendre des nouvelles; mais il n'y en avoit point. Mon courrier arriva le dimanche au soir; mais on me voulut laisser souper. Comme je rentrai dans ma chambre, j'y trouvai mes gens: ils étoient là comme assemblés; cela me surprit. Je leur demandai: « Cabane est-il venu? » On me dit oui. Comme je lui avois donné charge de revenir sur ses pas, s'il apprenoit la mort de Monsieur en chemin, je n'en doutai plus.12 J'entrai dans mon cabinet pleurant de tout mon cœur; comme je l'ai très-tendre et très-bon, j'y sentis dans ce moment-là toute la tendresse que la nature fait sentir en pareilles occasions, et j'oubliai toutes celles qui l'en avoient pu éloigner. Après mes premiers mouvements je m'avisai qu'il étoit de mon devoir d'en donner part au roi. Ce sont de ces choses de dignité où l'on ne manque jamais, et même de bienséance dans sa famille. J'écrivis à M. le cardinal qu l'état où j'étois ne me permettant pas d'écrire [au roi], et mon devoir m'obligeant de lui donner part de la mort de Monsieur, je le suppliois de [la] lui vouloir dire, et que j'envoyois ce gentilhomme pour cela. C'étoit Colombier; je le chargeai de voir la reine et Monsieur. [M. le cardinal n'étoit arrivé que la veille à Toulon; il n'étoit parti d'Aix que le lendemain qu'il m'avoit fait dire qu'il me conseilloit de ne pas m'en aller que je n'eusse reçu de secondes nouvelles.13] J'envoyai le matin chez M. le prince de Conti. Je donnai cet ordre dès le soir, afin qu'on y fût de bonne heure, pour lui dire la mort de Monsieur et lui témoigner que je serois bien aise si on lui donnoit le gouvernement de Languedoc; que je lui conseillois de le demander, et que je le priois de ne demander pas les gouvernements particuliers, parce que je serois bien aise qu'ils demeurassent à ceux que Monsieur y avoit mis, qui malheureusement n'étoient par pourvus du roi par la négligence de Monsieur et par le respect à eux, qui n'en avoient jamais osé presser Monsieur. Je donnai ordre à tout ce qui m'étoit nécessaire pour mon deuil; puis je me couchai, avec un sentiment de regret de quoi Monsieur étoit mort avec tous les chagrins que l'on lui avoit donnés contre moi sur le sujet de cette affaire de Savoie, sans qu'il eût su la vérité.

Toutes les choses qui s'étoient passées entre nous me revenoient, non pour lui en savoir mauvais gré; mais pour me donner de l'inquiétude si j'avois pu avoir, dans ces temps-là, manqué au respect à quoi j'étois obligée envers lui. Toutes ces pensées me tourmentèrent fort et redoublèrent ma douleur. Car quoique je connusse, plus je m'examinois, le peu de faute que j'avois eu à tout cela, je ne laissois pas d'avoir un chagrin mortel que Monsieur avant que de mourir n'eût pas connu mes tendres et respectueux sentiments pour lui et la méchanceté de ceux qui lui avoient dit le contraire. Cela m'occupa quelques nuits que je fus sans dormir.14

Comme je crus que la mort de mon père me donneroit des affaires, j'envoyai un courrier à Préfontaine lui ordonner de me venir trouver. Cela n'embarrassa pas Guilloire; car quand il étoit venu à mon service, je lui avois promis que, quand Préfontaine reviendroit, je lui donnerois la charge de mon trésorier, ou de l'argent, parce qu'il quittoit une charge dont il avoit l'agrément chez la reine. [La charge de mon trésorier] devoit être à très-bon marché, et depuis a valu beaucoup. Comme Préfontaine le croyoit capable d'être trésorier plutôt qu'autre chose, il l'avoit engagé sur ce pied-là à mon service, en ayant15 un dont je n'étois pas contente; car pendant que j'étois à Saint-Fargeau, il m'avoit écrit deux ou trois qu'il n'avoit pas d'argent pour payer mon pourvoyeur; que mes fermiers ne vouloient plus payer; enfin mille impertinences que les gens de Monsieur lui faisoient faire; mais, comme il craignoit d'être chassé, quand je l'en menaçois, il revenoit. Sa femme d'ailleurs étoit une extravagante, amie des comtesses. L'un et l'autre m'avoient fort mal servie, et avoient fort bien fait leurs affaires en peu de temps par tolérance des gens de mon père, et pendant l'absence des miens; mais tout leur bien s'en est allé comme il étoit venu, et il est mort; et sa femme, par une mauvaise conduite, ou plutôt par une punition de Dieu, est misérable.

Tout ce qu'il y avoit de gens de qualité à Aix me vinrent voir. Le parlement et toutes les autres compagnies, les États de la province, qui étoient assemblés, et puis tous en particulier me vinrent voir. [Pour moi, je me trouvai fort heureuse d'avoir messieurs les évêques de Digne, de la maison de Forbin et de Vence, autrement M. Godeau, qui a écrit si utilement pour le bien de l'Église. Ils me donnoient quelque consolation.16] Le roi, la reine, m'envoyèrent; Monsieur, M. le Prince, et tout ce qu'il y avoit de gens en France, de quelque qualité que ce fût, envoyèrent me faire des compliments, ou m'écrivirent, et même force princes ou princesses étrangers, comme nous y avons beaucoup de parents, et moi en mon particulier du côté de ma mère. Le petit Belloy vint de la part de Madame pour donner part à Leurs Majestés de la mort de Monsieur, et arriva le lendemain. J'envoyai Masi, un de mes écuyers, à Blois, faire des compliments à Madame et à mes sœurs, avec beaucoup d'amitiés, et [avec ordre] d'être très-fier.17

La reine d'Angleterre, qui avoit fort envie de marier la princesse sa fille, avoit eu vue sur M. de Savoie; Des Chapelles, mari de madame de Fienne, y avoit fait quelques voyages. Madame royale étant en correspondance avec elle. En causant dans le carrosse où l'on parloit de toutes choses, le roi faisoit toujours la guerre à Monsieur sur l'envie qu'il avoit de se marier, et il lui dit un jour: « Vous épouserez la princesse d'Angleterre; car personne n'en veut. M. de Savoie l'a refusée, et j'en ai fait parler à M. de Florence; l'on n'en veut point. C'est pourquoi vous l'aurez; car personne n'en veut. » A mesure que les affaires du roi d'Angleterre avoient quelque apparence de mieux aller, cela réjouissoit Monsieur.18 Le roi ne témoignoit pas les aimer, quoique la reine les aimât beaucoup. Il ne bougeoit d'avec la palatine qui ménageoit ce mariage, et on en parloit beaucoup. Pour moi je ne m'en souciois point, n'étant pas persuadée que j'eusse pu être heureuse avec lui, et il a paru, par tous les temps où cet établissement a quasi dépendu de moi, comme je ne l'ai pas souhaité.

La cour étoit à Toulon lorsqu'elle apprit la mort de Monsieur; c'étoit les derniers jours de carnaval, dont les plaisirs cessèrent. Le roi fit le chemin qu'il avoit résolu; puis revint à Aix. Pendant tout le temps que j'y restai en leur absence, il faisoit assez beau; j'allois me promener hors la ville, étant une chose très-désagréable d'être toujours dans les chambres tendues de noir. Je fis faire un ameublement gris: c'est le premier qui ait été fait [pour une fille]; car jusqu'alors il n'y avoit eu que les femmes qui en eussent eu [pour le deuil] de leurs maris; mais comme je voulois porter le deuil le plus régulier et le plus grand qui eût jamais été, je m'avisai de cela. Tout étoit vêtu de deuil, jusqu'aux marmitons et les valets de tous mes gens, les couvertures de mules, tous les caparaçons [de mes chevaux] et de mes sommiers. Rien n'étoit si beau, que la première fois que l'on marcha, de voir tout ce grand équipage de deuil: Cela avoit un air fort magnifique et d'une [vraie] grandeur. On dit que je l'ai assez à toute chose. Pendant donc que j'étois à Aix, je me promenois; mais la fin de nos promenades aboutissoit toujours à quelque couvent. J'allois souvent aux Carmélites, et ce fut là que je fis faire un service pour Monsieur.

M. le cardinal vint devant le roi. Il arriva chez moi; il me témoigna le regret qu'il avoit de la perte qu'il avoit faite; combien les obligations qu'il avoit à Monsieur avoient prévalu dans son esprit [sur] les peines qu'il lui avoit fait souffrir; qu'il ne s'en prenoit point à lui; qu'il ne lui en savoit nul mauvais gré; que mon père s'étoit contraint lorsqu'il lui avoit fait du mal; qu'il l'aimoit particulièrement; qu'il lui avoit donné mille marques d'estime et de confiance; qu'il vouloit les reconnoître en ses enfants; qu'il me prioit de croire qu'il alloit songer à mon établissement plus que jamais; que c'étoit son affaire, et que je n'en plus que jamais; que c'étoit son affaire, et que je n'en devois avoir aucune inquiétude; qu'il songeroit à mes sœurs; qu'il falloit que je leur servisse de mère; que Madame étoit une femme qui gâteroit toutes les choses dont elle se mêleroit, et qu'il la falloit laisser là; lui donner seulement de quoi vivre selon sa condition en égard qu'elle avoit eu l'honneur d'être femme de Monsieur; que, pour l'aînée de mes sœurs, il la falloit marier au prince de Toscane; qu'il en avoit déjà parlé à l'abbé Bonzi;19 que la chose étoit aisée à faire; que l'on le souhaitoit fort en ce pays-là; la seconde, qui n'étoit pas bien faite ayant la taille gâtée, il la falloit donner à M. de Longueville pour son fils aîné le comte de Dunois;20 que M. de Longueville étoit fort riche; que l'on ne lui donneroit rien, et qu'il se tiendroit fort honoré; et que gardant son rang elle seroit plus heureuse que celles qui sortoient de leurs pays (je trouvai qu'il avoit raison); que la dernière étoit accordée à M. le duc d'Enghien; qu'il n'y avoit qu'à achever l'affaire. Je trouvai toutes ces dispositions admirables. Pour moi qui n'avois pas fort envie de me marier, j'écoutois tout ce que l'on disoit des autres avec plaisir et sans regret, outre que ces trois partis ne me convenoient pas.

Le roi revint un jour après, ils vinrent ensemble, le roi, la reine et Monsieur, chez moi. Le roi me dit: « Vous verrez demain mon frère avec un manteau qui traîne. Je crois qu'il a été ravi de la mort de votre père pour cela; car il n'auroit osé en porter d'un autre par dignité. Je suis bien heureux qu'il ait été plus vieux que moi; car sans cela il auroit espère en porter un par ma mort. Il croit en hériter et avoir son apanage; il ne parle d'autre chose; mais il ne l'a pas encore. » Ce fut après le premier compliment [qu'il me parla ainsi]; car il ne se peut rien de plus honnête que tout ce que le roi me dit; qu'il me vouloit servir de père; qu'il y étoit obligé, enfin mille bontés, et la reine aussi, qui fut très-aise des plaisanteries que je viens de dire. Il est vrai que Monsieur vint le lendemain avec un furieux manteau; il eut grand soin de m'ordonner force choses pour ma belle-mère, pour qu'il ne manquât à rien pour la diligence de son deuil; mais je ne me chargeai point de le mander, et je crois qu'elle n'y songea guère: car sa gloire n'alloit pas pour les choses qui regardoient l'honneur de notre maison.

Le petit Belloy me conta que toutes ses Lorraines disoient: « Madame sera bien riche à cette heure que Monsieur est mort; elle fera ce qu'elle voudra. » Dès le même jour [que Monsieur mourut] on rompit la maison, et l'on envoya chercher sa vaisselle que Madame fit serrer. Cela fit que le temps que le corps de Monsieur resta à Blois, le soir on fermoit la porte et les prêtres s'en alloient, au lieu que l'on a coutume de prier Dieu sans cesse auprès des gens de cette qualité; mais il n'y avoit ni lumière ni bois, au point qu'il faisoit fort froid, tant on y avoit donné bon ordre. Je crois que c'étoit l'affliction de Madame qui empêcha qu'elle ne songeât à rien. Pour moi, j'ai une sorte d'esprit que je suis plus agissante dans l'accablement qu'à l'ordinaire. Ainsi j'espère que je ne manquerai jamais à un devoir. [Belloy] me dit encore que l'on avoit ôté les draps du lit [de Monsieur]. Comme il étoit tombé malade dans la chambre de Madame, ses femmes avoient soin ses draps, et il fallut que madame de Raré en donnât un pour l'ensevelir; car elles en refusèrent. Les mêmes femmes ont fait la même chose à leur maîtresse: car après que l'on eut embaumé ma belle-mère, elles ne voulurent pas donner une chemise pour lui mettre; elles disoient qu'elles n'en avoient point; ce fut madame la princesse de Würtemberg qui la donna. Je questionnai fort le petit Belloy de tout ce qui s'étoit passé à la mort de Monsieur, et qui l'avoit assisté. Ce fut le curé de Saint-Sauveur de Blois, le père général de l'Oratoire, qui étoit son confesseur, n'y étant pas. L'abbé de Rancé, son premier aumônier, neveu de l'archevêque de Tours, qui avoit toujours eu cette charge et qui la lui avoit donnée depuis peu,21 y étoit.

Cet abbé de Rancé22 est un garçon de beaucoup d'esprit, d'une grande capacité, d'un esprit agréable, qui s'étoit fait prêtre jeune dans la vue d'être coadjuteur de Tours; mais comme le plaisir emporte les jeunes gens et leur fait oublier leur profession aussi bien que leur intérêt, celui-là s'étoit beaucoup écarté du chemin qu'il devoit tenir. Comme le monde se soucie peu si les gens font leur devoir, on ne laisse pas d'avoir des amis, quand l'on ne fait pas le sien. Il étoit sur ce pied dans le monde; il en avoit beaucoup et point d'ennemis que lui.Dans le temps de la mort de Monsieur, Dieu commençoit à le toucher; et comme les esprits vifs prennent feu aisément, celui de l'amour du Créateur lui fit abandonner tout celui qu'il avoit eu pour le monde;il quitta ses déréglements et un prieuré considérable qu'il avoit. Il s'en alla à une abbaye, qu'il considérable qu'il avoit. Il s'en alla à une abbaye, qu'il avoit, nommée de la Trappe, dans le Perche; quoiqu'il fût abbé commendataire,23 il demanda permission au roi d'en jouir en règle, seulement en sa personne; on lui permit. Il se fit religieux de l'étroite observance de saint Bernard: il fut député de leur réforme pour aller à Rome, où il fit des merveilles et se fit connoître par sa vertu et sa grande habileté comme un digne successeur de saint Bernard. Il mit cette abbaye sur le pied où étoit cet ordre dans ses commencements quand leur saint fondateur vivoit. Enfin leur vie est telle dans cette abbaye et ils portent l'austérité si loin en toutes choses, que je crois que, si saint Bernard revenoit, il réformeroit la Trappe, et qu'ils en auroient autant de besoin en leur manière que tout l'ordre de Cîteaux en a besoin en la sienne. Il a été, à son retour de Rome, quelques années dans une telle solitude que personne n'en parloit. On ne savoit quasi pas s'il étoit au monde; mais à son grand regret on en a bien parlé depuis.24

[Monsieur] fit, dans le peu de temps que le relâche de sa maladie lui donna, toutes les choses qu'un bon chrétien doit faire; depuis quelques années il ne songeoit à la mort: la mauvaise santé, l'exil et beaucoup d'esprit, font revenir les gens, à de certains âges; et l'on doit dire, à la louange de madame de Saujon, qu'elle avoit fort contribué à lui faire songer à son salut. Il alloit souvent à l'église; ne manquoit ni vêpres, ni grand'messe, [ni autres] prières; ne vouloit plus que l'on jurât devant lui, ni chez lui; il s'étoit désaccoutumé de cette méchante coutume. Il donna sa bénédiction à mes sœurs; tout le monde étoit si troublé là que l'on ne songea point à [la] lui demander pour moi, et il n'en parla pas. On lui parla du comte de Charny; mais il ne voulut rien dire en sa faveur. Il reçut ses sacrements à midi, dont il mourut sur les quatre heures. Madame ne s'y trouva pas. Comme son dîner étoit porté et que ses femmes alloient et venoient dans l'antichambre, où tout le monde étoit à genoux pleurant, on pouvoit croire qu'elle auroit dîné dans ce temps; mais je crois que, quelque sujette qu'elle soit aux vapeurs où le manger est bon, en pareille occasion il seroit mortel, et que ni elle ne l'auroit pas voulu ni personne n'auroit osé par toutes sortes de raisons [le] lui proposer. On emporta le corps de Monsieur à Saint-Denis, avec quelques gardes et quelques aumôniers, peu d'autres officiels. Cela se fit sans pompe ni dépense. Quand on l'ordonne, c'est bien fait d'obéir,25 et ce seroit de bons sentiments à ceux qui meurent; mais pour les vivants je ne sais si ces sentiments sont plus méritoires devant Dieu que devant les hommes. Pour moi si j'y avois été, je crois que tout se fût passé d'une autre manière.

Peu de jours après le retour de la cour à Aix,26 Goulas et Belloy arrivèrent, de la part de ma belle-mère, pour demander au roi sa protection pour elle et pour ses enfants. Comme ils furent arrivés, ils me le firent savoir et qu'ils avoient ordre de s'adresser à moi pour concerter toutes choses. Je crois que cela venoit plutôt de l'habileté de Goulas et de Belloy, qui savoient que c'étoit l'ordre et la bienséance que de ceux qu'ils avoient reçus de Madame, qui n'en savoit pas tant qu'eux. Belloy étoit un homme qui avoit toujours gardé de grandes mesures avec moi, pendant que j'étois mal avec Monsieur, comme font les habiles gens qui savent bien que les pères et les enfants se raccommodent toujours, et qu'après cela l'on demeure mal avec l'un ou l'autre, souvent avec tous les deux. Pour Goulas, il croyoit se raccommoder avec moi par là; et ce fut par respect qu'ils ne vinrent pas d'abord chez moi, parce que Goulas doutoit que je le voulusse voir. Je leur mandai qu'ils seroient les bienvenus, venant de la part de Madame.

Ils vinrent et me dirent comme Monsieur avoit fait un testament; qu'il donnoit au roi ses médailles, ses livres et ses oiseaux. C'étoient des livres de miniature, pleins de toutes sortes d'oiseaux, fort précieux de toutes les manières. Il y avoit aussi des fleurs et des plaintes et de très-belles coquilles. Ce testament ne contenoit que cela. Je crois qu'il27 n'y a pas songé, et que l'on conseilla à Madame de la faire. Pour moi j'aurois donné tout cela au roi, comme des choses curieuses; mais je n'aurois pas fait faire un testament à un homme qui n'y songeoit point. Je les menai chez M. le cardinal et je le priai de les présenter à Leurs Majestés. Ils me firent force compliments de la part de Madame, que je reçus fort bien et à quoi je répondis comme je devois.28 Ils ne me parlèrent quasi de rien ni moi à eux.

M. le cardinal me dit qu'ils lui avoient proposé de faire M. l'évêque de Saint-Malo tuteur de mes sœurs; qu'il étoit beau-père de Belloy, et ce que j'en disois. Je lui répondis que c'étoit un fort honnête homme et très-habile; qu'il avoit été conseiller, maître des requêtes, intendant de justice souvent dans les armées et dans les provinces,29 lorsqu'il s'appeloit Villemontée, que ce choix marquoit sa capacité; mais qu'il s'étoit fait d'Église parle mauvais état de ses affaires, et que pour l'ordinaire on ne choisissoit guère un homme ruiné, pour être tuteur; qu'il étoit évêque, et par conséquent obligé à résidence; que pour moi, quoique je le trouvasse un très-bon homme, je n'aurois pas jeté les yeux sur lui. Il me demanda: « Qui voudriez-vous? Je ne vous citerai point, et personne ne saura ce que nous disons;30 » et je suis persuadée qu'il m'a gardé le secret: car je n'en ai point entendu parler; je lui nommai le premier président [du parlement] de Paris, me semblant que cela avoit plus de dignité. Il me dit que j'avois raison, et il le fit; je ne sais si ce fut parce qu'il donna dans mon sens, ou si je donnai dans le sien; mais la chose fut faite.

Belloy et Goulas m'en vinrent rendre compte; ils s'en réjouissoient. Comme ils vinrent prendre congé de moi pour s'en retourner, je les chargeai de toutes les honnêtetés imaginables pour Madame, en leur disant toutefois que je m'attendois qu'elle n'en auroit nulle pour moi de l'humeur dont elle étoit. Je leur témoignai qu'elle ne me feroit pas de plaisir, si elle alloit à Paris, comme il y avoit apparence, de prendre mon appartement, qui étoit celui de mon père, où je logeois, et qu'elle pouvoit se mettre dans le sien ordinaire; qu'elle n'étoit plus en état de choisir avec moi; que j'étois l'aînée des filles; qu'elle n'avoit là de logement que par elles, son douaire et sa demeure étant à Montargis, et qu'elle avoit encore Limours, une maison proche de Paris, où elle pouvoit demeurer aussi, et que je leur ordonnois de lui dire que c'étoit mon intention, que je serois bien aise qu'elle suivit, et que si elle en usoit autrement, j'aurois sujet de me plaindre. Je fis des honnêtetés à Belloy; et à Goulas je lui dis: « Tant qu'il a été question des affaires de ma belle-mère et de mes sœurs, je vous ai vu; mais voilà votre commission finie, je ne vous verrai jamais, n'ayant pas sujet d'être contente de vous. »

On apprit que Madame, au lieu de faire sa quarantaine 31 à Blois dans une chambre noire à l'ordinaire, sans sortir, étoit partie, je crois, dix ou douze jours après la mort de Monsieur (je ne me souviens pas précisément du temps, mais enfin avant les quarante jours) pour aller à Paris, et qu'elle y étoit allée inconnue, c'est-à-dire dans un de ses carrosses. Je ne sais même s'il étoit encore noir, ou si elle n'avoit point craint que la senteur ne lui en eût fait mal; mais cela n'auroit pas été plus extraordinaire que ce qui remplissoit la voiture.32 Elle étoit en portière avec son médecin, masquée d'une manière si différente de celle des autres qu'il ne falloit l'avoir vue qu'une fois pour la reconnoître. Il y avoit dans le carrosse un apothicaire, son chirurgien et deux femmes de chambre. Elle alla coucher à Orléans, et traversa la ville, en arrivant et repartant, de cette manière. Comme c'étoit la principale ville de l'apanage de Monsieur, tout le monde la connoissoit. Sa vue causa autant de douleur que d'étonnement.33 Mes sœurs arrivèrent avec dignité dans un carrosse, et le reste du voyage se passa de même jusqu'à Paris, où elle arriva de cette manière. Elle fit en arrivant détendre mon appartement, et s'y planta, et ses filles dans le sien, comme si je n'avois jamais dû revenir, sans me faire faire aucune civilité. Quand j'appris cela, je ne fus pas très-modérée dans les premiers mouvements ni sur ce que je dis à tous ceux qui m'en parlèrent. J'en parlai à la reine et à M. le cardinal de la même manière, qui me témoignèrent avoir sur cela les sentiments que je pouvois désirer. Je ne me souviens plus si je lui écrivis, mais si je le fis, ce ne fut pas obligeamment ni tendrement.

La cour partit d'Aix pour aller à Marseille, où l'on entra34 par la brèche, que l'on avoit faite en abattant les murailles pour les punir de leur révolte. Les troupes y étoient entrées par là, et il y en avoit une grande quantité. Pendant que l'on y étoit, il y avoit des corps de garde de cavalerie et d'infanterie dans toutes les places, comme en une [ville] de guerre. On y demeura trois ou quatre jours; mais j'en fus deux dans mon lit avec la migraine. Je trouvois si pitoyable de voir ces galériens enchaînés dans les rues aller et venir. Cela me paroissoit effroyable. L'on se promena un jour sur le port, où on avoit encore ces objets-là continuellement devant les yeux. Il y avoit force vaisseaux et quelques galères; mais elles n'étoient pas toutes armées. Il y avoit des boutiques le long du port, où je ne trouvai rien de si beau et de si rare que j'avois entendu dire que l'on trouvoit. Je n'achetai quais rien.

Ce beau pays, dont tout le monde parle, me parut assez vilain; on n'y voit dans la campagne que des oliviers, qui est un très-vilain arbre. Je crois que la chaleur du pays produit de bons fruits; mais ce n'étoit pas la saison. Il est si inculte que l'on y a pas de bonne salade; ce qui seroit nécessaire: car l'ail y est admirable. Il y a de très-bons vins de liqueurs; mais le vin ordinaire n'y vaut rien. L'eau n'y est pas bonne aussi bien qu'en plusieurs endroits du Languedoc. Il y a force oranges, citrons, grenades;35 mais il n'y a ni veaux ni chapons: il fallut que je prisse de l'eau de poulet, moi qui suis accoutumée à l'eau de veau; cela m'embarrassoit. On m'envoyoit par rareté des chapons gras de Languedoc. Quelque beauté que l'on trouve dans ces pays-là, où je croyois trouver les grand chemins plantés d'orangers et grenadiers, je n'y en vis pas un, et je ne trouvai rien à ma fantaisie qui se puisse comparer aux environs de Paris. Le roi et la reine me dirent qu'ils avoient vu à Toulon force orangers et qu'ils avoient été à une maison nommée Boisjansi, où il y avoit des berceaux d'orangers et de citrons doux; mais cela n'est pas si général que l'on dit.

On se promena sur les galères; on mit dessus des gardes et même des mousquetaires du roi; elles sont peintes et dorées; il y a de jolies chambres; mais de voir cette quantité d'hommes nus, sans chemises, hors une espèce de caleçon, rasés, noirs du soleil, cela est affreux; enchaînés, cela donne une idée de l'enfer; on a horreur et pitié. Puis quand l'on fait réflexion que ce sont de méchants gens, on en a moins. Il y avoit beaucoup de frères [religieux]. Cette promenade ne fut pas trop agréable: tout le monde vomissoit, étoit en foiblesse. Il n'y eut que la maison royale à qui l'air de la mer ne fit point de mal. On se mit dans de petits vaisseaux; on pêcha force poissons, qui m'étoient inconnus, n'en ayant point vu dans la mer Océane. Le poisson, qui y est bon, est très-mauvais;36 et ceux que l'on y admire, comme je ne les connois point, je n'en mange pas.

Le roi eut envie d'aller au château d'If;37 il y a trois lieues de Marseille. Il falloit être dans un très-petit vaisseau. La reine n'y voulut pas aller; elle me permit d'y suivre le roi. En y abordant, il vint une vague qui nous couvrit tous d'eau. Il faut prendre son temps de sauter contre le rocher, et si on le manque et que l'on perde un moment, on tomberoit dans la mer. C'est un château bâti contre un roc, [avec] une petite cour et quelques terrasses d'un côté, [il est] fort par sa situation; je crois que le canon n'y feroit guère de chose et que si on l'attaquoit, on le prendroit plutôt par famine qu'autrement. La vue en est très-belle; le dedans ni beau ni laid.38 Cela étoit assez proprement meublé. On y donna une grande collation; mais comme c'étoit en carême, peu de gens y mangèrent. J'avois grande hâte d'être hors de là; car ce château a l'air d'une prison, et toute ma vie je les ai fort haïes. Je crois que c'étoit par de ces pressentiments éloignés dont on ne sait point la cause que quand l'on est assez malheureux pour la connoître et la sentir.39 Ce me fut un grand plaisir quand j'eus rejoint la reine-mère, qui nous attendoit dans la galère.

Au retour de Marseille,40 l'on fut peu de temps à Aix. On étoit fort scandalisé en ce pays-là de quoi je n'allois pas à la Sainte-Baume, où il y a une grande dévotion à sainte Madelaine; mais il y avoit beaucoup de petite vérole, et comme je la crains fort, je n'y allais point.41 On alla en partant d'Aix en Avignon: le roi et la reine prirent différents chemins, parce que la reine voulut aller à Apt, où l'on dit que le corps de sainte Anne étoit; mes mulets suivirent ceux du roi et n'arrivèrent point à Malmore, où fut la reine. Je couchai dans une chaise, et à minuit Comminges m'envoya son lit; je me jetai dessus. Le logement est très-vilain. Il y avoit un vieux homme de soixante ans, paralytique, qui ne bougeoit d'une chaise; je ne voulus pas que l'on l'otât de la chambre à cheminée, de peur de lui faire mal; je me mis dans le cabinet. La reine n'étoit guère mieux; car il falloit passer par son antichambre pour aller au grenier querir du foin et de l'avoine pour nos chevaux, n'y ayant dans ce lieu-là qu'une seule hôtellerie. A Apt on fut fort bien logé.42 En Provence, tous les gens de qualité logent dans les villes; ainsi les maisons sont logeables et bien meublées.43 La reine y fit des dévotions; quoiqu'il y en eût beaucoup en ce lieu à sainte Anne et que l'on y vienne de beaucoup d'endroits, je trouvai que les reliques n'y étoient [pas] conservées avec beaucoup de soin, étant dans une vilaine châsse de bois, comme un coffre quasi rompu. Sans cesse on l'ouvre. On en donna à la reine, et le chanoine rompit les ais avec les mains, et prenoit de la poudre à poignée et en donnoit à tout le monde.

La reine alla aux Cordeliers de la même ville, où on lui fit voir et on lui en donna aussi de saint Elzéare et de sainte Delphine. Elles étoient bien mieux tenues que celles de la cathédrale. On donne les vies [de ces saints] à la reine, que je lus tout du long du chemin. Ils étoient mari et femme, et de grands saints par ce que j'en vis; mais quand ma mémoire me pourroit rapporter [leur histoire], ce qui se pourroit conter ne seroit pas long à écrire. Si on a envie de la voir sur ce que j'en dis, on cherchera le livre.

De là la reine fut à Lisle,44 une ville dans le comtat d'Avignon. On y parla fort d'une fontaine, qui est à un village nommé Vaucluse là auprès; la fontaine s'appelle La Sorgue.45 Ce lieu est renommé parce que Pétrarque, fameux poëte italien, né à Florence, s'y étoit retiré, et que c'est là où il a composé quantité d'ouvrages pour la belle Laure. Elle étoit d'auprès de Vaucluse. Je crois qu'il est mort à Padoue. Comme je ne sais pas assez bien l'italien pour en avoir lu les poëtes, je ne les connois que pour en avoir ouï parler. Comme j'ai toujours fait grand cas de mon pays, je me suis peu appliquée aux langues étrangères. Il y a tant de livres beaux et bons dans notre langue que je trouve de quoi me contenter sans en chercher dans les autres.46

Les troupes du pape vinrent au-devant de Leurs Majestés.47 On se souvient de l'homme qui avoit tombé dans la cave. La garnison disparut: car quand les rois vont en Avignon, ils y sont les maîtres, et c'est par leur bonté que les papes le sont présentement; car il appartient de droit au roi. MM. Dupuy48 démêlent cela fort bien, et beaucoup d'autres auteurs qui ont traité des droits de la couronne et du royaume de France; mais je ne peux m'empêcher d'en dire ce mot, aimant tendrement ma patrie. Car pour la monarchie, c'est m'aimer moi-même, puisque celle de France a son origine avec celle de ma maison; ce qui n'est pas dans toutes les autres. On passa [à Avignon] la semaine sainte; nous fûmes aux stations aux chapelles des Pénitents: il y en a de blancs, de noirs, de bleus, de violets et de gris. La nuit du jeudi saint, ils se promènent parles rues en procession, avec quantité de flambeaux; ce sont des dévotions qui viennent d'Espagne et d'Italie. Il y en a beaucoup de Languedoc. C'est ce que je vis de nouveau; car la reine y vit toutes les choses que j'y avois vues, le voyage que j'y fus sans elle.

On alla [d'Avignon] à Perpignan; on passa à Narbonne,49 où je vis encore beaucoup de marques de la grandeur de la maison de Joyeuse, et de leur libéralité. Perpignan me parut une très-vilaine ville; les avenues en sont belles; le pays beau; une jolie rivière. En arrivant, il faisoit très-beau; mais il plut si horriblement qu'il y fallut séjourner, les rivières ou plutôt les torrents ayant débordé et s'étant grossis. La reine alla voir tous les couvents. Les religieuses qui sont très-austères en ce pays-ci, et qui sont du même ordre, en ce pays-là sont très-coquettes; elles ont des guimpes de quintin50 plissé, mettent du rouge, sont même fardées et se vantent d'avoir des amants. Il y en eut une qui pria Comminges de me la présenter, et de me dire qu'elle étoit maîtresse de M. de Saint-Aunais. Je fus fort effrayée de ce discours. Elle me dit qu'elle espéroit, par la bonté qu'il lui avoit souvent dit que j'avois pour lui, [que] j'en aurois un peu pour elle; qu'il y avoit dix ans qu'elle étoit sa dévote (car ils appellent cela ainsi). Je ne savois que lui dire.

Les hommes et les femmes y sont habillés à l'espagnole et vivent de même. Leurs maisons sont bâties à la mode d'Espagne; il n'y a point de cheminées, qu'à la cuisine. Il fit froid pendant que nous y étions; et comme j'aime fort le feu, j'allois prendre ma chemise humide à la cuisine; on chassoit les officiers. Ce n'étoit pas une trop bonne cassolette.

On y donna un divertissement à Leurs Majestés qui fut tragique par le hasard, comme l'on peut juger et comme l'on verra par la suite; un colonel suisse, qui étoit en garnison à Perpignan, nommé Loqueman, se divertissoit à faire combattre un âne avec un ours. On étoit aux fenêtres, et la cour étoit pleine de quantité de monde; il y avoit un degré en perron contre la muraille, où il y avoit quantité de gens, et sous ce degré étoient des siéges, où il y en avoit aussi beaucoup de montés. L'antiquité du bâtiment, une grande pluie qu'il avoit faite, la foule, tout cela l'avoit fort ébranlé; tous courroient pour y monter. Cela fit un mouvement tel qu'il en tomba deux grosses pierres qui écrasèrent la tête à un de mes pages, et coupèrent deux doigts de la main à un autre, et un mousquetaire qui étoit entre deux eut sa casaque brisée en mille morceaux, fut meurtri depuis la tête jusqu'aux pieds, sans avoir de mal. Cet accident fit ôter Leurs Majestés des fenêtres, et tout le reste de la journée on ne parla que d'accidents extraordinaires. Ce chapitre est long: car il en est tant arrivé, qu'avant que chacun eut conté le sien, la moitié d'une journée étoit remplie d'une mal agréable conversation, et laissoit une impression qui ne l'étoit pas beaucoup.

Il y eut, à l'Hôtel-de-ville, un bal à la mode d'Espagne, que l'on appelle un saranos;51 on n'y danse point comme ici; ce qui me donna curiosité de le voir. Comme il y avoit peu de temps que Monsieur étoit mort, la reine me commanda d'y aller. Je me mis derrière; je trouvai cela assez ennuyeux. Il n'y a qu'un violon; ce sont de toutes sortes d'instruments, jusqu'à une vielle et de certains triangles de fer avec des boucles, que l'on faisoit sonner avec un autre morceau de fer que l'on voit à des aveugles; je ne sais si cela n'appelle point une cymbale. Les hommes ont l'épée au côté et un manteau. Je crois qu'ils y prennent autant de plaisir que j'en ai pris autrefois à danser: car il ne faut jamais juger des goûts des autres. Pour moi j'en avois un grand pour cela, et ces mémoires en feront foi; car il en est assez souvent parlé.

Quand les eaux diminuèrent, on partit. J'eus beaucoup de peur; car on guéa des rivières, et l'eau passoit les portières du carrosse. Il y en eut un des miens qui pensa être noyé où étoient mes pierreries et mes chiens, et une de mes femmes, qui n'eut point peur et qui se donna tous les mouvements nécessaires pour être sauvée, comme elle fit en criant: « Ce sont les pierreries de Mademoiselle, que j'ai ici. » J'avois eu fort peur en traversant la Durance en partant de Malmore, quoique nous fussions dans un bac; mais ils ne sont pas si sûrs que ceux des rivières de Seine et d'Oise. La Durance est d'une rapidité terrible et fort capricieuse: ainsi il y a moins de sûreté. Il s'y étoit noyé le matin un homme de chez la reine. Il y a un proverbe en Provence qui dit:

Le parlement et la Durance
   Ruinent la Provence.

Nous retournâmes à Toulouse,52 où l'on fut quelques jours. Le roi donna le gouvernement de Languedoc à M. le prince de Conti; et tous les gouvernements particuliers qu'avoit Monsieur furent donnés ou vendus et ôtés à tous ceux à qu'il en avoit donné le commandement. M. le prince de Conti et madame sa femme allèrent à Bourbon; ce qui fit naître un embarras: à la cérémonie du mariage du roi on devoit porter la queue de la reine, et il falloit être trois, et je ne voulus pas que ce fût d'autres que des princesses du sang qui la portassent avec moi, ne voulant pas être mêlée avec les étrangères, m'étant trop inférieures. La reine, qui aimoit beaucoup madame la princesse palatine, qui avoit une chimère [dans la tête], parce que l'électeur palatin53 avoit été quelque temps roi de Bohême, la soutenoit en cette chimère, en ce qu'elle pouvoit; [elle] n'osoit rien dire; mais elle auroit bien voulu que la nécessité eût obligé, n'y ayant personne qu'elle, à la porter avec moi; car madame la princesse de Carignan devoit nous venir joindre à Bayonne.54 Mais moi qui avois fort les rangs et la dignité dans la tête en ce temps-là, et qui ne voulois pas être citée en une occasion où on y auroit dérogé, je fis tout ce que je pus pour empêcher madame la princesse de Conti de partir. Je le dis à M. le cardinal. Elle fit espérer de revenir; mais voyant que le temps s'approchoit, et qu'elle ne pouvoit [arriver assez tôt], je proposai à M. le cardinal de faire venir une de mes sœurs,et qu'il la feroit venir à mes depens; qu'elle logeroit avec moi; qu'il n'en coûteroit rien à ma belle-mère. Il me dit que je n'avois que faire de m'en mettre en peine, et que le roi feroit la dépense; que la question étoit de savoir si ma belle-mère le voudroit. Je lui dis qu'elle feroit tout ce que l'on voudroit. Je lui envoyai un gentilhomme à moi, nommé La Guérinère, qui étoit à elle aussi bien qu'à moi, parce qu'il avoit eu la charge que son père avoit chez ma mère. Je lui écrivis une lettre tout comme si j'eusse été contente d'elle; car n'étant point question lors du logement, ne devant pas retourner si tôt à Paris, je ne lui demandois qu'une de ses filles; qu'elle logeroit avec moi; que j'en aurois le plus grand soin du monde. Elle me manda qu'elle en enverroit deux, et écrivit à M. le cardinal qu'elle seroit bien aise qu'il n'y eût que des petites-filles de France qui portassent la queue de la reine. Elle ne voulut pas qu'elles logeassent avec moi de peur de m'incommoder; qu'elle enverroit madame de Saujon avec elles; qu'elle seroit bien aise s'il se pouvoit qu'elles logeassent chez la reine; et me remercioit des offres que je lui avois faites.

 


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NOTES

1. Ce fut le 27 janvier 1660 que le prince de Condé arriva à Aix, par conséquent avant le Te Deum chanté pour la paix le 2 février.

2. Ce passage, depuis qui étoit revenu jusqu'à qu'à son arrivée à Turin, se trouve dans le t. I, p. 16 du manuscrit autographe.

3. Les anciennes éditions ont encore substitué dans ce passage le style indirect au style direct.

4. Espèce de traîneau dans lequel on descend des pentes couvertes de neige.

5. Même altération du texte dans les anciennes éditions.

6. Tout le récit de la mission de Brays est écrit sur une feuille particulière et a été transposé dans le manuscrit. Il se trouve dans le t. I, p. 12 et 13.

7. Les phrases entre [ ] ne se trouvent pas dans le manuscrit autographe.

8. La cour quitta Aix le 4 février 1660. Elle arriva le 7 à Toulon.

9. Mademoiselle veut parler du cardinal Mazarin, avec lequel elle devait concerter la lettre qu'elle écrivait à son père. Voy. plus haut, p. 409.

10. Il s'agit du voyage que Brays devait faire à Blois pour rendre compte à Monsieur de sa mission et lui remettre la lettre de la duchesse de Savoie.

11. Cette partie de la phrase, depuis fort bonhomme jusqu'à cent ans, a été dans les anciennes éditions.

12. Gaston d'Orléans était mort le 2 février 1660. Guy Patin, parlant de cet événement, s'exprime ainsi: « Il mourut le septième jour d'une fièvre continue, avec une fluxion sur le poitrine et quatre prises de vin émétique, dont Guenaut ordonna les trois dernières, disant que c'étoit le vrai moyen de le guérir, sic moriuntur principes, sic itur ad astra, faute d'un bon médecin qui sache le sacret de Galien. » (Lettre à Spon, 22 juin 1660.)

13. Cette phrase, depuis M. le cardinal jusqu'à de secondes nouvelles, n'est pas dans le manuscrit autographe.

14. Ce passage, depuis toutes les choses jusqu'à sans dormir, a été complétement changé dans les anciennes éditions.

15. Ces deux phrases ne sont pas à leur place dans le manuscrit; elles ont été sur une feuille volante, qui forme la p. 7 du t. 1.

16. Le passage entre [ ] ne se trouve pas dans le manuscrit autographe.

17. Les anciennes éditions ajoutent: « Comme avec des gens qui avoient plus de besoin de moi que moi d'eux. » C'est un exemple d'un genre d'altération assez fréquent dans ces Mémoires et qui consiste à développer la pensée de l'auteur par un commentaire qu'on introduit dans le texte.

18. Phrase omise dans les anciennes éditions.

19. Les anciennes éditions ont remplacé ce nom bien connu par celui de l'abbé des Bouttes.

20. Charles d'Orléans, comte de Dunois, né le 12 janvier 1646. Il reçut en 1669 l'ordre de prêtrise, et fut désigné depuis cette époque sous le nom d'abbé d'Orléans.

21. C'est-à-dire qui l'avoit donnée depuis peu à son neveu.

22. Ce passage depuis cet abbé jusqu'à parlé depuis a été transposé dans le manuscrit à la p. 10 du tome I. Il faut avoir soin si on veut le consulter de commencer par le verso de la page. — On trouvera dans les Mémoires de Saint-Simon des détails étendus et intéressants sur l'abbé de Rancé.

23. L'abbé commendataire était un ecclésiastique auquel le roi donnait les revenus d'une abbaye, sans qu'il y résidât ni qu'il se soumit à la discipline monacale comme y étaient obligées les abbés réguliers.

24. Les anciennes éditions, qui ont perpétuellement altéré le texte de Mademoiselle dans ce passage sur l'abbé de Rancé, terminent le morceau par les réflexions suivantes, qui sont la paraphrase des dernières lignes du texte original. C'est une nouvelle preuve des étranges libertés qu'ont prises les premiers éditeurs, dont le travail a toujours été adopté sans discussion et reproduit dans les éditions successives: « Dieu, qui s'est voulu servir d'un exemple vivant pour toucher les gens qui sont dans les mêmes engagements où il avoit été, permit, à son grand regret, que sa vie et sa vertu ne demeurassent pas ensevelies dans son abbaye. Il est devenu l'admiration de tous les gens de piété et la terreur de ceux qui ne se sont pas servis des grâces que Dieu leur a voulu faire avec la même utilité qu'il a suivi et répondu à celles qu'il lui a données. »

25. Mademoiselle veut dire qu'on fait bien d'obéir aux dernières volontés de ceux qui ont ordonné de faire leurs funérailles sans pompe.

26. La cour revint à Aix le 23 février.

27. Gaston d'Orléans.

28. Phrase omise dans les anciennes éditions.

29. François de Villemontée avoit été reçu maître des requêtes le 17 novembre 1626.

30. Les anciennes éditions ont substitué dans ce passage le style indirect au style direct.

31. C'est-à-dire de rester enfermée quarante jours dans une chambre tendue de noir.

32. Ce passage depuis qu'elle y étoit allée inconnue jusqu'à la voiture a été omis dans les anciennes éditions.

33. Il y a eu transposition, dans le manuscrit, de la page où se trouve cette partie des Mémoires de Mademoiselle depuis finie, je ne vous verrai jamais jusqu'à d'étonnement. Elle est au t. II, p. 18 verso. Ce passage est un de ceux qui ont été le plus altérés dans les anciennes éditions. Il faudrait noter presque chaque mot, si l'on voulait entrer dans les détails.

34. Le roi fit son entrée à Marseille le 2 mars. On avait fait une brèche aux murailles, et ce fut par cette ouverture que le roi pénétra dans la ville rebelle.

35. Ces phrases sont omises dans les anciennes éditions, et en général tout le morceau sur la Provence est altéré au point d'être méconnaissable.

36. C'est-à-dire dans la Méditerranée.

37. Ce fut le 4 mars que le roi fit cette excursion.

38. Cette description du château d'If, qui n'est ni développée ni intéressante, a été remplacée dans les anciennes éditions par une description toute différente que j'ai cru devoir conserver en note: « Ce château est bâti sur un rocher. Il y a à l'entrée une assez grande cour, avec des maisons bâties pour le logement des soldats. L'on y a fait porter quelques terres pour y faire de petits jardins potagers. Après cela l'on entre dans un donjon où il y a quelques chambres assez obscures. Au-dessus d'une grosse tour il y a une terrasse sur laquelle on se peut promener et d'où on voit Marseille et la pleine mer, et deux autres îles qui sont plus grandes que celle-ci, qui paroissent affreuses par leur élévation et par des rochers qui semblent inaccessibles. L'on ne laisse pas pourtant de voir des gens qui s'y font porter par curiosité. Ces deux îles paroissent être fort proches de ce château: cependant ceux qui ont mis pied à terre disent qu'il y a une bonne demi-lieue de distance de celle qui est la plus proche. »

39. Allusion à l'emprisonnement de Lauzun à Pignerol. Il y était enfermé à l'époque où Mademoiselle écrivait cette partie de ses Mémoires.

40. La cour quitta Marseille pour retourner à Aix le 8 mars, et elle partit le 16 d'Aix pour aller à Avignon.

41. Les anciennes éditions ont remplacé ces mots je n'y allai point par cette peur amortit mon zèle pour leur dévotion. Voilà un spécimen du système d'altération qui a la prétention d'embellir les Mémoires de Mademoiselle.

42. Ce fut le 17 mars que la reine arriva à Apt.

43. Phrases omises dans les anciennes éditions.

44. « Le 18 de ce mois (mars), la reine, avec laquelle étoit Mademoiselle et la princesse de Conti, arriva en cette ville (Lisle), et fit l'honneur à la marquise d'Ampus de loger en son château, où elle l'a régalée de tous les fruits les plus rares du pays. » Gazette de Renaudot.

45. La rivière qui sort de la source, ou fontaine, de Vaucluse s'appelle la Sorgue.

46. Ce passage [qui est tout ce qu'il y a de plus français contemporain de par sa xénophobie et sa petitesse d'esprit, deux qualités que manque complètement la Mademoiselle de la première partie des Mémoires] depuis comme je ne sais jusqu'à dans les autres a été remplacé dans les anciennes éditions par le morceau suivant sur Pétrarque: « Il dit qu'il vit Laure dans la ville de Lisle; qu'il en devint amoureux; qu'il l'a aimée vingt ans durant sa vie et vingt ans après sa mort; qu'il s'étoit retiré dans cette solitude pour y achever les ouvrages qu'il y avoit commencés, conçus ou projetés; en un mot, tout ce qu'il a écrit. Il étoit né à Florence; il en étoit sorti du temps des Guelfes et des Gibelins; et après avoir été élevé à quelque dignité dans l'Église, il étoit mort à Padoue. Voilà ce que l'on nous a dit dans Vaucluse, et ce que j'en ai appris dans l'histoire de Pétrarque, qui a été un des plus grands hommes du monde. » Il n'y a pas un mot de tout cela dans le manuscrit autographe. Nous avons ici un autre spécimen des altérations. Il consiste à insérer le commentaire dans le texte. L'éditeur avait probablement résumé ses connaissances sur Pétrarque dans ce passage. Il lui a paru tout naturel de le substituer au texte de Mademoiselle.

47. Ce fut le 19 mars que le roi fit son entrée à Avignon.

48. Les frères Dupuy (Pierre et Jacques) ont publié un grand nombre de traités sur les droits des rois de France, et spécialement un traité des Droits et libertés de l'Église gallicane. Les anciens éditeurs en ont fait M. Dupuis.

49. La cour arriva le 8 avril à Narbonne, et le 10 à Perpignan.

50. Quintin: Toile fort fine et fort claire, dont on fait des collets et des manchettes, tant pour hommes que pour femmes (Dictionnaire de Furetière).

51. Les lexiques traduisent ce mot [saranos] par bal.

52. La cour arriva à Toulouse le 20 avril.

53. Frédéric V, électeur palatin et beau-père d'Anne de Gonzague, dont il est ici question, avait été proclamé roi de Bohême par les habitants de cette contrée en 1619, au commencement de la guerre de Trente ans.

54. Membre de phrase omis dans les éditions précédentes. Il est essentiel pour que l'on puisse comprendre qu'elle devait être la troisième princesse destinée à porter la queue de la reine.


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