Boo the Cat

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DEUXIÈME PARTIE, CHAPITRE I

(1659 – janvier 1660)

La grande attache que j'avois aux plaisirs par le temps que j'en avois été privée, le grand monde que je voyois, force voyages que j'ai faits, un exil, et beaucoup d'autres choses, et particulièrement une qui m'a occupée agréablement un temps, pendant lequel je n'étois pas sans inquiétude, par la crainte de l'événement, qui m'a coûté beaucoup de chagrin et tel qu'il dure encore, tout cela m'avoit fait oublier mes Mémoires et l'envie de les continuer; mais depuis que je suis ici, m'étant amusée à les lire, l'envie d'y travailler m'a repris. Dix-sept-ans de discontinuation et tout ce qui s'est passé pendant cette interruption peuvent m'avoir fait oublier beaucoup de choses; mais comme ce n'est que pour moi que j'écris, il n'importe. Je vais donc les commencer aujourd'hui 18 août 1677, à Eu.1

Pendant le temps que mon père fut à Paris, il me venoit voir tous les jours, plutôt deux fois qu'une ; et comme je savois qu'il revenoit de bonne heure à son logis, je m'y rendois avec soin. Il avoit assez sur le cœur de quoi la reine et M. le cardinal ne lui disoient rien de Pimentel, que tout le monde lui disoit être à Paris. Il souhaitoit fort la paix pour le bien de l'État; mais le grand désir qu'il avoit que ma sœur épousât le roi [la] lui faisoit craindre, parce qu'il voyoit bien qu'elle ne se pouvoit conclure sans le mariage du roi et de l'infante d'Espagne. On le flattoit toujours de ce mariage, quoiqu'il n'y eût nulle apparence; mais madame de Choisy, qui étoit une causeuse qui s'intriguoit et qui se vouloit faire valoir, [le] lui faisoit espérer, et beaucoup de gens de cette manière. Mais quand l'on aime à être flatté, on ne remarque pas par qui, et naturellement on a du penchant à croire ce que l'on souhaite . Mon père étoit de cette humeur. Pour moi, je ne lui ressemble pas en cela: car je doute toujours de ce que je souhaite; et je ne me contente pas de cela, j'y trouve toujours des obstacles invincibles. Il y en avoit un fort grand du côté de la reine à ce mariage; car je lui avois ouï dire: « Monsieur me fait pitié de croie que je voulusse que mon fils épousât votre sœur; c'est assez d'être fille de Madame pour que cela ne soit jamais: sa personne, son humeur et ses manières me sont odieuses, et je noierois plutôt mon fils. » Je lui dis sur cela: « Madame, elle est fille de mon père. — Cela ne fait rien; elle l'est de votre belle-mère; ce qui gâte tout. »

A dire le vrai, ce n'étoit pas une femme aimable; et comme je paroîtrois préoccupée et peu croyable, j'ai pris2 tout ce que j'en ai dit et ce que j'en veux dire ci-après. Il vaut mieux ne juger ni ne louer là-dessus les sentiments de la reine, mais le laisser faire aux autres. J'aurois fort boulu que mon père eût pu entendre ce discours, qui recommençoit en toutes les occasions où l'on en parloit, parce qu'il auroit vu comme la reine étoit là-dessus et qu'il ne m'eût accusée de rien. Car madame de Choisy lui mandoit toujours que j'étois l'obstacle à la fortune de ma sœur et qu'elle seroit reine sans moi; que je ne prétendois pas au roi; que je n'avois pas lieu d'y songer; mais que j'aimois mieux une princesse étrangère que ma sœur. Elle avoit raison d'en juger ainsi; car je n'aurois pas aimé à la voir au-dessus de moi, et ne me pouvant persuader qu'étant fille de sa mère, quoiqu'elle fût ma sœur, elle pût avoir beaucoup de tendresse pour moi.

Lyonne, secrétaire d'État, donna une fête à sa maison de Berny,3 à deux lieues de Paris, au roi, à la reine, où toute la cour étoit. M. le cardinal y mena Pimentel, et ce fut le premier jour qu'il parut. Monsieur4 étoit convié d'y aller. Je ne sais s'il eut du chagrin de voir que Pimentel partît, sans que l'on lui en eût parlé que la veille, mais il s'en excusa, disant qu'il n'étoit ni d'âge ni de santé à aller à des fêtes, ni à y prendre plaisir. Devant que je partisse pour y aller, il fut longtemps à moraliser sur le détachement où il étoit de toutes choses, d'une manière à me faire connoître qu'il n'étoit pas content de la cour, sans pourtant m'en rien particulariser. On partit à deux heures après midi; on ne revint qu'à quatre heures du matin.

La beauté du lieu, qui est un des plus agréables d'auprès de Paris, dont la maison est bâtie et les jardins accommodés par M. de Puisieux, qui étoit secrétaire d'État, et le chancelier de Sillery, son père, liassent à juger que pour peu que la situation y ait répondu, l'on n'y a pas épargné la dépense pour le rendre agréable. La maison étoit fort bien meublée. La reine, trouva, en arrivant, le bal, la comédie, toute sorte de musique; en un mot rien n'y manqua que l'ordre. Car la presse déconcerta tout et empêcha que les plaisirs ne fussent exécutés comme ils avoient été projetés. La longueur du temps que l'on y fut et la confusion m'ennuyèrent un peu, outre que je commençois à n'en plus tant prendre à ces sortes de choses. Tout le monde étoit ravi de voir Pimentel, n'y ayant personne qui n'eût une grande joie d'entendre parler de la paix et qui ne la souhaitât. Je causai fort avec lui pendant le bal; j'excusois le mieux qu'il m'étoit possible le désordre qu'il avoit vu, par le désir que les François avoient de voir le roi, et la grande affection qu'ils avoient pour lui, que l'on connoissoit en toutes occasions; qu'ils en avoient grande raison; que quand l'on ne seroit pas obligé à aimer son roi, il étoit si aimable, avoit tant de grandes qualités. Enfin notre conversation fut quasi toujours sur les louanges du roi, et il y a tant de choses à dire qu'il sera aisé de croire que le bal finit plus tôt que la matière de notre conversation. Nous parlâmes aussi un peu d'Espagne, de l'Infante et de la paix; mais tout cela ne nous écartoit point de notre sujet; nous n'en parlions que parce que cela y revenoit.

Peu après on parla du voyage;5 tout le monde s'y prépara: on fit faire les plus beaux habits du monde comme pour aller aux noces, et quelles noces! Par là on peut juger des préparatifs. Comme l'histoire marquera le temps du départ, étant une chose aussi remarquable, je ne me fatiguerai pas de le chercher, ni dans ma mémoire ni dans des livres, et de passerai même sur beaucoup de choses qui pourront être écrites ailleurs. Je m'arrêterai seulement sur celles où je puis avoir quelque intérêt, ou les gens à qui j'en prends, ou bien qui ne peuvent être sues par d'autres que par moi.

Nous partîmes donc de Paris avec les acclamations de joie du peuple et des bénédictions qu'ils demandoient à Dieu pour le roi, pour l'heureux succès de son voyage et du sujet qui le lui faisoit faire. Madame la princesse de Conti accompagna la reine, ainsi que la princesse palatine, madame la comtesse de Fleix, sa dame d'honneur, madame la duchesse d'Uzès, femme de son chevalier d'honneur. Madame de Noailles étoit grosse ou malade. L'on alla à Fontainebleau, où l'on fut quelque temps. On coucha à Jargeau pour ne pas passer à Orléans. Comme Monsieur étoit à Chambord, Madame s'étant blessée, la cour y coucha au lieu d'aller à Blois. Le jour que l'on y arriva, le roi disoit dans le carrosse: « Je n'ai pas voulu mettre un autre habit, ni décordonner mes cheveux; car si je m'étois paré, j'aurois donné trop de regret à votre père, à votre belle-mère et à votre sœur de ne pas m'avoir; je me suis fait tout le plus vilain que j'ai pu pour les dégoûter de moi. » Il faisoit ces plaisanteries avec une grande gaieté.

Monsieur vint au-devant du roi hors le parc de Chambord. On alla droit au château voir Madame. Puis le roi monta à cheval avec mon père, qui le mena promener et tirer des faisans. Comme l'on étoit arrivé de bonne heure, le roi eut le temps de se promener. La reine demeura au château; car il n'y a pas de promenades à aller à pied à Chambord. Mes sœurs n'y étoient pas. Mon père dit à la reine, qui en demanda les nouvelles, qu'il les avoit envoyées à Blois pour n'occuper pas de logement' même il avoit envoyé ses officiers à Blois; ce qui fut cause que l'on ne donna à manger à personne. Il soupa avec le roi et la reine. Pour moi qui avois mes gens, je voulus faire l'honneur de la maison; je donnai à souper à toutes les dames qui étoient avec la reine, et à ses filles.

Le lendemain on fut dîner à Blois;mon père donna à manger à Leurs Majestés dans le château. Mes sœurs vinrent au bas des degrés recevoir Leurs Majestés. Par malheur, de certaines mouches, que l'on appelle des cousins, avoient mordu ma sœur la nuit; comme ce qu'elle a de plus beau est le teint, elle l'avoit si gâté, et la gorge, qu'elle a fort maigre, comme ont d'ordinaire les filles de treize ans, que c'étoit une pitié à voir cela, par-dessus le chagrin où elle étoit d'avoir cru épouser le roi: car on ne lui parloit d'autre chose; on l'appeloit toujours la petite reine; et voir qu'il s'alloit marier à une autre, tout cela ne donne pas des charmes. Pour la petite de Valois, elle étoit fort jolie. On les voulut faire danser. La reine le demanda à madame de Raré: car on prisoit fort ma sœur là-dessus; elle dansa fort mal. La petite, que mon père avoit dit qui causoit à étourdir les gens et qui le divertissoit extrêmement, ne voulut jamais parler.

Comme les officiers de mon père n'étoient plus à la mode, quelque magnifique que fût le repas, on ne le trouva pas bon et Leurs Majestés mangèrent très-peu. Toutes les dames de la cour de Blois, qui étoient en grand nombre, étoient habillées comme les mets du repas, point à la mode. La reine avoit une si grande hâte de s'en aller, et le roi, que je n'en vis jamais une pareille. Cela n'avoit pas l'air obligeant; mais je crois que mon père étoit de même de son côté et qu'il fut bien aise d'être défait de nous.

Le matin que l'on partit de Chambord, il vint à quatre heures du matin m'éveiller; il s'assit sur mon lit et me dit: « Je crois que vous ne serez pas fâchée que je vous aie éveillée, puisque je n'aurois pas eu le temps de vous voir tantôt. Vous allez faire un grand et long voyage: car quoi que l'on dise, la paix n'est pas si aisée à faire que l'on croit, et peut-être ne se fera-t-elle pas; ainsi votre voyage sera peut-être plus long que l'on ne dit. Je suis vieux, usé; ainsi je puis mourir pendant votre absence. Si je meurs, je vous recommande vos sœurs. Je sais bien que vous n'aimez pas Madame; qu'elle n'a pas eu envers vous toute la conduite qu'elle eût pu avoir; ses enfants n'en peuvent mais; pour l'amour de moi, ayez en soin. Elles auront bien besoin de vous: car pour Madame, elle ne leur sera pas d'un grand secours. » Il m'embrassa trois ou quatre fois. Je reçus cela avec beaucoup de tendresse; car j'ai le cœur bon; ainsi pour peu que l'on rentre avec moi dans son devoir, l'on le touche aisément. Je dis à Monsieur tout ce que je sentis sur cela, qui fut des choses très-respectueuses, tendres and reconnoissantes de la sincérité avec laquelle il me parloit. Nous nous séparâmes fort bien, et je me rendormis. Si je ne me fusse souvenue très-bien de cela, je croirois l'avoir songé, vu ce qui s'étoit passé auparavant.

Dès que l'on fut en carrosse, en partant de Blois, on parla fort de tout ce qui s'y étoit passé et l'on s'en moqua beaucoup. Mon père aimoit fort ses faisans, et prenoit un grand plaisir à les conserver. Le roi disoit: « Votre père a été bien fâché de quoi j'ai tué quatorze faisans. » Enfin il se réjouissoit de tout.

J'oubliois à dire qu'avant que de partir de Paris, M. le cardinal avoit fait partir ses trois nièces; qu'il les avoit envoyées à Brouage, et que ce départ avoit fait grand bruit; que le roi en avoit été fort fâché; même l'on disoit qu'il s'étoit mis à genoux devant la reine et M. le cardinal, pour leur demander d'épouser mademoiselle de Mancini. Comme je ne sais sur cela que les bruits du monde, je n'en dirai pas davantage; il n'appartient pas ni à moi ni à personne de raisonner sur ce que nos maîtres font, même sur ce qu'en disent les autres.6

L'on continua le voyage jusqu'à Bordeaux,7 sans qu'il se passât rien dont il me souvienne. J'ai la tête si pleine de tant de choses que j'ai envie de dire, que cela m'en fera oublier beaucoup qui réjouiroient les lecteurs, mais quine me feroient pas tant de plaisir à écrire. Je logeai à Bordeaux, où j'avoit logé l'autre voyage, chez M. le premier président de Pontac. J'avois avec moi madame de Montglat et mademoiselle de Vandy. Pendant le voyage, le roi causoit avec moi dans le carrosse. Toutes celles qui y étoient ne lui convenoient pas comme moi, étant des personnes fort sérieuses et avec qui il avoit moins d'habitude. On parloit for souvent de la guerre et elles ne connoissoient pas autant de gens de ce métier que moi qui les entretenois tous les jours; ainsi le roi s'adressoit plus volontiers à moi qu'aux autres, soit qu'il prît plus de plaisir à causer avec moi, ou que j'entrasse plus dans les chapitres qu'il aimoit. IL dit un jour (je me souviens que c'étoit avant que d'arriver à Châtellerault): « Je crois qu'il n'y a rien qui donne tant de joie que de gagner une bataille, et que l'on se sait bon gré au retour, et que l'on est bien content de soi. » Sans songer que la palatine étoit là, qui étoit fort amie de M. de Turenne, et sans faire aucune réflexion sur le mauvais gré qu'il m'en sauroit, je dis au roi: « Il y a un homme dans votre carrosse qui vous peut dire ce que l'on pense en pareille occasion, qui est le maréchal Du Plessis; car il en a gagné avec tous les [agréments] que l'on peut avoir en pareille occasion, puisque ç'a été un des plus grand capitaines de ce temps qui l'a perdue. M. de Turenne à Rethel; envoyons lui demander. » En arrivant, je [le] lui dis;8 vous pouvez juger le plaisir que cela lui fit. Je pense que la palatine le redit à M. de Turenne, et depuis il m'a nui en tout ce qu'il a pu, comme vous pourrez [le] voir ci-après, et il me paroît qu'il ne m'a jamais pardonné.

Pendant le séjour de Bordeaux9 la reine menoit sa vie ordinaire. L'on alloit dans les couvents, se promener et on jouoit les soirs à la bête très-gros jeu.10 Quoique je ne l'aime pas naturellement, quoique mon père l'aimoit (sic) beaucoup, de qui je pourrois tenir, soit par le peu d'occupation que j'avois, ou pour faire comme les autres, je m'étois [mise] du jeu de la reine, mais de manière à ne m'en pas contraindre. Je fus de moitié avec le comte de Roye; ainsi je me dispensois de jouer quand je trouvois à m'occuper plus agréablement. Le roi faisoit souvent faire l'exercice au régiment des gardes. On avoit souvent des nouvelles de Saint-Jean-de-Luz, où étoit le cardinal qui traitoit la paix avec don Louis de Haro.11 On peut juger de la joie qu'avoit la reine quand les choses s'avançoient. Le maréchal de Gramont alla, ambassadeur extraordinaire, à Madrid, demander l'Infante. J'envoyai le comte de Charny avec lui, que j'avois mené avec moi à ce voyage. Comme on ne faisoit rien en Flandre, il eût été très-inutile à sa compagnie; je lui en avois fait donner une de cavalerie.

Madame de Montausier vint à Bordeaux, et comme M. de Montausier est gouverneur d'Angoulême et Saintonge, il n'y a pas loin de Bordeaux; elle étoit à Saintes lorsque l'on y passa. Nous fûmes souper chez elle, madame la princesse de Conti et moi. Elle venoit souvent me voir; c'est une femme de beaucoup d'esprit et de mérite. Elle vouloit toujours raccommoder Vandy avec les comtesses pour les remettre ensuite bien avec moi. Un jour qu'elle parloit de Saint-Fargeau et de tous leurs démêlés, elle dit à Vandy: « Vous êtes bien fière, princesse de Paphlagonie! » Mademoiselle de Scudéry lui avoit donné ce nom dans un de ses romans; car elle étoit aimée de tous les beaux esprits qui ne bougeoient de chez madame la comtesse de Maure. Sur cela je dis: « La princesse de Paphlagonie a une guerre si déclarée contre la reine Gilette! » La comtesse de Fiesque se nomme Gilone, et au commencement qu'elle fut veuve de son premier mari, le marquis de Pienne, elle eut un train magnifique, voyoit beaucoup de monde; on s'avisa de l'appeler ainsi. Je dis donc à madame de Montausier: « Vous ferez la paix entre ces couronnes, quand celle de France et d'Espagne sera achevée. » Cette conversation dura tout un soir. Comme elle fut sortie, je dis à Vandy: «J'ai envie de faire un mémoire de vos intérêts, pour présenter à madame de Montausier. » Elle me dit: « Cela seroit bien plaisant. » Je ne croyois faire que cela; mais comme j'avois du temps et que j'y trouvai mon divertissement, j'en fis une petite histoire qui fut achevée en trois jours, à écrire une heure ou deux heures [par jour], le soir quand je revenois de chez la reine. Je la montrai à madame de Montausier, qui la trouva jolie; c'étoit une bagatelle. Je lui montrai l'Ile imaginaire, que j'avois écrite en Dombes. Madame de Pontac se mit dans la tête de la faire imprimer; on en fit un petit livre,12 qui ne fut vue que de peu de personnes.

L'on quitta Bordeaux pour aller à Toulouse.13 On fut en partant par eau à Cadillac, une très-belle et magnifique maison à M. d'Épernon, que feu M. d'Épernon avoit fait bâtir pendant sa faveur. Elle est sur le bord de la Garonne, mais elle n'en a pas la vue; [il y a] des avenues qui vont au bord, de grands jardins, des parcs, de belles églises, force fondations, de superbes meubles pour le temps où ils avoient été faits. M. d'Épernon y reçut Leurs Majestés avec la dernière magnificence. Rien ne fut égal à la bonne chère, à la somptuosité, à la politesse et à la grandeur qui parurent en tout. C'est un homme qui a conservé un air de grand seigneur que personne n'a plus, par la quantité de gentilshommes, de pages, enfin de toutes les choses qui distinguent les gens. Aussi avoit-il de quoi le soutenir avec la charge de colonel général de l'infanterie françoise, qui est un office de la couronne. Le gouvernement de Guienne et cent mille écus de rente donnent fort un air de distinction, pour peu que l'on ait du mérite, et il y en avoit en sa manière. [Comme la reine louoit la beauté de ses meubles et la quantité, après s'être promenée par toute la maison, il lui dit ce que peu de gens diroient, et qui est digne d'être redit à l'honneur de nos rois, et qui montre bien ce qu'ils sont au-dessus des autres, et ce qu'ils savent faire quand il leur plaît: « Je suis bien fâché que Votre Majesté n'en ait pas de plus beaux; mais pendant ma disgrâce, sous le règne du feu roi et dans les derniers troubles de Bordeaux, j'ai perdu six millions; c'est ce qui m'a empêché aussi de faire achever la maison où Votre Majesté auroit été mieux logée. » Le duc de Damville envoya demander un logement. M. d'Épernon répondit: « Où est le roi, je n'ordonne rien. » Il ne le voyoit [pas], ni le marquis d'Alluye; il ne les pria ni l'un ni l'autre à dîner ni à souper. Ils logèrent et mangèrent où ils purent. Toutes ces choses se rapportent assez à cet air fier et de grandeur d'un fils de favori qui voit du mérite.14]

Les gîtes que l'on fit entre Bordeaux et Toulouse sont assez inutiles à dire, quand il ne s'y est rien passé et que l'on n'y a rien vu digne de remarque, [hors celui de Nérac, où on séjourna un jour. Ce château est nommé par les Mémoires de la reine Marguerite et les histoires qu'elle conte y être arrivées pendant le long séjour qu'elle y fit, et le roi, mon grand-père. C'est un assez beau lieu; les jardins, dans leur rusticité, ont des choses assez agréables; et par mille restes de vieux ajustements, je crois qu'en son temps il y avoit de la politesse; mais comme tout change, il me parut comme j'ai dit15].

Toulouse est une très-belle ville sur la Garonne, qui par sa grandeur et par la quantité de peuple (ce qui fait que l'on va et vient dans les rues), me paroît avoir lus d'air de Paris que pas une de toutes celles que j'ai vues; car d'ordinaire les grandes villes de province ont des quartiers déserts, où l'on ne voit ni peuple ni boutique. Toulouse est fort remplie de l'un et de l'autre, et même de carrosses, y ayant un parlement, et un très-beau cours, où la reine alloit quelquefois. Leurs Majestés logeoient à l'archevêché, qui est une très-belle maison que le cardinal de Joyeuse, oncle de ma grand'mère, avoit fait accommoder, en étant archevêque. Il l'étoit aussi de Rouen et de Narbonne. Cette maison, très-illustre par son ancienneté, l'avoit davantage été par sa faveur, du temps d'Henri III. L'aîné étoit amiral et duc et pair, qui avoit épousé une princesse de Lorraine, sœur de la reine Louise,16 et le roi lui fit l'honneur, lorsqu'il fit ce mariage, de dire qu'il avoit bien du déplaisir de n'avoir plus de sœurs et point de filles à lui donner. Le second, père de ma grand'mère, étoit duc et pair; l'un et l'autre furent gouverneurs du Languedoc. Le cardinal fut celui qui maria sa nièce à M. de Montpensier, mon grand-père. Ainsi je vis avec plaisir le respect et la vénération que l'on a dans cette province pour cette maison, et force marques de leur grandeur qu'ils en ont laissées. Le cardinal, devant que de mourir, ne voulut plus avoir trois archevêchés; cette mode se passa, qui n'étoit pas des meilleures. Il donna celui de Toulouse au second fils de M. d'Épernon, qui étoit son parent, qui depuis a été cardinal de la Valette; celui de Narbonne à l'abbé de Rebé, son maître de chambre,17 et il garda [celui] de Rouen, parce que mon grand-père étoit gouverneur de Normandie. Devant que de mourir, il supplia le roi de lui donner pour successeur M. de Harlay-Chanvalon; il avoit été nourri auprès de lui, M. de Montpensier le considérant comme son parent, étant fils d'une fille de la maison de la Marck; ç'a a été depuis un très-grand personnage dans l'Église. Ils étoient si accoutumés à être bien traîtés des rois dans cette maison [la maison de Joyeuse], que jusqu'à sa mort il [le cardinal de Joyeuse] a reçu des marques de leur bonté.

J'ai ouï conter une chose particulière qui arriva en Espagne à peu près dans le même temps, qui n'est pas, je crois, dans l'histoire de ce pays-là, les Espagnols n'étant pas si curieux que les François d'écrire jusqu'aux moindres choses, même je ne crois pas de mémoires particuliers, comme on fait en France. Tout le monde sait que Philippe II avoit deux filles;18 que l'une épousa le duc de Savoie et l'autre l'archiduc Albert. Comme je ne sais laquelle étoit l'aînée, je les ai nommées, comme elles me sont venues dans l'esprit; car on ne peut être assez ignorant pour ne pas savoir que les princes d'Autriche vont devant ceux de Savoie. Ce mariage fut longtemps proposé devant que d'être exécuté; même il fut rompu plusieurs fois, et une donc qu'il l'étoit, le roi d'Espagne fut fort en colère contre le duc de Savoie. Étant au conseil il se plaignit de ses manières et dit: « Je ne sais pourquoi les rois donnent leurs filles à des souverains. Ce sont des alliances inutiles: ils font honneur à ceux à qui ils les donnent et ils ne s'en font point. Ils s'attirent des embarras par la protection qu'il leur faut donner, et souvent ce sont des prétextes de guerre, quand l'on n'en voudroit pas avoir. Ces messieurs-là ne connoissent pas cela, et croient être bons à quelque chose. » L'amirante de Castille se leva et dit au roi: « Sire, j'ai deux fils, je les offre à Votre Majesté pour les deux Infantes; et pour moi, je compterai l'honneur que vous me ferez. » Le roi lui dit: « Vous avez raison; j'en aurois beaucoup plus que vous encore si je le faisois, et mon exemple devroit être suivi. Il ne faut jamais prendre des gens qui ne se sentent pas honorés, lorsque l'on les honore. » Et le roi d'Espagne lui auroit donné une de ses filles, sans que l'affaire de Savoie se raccrocha promptement, et que l'on eût des raisons d'État pour envoyer l'infante Isabelle commander en Flandre.

Pendant que M. le cardinal étoit à Saint-Jean-de-Luz, que la paix et le mariage étoient prêts a conclure, il mourut un des fils du roi d'Espagne. J'avois oublié de dire qu'ils n'avoient pas voulu songer au mariage, tant qu'il n'y en avoit qu'un, et que ce fut sur la naissance du second que Pimentel vint à Lyon. Cela alarma un peu la reine-mère; mais M. le cardinal lui manda que cela ne changeroit rien, et que le roi d'Espagne ne vouloit se dédire, l'affaire étant trop utile pour le bien de la chrétienté, et que Dieu béniroit ses bonnes intentions et lui en donneroit un autre. La reine d'Espagne devint grosse peu après. Nous prîmes le deuil de ce prince; mais M. le cardinal revint qui nous le fit quitter, parce qu'on ne le portoit point en Espagne des enfants, qui n'eussent sept ans. Cette coutume me paroît bonne et elle a d'assez bons fondements; puisque l'Église se rejouit de leur mort jusqu'à cet âge, nous n'en devrions point témoigner de la douleur par des marques extérieures.

Le roi d'Angleterre avoit été en Espagne; je ne me souviens point pourquoi.19 Il avoit été en Flandre aussi, et le duc d'York qui avoit longtemps servi le roi, alla servir le roi d'Espagne. Il repassa en France. Leurs Majestés allèrent au-devant de M. le cardinal. Ce fut grande joie à son retour, et l'on en avoit bien sujet, et lui aussi d'en avoir, ayant fait la paix.20 Le lendemain qu'il fut arrivé, il me vint voir. Nous entrâmes dans un cabinet: après avoir été quelque temps avec tout le monde, il me dit qu'il avoit à parler à moi; il commença: « Il ne me sera jamais imputé de préférer mes intérêts à ceux de mon maître et de tout ce qui a l'honneur de lui appartenir, et je sais bien la différence qu'il y a de ma famille à la sienne. Le roi d'Angleterre m'a fait proposer de le marier avec ma nièce Hortense. Je lui ai répondu qu'il me faisoit trop d'honneur; mais que tant qu'il y auroit des cousines germaines du roi à marier, il ne falloit pas qu'il songeât à mes nièces, et qu'il auroit sujet de repentir s'il faisoit une telle faute, et moi de l'avoir quitté.21 » On commençoit à voir quelque espérance de son rétablissement et M. le cardinal me le dit; que sans cela il ne me le proposeroit pas. Je le remerciai et je lui dis que, quand les affaires avoient été aussi avancées que celles du roi d'Angleterre et de moi, et qu'elles ne s'étoient pas faites, il n'y avoit guère d'apparence d'y songer, et que j'étois assez glorieuse pour ne vouloir pas que l'on [le] lui proposât, quand il n'y songeoit pas lui-même; et que je lui conseillois fort de lui donner Hortense; que je serois fort aise qu'elle fût ma cousine germaine.

Nous nous séparâmes fort contents l'un de l'autre et avec force protestations d'amitié. J'appris que, du temps de la mort de Cromwell, la reine d'Angleterre avoit déjà fait faire la même proposition à M. le cardinal, mais qu'il l'avoit refusée. Cette fois c'étois M. de Turenne qui l'avoit faite, et qui prenoit un grand intérêt à tout ce qui regardoit le roi d'Angleterre; mais comme ce n'étoit pas un homme heureux, toutes les affaires dont il se mêloit, ne réussissoient pas toujours. La reine d'Angleterre témoignoit un fort grand empressement pour ce mariage, à ce que me dit M. le cardinal. Il trouvoit aussi bien que moi qu'il ne lui convenoit guère d'en avoir en pareille occasion. Depuis que je l'ai mieux connu que je ne faisois pendant la Fronde (j'avois peu parlé à lui, hors à Bordeaux, comme l'on aura vu ci-devant), j'ai trouvé qu'il se faisoit assez justice en toutes choses. Pour moi qui n'avoit pas le même empressement de me marier que la reine d'Angleterre avoit pour avoir Hortense, j'écoutois tout ce que l'on me disoit sur ce chapitre avec une grande indifférence; et quand j'y songeois, il me paroissoit qu'il n'y avoit rien de si difficile à juger que celui que j'épouserois, quoiqu'alors il y eût assez de partis qui me convinssent. J'avois si souvent vu des affaires prêtes à finir qui avoient manqué, que j'étois résolue à n'en plus croire d'assurées que je ne fusse devant le prêtre; je n'en souhaitois pas une et j'étois persuadée, qu'il s'en falloit remettre à la Providence divine, comme c'est elle qui décide de tout. J'ai grand'peur que la résignation où je me trouvois pour lors ne vînt pas du principe dont elle doit venir, et que ce fut le peu d'inclination que j'avois au mariage par l'indifférence que j 'avois pour les partis qui pouvoient songer à moi; mais cette même Providence, qui agit en tout et qui fait qu'il ne tombe pas un cheveu de notre tête que Dieu ne l'ait prévu, ne décidoit point et étoit suspendue comme elle l'est encore à décider de ce qui arriveroit sur moi pour me donner un état fixe et dans lequel je pusse trouver un parfait repos. L'on n'en peut avoir sans se soumettre entièrement à elle; c'est à quoi il faut travailler. L'ouvrage est plus utile et devroit agréable que d'écrire des Mémoires; mais je crois que ce seroit trop présumer de soi que de toujours prier ou méditer. L'on n'est pas assez parfait pour être toujours devant Dieu. Par respect il s'en faut retirer, et le temps qui reste, quand l'on ne dit rien contre son prochain, on le peut employer, sans craindre de mal faire, à des choses aussi indifférentes que celle-ci.

Comme le roi d'Espagne ne devoit partir de Madrid qu'au premier jour d'avril, pour venir à Fontarabie, qui est la dernière ville sur la rivière qui sépare la France et l'Espagne de ce côté-là, on parla que l'on iroit passer le reste de l'hiver à Paris. On dit aussi que l'on iroit en Languedoc et en Provence, où il y avoit encore eu quelques petits troubles. On fut quelques jours à savoir ce que l'on feroit; car à la cour on dit souvent les choses avant qu'elles arrivent, et surtout en matière de voyage. Guitaut vint à la cour de la part de M. le Prince; l'on peut juger comment il y fut reçu. Le roi d'Angleterre passa à Blois; l'on ajusta fort ma sœur: car on vouloit la marier, à quelque prix que ce fût. M. de Lorraine alla à Blois,22 où il demeura longtemps. IL y fit venir son neveu, le prince Charles, qui avoit quinze ans. Il mangeoit avec mes sœurs, et Madame étoit ravie qu'ils fussent toujours ensemble. Les enfants de cet âge songent quelquefois à autre chose qu'à jouer aux poupées. Aussi devint-il amoureux, à Blois, de la fille de madame de Raré, gouvernante de ma sœur; et le marquis de Beauvau, son gouverneur, qui avoit peur qu'il ne le devînt ensuite de ma sœur, à qui il ne [lui] convenoit pas de se marier ni à elle non plus, faisoit tout ce qu'il pouvoit pour qu'il n'y allât pas si souvent. Pour Madame, qui n'avoit aucune prévoyance, [elle] ne songeoit qu'à prier Dieu, à manger pour remédier à ses vapeurs (ce qui les augmentoit, aussi bien que la vie sédentaire), et à entretenir ses femmes lorraines, qu'elle trouvoit de meilleure compagnie que tout ce qu'il y a voit de gens à Blois, où il y en avoit assez qui étoient de plus agréable conversation. Quoique la cour de Monsieur fût fort diminuée depuis son exil, [elle] ne donnoit ordre à rien, et ne voyoit ses filles qu'un demi-quart d'heure le soir, et autant le matin, et ne leur disoit rien, sinon: « Tenez-vous droites; levez la tête. » Voilà toute l'instruction qu'elle leur donnoit. Elle ne les voyoit pas le reste de la journée et ne s'informoit pas de ce qu'elles faisoient. Madame de Raré étoit dans sa chambre, où il y avoit cinq ou six tables de toutes sortes de jeux.23 Monsieur y alloit souvent, et mes sœurs étoient dans leurs chambres avec quantité de petites filles, et personne ni de qualité ni d'autorité à leur rien dire.

Depuis que j'avois vu Monsieur à Chambord, je lui écrivois avec soin tout ce qui venoit à ma connoissance pour tâcher de le divertir; je lui faisois toujours mille amitiés, et il y répondoit. Je croyois être parfaitement bien avec lui. On me manda de Paris que depuis que l'on ne voyoit plus d'espérance au mariage du roi avec ma sœur, mon père songeoit fort à celui de M. de Savoie. Cela m'étoit fort indifférent. Un jour M. le cardinal me dit: « Il y a bien des nouvelles; Monsieur m'a écrit une grande lettre pour se plaindre de ce que vous empêchez le mariage de M. de Savoie et de votre sœur, et que M. l'archevêque d'Embrun, qui est ambassadeur pour le roi, lui a écrit, et madame de Savoie aussi, qu'elle a trouvé une lettre que vous écriviez à M. de Savoie, par où vous lui mandiez que votre sœur étoit bossue, et force choses désobligeantes.24 » Je me mis à rire et répondis à M. le cardinal: « J'ai grande pitié de Monsieur de s'amuser de ces choses-là et d'ajouter foi aux folies de l'archevêque d'Embrun et de ma tante; elle est donc aussi méchante que folle. » Cela ne laissa pas que de me mettre en colère, quand ma fierté eut surmonté le ridicule de ma tante et de l'ambassadeur; je demandai à M. le cardinal ce que j'avois à faire. Il me dit: « Il faudra voir. »

Comme j'avois cela fort dans la tête et que je ne voulois pas laisser Monsieur plus longtemps dans le chagrin que cela lui causoit contre moi, qui me faisoit peine, j'allai trouver M. le cardinal le lendemain; je lui proposai d'écrire à Monsieur et d'envoyer à Madame royale lui faire un éclaircissement, qui étoit proprement lui donner un démenti au cas qu'elle désavouât la lettre dont elle avoit parlé à Monsieur; que je [le] lui demanderois par la mienne et qu'en usant de cette manière avec elle, Monsieur auroit sujet d'être content: car la ménageant si peu, il pourroit juger que je n'avois pas envie d'épouser son fils. M. le cardinal me dit: « Cela sera fort bien; mais il ne faut pas écrire à Monsieur que vous n'ayez eu la réponse de Madame royale; car il est méfiant. Il ne faudroit pas que vous envoyassiez en Piémont; il croiroit que ce seroit pour faire parler à M. de Savoie. C'est pourquoi ne lui en faites rien dire. »

J'écrivis à ma tante une lettre la plus fière que l'on se puisse imaginer d'une demoiselle de mon humeur,25 qui est assez méprisante pour les autres, et qui (si je l'ose dire, d'une fille de France, ma tante) [la] méprisoit assez pour la différence de nos manières et de nos humeurs; et comme l'on verra assez, par tout ce que j'ai écrit dans mes Mémoires, je n'ai eu trop envie de me marier, à moins d'une grandeur qui égalât la mienne (ambition avec laquelle j'étois née, et qui surpassoit encore ma naissance, s'il peut y avoir quelque maison au-dessus; mais l'imagination vive que Dieu m'a donnée a toujours poussé les choses dans l'excès), ou d'une inclination de pareille nature, dont je n'avois pas été touchée pour lors. Ne trouvant ni l'une ni l'autre en M. de Savoie, on croira aisément que je n'épargnai rien dans les termes de ma lettre pour soutenir ma gloire, que j'avois crue blessée en cette occasion. Voici cette lettre:26 « A Toulouse, ce 15 décembre 1659. Sur les plaintes que Monsieur a faites à M. le cardinal de celles que Votre Altesse royale lui a faites de moi de ce que j'avois écrit à M. de Savoie pour l'empêcher de penser a ma sœur, je supplie très-humblement Votre Altesse royale ou d'envoyer ma lettre pour m'être confrontée, ou de me faire l'honneur de m'écrire pour me dire qu'elle n'en a pas vu; ce qui est la vérité. Elle doit la justice à tout le monde et encore plus à une personne qui a l'honneur d'être ce que je lui suis et qui n'a jamais rien fait en sa vie qu'elle veuille ni puisse désavouer. C'est le sujet pourquoi j'envoie Brays et pour l'assurer de mes très-humbles respects. »

M. le cardinal trouva [cette lettre] fort bien; il écrivit à M. de Navailles et à M. de Servien, ambassadeurs du roi. Ce fut Brays que j'envoyai. Il prit congé de M. le cardinal, qui l'instruisit. Je lui ordonnai de ne voir M. de Savoie que chez madame sa mère. Brays partit. Dans le temps que Madame royale écrivoit tout cela à Monsieur, elle m'écrivoit fort souvent les plus belles lettres et les plus tendres du monde. C'étoit dommage qu'elle fût de la qualité dont elle étoit; car elle avoit toutes celles qui sont nécessaires à u;ne bonne comédienne.

Monsieur avoit une loupe depuis quelques années au milieu du dos qui étoit devenue fort grosse; elle s'étoit ouverte et jetoit quelques humeurs. Il y avoit un an, elle s'étoit fermée, pendant la canicule, et dans ce même temps il avoit eu quelques étourdissements fâcheux, qui donnèrent lieu aux médecins de lui conseiller d'aller à Bourbon, parce que ces eaux lui avoient toujours fait du bien; mais comme l'on flatte les princes sur toutes choses, même souvent aux dépens de leur âme aussi bien que de leur vie, il s'en trouva qui dirent qu'il pouvoit attendre au printemps.27

Nous partîmes après Noël de Toulouse28 pour aller à Montpellier, où l'on séjourna deux ou trois jours. C'est une fort jolie ville, pour aller en chaise ou à pied; car les rues sont fort étroites, et hautes et basses. Il faisoit un froid enragé, une gelée horrible; mais le soleil du Languedoc est tel, que le mois de janvier y est comme présentement le mois de juillet en France; car ces dernières années il n'y a eu que des journées qui nous l'aient fait discerner des autres.29 Les femmes y sont jolies à ce que l'on dit; pour moi, je les trouvai fort fardées et beaucoup de rouges. Elles ont de l'esprit, à ce que disent les hommes, et l'air enjoué; mais je les trouvai trop libres. » Monsieur fut à un bal chez madame de La Motte-Argencourt, mère d'une des filles de la reine. J'y fus avec lui; mais nous nous y ennuyâmes fort; nous n'y fûmes guère; on vouloit voir toutes les beautés dont on avoit ouï parler, quine me parurent pas telles.

On continua son chemin à Nîmes:30 je suppliai la reine de me permettre de m'en aller en Avignon, parce que j'avois fort entendu parler de la beauté de cette ville, et que je craignois le trajet de Beaucaire à Tarascon, où le Rhône est fort large. J'aimois mieux passer sur le pont d'Avignon. Je mandai que je voulois être inconnue, et que je priois que l'on ne me fît aucun honneur. Mademoiselle de Vandy étoit demeurée malade à Toulouse; de sorte que n'ayant que madame de Montglat, je priai madame la duchesse d'Orval, femme du premier écuyer de la reine, qui avoit fait le voyage, de m'accompagner. J'y menai aussi mademoiselle d'Armentière, sa cousine, qui demeuroit avec elle à Nîmes. La reine y séjourna. On fut voir les arènes et des aqueducs, où passe une rivière, qui sont faits du temps des Romains.

Je partis pour Avignon le jour que la cour [partit pour] Arles, avec intention d'y être le jour d'après, n'en voulant séjourner qu'un à Avignon. Je passai au pont du Gard, qui est un grand ouvrage des Romains. C'est une chose curieuse et digne d'être vue: c'est trois ponts l'un sur l'autre, dont la structure est faite comme [pour un seul]. Ils ne sont soutenus que d'un côté. Il faut le voir pour le comprendre. Je passai à pied; jamais il n'y avoit passé de si grands carrosses que les miens; il n'y eut qu'un de mes cochers qui eut l'adresse de les passer tous trois. Je ne montai pas aux deux ponts de dessus, parce que j'avois mal au pied; dont je fus très-fâchée. En arrivant au bout du pont d'Avignon, j'arrivai à une toute petite ville qui est de la France, quoique anciennement tout en fût; par une possession peut-être abusive, le pape en jouit.31 Cette ville, nommé Villeneuve, a un fort au-dessus, qui s'appelle Saint-André. Le gouverneur fit tirer le canon.On me vint haranguer à double titre, par ce que je suis, et parce que Monsieur étoit gouverneur de Languedoc. Je reçus fort mal ces honneurs et ces harangues. Je leur disois: « Je ne suis pas moi; je suis inconnue. » Ils n'eurent autre réponse. Je trouvai au bout du pont la chaise de M. le vice-légat, et force autres. Je m'y mis; je vis le pont et le Rhône au clair de la lune; l'un et l'autre me parurent une fort belle chose et me firent grand'peur: car le Rhône est fort rapide et fort large, et le pont est fort étroit, fort haut et en mauvaise réparation. Comme je fus au bout du pont du côté de la ville, je vis force monde, quantité de flambeaux; j'entendis de tambours, des trompettes; cela me parut formidable. Je n'avois autre chose dans la tête que d'être inconnue.

Comme je vis tout cela, je sortis de ma chaise et je me jetai dans une maison qui étoit un bureau du roi, et je ne suis faire autre chose que fermer la porte.32 Madame d'Orval et tout ce qui étoit avec moi rioit de voir la crainte que j'avois ce jour-là que l'on ne me fît de l'honneur. Ce n'est pas mon ordinaire, y étant née et accoutumée à en avoir partout. Enfin M. le vice-légat, transporté d'un grand zèle de m'en rendre et secondé d'une grande force (car c'étoit un très-gros homme), donna un coup de poing dans la porte, qui la rompit. J'aurois dû reconnoître l'autorité du pape et la révérer; mais je n'y songeai pas. Il me faisoit mille compliments en italien; je lui répondois fort incivilement: « Je veux être inconnue. » Il avoit avec lui le commandant des armes du pape, nommé le commandeur Lomelino, autrement le grand prieur d'Angleterre, les consuls. Enfin, malgré moi l'on me fit tous les honneurs imaginables. Tout le bourgeois, la garnison, tout étoit sous les armes; plus des flambeaux, des dames au fenêtres. On tira furieusement; le canon de Saint-André répondoit à celui de la ville.

J'arrivai chez M. le marquis de Grillon,33 homme de qualité de ce pays-là, que je connoissois. Je n'avois pas voulu loger au palais du pape. La maison de Grillon est fort belle, bâtie et peinte à l'italienne. Comme je fus dans ce logis où il y avoit un monde infini, je me rassurai et voulus bien lors être ce que j'étois. Je devins civile, commençai à ne plus gronder personne et reçus le monde à mon ordinaire. Le vice-légat y fut longtemps. Comme tout le monde fut sorti, un de mes gens me conta une aventure qui me fit bien rire. Il y a une compagnie de cavalerie, qui n'est pas une troupe fort aguerrie ni qui monte souvent à cheval; c'étoit le chevalier Rospigliosi qui la commandoit. Je crois qu'il est à cette heure cardinal. On voulut mettre en escadron cette troupe dans un quartier où je passai. Le brigadier, peu accoutumé à de telles choses, et son cheval aussi, tomba dans une cave. Cette aventure n'a pas été oubliée.

Comme j'avois fait une longue journée, que mes officiers n'étoient pas arrivés, le marquis de Valavoir, qui étoit à M. le cardinal, [et] que je connoissois, me dit: « Si on osoit, l'on vous donneroit à souper. » Il étoit tard; j'avois envie de dormir, j'acceptai cette offre avec joie. J'allai souper chez la tante de sa femme, qui étoit belle-sœur de madame de Grillon. On entroit d'un logis à l'autre. Pendant le souper j'entretins un des plus beaux esprits de la ville, qui étoit le chef de l'Académie. Après l'on me donna les marionnettes; mais j'avois si envie de dormir que de meilleurs divertissements ne m'auroient pas arrêtée.

Le lendemain je résolus de voir tout ce qu'il y avoit de rare dans la ville. On me dit qu'il falloit commencer par le palais. J'y allai; je trouvai toute la garnison dans la place sous les armes. La vue du palais est admirable: les appartements sont grands; mais c'est une vieille maison, point ajustée, meublée à l'italienne. Dans une des plus belles chambres il y avoit un portrait du roi sous un dais. Dans le cabinet de M. le vice-légat, il y avoit sur la table un livre de sa généalogie, pour me faire voir qu'il étoit parent de la maison de Joyeuse. Il ne me dit rien; mais je lus d'abord; car le livre étoit ouvert en cet endroit. Je lui fis une honnêteté là-dessus.Ensuite j'allai au Cours, où tout le monde étoit; c'est sur le bord du Rhône, le long des murailles de la ville qui sont les plus belles du monde. Puis j'allai à la synagogue voir les juifs. Ils chantèrent; jamais je n'ai vu un si vilain lieu ni de si vilaines gens. Ensuite j'allai à une Notre-Dame qui est au bout de la ville, une fort belle chapelle, où l'on dit qu'il se faisoit force miracles. Je fus aussi aux Carmélites, qui ne sont pas comme celles d'ici, et en un autre couvent, où madame de Grillon me pria d'aller; puis au bal; ils sont tour à tour chez toutes les dames.34 Si je m'en souviens, c'étoit chez madame la marquise de Châteauneuf, dont le mari est de la maison de Simiane. Madame d'Orval et madame de Montglat étoient en la bonne place. Comme j'étois inconnue, j'étois sur un siége, M. le vice-légat auprès de moi. On me dit que les vice-légats dansent d'ordinaire, mais pour celui-là je crois que de la grosseur dont il étoit, on eût eu peine; mais il y a une autre coutume que l'on ne pratiqua pas ce jours-là, c'est qu'à chaque courante la dame le vînt baiser. Cela me paroît assez ridicule [pour] un vieil évêque-prêtre. Je dis que je trouvois cela ridicule; il me dit qu'il en étoit bien aise et qu'il l'aboliroit. Tout finit par là.

Le lendemain, avant que de partir, je fus aux Célestins entendre la messe dans la chapelle de Saint-Pierre de Luxembourg, où on a une très-grande dévotion en cette ville; il n'a point été canonisé, parce qu'il avoit été fait cardinal par un des anti-papes qui demeuroient en Avignon. Mais [par] la quantité de miracles qu'il a faits, ayant ressuscité des morts en nombre très-grand, [on] y a donc une telle dévotion que l'Église a toléré celle des peuples. Depuis quelques années, elle s'est réveillée à Amiens dans l'église de Saint-Martin, où sont les pères Célestins. La dernière fois que la cour y fut, j'y allai. On a tant besoin du secours des saints que l'on ne les sauroit trop chercher. Si l'on pouvoit lier une amitié étroite en se conformant à eux, ces amis-là seroient plus solides et plus utiles que ceux de ce monde. Nous avons plusieurs alliances avec cette maison.35

Je voulus m'en aller passe un bac pour m'en aller par terre trouver Leurs Majestés; mais il étoit rompu; je fus obligée à me mettre sur le Rhône. M. le vice-légat, qui alloit trouver le roi, avoit un fort joli bateau; il me le donna et un prit un autre. Si j'avois voulu éviter l'eau, que je craignois fort, il auroit fallu attendre quelques jours. J'avois dit à Leurs Majestés [le jour] que je me rendrois auprès d'elles; ainsi, la nécessité surmonta ma crainte. En entrant dans le bateau, je pria Dieu du meilleur de mon cœur; je me recommandai à lui, et fis mon voyage. Il dégeloit, et la gelée avoit été fort grande; ainsi il y avoit des rochers [de glace] d'une effroyable grosseur sur le Rhône. Il va d'une vitesse qui fait à mon gré plus de plaisir que de peur. Il faisoit très-beau; le pays que l'on voit est admirable. Je m'y rassurai de manière que je m'y endormis dans le bateau; ainsi je trouvai le trajet fort court jusqu'en Arles.

Comme j'arrivai à Arles en entrant chez la reine, elle s'écria: « Quoi! vous êtes venue par eau? » Je lui dis que l'envie de me rendre auprès d'elle avoit surmonté toutes mes craintes, et que je n'en aurois jamais qui me fissent manquer au moindre de mes devoirs. Tout le monde me dit: « Quoi! Vous n'avez pas eu peur? » Car à la cour il faut peu de chose pour faire parler longtemps; tant l'on y est inutile et habile! Ce fut la conversation de tout le soir. Il y avoit une si horrible gelée, et elle avoit duré si longtemps, que le lieutenant-colonel des gardes, Fourilles, homme digne de foi, dit au roi et à la reine que le régiment des gardes avoit passé de Tarascon à Beaucaire sur la glace, et qu'ils avoient été tout couverts de la poudre qu'il y avoit.

On ne fut qu'un jour à Arles; le lendemain on fut coucher à Salon. Cette ville est située dans un endroit de Provence que l'on appelle la plaine de la Crau. C'est un pays très-pierreux, où il ne croit que du serpolet; il est très-renommé pour la bonté des moutons qui y sont. Je ne sais si c'est que je ne sais rien goûter, ou si c'est que les gens nés à Paris ne trouvent rien de si bon que ce qui est des environs;36 mais je ne les trouvai pas meilleurs que ceux de Beauvais. Il s'en faut de beaucoup qu'ils aient si bonne mine; car les moutons y sont beaucoup plus petits. Cette ville est encore recommandable par Nostradamus, qui y avoit pris naissance et qui y est enterré; on y voit son tombeau dans un des piliers de l'église. Je ne me souviens pas s'il y a une épitaphe. Je n'en doute point; mais comme elle est apparemment en latin je n'en pourrois rien dire. Ce personnage s'est rendu si célèbre par ses prédictions, qu'il n'a pas besoin d'autre chose pour le rendre célèbre dans les siècles à venir.

On alla coucher à Aix,37 où l'on reçut Leurs Majestés à l'ordinaire. Elles logèrent à l'archevêché chez le cardinal Grimaldi. Il me semble qu'il n'y étoit pas, et qu'il étoit ou en Italie ou à Monaco, le prince de ce nom étant de même maison que lui. Son petit-fils, le duc de Valentinois, épousa dans ce temps-là mademoiselle de Gramont, fille du maréchal, une belle et aimable personne. Ce mariage se fit à Bidache au retour de l'ambassade extraordinaire d'Espagne. M. de Valentinois étoit jeune, bien fait, et grand seigneur; avec tout cela il ne plaisoit pas mademoiselle de Gramont; elle fut fort fâchée de se marier. Il y avoit quelqu'un38 à la cour qui lui plaisoit davantage; son goût n'étoit pas dépravé. Il y a eu assez de gens qui en ont été, même trop pour le bien du personnage.39

Il y avoit eu des troubles en Provence, comme j'ai déjà dit, et surtout à Marseille; on y avoit envoyé des troupes pour les morigéner, étant une chose assez extraordinaire que pendant que l'on faisoit la paix à Saint-Jean-de-Luz, et que le roi étoit dans des provinces voisines, on se soulevât. On punit aussi leur insolence: car on fit abattre les murailles d'un côté de la ville de Marseille, et l'on fit bâtir une citadelle. M. de Mercœur, qui en étoit gouverneur, fit cette expédition, secondé de M. le premier président d'Oppède, qui faisoit tout dans la Provence. On pouvoit dire qu'il faisoit la pluie et le beau temps; car c'étoit lui qui avoit été à la tête des Frondeurs dans le commencement des troubles, lorsque M. d'Angoulême en étoit gouverneur, et il étoit contre lui, comme les Bordelois contre M. d'Épernon; il disoit que ce n'étoit pas contre le roi; main on en croira comme l'on voudra. Le premier président étoit donc revenu au parti du roi, et comme c'est un homme chaud et emporté, il est fort haï dans la province. Il se brouilla avec tous ceux qui avoient été autrefois avec lui, et pendant que nous étions à Aix, on en châtia quelques-uns; on en fit pendre: on en envoya aux galères; on châtia des gens du parlement que l'on exila dans les lieux éloignés. Enfin, pour rétablir l'autorité du roi, on fit grand fracas, et celle du premier président fut fort redoutée, car pour M. de Mercœur, quand on lui demandoit quelque chose, il renvoyoit au premier président. Celui qui fut condamné aux galères étoit un garçon qui avoit été capitaine dans le régiment de Valois; il me fit prier de parler pour lui. Je m'adressai à M. le cardinal, qui me renvoya au premier président, me disant: « Je ne sais point les affaires de ce pays; c'est lui qui se mêle de tout. » Il [le premier président d'Oppède] me fit force compliments; mais il ne laissa pas d'aller aux galères. Il passa devant mes fenêtres, comme l'on le menoit. C'étoit un homme bien fait; de le voir lié, cela me fit une grande pitié. Il savoit que je m'étois expliquée pour lui; il regarda à ma fenêtre; mais je m'en ôtai; cela me fit peine. C'étoit le premier président qui l'avoit engagé dans ces affaires-là. [C'est ce qui faisoit son crime, et il l'envoyoit aux galères. Quoiqu'il me fût dur de voir souffrir un homme, je ne laissai pas de concevoir qu'il falloit que le premier président eût des raisons pressantes pour le service du roi d'agir ainsi, parce qu'il étoit de mes amis et que j'avois beaucoup d'estime pour lui. C'est un homme de mérite, de la maison de Forbin].40

 


fleur-de-lys

 


NOTES

1. Tout ce préamble de la seconde partie des Mémoires de Mademoiselle a été changé dans les anciennes éditions, comme on pourra le reconnaître en comparant les textes. Les altérations, déjà si fréquentes dans la première partie des Mémoires de Mademoiselle, le deviennent beaucoup plus dans la seconde. Je n'en pourrai signaler qu'un petit nombre; il faudrait sans cela multiplier les notes à chaque page.

2. C'est-à-dire j'ai emprunté à la reine tout ce que j'ai dit de ma belle-mère.

3. Cette fête eut lieu le 18 mai 1659.

4. Gaston d'Orléans, père de Mademoiselle.

5. Le cardinal Mazarin partit dès le 25 juin pour se rendre à Saint-Jean-de-Luz. La cour ne quitta Fontainebleau que le 28 juillet; elle alla d'abord à Bordeaux, où elle arriva le 19 août.

6. Voy. l'Appendice.: « Louis XIV et Marie Mancini ».

7. La cour arriva à Bordeaux le 19 août 1659.

8. Le sens de cette phrase, qui a été altérée dans les anciennes éditions, et qu'en arrivant à Bordeaux, Mademoiselle fit part de cette conversation au maréchal Du Plessis.

9. La cour séjourna à Bordeaux du 19 août au 5 octobre.

10. Bartet, qui suivait la cour, donne des détails précis sur cette fureur du jeu. Il écrivait à Mazarin à la date du 23 septembre 1659: « M. de Roquelaure perdit hier dix mille écus contre M. de Cauvisson au piquet. Celui-ci n'en gagna que deux mille; mais M. de Brancas, qui parloit pour lui, en gagna six mille (il faut lire sans doute huit mille.) M. de Roquelaure n'a joué que deux fois contre M. de Cauvisson, et il a perdu quarante mille francs qu'il a pariés. »

11. On a publié la correspondance de Mazarin avec la cour pendant les négociations de la paix des Pyrénées (Paris, 1745, 2 vol. in-12).

12. L'Histoire de la princesse de Paphlagonie et la Relation de l'Isle invisible ont été imprimées à la suite des Mémoires de Mademoiselle dans les éditions de 1735 et de 1746. (Voy. l'édition de 1659: ici.)

13. La cour partit de Bordeaux le 6 octobre 1659 et arriva le 14 à Toulouse.

14. Le passage entre [ ] depuis comme la reine jusqu'à qui avoit du mérite manque dans le manuscrit à l'endroit indiqué. Il a été placé, par le relieur, en tête du premier volume.

15. Ce passage depuis hors celui de Nérac jusqu'à comme j'ai dit a été également transposé dans le manuscrit autographe et se trouve à la page 19 du tome I.

16. Louise de Vaudemont, femme de Henri III.

17. Les anciennes éditions ont omis une partie de cette phrase depuis qui a été jusqu'à maître de chambre.

18. Isabelle-Claire-Eugénie, qui fut mariée en 1599 à l'archiduc Albert, et Catherine qui épousa, en 1585, Charles-Emmanuel de Savoie.

19. Ce motif est indiqué dans une lettre inédite de Bartet, du 3 octobre 1659. Voici le passage relatif au roi d'Angleterre: «La reine m'a montré une lettre de la reine d'Angleterre qui lui rendit hier un gentilhomme de M. le duc d'York, qui passa ici (à Bordeaux) venant de Bruxelles, dans laquelle elle lui mande que le roi d'Angleterre s'en va en Espagne, et qu'il ne lui en a donné connoissance qu'en partant. Nous croyons qu'il va trouver D. Louis pour tâcher de l'engager à faire quelque chose pour lui dans la conférence. »

20. Le traité des Pyrénées avait été signé le 7 novembre 1659, Mazarin partit le 13 de Saint-Jean-de-Luz pour se rendre à Toulouse, où il arriva le 21.

21. C'est-à-dire de l'avoir laissé faire.

22. Ce fut le 27 novembre 1659 que le duc de Lorraine arriva à Blois (Gazette de Renaudot). Le même recueil fixe la date de l'arrivée des autres personnages: « Le 29 [novembre], le duc François et le prince Charles, son fils, y arrivèrent de Paris, comme fit le jour suivant mylord Germain pour avertir Sa dite Altesse, que le roi de la Grande-Bretagne y devoit pareillement arriver aujourd'hui incognito; ce qu'elle n'eût pas sitôt appris qu'Elle lui envoya le comte de Bury, qui l'a amené chez le marquis de Raré, où il a été reçu par Monseigneur le duc d'Orléans, qui l'y a traité très-magnifiquement à souper. »

23. Les anciennes éditions ont remplacé ce membre de phrase par le suivant: « Où il y avoit cinq ou six filles de toutes sortes de gens. »

24. La mémoire de Mademoiselle n'est pas ici très-fidèle. Ce fut à Bordeaux et non à Toulouse qu'elle apprit les plaintes de son père; elle reçut cette nouvelle non de cardinal, mais du duc de Damville, comme le prouvent des correspondances inédites et parfaitement authentiques de cette époque. Bartet, un des agents les plus habiles et les plus dévoués de Mazarin, lui écrivait de Bordeaux à la date du 29 septembre 1659: « Nous avons ici une grande affaire, particulièrement depuis l'arrivée de M. de Damville, lequel a dit à Mademoiselle que M. le duc d'Orléans fort en colère lui a montré une lettre de madame de Savoie, par laquelle elle lui mande que Mademoiselle entretient un commerce particulier et secret avec M. de Savoie; que, depuis ce temps-là, il a l'esprit tout changé pour mademoiselle d'Orléans, et qu'elle a vu une lettre de la main de Mademoiselle, dans laquelle elle s'offroit elle-même à M. le duc de Savoie pour se marier avec lui. Ce sont presque les mêmes mots; elle dit qu'elle a vu et lu la lettre, que le secrétaire d'État lui porta, qu'elle ouvrit, et puis la fit rendre recachetée à M. de Savoie, lequel l'ayant su dit qu'il feroit jeter le secrétaire d'État par les fenêtres, monta à cheval, s'en alla à quatre lieues de Turin où il étoit, il y avoit six jours, sans être retourné à Turin ni avoir vu Madame. Mademoiselle pleura fort et le nia encore davantage; elle se plaint de Madame [de Savoie] et lui veut écrire. La reine suspend son jugement sur tout, parce qu'elle les connoît toutes deux pour ne dire pas toujours vrai. Néanmoins elle penche à croire Mademoiselle innocente, et toute la cour le croit aussi. » L'affaire ne se termina qu'après le retour du cardinal à la cour, comme on le voit par les Mémoires de Mademoiselle.

25. Ce passage depuis la plus fière que l'on se puisse imaginer jusqu'à en cette occasion ne se trouve pas à la place convenable dans le manuscrit autographe, mais sur une feuille volante, que l'on a insérée dans le t. I, p. 15.

26. Cette lettre est omise dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle. Elle a été déplacée dans le manuscrit autographe; on l'a mise dans le tome I, p. 15 vo.

27. On voit par une lettre du comte de Béthune à Mazarin, datée de Blois, 31 décembre 1659, que Mademoiselle n'était pas encore réconciliée avec son père. Voici la partie de cette lettre qui concerne Mademoiselle: « Je viens maintenant au chapitre de Mademoiselle, dont je parlai à S. A. R. par ordre de Votre Éminence, et lui dis qu'elle ne vouloit en aucune façon se mêler ni s'entremettre de la rapprocher et la mettre bien avec elle qu'autant qu'elle s'y employât et s'en entremit, la considérant principalement par l'honneur qu'elle avoit d'être sa fille, et qu'après cette déclaration que je lui faisois de sa part, elle m'avoit ajouté que, si S. A. R. jugeoit que Mademoiselle recherchant de se mettre mieux avec elle, cela peut contribuer en quelque chose pour aplanir ce qui se pourroit rencontrer d'obstacles de sa part pour le mariage de mademoiselle d'Orléans, en ce cas son avis se porteroit à cela en la retenant en quelque manière du dessein qu'elle pourroit y avoir pour elle-même, Votre Éminence m'ayant dit que M. le duc de Savoie étoit avaricieux et avoit considéré et fait réflexion sur le bien de Mademoiselle. S. A. R. après m'avoir écouté patiemment, me dit que Votre Éminence l'obligeoit fort d'en user ainsi. »

28. La cour partit de Toulouse le 27 décembre 1659; elle fit son entrée à Montpellier le 5 janvier 1660, et en repartit le 8 pour aller à Nîmes.

29. Phrase omise dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle.

30. La cour arriva à Nîmes le 9 janvier.

31. Le comtat Venaissin avait été vendu au pape le 9 juin 1348 par Jeanne de Provence, reine de Naples.

32. Ce dernier membre de phrase est omis dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle.

33. Ce fut le 12 janvier que Mademoiselle arriva à Avignon; elle en partit le 14.

34. C'est-à-dire que les dames donnent successivement le bal.

35. C'est-à-dire avec la maison de Luxembourg d'où étoit sorti ce saint. — Ce paragraphe depuis avant que de partir jusqu'à avec cette maison n'est pas à sa place dans le manuscrit. La feuille volante sur laquelle il se trouve a été placée dans le t. I du manuscrit, p. 11.

36. Ce membre de phrase est omis dans les anciennes éditions; on y a changé presque complètement le reste du passage.

37. La cour arriva à Aix le 17 janvier.

38. Il s'agit de Lauzun, dont la jalousie à l'égard de mademoiselle de Gramont, devenue madame de Valentinois ou madame de Monaco, est retracée d'une manière piquante dans les Mémoires de Saint-Simon (édit. Hachette, in-8, t. XX, p. 45-46): « Il (Lauzun) étoit amoureux de madame de Monaco, sœur du comte de Guiche, intime amie de Madame (Henriette d'Angleterre) et dans toutes ses intrigues. Lauzun étoit fort jaloux et n'étoit pas content d'elle. Une après-dînée d'été qu'il étoit allé à Saint-Cloud, il trouva Madame et sa cour assisse à terre sur le parquet, pour se refraîchir, et madame de Monaco à demi couchée, une main renversée par terre. Lauzun se met en galanterie avec les dames, et tourne si bien qu'il appuie son talon dans le creux de la main de madame de Monaco, y fait la pirouette et s'en va. Madame de Monaco eut la force de ne point crier et de s'en taire. » On trouvera à la suite une anecdote non moins curieuse sur les relations de Louis XIV et madame de Valentinois.

39. Ce passage, depuis il me semble jusqu'à du personnage n'est pas à sa place dans le manuscrit autographe. Il a été transposé dans le t. I à la p. 8.

40. Le passage entre [ ] ne se trouve pas dans le manuscrit autographe, et il est probable qu'il aura été ajouté par des éditeurs qui auront voulu atténuer le blâme de la conduite du président d'Oppède que Mademoiselle avoit exprimé avec sa franchise ordinaire.


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