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CHAPITRE XXX

(janvier – avril 1658)

On croira aisément que les premiers jours de mon arrivée ma maison ne désemplit pas; car quand la raison du devoir et celle que je suis assez aimée n'y auroient pas fait venir le monde, la grâce de la nouveauté est une belle chose pour les François. Monsieur y revint une seconde fois, et j'apprenois que l'on ne parloit d'autre chose que de l'empressement qu'il avoit pour moi. Je lui en reconnoissois assez, et à tout ce qui étoit à lui; cela ne me déplaisoit pas. Un jeune prince, beau, bien fait, frère du roi, me paroissoit un bon parti pour moi.

Le comte de Béthune me venoit voir tous les jours dans ces commencements, et me disoit: « J'aurois vu le temps que la reine vous seroit venue voir et M. le cardinal aussi, et que je n'aurois pas nui à les y faire venir. Présentement je ne me mêle de rien, et le roi n'y veut pas venir; c'est une terrible chose. » Je lui répondis: « Mais il n'est pas venu voir mon père, lorsqu'il a été ici; pourquoi me viendroit-il voir? Le roi est de ces gens qui font honneur quand ils viennent en un lieu, mais de qui on n'a nul sujet de se plaindre quand ils n'y viennent pas. » Il me repartit: « Il va tous les soirs à l'hôtel de Soissons. » Je lui dis: « Eh! M. le comte, cela n'est pas étonnant, quand on fait le galant d'une femme, que l'on l'aille voir; et de plus il y joue. Pour la reine, il fait un froid enragé; elle sait bien que j'aurai l'honneur de la voir dans deux jours: il n'est pas juste qu'elle s'incommode. M. le cardinal est un homme affligé; et sien pareille occasion il surmontoit sa douleur pour me rendre une visite de cérémonie, j'aurois lieu de douter qu'il fût de mes amis autant qu'il dit qu'il le seroit. C'est pourquoi, tout bien examiné, je n'ai nul sujet de me plaindre, et je ne me plaindrai pas. »

J'appris que le sujet, qui donnoit tant d'inquiétude [au comte de Béthune] que M. le cardinal me vînt voir, étoit qu'il ne l'avoit vu qu'une fois, depuis six semaines qu'il étoit à Paris, et encore dans la foule, en passant, et qu'il avoit envie de l'entretenir. Dès que mon rhume fut guéri, j'allai chez la reine, qui me reçut avec toutes sortes de bontés. Je ne vis point le roi; il étoit sorti; je ne voulus pas demeurer au serein: ainsi je fis ma visite très-courte.

Le neveu de M. le cardinal mourut la nuit de la veille des Rois, et s'il en alla dès le lendemain au bois de Vincennes, où il demeura huit ou dix jours. Ce soir-là le duc de Lesdiguières donnoit à souper à toute sa famille, qui est assez nombreuse et belle pour composer une assemblée. Le roi et Monsieur y furent en masque; madame de Navailles y étoit, et trois ou quatre filles de la reine. Le roi mena et parla toujours à La Motte-Argencourt,1 qui étoit entrée en la place de La Porte chez la reine, et cela fit un bruit nonpareil. Il fut cinq ou six jours à ne faire qu'entrer et sortir à l'hôtel de Soissons, et même n'y alloit pas tous les jours; il causoit sans cesse avec cette fille, et témoignoit beaucoup plus d'amour pour elle qu'il n'avoit jamais témoigné pour la comtesse de Soissons. Il gagna un mouchoir de point de Venise à une loterie, et, à une autre, des galanteries propres aux demoiselles, qu'il lui donna. La reine m'envoya querir pour aller à une comédie à machine à l'hôtel de Bourgogne,2 dont je ne me suis pas souvenue du nom, n'étant pas trop bonne. Le roi la regarda toujours. Je fus voir au retour la reine d'Angleterre, que je n'avois point vue depuis mon retour, parce qu'elle étoit à Chaillot, et que je n'avois point sorti. On ne parloit dans le monde que de cette nouvelle amitié; tous les hommes en étoient fort réjouis: ils espéroient que cette affaire-là iroit plus loin, et que cela serviroit au roi à le rendre plus gaillard. M. le cardinal revint de Vincennes; il fut trois heures enfermé avec Leurs Majestés, et au sortir de là le roi ne regarda plus La Motte.

M. le cardinal me vint voir dès le lendemain qu'il fut à Paris. Il me fit de grands excuses de n'y être pas venu plus tôt; mais qu'il croyoit que j'étois assez persuadée de son zèle et de passion pour mon service, pour n'avoir pas trouvé mauvais que, dans le temps d'une grande affliction, il ne se fût pas contraint à me venir voir. Je lui dis que l'on m'avoit avertie en arrivant que l'on m'avoit rendu tant de mauvais offices auprès de la reine, et que j'en étois en grande peine. Il m'assura fort du contraire, et me dit: « On fait tant de contes dans le monde, que si on y ajoutoit foi on seroit bien malheureux. Ne dit-on pas que le roi est amoureux de mademoiselle de La Motte; que la reine et moi en sommes au désespoir? Je vous assure que si nous l'étions, nous serions bientôt consolés; car cet amour-là est, je crois, déjà passé. » Je lui dis que cela faisoit tant de bruit, qu'il étoit difficile de n'en avoir pas entendu parler; mais que mon rhume m'avoit empêchée de sortir, et que, quand j'aurois été en santé, il me sembloit qu'après avoir [été] si longtemps absente, il ne falloit pas d'abord aller au Louvre si souvent, de crainte que l'on n'accusât de s'empresser. Il me dit que je ne devois point avoir cette pensée; que j'étois née pour la cour en toutes manières, tant de celle dont j'étois faite, que par la qualité, dont j'étois née; qu'il y auroit ce jour-là comédie; que j'y allasse, et que le roi et la reine vouloient que je fusse de tous les divertissements; que si j'aimois à aller en masque, le roi y alloit souvent. Je lui dis que j'en mourois d'envie; que cela, la foire et le Cours étoient les choses qui me faisoient regretter Paris; que cet aveu étoit bien enfant pour une personne [comme moi]; mais que je ne lui pouvois rien celer, tant j'avois de confiance en lui; que je le priois de me considérer comme une personne qui ne vouloit rien faire que par ses avis. Nous nous séparâmes fort satisfaits l'un de l'autre; le comte de Béthune me fit la mine de quoi je ne l'avois pas appelé en tiers. Je dis à M. le cardinal que présentement je m'estimois bienheureuse d'être en un lieu où je lui pusse parler moi-même, et que je n'aimois pas les tiers. Il trouva que j'avois raison; il me dit que, pour toutes les affaires que j'aurois avec les surintendants3 je n'avois qu'à lui envoyer mon secrétaire, et qu'il ordonneroit qu'elles fussent faites.

Tout le mois de janvier se passa sans qu'il y eût de divertissements que des comédies au Louvre,4 où je n'allai pas toujours, me choyant à cause que j'étois enrhumée, et aussi que je ne m'ennuyois pas à demeurer au logis, où j'avois bonne compagnie toujours.4 Je mis mon argent à plusieurs loteries, où je ne fus pas heureuse; j'en fis une chez moi le second jour de février.

Madame la maréchale de L'Hôpital donna un bal; nous y fûmes en masque, c'est-à-dire habillées de toile d'or et d'argent, avec bonnets avec plumes, fort ajustées, et les hommes avoient des bas de soie et des habits en broderies. Comme nous entrâmes, nous tenions nos masques, que nous ôtâmes à l'instant. Après avoir dansé, nous allâmes dans une chambre magnifiquement ornée faire collation; il n'y avoit qu'un couvert et une chaise à bras; le roi me dit: « Ma cousine, mettez-vous là; c'est votre place. »  Je me récriai sur cela comme d'une raillerie; il me dit: « Mais qui s'y mettra?  » La comtesse de Soissons riant dit: « Ce sera moi; »  et s'y en alloit. Monsieur lui dit: «  N'y allez pas! » Cette familiarité avec le roi me surprit; on n'y prenoit pas tant lorsque j'étois partie.

Tout le monde se mit à table; le roi s'y mit le dernier en disant: «  Puisqu'il n'y a de place que celle-là, il faut bien que je m'y mette. » Il ne mettoit pas la main à un plat qu'il ne demandât si on en vouloit; ordonnoit de manger avec lui. Pour moi, qui ai été nourrie dans un grand respect, cela m'étonnoit, et j'ai été longtemps sans m'accoutumer à en user ainsi. Mais quand j'ai vu que les autres le faisoient, et que la reine m'eut dit un jour que le roi n'aimoit point les cérémonies, et qu'il vouloit que l'on mangeât à son plat, lors je le fis; car sans cela, les fautes des autres ne m'en auroient pas fait commettre. Comme je fus prête à sortir, le roi dit à la comtesse de Soissons: « Allons remener ma cousine; »  elle dit qu'elle le vouloit bien. Nous étions venues en carrosses séparés, parce que j'avois les filles de la reine avec moi. Le roi leur dit, en montant en carrosse: « Mesdemoiselles, ma cousine vous dispense de la suivre; retournez vous-en au Louvre. » On remarqua assez cela, parce que ce fut à La Motte à qui il s'adressa. Elles s'en allèrent, et il ne resta que Gourdon et Fouilloux pour remener la comtesse de Soissons. Nous nous en allâmes à toutes brides, et si vite que les gardes du roi, qui étoient à cheval, eurent grande peine à nous suivre, et le roi disoit: « Que je serois aise que les voleurs nous attaquassent! » Le carrosse du roi demeura derrière; de sorte qu'en l'attendant nous nous promenâmes sur la terrasse qui est dans la cour de Luxembourg, le 3 février,6 à trois heures après minuit, comme on auroit pu faire au mois de juillet. Monsieur me demanda si je voulois aller le lendemain à la foire; je lui dis que j'en serois très-aise. Il m'envoya éveiller à six heures du soir, dont je fus bien aise;7 car j'aime fort la foire. Nous y fûmes fort souvent et particulièrement quand le carême fut venu, parce que pendant le carnaval on avoit autre chose à faire. Je fus fort heureuse: j'y gagnai quantité de cabinets8 et de miroirs qui m'étoient nécessaires pour parer mon logis.

Je donnai une assemblée au roi fort jolie:9 Luxembourg est le lieu du monde le plus propre à y en donner et de grandes et de petites. Comme je ne me voulois point faire de querelles en revenant à la cour, et qu'il y avoit un nombre infini de jeunes femmes et filles de qualité que je ne me pouvois pas dispenser de prier, je dis au roi, lorsqu'il me demanda une fête: « Je la donnerai très-volontiers à Votre Majesté, pourvu qu'elle me nomme les personnes que je prierai. » Il me dit qu'il vouloit qu'il n'y eût que ce qui s'appelle le monde du Louvre, c'est-à-dire madame la comtesse de Soissons, mesdemoiselles de Mancini,10 ;mesdames de Créquy et de Chaulnes,11, les filles de la reine, mademoiselle de Villeroy.12 « Je prierai, lui dis-je, seulement madame de Montglat et mademoiselle des Marais; »  c'étoient des personnes sans conséquence pour moi. Le roi me fit dire qu'il falloit prier la maréchale de L'Hôpital,13 qui avoit donné une assemblée et qui en devoit donner une autre. Je fis souvenir aussi le roi de la comtesse de Guiche,14 qui étoit une jeune femme de treize ans et mariée depuis quinze jours; et que M. le chancelier son grand-père devoit donner une assemblée à cause de son mariage. Je ne sais par quel malentendu on ne me rendit pas de réponse à point nommé: elle ne fut point priée, quoique j'en eusse intention, et le chancelier et la chancelière en furent en colère contre moi. Pour le comte de Guiche, il se soucioit si peu de sa femme, l'ayant épousée parce que son père le vouloit, qu'il étoit bien aise de ne la voir jamais nulle part. On disoit qu'il vivoit avec elle comme un homme qui se vouloit démarier un jour, et que la cause en étoit l'extrême passion qu'il avoit pour la fille de madame Beauvais.15

Madame la maréchale de L'Hôpital a un beau visage, mais elle est si grosse que cela la rend assez ridicule de la voir danser. Elle danse bien; elle a les plus belles pierreries du monde: ses perles sont plus grosses que celles de la reine; elle est magnifique sur sa personne et dans son logis, et ce qui surprend de la voir ainsi, c'est qu'elle étoit lingère à Grenoble. Un trésorier de France l'épousa par amour et lui donna quelques biens. On lui prédit qu'elle se marieroit à un grand seigneur, et en troisième noces à un prince.16 Son premier mari étoit dans les partis;17 il lui avoit laissé quelques affaires; elle vint à Paris; elle fit connoissance avec un moine augustin déchaussé, qui lui donna habitude avec le secrétaire du maréchal de L'Hôpital. Ce secrétaire, ayant su que cette femme avoit du bien, fit son dessein de l'épouser; il agit dans ses affaires et la servit avec tant de succès, qu'elle lui en fut obligée. Le maréchal de L'Hôpital, à la considération de son secrétaire, avoit agi en tout ce qu'il avoit pu; de sorte qu'elle crut devoir le remercier de sa protection. Elle alla voir pour ce sujet le bonhomme de maréchal, qui en devint amoureux et qui l'épousa. Elle est bonne femme, a de l'esprit, mais c'est de ces bons esprits de campagne qui disent de grands mots que l'on n'entend point à la cour, où elle aime fort à être. On peut juger par là si elle y réussit bien.

Il y eut une grande assemblée chez le chancelier,18 la reine et M. le cardinal allèrent; la reine y mena la princesse d'Angleterre, qui étoit ravie d'y être. Car, elle ne va point aux bals qu'à ceux du Louvre, ou bien à ceux où la reine va. La fête fut fort magnifique, et le repas aussi. J'étois parée de perles; je n'avois point de bouquet, ayant le deuil de M. de Candale, qui étoit mort il y avoit trois semaines à Lyon.19 En revenant de Catalogne, la fièvre lui prit à Valence: il ne laissa pas de continuer son voyage, et ne s'alita20 qu'à Lyon; il dit aux médecins, dès le premier jour de son mal, qu'il en avoit mauvaise opinion. Il eut de grandes rêveries qui lui donnèrent pourtant le temps de se confesser et de mourir avec beaucoup de connoissance de Dieu. Ce fut l'abbé Roquette qui l'assista à la mort, la nouvelle de sa maladie ne vint [à Paris] que deux ou trois jours avant celle de sa mort. J'étois allée voir sa sœur aux carmélites; madame d'Épernon y étoit avec moi. En sortant, nous trouvâmes un laquais de M. d'Épernon, qui nous en vint dire la mort. Madame d'Épernon en fut fort touchée; car il avoit toute l'amitité possible pour elle, et il lui étoit un grand support dans la maison. Elle s'en alla chez elle, et moi chez la reine qui s'en alloit à la comédie; je la suppliai de me dispenser de l'y suivre, M. de Candale étant mon cousin-germain et mon ami.

Je demandai [à la reine] si j'irois voir M. de Metz21 et M. d'Épernon; elle me répondit que je le devois; qu'ils étoient tous deux mes oncles. Je m'en allai à l'hôtel d'Épernon, je fus d'abord chez madame d'Épernon et je la priai de venir avec moi chez monsieur son mari, qui étoit au lit fort affligé. Le lendemain je fus chez M. de Metz, puis je revins à l'hôtel d'Épernon, où le roi, la reine d'Angleterre et Monsieur vinrent. Je les fus conduire et fis l'honneur du logis, comme la plus proche parente de M. d'Épernon, nonseulement parce qu'il avoit épousé ma tante, mais parce qu'il étoit cousin-germain de madame de Guise, et que, n'ayant plus d'enfants, il n'avoit point de plus proche que moi, et comme madame d'Épernon est fort mon amie, je fus bien aise d'en user ainsi, cela étant assez obligeant pour elle et pour toute la maison.

Trois ou quatre jours après l'assemblée de M. le chancelier, on me dit que le bruit couroit que la reine d'Angleterre se plaignoit que j'avois voulu passer devant sa fille, et que c'étoit Monsieur et moi qui avions pris cette résolution. J'allai voir M. le cardinal, que je n'avois pu encore trouver dans sa chambre depuis mon retour: ou il descendoit chez la reine lorsque j'y voulois aller, ou il étoit en affaires. Enfin je l'y trouvai; je lui demandai ce que c'étoit que ce bruit, et lui dis comme chez M. le chancelier, après le souper, la princesse d'Angleterre étoit demeurée à jouer avec mesdemoiselles de Nemours, et que j'avois suivi la reine; mais qu'étant au bout de la galerie, je l'avois appelée premier que d'entrer; et que nous nous étions prises par la main, comme nous faisions ordinairement, et que je ne croyois pas qu'il y eût rien à dire là-dessus. Sur quoi M. le cardinal me dit: « C'est que l'autre jour, chez la reine, on dit que vous aviez voulu passer devant elle chez M. le chancelier, et Monsieur répondit: Eh ! quand elle l'auroit fait, n'auroit-elle pas raison? nous avons bien affaire que ces gens-là, à qui nous donnons du pain, viennent passer devant nous? Que ne s'en vont-ils ailleurs? On le rendit à la reine d'Angleterre, qui en pleura fort. La reine l'ayant su a grondé Monsieur, lui disant: Étant ce qu'ils vous sont, vous avez bonne grâce d'en parler ainsi! Voilà tout ce que j'ai ouï dire. » Je blâmai Monsieur et dis à M. le cardinal que la reine d'Angleterre étoit en un état qui obligeoit à lui rendre tout l'honneur possible par ses proches; que peut-être en un autre temps la pensée me seroit-elle venue de disputer [le pas] à sa fille; mais que c'étoit à quoi je n'avois jamais songé, ayant vécu avec la reine d'Angleterre et avec sa fille dans toute l'amitié possible; et qu'elles m'en avoient toujours beaucoup témoigné, et que personne n'étoit plus civil que la reine d'Angleterre. M. le cardinal me dit: « Les roi d'Écosse cédoient autrefois aux fils de France, et par cette raison vous seriez en droit de passer devant la princesse d'Angleterre. » Je le suppliai de ne point parler de cela, et qu'en l'état où étoit la reine, ma tante, je serois fâchée qu'il lui vînt des mortifications à mon occasion.

Le roi étudioit un ballet,22 que j'allai voir répéter avec la reine; et le jour qu'il le dans atout de bon, on étoit paré et placé dans une tribune à main droite du théâtre, pour pouvoir plus aisément descendre dessus pour danser après le ballet. Madame la princesse d'Angleterre y étoit, et mesdemoiselles de Nemours et le reste du monde ordinaire. Comme les ballets se donnent dans une grande salle, et que tout le monde y vient sans prier,23 il y a de toutes sortes de gens. J'y vis deux dames, qu'il y avoit quelque temps que je n'avois vues, la comtesse de Fiesque et madame de Frontenac. Je les trouvai si changées, que j'eus peine à les reconnoître, l'une par l'excès de sa maigreur, et l'autre par celui de sa graisse; elles étoient tout derrière, cachées avec coiffes comme des personnes qui ne s'osent montrer. Le lendemain on en parla chez la reine, qui n'a jamais témoigné aucune amitié pour elles. Quelqu'un demanda si on les avoit mandées, la reine répondit: « Elles étoient derrière, parmi la canaille; le roi ni moi ne nous informons pas des gens qui sont où elles étoient. » Je dis: « Elles étoient parmi les honnêtes demoiselles du marais. » La reine répondit: « Je crois qu'il y en avoit quelques-unes. »

Un jour ou deux après, Monsieur me dit à la foire, de la part de la reine, que je ne défisse point mes pierreries, et qu'elle vouloit que l'on fût encore une fois paré au ballet. Je me doutai que c'étoit pour la reine de Suède; il me l'avoua et me dit de n'en parler à personne. Elle arriva le jour d'après;24 la reine dit qu'elle venoit comme inconnue, et qu'elle ne seroit qu'un jour à Paris; que l'on avoit fait ce que l'on avoit pu pour l'empêcher, mais qu'il avoit été impossible; mais que pour lui faire connoître qu'il falloit qu'elle y fût peu, M. le cardinal l'avoit logée dans son appartement au Louvre, et s'étoit mis dans sa petite chambre; ainsi qu'elle devoit juger, par l'incommodité qu'elle lui causoit, qu'il étoit à propos de s'en aller promptement. Elle nous dit, à Monsieur et à moi, que nous ne nous avisassions pas de lui dire que l'on alloit en masque; que l'on se divertissoit bien; qu'au contraire nous lui dissions que jamais l'hiver ne s'étoit passé si mélancoliquement; qu'il n'y avoit nuls plaisirs, et que l'on s'ennuyoit fort. Puis elle dit: « C'est que ma nièce et mon fils croient faire l'honneur de la France en contant mille choses à cette reine. » On vint dire qu'elle étoit arrivée ; la reine s'y en alla, et dit à madame de Carignan et à moi, de demeurer, dont je fus fort fâchée. Je lui dis en boudant: « Vous m'enverrez querir; car la reine de Suède me voudra voir. » Elle ne monta pas jusqu'en haut; car elle trouva Nogent dans son cabinet, qui vint lui dire, de la part de M. le cardinal, de me mener. Elle m'envoya appeler. La reine de Suède, après l'avoir saluée, lui demanda: « Où est Mademoiselle? » Je m'avançai et la saluai.

Le lendemain on donna le ballet. J'étois parée comme l'autre fois: la reine de Suède étoit habillée comme les autres, et cela lui seyoit bien. J'étois destinée à voir au ballet, toutes les fois que j'y allois, des personnes que je ne voyois point ailleurs: j'y vis Préfontaine que je n'avois pas vu en lieu du monde depuis qu'il étoit parti de Saint-Fargeau. Cela me fit souvenir de la perte que j'avois faite en le perdant, de tous les embarras que son absence m'avoit causés en mes affaires, et de tous les chagrins que ces mêmes affaires m'avoient donnés. Ce souvenir est la chose du monde la moins propre à voir un ballet et à danser au bal: il ne donne pas au visage toute la gaieté qui seroit nécessaire en un pareil lieu ni en une telle occasion.

Le lendemain, quoique fatiguée d'avoir veillé, je me levai et m'habillai en grande diligence pour aller voir la reine de Suède, que je croyois qui devoit partir le jour d'après. Je lui envoyai demander audience; elle me manda que j'allasse de bonne heure, et que j'irois à la comédie avec elle. Je n'allai au Louvre que fort tard, n'ayant point dessein de l'accompagner, sachant bien que l'on se seroit moqué de moi. Comme j'arrivai, je demandai à la reine: «  La reine de Suède s'en va-t-elle demain. » Elle me dit: « Je crois que non, dont je suis bien fâchée:elle ira ce soir à la foire; il faut que mon fils et vous alliez avec elle. » Je répondis à la reine que, si Monsieur y alloit, j'irois; autrement que je n'irois point. Elle revint fort tard de la comédie. Comme je sus qu'elle étoit à sa chambre, j'y montai et je la dissuadai d'aller à la foire; elle me demanda si elle pouvoit aller chez la reine; je lui dis qu'elle jouoit, mais qu'elle y seroit la bien-venue. Nous y allâmes; le roi et Monsieur, qui craignoient qu'elle ne les voulût mener à la foire, se cachèrent lorsqu'elle arriva, et ne revinrent que lorsque je les allai assurer qu'elle n'iroit point à la foire.

Madame de La Bazinière25 donna une assemblée, où la reine de Suède vint, et un souper fort magnifique; elle dansa d'une manière assez ridicule et qui fit rire la compagnie. On m'avertit que la comtesse de Fiesque et madame de Frontenac devoient y venir en masque; je le dis à M. le cardinal, qui donna ordre à M. de Noailles, capitaine des gardes du corps en quartier, de ne laisser point entrer de masques, où étoit le roi, que l'on ne sût les noms; et si ces dames venoient, qu'on leur dit que le roi ne les vouloit pas voir, et qu'elles ne vinssent point en des lieux où je serois. Le cardinal me dit d'en remercier le roi; ce que je fis; il me répondit le plus gracieusement du monde. La relation que nous fîmes à la reine de la danse de la reine de Suède lui donna envie de la voir danser; et pour en rire avec plus de liberté, on ne voulut pas faire une grande assemblée; de sorte que le roi envoya un soir savoir s'il lui plaisoit de descendre: car il dansoit tous les soirs, et la reine me commanda de venir. Mais elle n'eût pas le plaisir qu'elle s'étoit proposé; car M. de Bregis, par un zèle à contre-temps, donna avis à la reine de Suède que l'on s'étoit moqué d'elle et qu'il ne falloit pas qu'elle dansât; ce qui fut cause qu'elle ne fit que des révérences, et le bal finit fort promptement.

Le lendemain on lui donna la comédie dans le grande salle et nous allâmes chez Damville,26 où il y eut souper après minuit, et même nous y entendîmes la messe. On mouroit de peur qu'il ne prît fantaisie à la reine de Suède d'y venir pendant le bal. Nous eûmes quantité de masques; car il n'y avoit pas une assemblée, où il n'y en allât beaucoup. Le lundi gras la reine donna une assemblée dans son grand cabinet, où il n'y avoit que les personnes ordinaires que j'ai nommées, et de surcroît quelques femmes d'officiers de la maison du roi. La reine et la princesse d'Angleterre y étoient; sur quoi la reine de Suède dit qu'elle ne s'y pouvoit trouver si elle ne se mettoit au-dessus de la reine d'Angleterre; et comme cette pauvre princesse n'a nulle joie en ce monde, et qu'elle ne voit qu'une pauvre fois l'année danser la princesse sa fille, la reine fit dire à la reine de Suède qu'il falloit qu'elle y vînt en masque; ce qu'elle fit. Elle y vint donc habillée en bohémienne, d'une manière ridicule au dernier point; elle avoit avec elle Marianne27 et la petite de Nogent,28 qui est de même âge, et Bonneuil.29 Je ne me souviens plus qui étoient les autres.

J'eus à ce bal un grand démêlé avec Monsieur; Mademoiselle de Gourdon,30 qui est une assez inconsidérée demoiselle,31 comme l'on connoîtra par ce que je vais dire, n'ayant personne pour la mener danser un branle, appela Frontenac, qui se cachoit derrière; car par respect pour moi, il ne se présentoit guère, quoique je ne lui eusse pas défendu de se présenter devant moi en ce temps-là. Je dis à Monsieur, qui me menoit: « Votre Gourdon est une sotte; » et de paroles en paroles nous nous picotâmes, et cela vint à un tel point que je ne lui rendis pas sa courante: tout le monde s'en aperçut. En soupant il bouda fort, à ce que l'on me dit.

Le lendemain la partie étoit faite que nous devions aller en masque; c'étoit le jour de carême-prenant. Comme j'arrivai au Louvre, Monsieur étoit habillé en fille, avec des cheveux blonds; la reine me dit qu'il me ressembloit; on eut toutes les peines du monde à le faire démasquer pour se montrer à moi. Comme nous étions beaucoup, le roi dit qu'il se falloit séparer; je le suppliai de trouver bon que j'allasse avec lui. Monsieur alla avec les filles de la reine. Ce jour là on n'avoit point défendu que les masques allassent où étoit le roi; car il étoit en masque lui-même, et quoiqu'il fût fort ajusté et nous autres aussi, on avoit résolu dès le Louvre de ne se point démasquer. Nous allâmes d'abord chez M. de Sully, où il vint quantité de masques, et entre autres une troupe de pèlerines, où étoient la comtesse de Fiesque et madame de Frontenac, qui ne se démasquèrent pas. Après que nous fûmes sortis, Monsieur affecta de leur parler, afin que l'on me le redit.

Deux ou trois jours auparavant nous les avions rencontrées sur les degrés de chez madame Sanguin, où elles étoient allées en masque, et comme l'on dit que j'irois, elles s'en allèrent, et nous les rencontrâmes, comme j'ai dit. Je pris la comtesse de Fiesque par la main et lui serrai; elle le dit à tout le monde, augurant par là que j'avois quelque radoucissement pour elle. Lorsqu'on m'en parla, je dis: «  Je l'ai fait pour me déguiser, ne pouvant rien faire de plus dissemblable à moi-même qu'en témoignant me familiariser avec la comtesse de Fiesque. » Comme nous fûmes à plusieurs bals, nous trouvâmes souvent les pèlerines, qui n'osèrent jamais se démasquer. On nous demandoit partout si nous n'avions point trouvé des capucins et des capucines; ils sortoient toujours un moment avant que nous entrassions. On nous dit chez le maréchal d'Albret qu'il y avoit un capucin qui avoit le bras et la main belle, et qu'il avoit en passant touché dans celle de M. de Turenne.

Les premiers jours de carême, on ne parle d'autre chose que du scandale que cette mascarade32 avoit fait. Les prédicateurs prêchèrent contre. Le roi et la reine en parlèrent fort en colère; personne ne se vanta d'en avoir été. A la fin on sut que c'étoit d'Olonne,33 sa femme,34 l'abbé de Villarceaux,35 Thury,36 le milord Craff37 et une demoiselle de madame d'Olonne, et que ç'avoit été son mari qui avoit voulu absolument qu'elle s'habillât ainsi. Elle n'avoit point paru dans le monde; tout le carnaval elle ne bougeoit de son logis, ayant un mal à un pied, dont il étoit sorti des os; ainsi elle ne bougeoit du lit. M. de Candale étoit fort amoureux d'elle il y avoit longtemps, et avoit été affligé extrêmement en la quittant. Mais depuis son départ, on avoit un peu parlé que Jeannin,38 trésorier de l'épargne, alloit souvent chez elle. On remarqua fort sa conduite sur la mort de M. de Candale. Elle parut très-affligée et même on dit qu'elle pleura toute la nuit, et qu'elle avoua à son mari, en lui demandant pardon, qu'elle l'avoit fort aimée.

La bouderie de Monsieur et de moi dura huit ou dix jours, et la reine nous fit embrasser, et nous fûmes aussi bons amis qu'auparavant. Il me demanda pardon d'avoir parlé à la comtesse de Fiesque, et me dit qu'en lui parlant il ne savoit que lui dire, songeant: « Nous nous raccommoderons, ma cousine et moi, et je me repentirai de ce que je fais présentement. » La reine de Suède alla aussi en masque le jour de carême-prenant, habillée en turque. Quand elle revenoit à quatre heures du matin, elle s'en alloit voir M. le cardinal qui avoit la goutte et qui crioit les hauts cris, et lui parloit d'affaires en habit de masque. Le premier dimanche de carême, elle eut envie de voir un petit ballet que Montbrun avoit fait. La reine la pria que ce ne fût point au Louvre; elle voulut me proposer de le faire danser à Luxembourg; je la suppliai de m'en dispenser. Enfin ce fut chez la maréchale de L'Hôpital, où le roi, Monsieur et moi allâmes avec elle. On avoit une impatience incroyable qu'elle s'en allât,39 et le jour qu'elle partit M. le cardinal s'en alla au bois de Vincennes.

Il vint à Paris un gentilhomme piémontois, nommé le comte de Vérue; c'est un garçon de l'âge de M. de Savoie et dans ses plaisirs; ainsi on les considéroit comme une manière de favori. Il étoit beau-frère d'une marquise de Calux, que l'on dit qu'il a chèrement aimée, et dont madame sa mère avoit beaucoup d'inquiétude. Quand elle mourut il fut au désespoir, et quelque temps après sa mort il alla où elle étoit enterrée et fit ouvrir son cercueil. Comme elle étoit morte de la petite vérole, la corruption de ce mal fit qu'elle fut bien plus tôt pourrie. Il lui baisa une heure un bras tout plein de vers, et resta après cela dans un mélancolie la plus grande du monde. Ce comte de Vérue étoit venu, à ce que l'on disoit, pour voir ma sœur sur ce que M. l'abbé Amoretti avoit eu ordre de Madame royale de la demande à Son Altesse royale et à M. le cardinal. On disoit que madame de Savoie le faisoit à deux fins: l'une, pour faire expliquer Son Altesse royale si elle avoit dessein que le roi épousât sa fille, ou pour mieux dire, savoir s'il l'espéroit; et l'autre, pour détourner M. de Savoie de se marier à des personnes qui lui pouvoient faire ombrage, et qu'embarquant cette affaire, elle ne seroit pas si tôt exécutée, ma sœur étant fort petite.

Ce d'Alibert, dont j'ai parlé, qui s'en alloit à Rome, passa en revenant à Turin, ayant vu l'abbé de Vérue40 à Rome, qui l'avoit engagé à le venir voir, il avoit approché Madame royale et M. de Savoie, et avoit entendu Madame royale souhaiter ma sœur; de sorte qu'il s'en étoit venu se faire de fête à Blois, où, nonobstant les belles espérances d'un mariage avec le roi, on étoit bien aise de l'empressement de Madame royale. Madame de Choisy, qui étoit celle qui mettoit le plus dans la tête de Monsieur et de Madame que ma sœur pouvoit épouser le roi, quoique l'on sût bien que M. le cardinal avoit de grands engagements avec madame de Savoie pour la princesse Marguerite, sa fille, me manda un matin qu'elle étoit au désespoir de quoi sa maladie l'empêchoit de me venir trouver, et qu'elle avoit une chose de la dernière importance à me dire. Quoique j'aie toujours traité madame de Choisy de folie, je n'ai pas laissé de l'écouter, parce qu'elle voit beaucoup de monde et qu'elle sait bien des nouvelles.

Je m'en allai chez elle; ce qui ne me fut pas beaucoup difficile: logeant dans la basse-cour du Luxembourg, on y va par là et par le jardin. Elle me dit: « J'ai toujours été votre amie, je vous parle comme telle. C'est que voici madame de Savoie qui envoie demander mademoiselle votre sœur; elle est en âge de n'avoir pas hâte de se marier. Si M. de Savoie l'épouse, il n'y a plus de parti pour vous. C'est pourquoi allez-vous-en trouver. M. le cardinal et lui dites: « Vous me témoignez être de mes amis; si cela est, faites-moi épouser M. de Savoie. » Je la remerciai et je lui dis que je n'étois pas d'humeur à courir sur les marchés des autres, et que je ne serois pas bien aise que l'on crût que je courusse ainsi les gens pour me marier. Elle me dit: « Vous croyez épouser Monsieur; la droite raison le voudroit; mais la cour ne le mariera jamais, dont je suis bien fâchée; car c'est mon bon ami. » Il est vrai que Monsieur y alloit très-souvent, et cette habitude lui étoit venue de ce que madame de Roquelaure alloit ordinairement jouer chez madame de Choisy et que Monsieur y alloit aussi. C'est une maison commode, où il va toutes sortes de gens; ainsi Monsieur y trouvant son divertissement la voyoit souvent. Comme je fus hors d'avec elle, je rêvai sur ce qu'elle m'avoit dit, et je trouvai que c'étoit bien plus par amitié pour ma sœur que pour moi, craignant que du côté de la cour, où on n'avoit aucune intention de marier ma sœur avec le roi, on ne pressât ce mariage, et par là qu'elle se vît hors de toutes ses belles espérances.

En ce temps-là M. le cardinal étoit dans son lit avec la goutte et beaucoup de chagrin de ce que Bellebrune, gouverneur d'Hesdin, étant mort, La Rivière, major dans la place, et Fargues, son beau-frère, aussi officier dans la place, s'en étoient rendus maîtres. Le roi avoit donné le gouvernement au comte de Moret, qui partit trois ou quatre jours après pour y aller, on lui refusa les portes. Ces gens-là,41 firent croire d'abord qu'ils ne songeoient qu'à avoir quelque récompense; mais l'affaire tirant en longueur, et ne concluant rien avec ceux que M. de cardinal y envoyoit, on jugea aisément qu'ils traitoient avec les ennemis; et à la fin ils les rendirent maîtres des dehors, et envoyèrent demander la contributions aux environs.42

Pendant tout cela on parloit de quelque accommodement pour M. le Prince, et La Croisette, qui est à M. de Longueville, étoit venu à Paris pour cela, sous prétexte de quelques affaires de la province de Normandie. J'avois la meilleure opinion du monde de ce traité, parce que M. le cardinal n'en voit parlé à âme qui vive, et tous ceux qui l'approchent et croient le mieux pénétrer dans ses secrets ne s'en doutoient point. Il témoignoit désirer le retour de M. le Prince. M. le Prince, de son côté, souhaitoit de s'accommoder. On lui rendoit la charge de grand maître,43 le gouvernement de Bourgogne, et six mois après Clermont, Stenay et Jametz. Il disputoit sur ce qu'il vouloit que l'on rendit au comte de La Suze.44 Cette malheureuse affaire d'Hesdin vint à la traverse. Ces gens qui étoient dedans lui firent parler; ce qui rompit son traité, espérant que cela lui donneroit occasion de faire un traité plus avantageux, ou plutôt ne pouvant pas traiter au commencement d'une campagne, dans le désir d'entasser quelques nouveaux lauriers sur sa tête: car il fait tout comme un homme qui n'en auroit point été couronné par autant de batailles et de villes qu'il a prises; mais il est fâchée qu'Alexandre en ait plus fait que lui. On croyoit que le maréchal d'Hocquincourt, qui s'étoit jeté du côté des ennemis, iroit à Hesdin; mais les gens qui étoient dedans reçurent sa visite comme d'un ancien ami, mais ils ne voulurent pas le rendre maître de leur place.

Le roi et Monsieur eurent un grand démêlé. Monsieur avoit rompu carême et mangeoit à sa chambre. Il vint un jour comme le roi et la reine alloient dîner; il trouva un poêlon de bouillie: il en prit sur une assiette et l'alla montrer au roi, qui lui dit de n'en point manger. Monsieur dit qu'il en mangeroit; le roi répondit: « Gage que non. » La dispute s'émut; l roi voulut lui arracher [l'assiette]. En prenant l'assiette il en jeta quelques gouttes sur les cheveux de Monsieur qui a la tête fort belle et qui aime extrêmement sa chevelure. Cela le dépita; il ne fut pas maître du premier mouvement; il jette l'assiette au nez du roi, qui d'abord ne se fâcha pas. Mais des femmes de chambre de la reine qui étoient la se mirent à crier contre Monsieur, de manière que le roi se fâcha, et lui dit que si ce n'étoit le respect de la reine il l'écraseroit à coups de pied.45 Monsieur s'en alla s'enfermer dans sa chambre, où il fut tout le jour tout seul; la reine et M. le cardinal les raccommodèrent le lendemain. Heureusement je n'avois point sorti ce jour-là. Je gardai encore le logis le lendemain, et n'allai au Louvre que lorsque toutes choses furent raccommodées: car on auroit bien regardé ce que j'aurois fait, sachant que Monsieur en usoit d'une manière avec moi à être fort dans ses intérêts. Dès qu'il me vit, il me dit: « Ne me parlez point; car on croiroit que nous parlons de ce qui s'est passé. » Ce qu'il me conta après avec beaucoup de douleur et de ressentiment de la manière dont le roi l'avoit traité.

Le comte de Béthune, que j'ai dit que me voyoit les premiers jours de mon arrivée, mais qui me faisoit froid, fit ses visites moins fréquentes, tenant toujours le même procédé. Je ne lui en parloit point, de crainte que cela n'allât à éclaircissement. Son fils aîné tomba malade: j'envoyai tous les jours avec soin. Après une maladie de quinze jours il mourut. Il s'en alla avec sa femme à une maison de campagne à deux lieues de Paris; c'étoit dans le vilain temps. Je crus que s'étant éloigné de la ville, on ne lui feroit pas plaisir de le visiter. J'y envoyai; ils y furent quelques jours. Dès que je sus qu'ils étoient arrivés, j'allai chercher sa femme. On me dit qu'elle étoit à l'hôtel de Nemours. J'y allai aussi, on me dit qu'elle n'y avoit point été; ce qui me fit croire qu'elle ne me vouloit pas voir. Je lui mandai que j'irois le lendemain, et l'heure; j'y fus; on me dit qu'elle n'y étoit pas. Je trouvai ce procédé assez extraordinaire; à la vérité, je n'y retournai pas. Elle me vint voir quelques jours après; mais son mari n'y vint point, et se plaignoit à tout le monde de quoi je n'avois pas été voir sa femme, et que la reine Marguerite, en pareille occasion, avoit été voir une dame de ses amies à trois lieues de Paris; qu'il l'avoit par écrit, et qu'elle étoit plus que moi, étant fille de France et tenant le rang de reine. Cette plainte alla à Blois, dont je sus que Son Altesse royale avoit ri et dit: « Si ma fille y avoit été, le comte de Béthune auroit envoyé quérir le tabellion du bourg pour en avoir un acte pour mettre dans ses manuscrits. » Je lui fis demander s'il désiroit que j'allasse voir la comtesse de Selle, sa belle-fille, parce que je ne visite guère les dames, à moins qu'elles soient de mes amies particulières; mais que je le ferois pour l'amour de lui. Il me manda qu'il en seroit bien aise; je le fis. Il se plaignit encore d'une chose dont je ne me serois jamais avisée que l'on se pût plaindre, qui étoit de ce que sachant qu'il falloit rendre le mariage à sa belle-fille, n'ayant point d'enfants, je ne lui avois pas envoyé offrir de l'argent. A ces plaintes, il en succéda d'autres.

Un beau jour le chevalier de Béthune enleva mademoiselle des Marais, en sortant de la messe du Temple où logeoient son père et sa mère. Madame des Marais me l'envoya dire par une de ses amies, et me témoigner le déplaisir qu'elle en avoit. Je lui mandai que je lui conseillois de s'en aller chez elle à la campagne le plus tôt qu'elle pourroit, et qu'il n'y avoit personne qui ne crût qu'elle y avoit part, et que peut-être dans la suite du temps elle seroit obligée de l'avouer; qu'ainsi il valoit mieux qu'elle évitât d'en parler à personne. Le comte de Béthune en eut un grand déplaisir, et avec assez de raison; mais il se fût bien passé de dire que c'étoit par mon avis que la chose s'étoit faite, puisque personne n'avoit travaillé plus que moi à l'empêcher: car je lui avois donné sur cela tous les avis que j'avois cru être nécessaire. M. des Marais, de son côté, fut au désespoir; voulut faire courre les prévôts après eux; ce qui obligea madame des Marais de lui dire qu'ils étoient mariés, et qu'elle y avoit consenti; que Béthune lui avoit promis, après être marié, de ne point voir sa femme, de crainte qu'elle ne devint grosse, et qu'elle espéroit avec le temps de gagner sur l'esprit de M. des Marais qu'il lui donnât assez de bien pour que le comte de Béthune en fût content. M. des Marais envoya sa femme dans un couvent où elle a des filles, et ne l'a pas vue depuis qu'une fois, qu'elle le fut voir, qu'il la reçut en cérémonie, et qu'il la ramena à son carrosse, comme il auroit fait une dame étrangère.

Ces pauvres misérables46 furent longtemps cachés dans des greniers à Paris, fort gueux, mais fort satisfaits, filant le parfait amour comme dans les romans; et de l'humeur dont je connois Béthune, je ne doute pas qu'il n'écrive le sien avec plaisir. Ils ont été en Brie chez un de leurs parents; présentement ils sont à Fontainebleau, où ils vont tous les jours se promener à cheval dans la forêt avec des capelines de plumes,et n'ont pas une douleur égale à rencontrer des gens de connoissance, auxquels ils sont obligés de parler, parce que cela les détourne de leurs agréables entretiens. Quand la cour y va, ils s'en éloignent.

Madame la comtesse de Béthune étoit au désespoir des chagrins de son mari; car elle n'osoit venir à Luxembourg, et cela la privoit de tous les divertissements qu'elle avoit étant avec moi. Un jour madame de Nemours la veuve, qui est fort de leurs amies, me dit: «  Ne vous raccommoderez-vous point, le comte de Béthune et vous? » Je lui répondis: « Quand il viendra chez moi, il y sera le bien-venu. Je lui suis obligée du zèle qu'il témoigné, et comme il ne s'est rien passé qui nous ait pu brouiller, il n'est pas nécessaire de raccommodement. » Je lui demandai de quoi il se plaignoit de moi, elle me dit: « De quoi vous n'avez plus de confiance en lui, et que vous ne lui parlez plus de vos affaires. » Je lui dis que je n'en avois point; elle me répondit: « Mais quand vous en avez à M. le cardinal? » A quoi je dis: « Étant à la cour, et voyant tous les jours M. le cardinal, il seroit ridicule que, quand j'aurois affaire à lui, j'employasse quelqu'un, et que je ne lui parlasse point moi-même » Elle répliqua: « Mais, par exemple, quand vous avez parlé à M. le cardinal pour qu'il ordonnât aux surintendants de faire les choses que vous désiriez concernant les affaires que vous avez avec le roi pour la souveraineté de Dombes, ne lui avez-vous pas dit que vous lui enverriez quelqu'un l'informer du détail? » Je lui dis qu'oui;mais que pour cela je lui envoyois mon secrétaire, et que M. le comte de Béthune ne pouvoit savoir ces choses-là comme mes domestiques. « Non, me répliqua-t-elle; mais il faudroit que, quand vous enverrez votre secrétaire à M. le cardinal ou quelqu'un de vos gens, M. le comte de Béthune les y menât et les y présentât. » Sur cela je me récriai et lui dis: « C'est assez d'être à moi et d'aller de ma part pour voir les entrées libres, et on se moqueroit de moi si j'en usois ainsi. » J'eus lieu de connoître par là que le comte de Béthune avoit besoin de mon nom pour voir M. le cardinal toutes les fois qu'il vouloit, et que c'étoit le sujet qui le courrouçoit tant de n'avoir plus rien à se mêler; et assurément il ne me convenoit pas d'en user ainsi que madame de Nemours me disoit.

Un soir que nous étions à la foire, Monsieur et moi, madame la princesse palatine47 y étoit aussi; madame de Châtillon arriva, qui demanda si on vouloit d'elle pour jouer; nous lui dîmes qu'elle seroit la bien-venue. Un moment après l'abbé Fouquet arriva; on lui demanda s'il vouloit jouer; il dit que non et qu'il avoit affaire. On l'en pressa; il demeura. Madame de Châtillon et lui étoient brouillés; pourtant ils se faisoient des mines. Tout d'un coup elle dit à Monsieur: « Permettez-moi de mettre un masque; j'ai froid au front. » Elle se masqua. Comme nous allions en plusieurs boutiques, lorsque nous fûmes dans une où l'abbé Fouquet n'étoit point, elle se démasqua, et lorsqu'il revint, le même froid la reprit et elle remit son masque. A dire le vrai, jamais femme n'a eu tant de raison de haïr un homme que celle-là en avoit. Un jour que l'abbé Fouquet étoit allé à la campagne, madame de Châtillon s'en alla chez lui, et comme les valets la connoissoient pour être la patronne de leur maître, ils lui ouvrirent son cabinet, où elle prit des cassettes où étoient toutes les lettres qu'elle lui avoit écrites, et même à ce que l'on dit, quelques-unes de M. le Prince qu'elle lui avoit confiées. Elle fit très-habilement d'en user ainsi; elle auroit encore mieux fait de ne les lui pas donner; mais puisqu'elle avoit fait la faute, elle la réparoit à son égard le mieux qu'elle pouvoit. Comme l'abbé Fouquet revint et qu'il ne trouva plus de cassettes, il fut au désespoir; il s'en alla chez elle, et lui dit tout ce que la rage peut faire dire à un homme fort en colère et fort amoureux; même il cassa des miroirs à coups de pied, la menaça d'envoyer prendre ses meubles et ses pierreries, disant qu'il les lui avoit données. Dans la crainte que cela n'arrivât, elle fit défendre sa maison et s'en alla chez madame de Saint-Chaumont. Jamais affaire n'a fait tant de bruit que celle-là. C'est une étrange chose que la différence des temps! Qui auroit dit à l'amiral de Coligny: « La femme de votre petit-fils sera maltraitée par l'abbé Fouquet, » il ne l'auroit pas cru, et il n'étoit nulle mention de ce nom-là de son temps, non plus que de celui des connétables de Montmorency et du brave Boutteville son père.48

Cette affaire se passa un peu devant que je revinsse à la cour. Deux ou trois mois après, madame de Brienne alla avec madame de Châtillon à la Miséricorde, qui est un couvent au faubourg Saint-Germain.49 Comme elles étoient au parloir, madame Fouquet la mère entra avec l'abbé. Madame de Châtillon dit à madame de Brienne: « Ah! ma bonne, que vois-je? quoi, cet homme devant moi! » Madame de Brienne et la mère de la Miséricorde lui dirent: « Songez que vous êtes chrétienne, et qu'il faut tout mettre aux pieds du crucifix. » La mère de la miséricorde se récrioit: « Au nom de Jésus, mon enfant (elle est provençale est fort naïve), au nom de Jésus- Christ, regardez-le en pitié. » La bonne femme Fouquet lui disoit: « Madame, je vous prie de trouver bon que mon fils l'abbé ait l'honneur de vous hanter. » On dit que c'est une vieille femme fort simple, comme il paroît à son discours. Enfin ce fut une farce admirable; depuis il alla chez elle; mais elle ne vouloit pas que l'on le sût et disoit toujours qu'elle ne le voyoit point. C'est pourquoi elle fit toutes les façons qu'elle fit à la foire.

Pour moi, je ne comprends pas qu'une femme née de la maison de Montmorency et femme d'un Coligny, est capable de s'être embarquée avec un homme fait comme celui-là. Ce qui justifie madame de Châtillon, c'est qu'il s'est toujours plaint de ses cruautés dans ses plus grandes colères et ne s'est jamais vanté d'en avoir eu les dernières faveurs;50 tout ce qui m'en a déplu, c'est qu'il s'est fort vanté qu'elle n'a refusé aucuns présents de lui, soit en hardes ou en argent. Pour moi, je ne le crois pas; mais le monde, qui est quelquefois un grand menteur, disoit qu'elle alloit à la foire avec une cape; qu'elle marquoit tout ce qu'elle avoit envie [d'avoir] chez les marchands, et que le lendemain on [le] lui portoit. Pour moi, ce que j'en crois je le vais dire. Il est vrai que madame de Châtillon aime le bien, et comme l'abbé Fouquet est frère du surintendant, je crois qu'il lui a beaucoup fait faire d'affaires,51 et qu'ayant de l'argent elle a acheté des meubles et bijoux; car quoi que l'on puisse dire, je ne saurois jamais croire que les personnes de qualité s'abandonnent au point que les médisants le disent. Car quand on n'auroit pas son salut en vue, l'honneur du monde est, à ma fantaisie, une si belle chose, que je ne comprends pas comme on peut le mépriser.

Apprenant que l'on disoit dans le monde que la reine et M. le cardinal ne trouvoient pas bon que nous fussions toujours ensemble, Monsieur et moi, et même que je voyois que Monsieur me donnoit des avis et avoit de certains égards qui me devoient faire prendre garde à moi, mais qui me faisoient aussi paroître son amitié, j'attribuois cela, la plupart du temps, à une crainte d'enfant; car il l'étoit assez. Pourtant je me résolus d'en parler à M. le cardinal. J'allai un jour chez lui sous prétexte de lui parler de quelques affaires. Je trouvai le comte de Béthune dans l'antichambre, dont il fut fort fâché de quoi je voyois qu'il n'entroit point, et si (cependant) je trouvai M. le cardinal tout seul. Il [le comte de Béthune] y étoit pour parler des affaires de M. le duc de Beaufort. On travailloit à son retour, et même il étoit déjà à Autueil, à une lieue de Paris.

Après avoir demandé à M. le cardinal des nouvelles de sa santé (car il avoit la goutte), je lui dis: « Le comte de Béthune est là-dedans, si vous lui voulez parler je m'irai chauffer, » parce que j'étois bien aise de le faciliter à l'entretenir, à cause de M. de Beaufort. Il me dit: « C'est pour M. de Beaufort. S'il avoit choisi un autre négociateur, ses affaires seroient plus tôt finies; mais le comte de Béthune parle tant quand il est en train, que l'on ne sauroit finir avec lui. » Je lui demandai en quel état étoient les choses; il me dit: « L'affaire va bien; M. de Beaufort reviendra au premier jour. Je l'ai servi en ce que j'ai pu auprès du roi et de la reine,; je rendis le bien pour le mal; » et sur cela me fit un grand discours sur tout ce qui s'étoit passé entre M. de Beaufort et lui.

Ensuite il me parla de l'affaire de Hesdin, de M. le Prince; qu'il seroit toujours prêt à se raccommoder avec lui quand il témoigneroit le désirer; mais que c'étoit une chose étrange qu'il prit en sa protection tous ceux qui faisoient des fautes; qu'il ne connoissoit point La Rivière et Fargues, et qu'il les attachoit à ses intérêts, afin de faire encore une nouvelle difficulté à son traité, au lieu de les lever tant qu'il pourroit. Je répondis à cela le plus sagement que je pus. Puis il me demanda: « Comment êtes-vous avec Monsieur? » Je lui dis: « Aussi bien que l'on peut être avec un homme aussi enfant que lui. » Sur quoi il me dit: « La reine et moi sommes au désespoir de voir qu'il ne s'amuse qu'à faire faire des habits à mademoiselle de Gourdon; qu'il ne songe qu'à s'ajuster comme une fille, et qu'il ne fait point les exercices que font d'ordinaires les gens de son âge, et qu'il s'accoutume à une délicatesse qui ne convient point à un homme de son âge. » Je lui répondis: « Je croyois, puisque l'on lui souffroit tout cela, que l'on ne vouloit pas qu'il menât une autre vie. » M. le cardinal me dit: « Au contraire, la reine et moi souhaitons passionnément qu'il demande d'aller à l'armée. » Je lui dis: « C'est ce que je lui prêche tous les jours. » M. le cardinal répliqua: « C'est le plus grand plaisir que vous pussiez faire à la reine. » Je lui dis: « On dit qu'elle trouvoit mauvais que j'allasse souvent avec Monsieur; si cela est, je vous supplie de me le dire: car il n'y a rien de si aisé que de rompre les parties qu'il fera, sans qu'il paroisse que l'on me l'ait défendu. » Il me dit: « Ne croyez pas ceux qui vous disent cela; la reine est ravie qu'il soit avec vous: vous ne lui donnez que de bons conseils. » Sur cela je me récriai: « Je ne lui en ai point encore donné; mais si je lui en donnois, vous pouvez être assuré qu'ils ne seroient pas contraires aux sentiments de la reine et aux vôtres. » Sur cela il me dit: « Quel avantage aurois-je à voir Monsieur un malhonnête homme? Il en vivroit plus mal avec moi; et s'il vaut quelque chose, je suis assuré qu'il me fera l'honneur de m'aimer. » Je sortis fort satisfaite de cette conversation, dont je fis part à Monsieur, et nous fûmes ensuite souvent nous promener ensemble.

J'eus encore une conversation avec M. le cardinal sur la venue du comte de Vérue. Il me dit qu'il étoit fort embarrassé dans cette affaire, parce que, s'il conseilloit à Son Altesse royale de la faire,52 il sembleroit qu'il lui donneroit l'exclusion pour celle du roi qu'il53 espéroit; ainsi qu'il n'osoit parler; que s'il en étoit cru, Son Altesse royale donneroit ma sœur à M. de Savoie, sans le remettre, et que c'étoit le meilleur parti de l'Europe; que le roi n'avoit nulle inclination pour ma sœur; que pour lui, il ne se mêleroit point de le conseiller, et qu'il choisiroit qui il lui plairoit; que si le roi avoit à choisir une des filles de Son Altesse royale, il savoit bien laquelle lui étoit la plus propre, et que s'il en étoit cru, la chose seroit bientôt faite; m ais qu'il avoit dit au roi qu'il le supplioit de ne lui point demander son avis là-dessus, parce qu'il ne [le] lui donneroit pas, et qu'il ne le devoit prendre que de lui-même; qu'il avoit la plus grande passion du monde de me voir mariée, et qu'il voudroit qu'il y eût mille empereurs et rois à marier, afin que dans ce nombre il s'en pût trouver un qui me méritât; que je ne me misse point en peine; qu'il faisoit son affaire de mon établissement. Je le remerciai de la bonne volonté qu'il me témoignoit le mieux qu'il me fut possible.

Il me dit qu'il avoit beaucoup d'impatience de savoir la réponse que Son Altesse royale feroit à l'abbé Amoretti. J'en avois assez aussi de la savoir; ce fut la reine qui me l'apprit, que Son Altesse royale avoit répondu qu'elle recevoit l'honneur que madame de Savoie lui faisoit de lui demander sa fille, avec joie; mais qu'il ne la marieroit point que le roi ne le fût. La reine me dit: « Cette réponse surprise; car je ne croyois point que Monsieur eût cette pensée, parce que je savois qu'il ne la doit pas avoir. Et de se contenter d'être le pis-aller du roi, cet aveu me fait pitié.54 » Je n'avois qu'à écouter et à ne rien répondre là-dessus. Pour moi, qui ne souhaitois pas que ma sœur fût reine, je n'étois pas fâchée de ce discours.

 

 


NOTES

1. Les anciennes éditions ont corrigé ici le texte de Mademoiselle et substitué La Mothe-Houdancourt à La Motte-Argencourt. Louis XIV a aimé successivement ces deux filles de la reine; sa passion pour mademoiselle de La Motte-Argencourt est de 1658, et ce ne fut qu'en 1662 qu'il rechercha mademoiselle de La Mothe-Houdancourt. Cette altération du texte de Mademoiselle a trompé un historien d'une exactitude scrupuleuse, M. Bazin. Dans son Histoire de France sous le ministère de Mazarin, à l'année 1658, parlant de la passion du roi pour mademoiselle de La Motte-Argencourt, il dit que: « les Mémoires de mademoiselle de Montpensier se trompent sur le nom de celle qui en fut l'object. » L'erreur, comme nous venons de l'indiquer, ne vient pas de Mademoiselle, mais des éditeurs.

2. L'ancien hôtel des ducs de Bourgogne était situé rue Mauconseil. Il fut rasé en 1543, et l'emplacement fut vendu à un bourgeois, nommé Jean Bouvet, qui, en 1548, en céda une partie aux Confrères de la Passion. Ils y firent construire un théâtre, qu'ils louèrent peu de temps après à une troupe de comédiens. On continua d'appeler ce théâtre l'Hôtel de Bourgogne, et on y donna des représentations pendant une grande partie du XVIIe siècle.

3. Il y avait alors deux surintendants des finances, Servien et Fouquet.

4. La gazette donne quelques détails sur ces comédies du Louvre, que Mademoiselle ne mentionne qu'en passant: « Ce jour-là (7 janvier), Leurs Majestés avec lesquelles étoient Monsieur, Mademoiselle et grand nombre de seigneurs et de dames, honorèrent de leur présence le théâtre de la troupe royale des comédiens françois, qui représentoient l'Astyanax, ou le héros de la France, ouvrage où le sieur de Salebray, qui en est l'auteur, a recueilli fort agréablement les plus beaux endroits de l'Iliade. »

5. On voit par la Gazette que Mademoiselle accompagnait quelquefois la reine dans ses visites aux églises: « Le 13 janvier la reine fit ses dévotions aux Feuillants, et le 17 les continua à St-Sulpice, à cause de la fête de ce saint, Mademoiselle et la princesse de Conti s'y étant trouvées avec S. M. » 

6. Ce bal eut lieu le 4 février, d'après la Gazette de Renaudot. On y lit: « Le maréchal de L'Hôpital donna à souper au roi, avec lequel étoient Monsieur, Mademoiselle et quelques dames de qualité, ce festin, des plus magnifiques, ayant été suivi du bal, qui fut ouvert par S. M. menant cette princesse, qu'elle reconduisit, à l'issue de toute la réjouissance, au palais d'Orléans. »

7. Membre de phrase omis dans les anciens éditions.

8. Espèce de buffet à plusieurs tiroirs.

9. Une gazette à main parle de cette assemblée à la date du 8 février: « Le roi alla dimanche en masque au palais d'Orléans (Luxembourg, où Mademoiselle donna le bal à S. M. » D'après la gazette de Renaudot, ce bal n'eut lieu que le 10 février.

10. Les anciennes éditions portent mademoiselle de Mancini; le manuscrit donne le pluriel et avec raison puisqu'il y avait alors trois nièces de Mazarin non mariées: Hortense Mancini, qui devint duchesse de Mazarin, Marie (plus tard la connétable Colonne), enfin Marie-Anne qui épousa le duc de Bouillon.

11. Madame de Chaulnes était Françoise de Neufville, fille aînée de Nicolas de Neufville, duc de Villeroy, et de Madelaine de Créquy.

12. Catherine de Neufville, qui épousa le 7 octobre, Louis de Lorraine, comte d'Armagnac, grand écuyer de France. Elle mourut le 25 décembre 1707. Saint-Simon en a laissé un portrait peu flatté (Mémoires, édit. Hachette, t. VI, p. 146-148).

13. La maréchale de L'Hôpital était Marie Mignot, qui mourut le 30 novembre 1711. Après la mort du maréchal, on accusa sa veuve de se laisser courtiser par l'avocat général Talon. De là les couplets satiriques répandus dans les recueils de chansons de l'époque. Voici un de ces couplets qui se trouve dans le recueil de Maurepas (ms. B.I., t. 11, fo 518):

Veuve d'un illustre époux,
Vous nous la donnez bonne,
Quand vous faites les yeux doux
A ce grand pédant qui vous talonne.

14. La comtesse de Guiche était Marguerite-Louise-Suzanne de Béthune, fille de Maximilien-François, duc de Sully, et de Charlotte Séguier. Elle était mariée au comte de Guiche depuis le 23 janvier 1658.

15. Femme de chambre de la reine, dont il a été souvent question dans les Mémoires de Mademoiselle.

16. Ce prince fut Jean Casimir Wasa, roi de Pologne, qui, après son abdication, vint habiter Paris et épousa, dit-on, Marie Mignot en 1672, trois mois avant sa mort.

17. C'est-à-dire engagé dans les affaires de finances.

18. Le bal du chancelier avait eu lieu antérieurement: « Le 6 (février), Leurs Majestés, Monsieur, Mademoiselle et son Éminence, s'étant rendus sur les 8 heures du soir, en l'hôtel du chancelier de France, où se trouvèrent la princesse de Carignan, la comtesse de Soissons, et quantité d'autres seigneures et dames. Sa Majesté avec Mademoiselle, y ouvrit pareillement le bal, qui parut des plus augustes et des plus brillants par la présence de tant de personnes royales et par l'éclat des lustres et des pierreries, dont ceux de cette illustre assemblée étoient entièrement couverts., la collation ayant, au milieu du bal, été présentée à Leurs Majestés et à toute leur suite, avec une somptuosité digne de la splendeur de celui qui la donnoit, c'est-à-dire des plus galantes. » (Gazette de Renaudot)

19. Charles Gaston de Foix, duc de la Valette et de Candale, était mort le 27 janvier 1658.

20. Les anciennes éditions donnent s'arrêta au lieu de s'alita.

21. Henri de Bourbon, fils naturel de Henri IV et de la duchesse de Verneuil, était évêque titulaire de Metz, quoiqu'il ne fût pas prêtre. Il est ordinairement appelé, dans les mémoires du temps, M. de Metz.

22. Ce fut le 14 février que le roi dansa ce ballet, comme le prouve le passage suivant de la Gazette de Renaudot: « Le 14 février, fut dansé au Louvre pour la première fois, en présence de la reine, Monsieur, Mademoiselle et de toute la cour, le ballet d'Alcidiane, divisé en trois parties, chacune de sept entrées, si bien concertées et si pompeuses, qu'au jugement de tous les spectateurs, on ne pouvoit rien choisir qui fût plus digne de servir, en cette saison, au divertissement d'un roi, qui n'en cherche que de conformes à la noble inclination qu'il a pour les actions héroïques et qui conduisent à la gloire; ce grand monarque, dont la grâce le fait toujours aisément remarquer entre tous les autres, n'y représentant aussi que les passions d'un prince des plus belliqueux et des plus conquérants. »

23. Sans être prié.

24. Ce fut le 24 février 1658 que la reine de Suède vint pour la dernière fois à Paris.

25. Femme d'un des trésoriers de l'Épargne.

26. François-Christophe de Levi, duc de Damville, dont il a déjà été question dans les Mémoires de Mademoiselle (Chap. I, Appendice; Chap. XXVII, Appendice;Chap. XV; Chap. XVIII; Chap. XIX; etc.).

27. Marianne Mancini, nièce du cardinal Mazarin; elle épousa dans la suite le duc de Bouillon.

28. Charlotte Bautru, fille de Nicolas Bautru, comte de Nogent, et de Marie Coulon. Elle épousa quelques années plus tard Nicolas d'Argouges, marquis de Rannes.

29. Mademoiselle de Bonneuil était une des filles de la reine, comme on l'a vu plus haut.

30. Mademoiselle de Gourdon, ou Gordon, était fille d'honneur de la reine. Elle fut dans la suite dame d'atours d'Henriette d'Angleterre, et après sa mort elle fut attachée, au même titre, à la Palatine, seconde femme du duc d'Orléans.

31. Les anciennes éditions ont complétement altéré ce passage: au lieu de qui est une assez inconsidérée demoiselle, on y lit: qui est assez considérée.

32. Bussy-Rabutin parle aussi de cette mascarade dans son Histoire amoureuse des Gaules: « Les capucins étoient: elle (madame d'Olonne), Ivry (Thury dans le manuscrit de Mademoiselle), l'abbé de Villarceaux; les religieuses étoient Craff, Anglois, et le marquis de Sillery. Cette troupe courut toute la nuit du mardi gras en toutes les assemblées. Le roi et la reine, sa mère, ayant appris cette mascarade, s'emportèrent fort contre madame d'Olonne, et dirent publiquement qu'ils vengeroient le tort et le mépris qu'on avoit fait de la religion en cette rencontre. »

33. Louis de la Trémouille, comte d'Olonne.

34. Il a été question dans le tome I (Chap. IX, note 22) des Mémoires de Mademoiselle de madame d'Olonne, fille aînée du baron de La Loupe.

35. René de Mornay, abbé de Villarceaux.

36. Les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle, donnent Ivry. Il y a dans le manuscrit Thury (Odet d'Harcourt, comte de Thury). La même faute se trouve dans l'Histoire amoureuse des Gaules (passage cité).

37. Ce nom est peu lisible dans le manuscrit de Mademoiselle. On peut lire Crofe aussi bien que Crafe. J'ai suivi l'orthographe ordinaire de ce nom dans les Mémoires contemporains. Il est question de ce personnage dans les Mémoires de La Rochefoucauld et surtout dans ceux de Gourville.

38. Nicolas-Jeannin de Castille; il fut arrêté après le disgrâce de Fouquet et impliqué dans le procès du surintendant.

39. La reine de Suède quitta Paris le 12 mars 1658, et deux jours après elle partit de Fontainebleau pour retourner en Italie.

40. Cet abbé de Verrue, ou Vérue, devint plus tard la cause d'un scandale à la cour de Savoie, scandale que Saint-Simon a retracé dans ses Mémoires (éd. Hachette, in-8, t. II, p. 439).

41. La Rivière et Fargues.

42. V. l'Appendice: Fargues.

43. La charge de grand-maître de la maison du roi.

44. Cette phrase a été changée dans les anciennes éditions, de la manière suivante: « Il demandoit que l'on rendit Betton au comte de Suze. » Cette ville ou terre de Betton est de l'invention des éditeurs.

45. On lit dans les anciennes éditions: il le chasseroit à coups de pied. J'ai suivi le manuscrit qui est parfaitement lisible.

46. Le chevalier de Béthune et mademoiselle des Marais.

47. Anne de Gonzague, dont il a été question antérieurement dans les Mémoires de Mademoiselle (Chap. VIII.

48. Le père de madame de Châtillon était François de Montmorency-Bouteville, qui avait été arrêté et exécuté pour s'être battu en duel sur la place Royale, en plein jour.

49. Le couvent des filles de la miséricorde avait été fondé le 3 novembre 1651 par la mère Madelaine, qui est ici appelée mère de la Miséricorde. Il était situé rue du Vieux-Colombier.

50. Les anciennes éditions portent les moindres faveurs. J'ai suivi le manuscrit autographe.

51. Il s'agit de ces affaires que les traitants faisaient avec l'État et qui étaient des prêts usuraires.

52. Il s'agissait, comme on l'a vu plus haut, du mariage du duc de Savoie avec une des filles du second lit de Gaston d'Orléans.

53. Le pronom il désigne ici le duc d'Orléans, qui désirait le mariage de sa fille avec le roi.

54. Tout ce passage a été changé dans les anciennes éditions. On a substitué le style indirect au style direct, et dans la dernière ligne on fait dire à la reine que Gaston d'Orléans doit se contenter pour sa fille d'être le pis-aller du roi. C'est précisément le contraire de sa pensée, puisqu'elle blâme le duc d'Orléans de témoigner une pareille disposition.


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