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CHAPITRE XXIX

(septembre – décembre 1657)

En arrivant à Paris, je trouvai un monde infini à Luxembourg qui m'attendoit; ce qui continua le temps que j'y fus. Je n'avois résolu d'y être que sept ou huit jours; mais je fus obligée à y être près de trois semaines. Il m'étoit venu à Forges des dartres vives au bras; ce qui m'obligea de me baigner et purger et saigner pour les faire promptement en aller. Madame d'Aiguillon me vint voir; il y avoit une heure que j'avois été saignée; je m'étois levée pour aller à la messe. Après l'avoir saluée, je sentis des gants d'Espagne qu'elle avoit qui étoient extrêmement forts; je me reculai tenant mon nez, et lui disant qu'à moins que d'évanouir je ne pouvois pas approcher d'elle, et il étoit vrai, les senteurs faisant fort mal quand on a été saigné. Il y eut d'assez sottes gens de dire que c'est que je ne voulois pas parler à elle, et que j'avois fait cette pièce pour la désobliger. Je ne suis pas capable de chercher de si sottes inventions; quand je veux rompre en visière à quelqu'un, je le fais ouvertement. J'appris que le comte de Béthune avoit fort parlé de l'affaire de Brays chez le maréchal d'Albret, lequel ne sortoit point (ainsi tout le monde y alloit jouer), et qu'il s'étoit fort récrié, disant: « Prendre des gens que je ne connois point, après les obligations qu'elle m'a! » Je ne lui en témoignai rien.

Deux jours après il me dit: « Je suis obligé de vous avertir que l'affaire de Brays nuira tout à fait à Préfontaine; car on dit dans le monde que Saint-Romain qui l'a connu en Hollande en a répondu à Préfontaine, et que c'est une affaire qui se ménage, il y a un an. » Je lui dis que cela étoit malicieusement inventé, et que je comprenois pas où on avoit pu imaginer une telle imposture, et que lui, qui témoignoit de l'amitié à Préfontaine, pouvoit bien répondre du contraire. Il me repartit qu'il ne répondoit de rien; cela me parut assez sec. J'appris qu'il alloit disant cela partout; dès lors j'augurai mal de sa bonne intention pour Préfontaine. Mademoiselle de Guise, qui me parla de cette affaire, blâma fort le comte de Béthune [et] me dit: « Si j'osois, m'écrirois à Blois tout le bien que je sais de Brays, M. de Montrésor m'en ayant parlé comme d'un très-honnête homme. » Je lui dis que j'en serois bien aise.

J'eus réponse de Blois peu de jours après, où Belloy me manda que Son Altesse royale trouvoit fort bon que cette affaire s'achevât, et qu'il étoit surpris du procédé du comte de Béthune. Je mandai Brays. Du Tot arriva à même temps à Paris, qui fit les allées et venues entre Brays et La Tour, qui conclut la chose, et Brays vint à mon service. Le comte de Béthune lui fit un peu la mine; mais je ne fis pas semblant de le voir. La Tour demeura à moi, parce qu'il étoit capitaine du château de Touques.1 Il me demanda quelque augmentation aux gages; ce que je fis; de sorte qu'il eut sujet d'être content de moi, ayant eu une très-bonne récompense. N'étant à Paris que pour faire des remèdes, je ne sortis que pour aller voir la comtesse de Soissons qui étoit malade,2 et à la messe à Notre-Dame. Je fus aussi au Cours et me promener chez Renard,3 où les souvenirs des choses passées ne me donnoient pas de chagrin.

La reine d'Angleterre étoit pour lors à Bourbon; la reine me dit à Sedan que le roi d'Angleterre avoit voulu épouser madame de Châtillon, et qu'elle lui avoit fait demander si elle ne la traiteroit pas en tout comme la reine d'Angleterre, et qu'elle lui avoit fait dire que, si la reine d'Angleterre y consentoit , elle la traiteroit de même; mais qu'autrement elle ne la verroit point. Je dis sur cela à la reine: « Cette demande est un effet du malheur du roi d'Angleterre. Quoi! Votre Majesté pourroit-elle croire qu'il voulût de madame de Châtillon? En vérité, Madame, c'est lui faire tort; je dois cela à l'amitié qu'il a eue pour moi, de ne le juger pas capable de telle chose. »

L'abbé Fouquet vint me voir dès que je fus à Paris. Matha y vint aussi, qui me disoit toujours quelques mots à la traverse de ces femmes,4 mais surtout de madame de Frontenac, dont il eût fort souhaité le rétablissement, et il jugeoit bien que, si une fois elle étoit raccommodée, il seroit bien aisé à la comtesse de Fiesque d'en faire de même. Un soir, le comte de Béthune causoit avec sa femme; Matha se promenoit avec moi dans ma chambre. Après m'avoir parlé en leur faveur, tout d'un coup il me dit: « Mais comment ne vous raccommodez-vous point avec madame de Frontenac, qui a en ses mains une chose capable de vous brouiller pour jamais avec Son Altesse royale, et pour faire jeter Préfontaine par les fenêtres? » Je me récriai: « Qu'est-ce que cette menace? » Jusqu'ici elles n'en avoient point encore usé. Il me dit: « Qu'il vous souvienne qu'une fois vous aviez grondé Préfontaine et vous l'aviez envoyé à sa chambre, et que pour se raccommoder avec vous et vous faire connoître qu'il étoit plus dans vos intérêts que dans ceux de Son Altesse royale, il vous avoit écrit un billet où il y avoit des choses contre Son Altesse royale. Après cela, vous l'envoyâtes querir; vous déchirâtes le billet; mais madame de Frontenac le ramassa et rajusta les pièces. » Je me mis à rire et lui dis: « La pièce est bien inventée! et cela n'est pas honorable à madame de Frontenac, étant à moi, d'avoir ramassé cette lettre. » Il me dit pour l'excuser qu'elle n'étoit pas pour lors ma dame d'honneur; il ajouta qu'il avoit montré ce billet à Préfontaine, qui lui avoit dit: « Je l'avoue; je l'ai écrit. Mais on ne pouvoit se maintenir auprès de Mademoiselle qu'en lui disant du mal de monsieur son père;5 » et Matha dit qu'il lui dit: « Si vous ne rendez de bons offices à madame de Frontenac, elle vous perdra. » Et me demanda: «  L'a-t-il fait? » Je lui dis: « Je ne sais s'il est au monde; car je n'en entends plus parler. » Sur cela on apporta ma viande, je le quittai, et bien à propos: car ce discours commençoit à me mettre en colère, et le sujet en étoit si grand que, si je n'eusse été interrompue, je l'aurois pu faire jeter par les fenêtres. Je ne sais s'il avoit fait part de cela au comte de Béthune; mais il ne m'en témoigna rien.

J'étois à Paris dans une impatience extrême de partir pour Champigny, ayant obtenu un arrêt en exécution de celui du 26 d'août 1655, pour faire partir le commissaire pour aller faire une descente sur les lieux, et comme je n'avois personne pour y agir pour moi, je le fis prier de ne point partir que je ne pusse y aller moi-même.

Comme le comte de Béthune vit Brays venu et qu'il n'eut plus rien à dire sur cela, il trouva mauvais que Saint-Romain vînt à Luxembourg, disant que M. le cardinal l'auroit désagréable, et fit dire à Saint-Romain qu'il n'y vînt plus si souvent. Saint-Romain dit à ceux qui le lui dirent: « Quand M. le cardinal ou Mademoiselle me l'auront défendu, je n'irai plus; mais je ne pense pas que ce soit à M. le comte de Béthune à me défendre la maison de Mademoiselle. » Tout cela ne me plut point.

Mademoiselle de Guise me parla de l'acquisition d'Eu, et qu'il falloit qu'elle vendît cette terre, et qu'elle seroit au désespoir qu'elle tombât en d'autres mains que les miennes. Je mandai à Nau de voir avec elle à conclure le marché. Pendant que cela se traitoit, madame de Montmartre, qui est la bien-aimée de M. de Guise, me dit: « Ma sœur veut vendre le comté d'Eu, vous devriez l'acheter. » Je lui répondis que je n'avois garde d'y songer sans savoir si M. de Guise l'auroit agréable; elle m'assura qu'il en seroit bien aise. Je lui dis que sur cela j'en parlerois à ma tante. Le marché d'Eu fut conclu le même jour que mes remèdes finirent.6 La veille, je vis une comédie et je dis à M. de Guise. « Ma tante de Montmartre m'a assuré que vous trouveriez bon que je songeasse à l'acquisition du comté d'Eu; sur cela j'en ai parlé à ma tante. » Il me dit qu'il en étoit très-aise.7 Ma tante qui m'avoit priée de tenir la chose secrète, étoit cause que je n'en avois parlé à personne, pas même au comte de Béthune, et pour que l'on ne s'aperçût pas de voir un notaire chez moi, on m'apporta le contrat à la grille du Val-de-Grâce, où j'allai dîner le jour que je partis [de Paris]. La comtesse de Béthune, qui remarque tout, s'aperçut que je m'enfermai dans le parloir avec mademoiselle de Guise; elle le dit à son mari le soir. Il me dit: « Eh bien! Vous êtes en grande intelligence, mademoiselle de Guise et vous? » Je lui dis: « C'est pour l'affaire d'Eu que nous avons été enfermées au Val-de-Grâce; elle m'a priée d'être caution pour son neveu, et l'argent en est une hypothèque sur la terre. » Il me dit: « Quoi! vous vous fiez à telles gens que mademoiselle de Guise et M. de Montrésor! Ils vous tromperont, ils sont plus fins que vous; si vous m'en aviez demandé avis, je vous l'aurois donné. » Je lui dis qu'ils étoient bien habiles, mais qu'ils ne me tromperoient pas.8

J'appris à Toury9 que la reine de Suède étoit à Orléans et qu'elle en devoit partir le lendemain pour Fontainebleau.10 J'eus quelque envie de me hâter pour la rencontrer; puis je jugeai que trois ou quatre heures de dormir étoient plus profitables que sa vue. J'envoyai pourtant lui faire compliment. Elle montoit en carrosse comme celui que j'avois envoyé arriva; elle demanda si elle ne me trouveroit point sur le chemin; on lui dit que oui, pourvu qu'elle prît celui de Paris, et qu'elle ne se détourneroit que d'une lieue. Je trouvai un gentilhomme à elle qui me vint faire civilité et me dire qu'elle s'étoit détournée exprès pour me voir. Je lui fis mes compliments. Je la trouvai dans un fort vilain carrosse, avec le chevalier Sentinelli et Monaldeschi, son grand écuyer. Elle avoit une jupe jaune fort vilaine, un justaucorps noir fort pelé, une coiffe; je la trouvai aussi laide que je l'avois trouvée jolie la première fois. Il faisoit si crotté que je ne pus descendre: nos carrosses s'approchèrent; ses gens descendirent, et je montai dans son carrosse; elle ne me conta rien de particulier ni qui fût digne d'être remarqué. Je lui présentai M. le prince Charles de Lorraine, second fils du duc François, que je menois à Blois. Cela lui donna occasion de parler de M. le duc de Lorraine; nous fîmes environ une demi-lieue ensemble, puis nous nous séparâmes. Elle me présenta le chevalier Sentinelli et me dit: « C'est le capitaine de mes gardes. » Elle avoit un carrosse à sa suite et peu de cavaliers; son train avoit plutôt l'air d'un coche que du train d'une reine. Je trouvai à Orléans M. l'évêque, qui étoit fort charmé [de la reine de Suède], et qui fut bien surpris que le comte de Béthune s'en moquât.

Lorsque j'étois à Paris, madame d'Épernon me dit que Termes y étoit, qui s'en alloit à Blois, et qu'il seroit bien aise de m'entretenir et que personne ne le sut. Je lui dis: « J'irai chez vous. » J'allai donc à l'hôtel d'Épernon une après-dînée sans m'habiller; après avoir été quelque temps dans sa chambre, je lui dis: « Allons nous-en dans la galerie; car j'aime à me promener. » La comtesse de Béthune dit: « J'aurai bien le temps d'aller voir M. le comte de Béthune qui a pris médecine »; on l'assura qu'oui avec grande joie. J'y trouvai M. de Termes, qui me dit qu'il avoit laissé Son Altesse royale dans les meilleures dispositions du monde pour moi, et que Belloy croyoit qu'il n'y avoit rien de si aisé que de faire revenir mes gens et que le comte de Béthune, au lieu d'agir comme il devoit, avoit apporté tous les obstacles imaginables à leur retour. Il se moqua fort de tout le procédé qu'il avoit tenu à l'égard de Brays, et [dit] qu'il s'en alloit à Blois, où il feroit merveilles pour mon service. Je lui témoignai que je lui aurois beaucoup d'obligation, si par son moyen Son Altesse royale changeoit de sentiments pour mes gens. Nous nous séparâmes là-dessus.

Le lendemain Préfontaine me fit savoir que Terms l'avoit été voir; qu'il lui avoit témoigné le désir qu'il avoit de me servir en procurant leur retour.11 Il lui dit les mêmes choses qu'il m'avoit dîtes; à quoi il ajouta qu'il eût souhaité avec passion que sa femme fût ma dame d'honneur; à quoi Préfontaine ajoutoit qu'il croyoit que je ne [le] lui pouvois pas refuser; que c'étoit un homme de qualité, mon parent, et que sa femme étoit d'un âge et d'une vertu telle qu'il la falloit; mais qu'il n'avoit qu'à me dire les choses comme il les pensoit simplement et que j'en ferois après ce qu'il me plairoit; que madame d'Épernon s'étoit chargée de m'en parler, et qu'il avoit dit qu'il étoit inutile qu'il m'en écrivît; mais qu'il l'en avoit prié si instamment, qu'il n'avoit pu lui refuser. Je lui mandai que je reconnoissois en monsieur et madame de Termes tout ce qu'il me disoit; mais que madame de Termes étoit une créature nourrie à la campagne, qui ne connoissoit ni la cour ni le monde; que j'aimois Termes; que je ferois toute chose pour reconnoître l'intention qu'il avoit de me servir; mais qu'il y avoit deux choses à considérer: la première que je ne voyois point de certitude à leur retour, et que cette place pouvoit être remplie par une personne dont le mari ou les proches pourroient y contribuer, [et que] il ne la falloit point remplir que je n'en fusse assurée; l'autre que Termes étoit un fort honnête homme; mais que je connoissois l'humeur des Gascons et particulièrement de ceux de sa race, qui sont fiers et glorieux; que si sa femme étoit ma dame d'honneur, et qu'il eut par là l'accès plus familier et plus libre dans ma maison, « il croiroit qu'ayant contribué à votre retour, vous dépendrez plus de lui que de moi. Ce n'est pas votre humeur de faire la cour à d'autres qu'à vos maîtres; ce n'est pas la mienne que quelqu'un le soit chez moi. S'il survient quelque démêlé, il se plaindra de notre ingratitude; je serai contre lui; et ainsi prévoyant les démêlés qui en pourroient naître, il valoit mieux en éviter les occasions. »

Il [Préfontaine] ne se rebuta pas; car il m'écrivit une seconde lettre pour me dire qu'avec tout le respect qu'il me devoit, j'étois trop soupçonneuse, et que je ne devois jamais croire qu'un si honnête homme que Termes voulût rien faire qui me déplût, et qu'il connoissoit assez la crainte que j'avois que quelqu'un voulût s'impatroniser dans mon domestique; qu'il avoit tant blâmé, en parlant à moi-même, à ce qu'il lui avoit dit, ceux qui tenoient cette conduite, que cela devoit lever tous les soupçons que j'en pourrois avoir. Je lui mandai que je n'avois nulle envie de prendre de dame d'honneur que quand je me marierois; mais que, si on m'importunoit, j'en prendrois une; que j'avois madame des Marais, qui étoit de qualité et de vertu à cela, dont je connoissois l'humeur, que j'avois vue depuis que j'étois au monde, ayant souvent été avec madame de Saint-Georges, sa tante; et que de toutes celles ou que l'on m'avoit proposées ou que j'avois jugées propres à cela, personne ne m'avoit plu davantage qu'elle, et qu'il ne m'en parlât plus.

Madame d'Épernon me dit: « Je crois que Préfontaine vous a écrit sur une telle affaire; je ne sais ce que vous lui avez répondu. » Je lui dis: « Celle que Termes m'a promis de faire est encore incertaine; mais que je la voie faite je répondrai à sa prière. » Madame d'Épernon me dit: « Cela n'est pas trop obligeant pour lui. » Je lui répondis: « J'estime fort [Termes] et sa femme; comme mes gens me sont utiles au dernier point, je serai bien aise de me servir de tout ce que je pourrai pour les ravoir; et si cela ne me sert de rien, suivant mon inclination, je prendrois plutôt madame des Marais que personne; et même j'y ai quelque sorte d'engagement, en cas que je ne fusse point obligée à disposer de cette charge en faveur d'une personne qui me procureroit le retour de mes gens. » Elle ne m'en dit pas davantage.

En arrivant à Blois je présentai Brays à Son Altesse royale, qui lui fit bonne chère. J'appris que Belloy partoit le lendemain pour Paris et que Termes s'en alloit avec lui. J'entretins Belloy; je le remerciai des assurances que Termes m'avoit données, de sa part, du désir qu'il avoit de me servir en agissant pour le retour de mes gens. Il me fit des compliments fort généraux, et ne me parut point toute la chaleur12 que Termes m'avoit dite qu'il avoit. Nous parlâmes de l'affaire de Brays et du procédé en cela du comte de Béthune; en quoi il l'excusa, me disant que je lui étois si obligée que je devois passer par-dessus beaucoup de choses sans faire semblant de les voir. Je lui demandai si Son Altesse royale ne m'accorderoit point le retour de mes gens; il me dit qu'il n'en falloit point parler,13 et qu'il falloit beaucoup de temps pour lui ôter de l'esprit les mauvaises impressions que l'on lui avoit données d'eux. Enfin je trouvai un homme tout autre que Termes ne me l'avoit dit, et je le dis à Termes; il me répondit: « C'est que Belloy croit qu'il ne lui convient pas d'entrer dans ces détails avec Votre Altesse royale, et qu'il faut faire les choses sans les dire; mais assurément vous verrez comme il agira. » Pourtant je trouvois qu'il [Termes] étoit aussi embarrassé que son ami, et je lui trouvois moins de chaleur qu'il ne m'en avoit paru dans la galerie de l'hôtel d'Épernon.

Son Altesse royale se mit à entretenir Brays de la guerre de Hollande, et à lui conter tout ce qui s'étoit passé les années qu'elle l'avoit faite en Flandre, avec un empressement fort obligeant pour un homme qui n'avoit jamais eu l'honneur de [voir] Son Altesse royale. M. le comte de Béthune ne regarda pas cela d'un trop bon œil.  M. de Beaufort étoit à Blois, dont je fus bien aise; il me parla fort de la cour: je lui contai tout ce que j'avois vu et ouï dire; il me parla aussi de mes gens, pour le retour desquels il m'a toujours témoigné grand désir, et je crois que c'est fort sincèrement. Il me dit qu'il falloit y aller bride en main; et que si on le croyoit, je lairrois passer ce voyage, qui ne seroit que de quatre jours; et que pendant mon séjour à Champigny on mettroit les choses en état qu'à mon retour j'en pusse parler moi-même à Monsieur et l'obtenir. Je trouvai cela de bon sens; mais les remises me déplaisoient. Je le priai de dire cela au comte de Béthune, qui m'avoit dit cent fois, à Paris et en venant, que, quoi qu'il pût arriver, il parleroit à Son Altesse royale, et qu'il l'avoit promis à M. Le Roi, frère de Préfontaine, et à Nau.

Le lendemain que je fus à Blois, le comte de Béthune entra riant dans ma chambre, et me pria d'entrer dans mon cabinet, et qu'il avoit quelque chose à me dire. Je croyois que ce m'en dût être une fort agréable, à voir sa mine. Il me dit: « Enfin m'en voilà quitte; je l'avois promis à M. Le Roi. Son Altesse royale m'a déclaré en termes exprès, qu'elle ne veut ni entend que M. de Préfontaine ni Nau rentrent jamais à votre service. J'en suis bien fâché; mais j'ai fait ce que j'ai dû faire en homme de bien et d'honneur. » Sur cela je lui dis que j'étoit bien fâchée de quoi il s'étoit tant hâté; il me dit: « Je l'ai dû faire; » et sur cela me prôna fort. J'écoutai tout ce qu'il me dit avec beaucoup de patience; je pleurai; puis je lui dis: « Son Altesse royale, a eu tout ce qu'elle vouloit de moi; elle vous en est bien obligée. Pour moi, je n'ai rien eu. » Cela se passa ainsi; en disant peu je disois beaucoup.

Le soir je me trouvai dans le cabinet de Madame; il n'y avoit qu'elle et moi. Son Altesse royale y vint; elle me parut en bonne humeur. Je lui dis: « Monsieur, je vous supplie très-humblement de croire que tout ce que le comte de Béthune vous a dit ce matin est de lui, et que je ne l'en avois pas prié. Tout le regret que j'ai est du bruit que Votre Altesse royale a fait en me chassant mes gens. Je vous supplie de croire que, si j'avois cru qu'ils lui eussent déplu, je ne les aurois pas gardés; mais elle me pouvoit le dire plus doucement qu'elle n'a fait. Je sais que la comtesse de Fiesque vous a fait dire que, si vous me les rendiez, je la verrois, et [que] je reprendrois madame de Frontenac. J'assure Votre Altesse royale que si elle me les vouloit rendre, j'en aurois beaucoup de joie; car ce sont des gens de bien et d'honneur, qui m'ont bien servie; mais, si elle y mettoit cette condition, je ne les voudrois pas. La raison que j'ai de ne les jamais voir étant si forte, qu'elle doit prévaloir sur toute autre. » Ensuite je lui parlai de Brays et de ce que le comte de Béthune avoit dit. Il me répondit: « Le comte de Béthune se seroit bien passé de faire cela, et quand Brays connoîtroit Préfontaine, ce ne seroit point un crime, et je ne le trouverois pas mauvais; Préfontaine est ami de tous les honnêtes gens. » Sur cela je lui dis: « Je ne crois pas que Votre Altesse royale m'aît donné le comte de Béthune pour lui rendre compte de mes actions. » Il me dit: « Il a été de bonne grâce que, la première fois que vous avez été à la cour, il y ait eu quelqu'un qui vous ait dit ce qui s'y passe; mais à cette heure vous en savez autant que lui-même. J'ai appris que l'on s'est moqué à Sedan de ce que Monsieur, ayant demandé à la comtesse de Béthune quand vous partiriez, elle avoit répondu: M. le comte de Béthune ne l'a pas encore demandé à M. le cardinal. J'ai su aussi qu'à Stenay on avoit fait une raillerie sur ce que, montrant une lettre que M. le cardinal vous avoit écrite, il disoit proprio pugno (de sa propre main), à propos de cela. Tant qu'il a été auprès de moi, il a pris toutes les lettres que le roi, la reine, Son Altesse royale et M. le cardinal m'ont écrites, et il vouloit toujours faire les réponses, dont j'enrageois; car, sans me trop louer, j'écris mieux que lui. »

Voyant donc Son Altesse royale en quelque espèce de bonne humeur (car ce n'en pouvoit pas être une entière, ne me rendant pas mes gens), je lui dis: « Puisque Votre Altesse a résolu de ne me point rendre mes gens, je la supplie très-humblement de trouver bon que j'en prenne: mes affaires pâtissent beaucoup; car quelque soin que j'en prenne moi-même, je ne saurois suffire à tout, et ce m'est une grande peine. » Il me répondit: « Il ne tien qu'à vous d'en prednre. » Je lui dis: «  Votre Altesse royale se moque de moi; elle sait bien que, tant que nous avons eu des affaires ensemble, elle a toujours refusé tous ceux que je lui ai proposés. » Il me dit: « Maintenant il n'en sera pas de même; car je vous laisse le choix de prendre qui il vous plaira. » A l'instant je lui dis: « Votre Altesse royale trouvera bon que je prenne un nommé Guilloire pour mon secrétaire? — Oui, j'en ai entendu parler; on me manda de Saint-Fargeau qu'il étoit ami de Préfontaine; mais cela n'y fait rien. » Je lui demandai: « Votre Altesse royale veut-elle que je le mande? — Ayez patience. » Je le suppliai de n'en parler à personne; il me le promit, et la conversation finit là.

Comme le comte de Béthune vint, je lui dis que j'avois entretenu Son Altesse royale, et lui contai une partie de la conversation; sur quoi il me dit: « Quoi! vous lui avez parlé sans concerter avec moi? J'ai grande peur que cela ne fasse pas un bon effet. »  Je lui dis qu'il se trompoit et que nous nous étions séparés fort satisfaits l'un de l'autre, et même qu'il m'avoit dit qu'il me permettoit de prendre qui il me plairoit; mais que je ne lui avois nommé personne, et qu'il falloit du temps pour cela.

Le lendemain matin à sa chambre, il conta fort de notre belle intelligence, de Son Altesse royale et de moi, à tous ceux qui l'allèrent voir, se l'attribuant. Il dit: « Son Altesse royale lairra prendre à Mademoiselle qui il lui plaira, hors un nommé Guilloire, qu'elle avoit voulu avoir l'année passée; pour celui-là, il est exclu comme ami de Préfontaine. »  Un de mes gens, qui l'étoit allé visiter, me conta cela. Je ne dis mot; et lui, le comte, en me parlant, me disoit: « Il faut bien songer qui vous prendrez; car assurément Son Altesse royale vous lairra une entière liberté, puisqu'elle vous l'a promise; mais si vous lui proposez ce certain homme qui est ami de Préfontaine, vous lui nuiriez et à vous aussi. Pour M. Le Boultz,14 je ne crois pas que vous le demandiez; vous êtes contente d'avoir été refusée une fois. » Et il me le disoit parce qu'il m'avoit dit que M. Le Boultz avoit fait assurer Son Altesse royale, peu après qu'il lui eut refusé son agrément, que si elle le lui donnoit, il la serviroit fort bien dans les affaires que nous avions ensemble, et qu'il avoit fait donner ces assurances par M. de Choisy ou par Goulas; je ne me souviens duquel.

Les affaires que j'avois à Champigny m'obligèrent à ne pas faire long séjour à Blois.15 La veille que je partis, je dis à Son Altesse royale que je la suppliois de trouver bon que j'envoyasse querir Guilloire, parce que j'en avois affaire à Champigny. Il me dit: « Puisque je vous l'ai promis, assurez-vous que c'est une chose faite; ayez patience. » Je lui répondis: « Le premier qui vous parlera vous fera changer, et puis je serai dans le même embarras où j'étois. » Il m'assura fort qu'il ne changeroit point et que je me fiasse à sa parole. Je lui alléguai les raisons qui me faisoient le tant presser; premièrement mes affaires de Champigny, secondement qu'ayant à instruire Guillore de toutes mes autres affaires et lui remettre tous mes papiers entre les mains, dont il ne pouvoit être informé et avoir de connoissance que par moi, j'aurois plus de temps pour cela à Champigny que non pas à Paris. Je lui demandai permission qu'il vît Préfontaine et Nau, pour être instruit de beaucoup de choses. Il me dit: « Je le trouve très-bon et cela est nécessaire, et je n'ai jamais trouvé à redire qu'il fût ami de Préfontaine, et j'ai toujours su qu'il l'étoit, et Préfontaine est trop habile homme pour vous donner un homme qu'il ne connoîtroit point; il faut bien qu'il en réponde et ainsi qu'il le connoisse. L'on ne prend ni l'on ne donne guère en ces charges-là des gens que l'on ne connoisse bien. »

Lorsque je lui dis adieu, il me fit des amitiés nonpareilles; il avoit recommandé avec beaucoup de chaleur mes intérêts à M. Madelaine, qui avoit passé à Blois. La comtesse de Béthune se cacha, et ne me voulut point dire adieu, parce qu'elle pleuroit trop. Nous nous fîmes force compliments, le comte de Béthune et moi; je le priai de me venir voir à Champigny; il me dit qu'il feroit tout ce qu'il lui seroit possible.

M. de Beaufort, qui m'avoit fort parlé de tout ce qui s'étoit passé sur l'affaire de Brays, avoit eu bien envie de nous faire faire un éclaircissement, au comte de Béthune et à moi; mais je ne voulus point. En partant, il vint en tiers en conversation dans la cour. Après leur avoir dit adieu et être montée en carrosse, je m'avisai que, si Son Altesse royale leur parloit de Guilloire, ils se plaindroient de moi de leur en avoir fait finesse. Je remontai et dis à Son Altesse royale: « Il est bon, Monsieur, de savoir si vous direz à M. de Beaufort et au comte de Béthune que vous m'avez permis de prendre Guilloire. » Il me répondit: « Je pense qu'il n'est pas nécessaire. » Je lui dis que je le pensois aussi, et que de nos affaires domestiques nous en pouvions parler ensemble sans en rendre compte à personne.

Je m'en allai. J'avoue que le soir, à Amboise, je me sentis une liberté qui me donnoit bien de la joie de n'entendre plus parler d'affaires, de négociations, de mesures, de plaintes, de politique, comme faisoit sans cesse le comte de Béthune. J'arrivai de bonne heure à Tours; j'eus le loisir d'aller voir la mère Louise,16 et madame l'abbesse de Beaumont. M. l'archevêque me logea et me traita chez lui; il est premier aumônier de mon père.17

La joie que l'on eut de me voir à Champigny est une chose qui ne se peut exprimer, et j'en sentis beaucoup d'y être. Toute la noblesse des environs vinrent au-devant de moi; ils prirent les armes; les chanoines mêmes vinrent au-devant de moi chantant, et les hautbois et musettes sonnoient des menuets de Poitou; cela avoit quelque chose d'assez comique. J'allai descendre à l'église; puis je montai à ma chambre, que je ne trouvai pas si laide que je croyois; car c'étoit le logement où logeoient les pages de mon grand-père de Montpensier. Je trouvai une place à me faire faire un cabinet; je m'y établis pour y être commodément le temps que j'avois à y demeurer. J'y trouvai mon procureur, qui étoit parti de Paris depuis moi, le lieutenant de Châtellerault,18 et un fort honnête homme,19 nommé Losandière, que j'avois mandé pour agir en cette affaire. Le premier est habile et du pays; ainsi il avoit beaucoup d'habitudes qui me pouvoient être nécessaires. L'autre est bien du pays aussi, faisant sa principale demeure à Saumur; mais je l'avois employé en mon affaire de Mademoiselle de Guise pour la succession de feu M. de Guise, où il m'avoit paru hbaile. C'étoit MM. Le Boultz et Nau qui me l'avoient enseigné. Cette habileté m'étoit connue par le rapport d'autrui et par quelques lettres, ne lui ayant jamais parlé que deux fois. Je les entretins et leur donnai toutes les lumières que j'avois de mon affaire qui étoient grandes, et beaucoup d'instructions et papiers que j'en avois. M. le commissaire20 arriva le lendemain, et ne voulut pas loger à Champigny; il alla à un château qui en est à un quart de lieue, nommé Baché, qui appartient à un de ses parents, qui porte ce nom. On l'appelle autrement Herouer. Il fut quelques jours sans travailler pour ajuster les choses.

Madame Le Coq,21 sa fille, vint me voir à Champigny; je la priai d'y venir souvent; ce qu'elle fit. M. de La Trémouille me vint visiter dès le lendemain que je fus arrivée; il me dit que madame la Princesse de Tarente, sa belle-fille, devoit arriver ce jour-là de Laval, et qu'elle viendroit aussitôt me voir, et que madame de La Trémouille n'y venoit pas ayant mal à un pied. Je vis M. de Chandenier,22 que je n'avois pas vu depuis son exil. Je le trouvai devenu philosophe; il croyoit le monde tout autrement qu'il n'étoit. Je le détrompai de bien des choses en lui contant l'état où étoit la cour. On est assez aise de voir des gens du monde; cela divertit. Tout ce qu'il y a d'hommes et de femmes [de qualité] dans la province me vinrent voir; j'avois toujours une grosse cour. Je me promenois; il y a deux parcs assez beaux; mais je n'osois y rien faire ajuster. Deux fois le jour réglément, le soir et le matin, on me venoit rendre compte de ce qui s'étoit fait à Baché.

Le premier jour que M. Madelaine vint à Champigny, après avoir été au bâtiment, il alla au petit parc, où j'allai aussi exprès pour le rencontrer. Je me promenai avec lui; il trouvoit mes allées belles. Je lui disois: « Mais pour les assortir, il faut un château. » Je lui parlai de mon affaire avec tout le loisir possible, et il me sembloit que je lui apprenois des choses qu'il ne savoit point encore. Toutes les fois que je savois qu'il se promenoit j'y allois, et je l'entretenois de toutes sortes de choses; c'est un homme de bon esprit et de grande capacité sur toutes choses, aussi bien que sur son métier. Madame de Monglat vint à Champigny; madame la princesse de Tarente y vint aussi, et mademoiselle de La Trémouille, qui me témoignèrent, que si j'avois à aller à Thouars, comme je l'avois dit à M. de La Trémouille, je lui ferois plaisir d'y aller plus tôt que plus tard.

Ainsi, après qu'elles eurent été deux jours à Champigny, elles s'en retournèrent, et moi je partis le jour d'après, par le plus beau temps du monde. M. de La Trémouille vint au-devant de moi à cheval, avec trois ou quatre cents gentilshommes. Je trouvai madame sa femme, et madame de Tarente et mademoiselle de La Trémouille plus proche de Thouars,23 avec quantité de dames du pays; il y avoit six ou sept carrosses de la livrée de la maison, à six chevaux, et quelques autres. Cela a un assez grand air; tout le bourgeois de Thouars étoit sous les armes. Je descendis à la chapelle, qui est fort belle, et où il y a quantité de sépultures de messieurs de La Trémouille, où on chanta le Te Deum en musique.

La maison est riante en entrant, la cour étant tout entourée de terrasses; le bâtiment est un corps de logis d'une prodigieuse longueur; cela a l'air fort magnifique, et on y voit une dignité qui paroît24 bien que les maîtres du logis l'ont possédée de longue main; ce qui n'est pas à Richelieu. Les dedans sont beaux et somptueux; les appartements ne sont encore ni peints ni dorés; on y voit partout une grande noblesse: car les tapisseries, et les autres meubles sont tous pleins des plus illustres alliances du royaume, et beaucoup de la maison royale; et c'est avec quelque raison qu'ils veulent être princes, quand d'autres s'avisent, de l'être, qui en ont moins de droit qu'eux.

Ils eurent une joie nonpareille de me voir, M. et madame de La Trémouille étant chacun en leur particulier mes parents proches, et madame de Tarente aussi; mais, outre cela, ce sont des gens qui ont toujours fort bien vécu avec moi et pour qui j'ai beaucoup d'estime et d'amitié. Madame de La Trémouille25 est une des plus illustres dames de ce siècle; mais la mauvaise fortune de sa maison et ses indispositions sont causes que tout le monde n'a pas le bonheur de la connoître. J'y séjournai un jour; je me promenai fort; j'allai à la chasse. Ils vouloient fort que j'y demeurasse davantage; mais mes affaires m'obligèrent de me rendre chez moi avant la Toussaint.

J'avois envoyé à Blois pour faire souvenir Son Altesse royale de ce qu'elle m'avoit promis; je trouvai le réponse à mon retour de Thouars. Son Altesse royale me manda qu'elle trouvoit très-bon que je prisse Guilloire. A l'instant je dépêchai un courrier à Paris, et je lui mandai de me venir trouver. Je fus passer la fête de la Toussaint à Fontevrault, ma tante26 ayant fort souhaité de me voir; elle m'y reçut avec beaucoup de joie et de bonne chère. Plus on voit sa maison, et plus on admire qu'une si grande communauté soit si bien réglée; car on ne peut pas mieux vivre que l'on fait à Fontevrault. Assurément l'abbesse a du mérite. Je regrettai beaucoup de n'y pas voir de mes sœurs; car elles y seroient fort bien, même toutes trois. Pendant que je faisois mes dévotions de mon côté, M. Madelaine étoit allé à Loudun faire les siennes, et revint à même temps que moi. Il y avoit un certain procureur du duc de Richelieu qui avoit toutes les envies du monde de se faire donner sur les oreilles; car il disoit toutes les impertinences imaginables, depuis le matin jusqu'au soir, devant tous mes gens, à qui j'avois recommandé d'être sages et de ne répondre à quoi que l'on leur pût dire que des révérences; je n'étois pas allée là pour gâter mon affaire. Le bonhomme Madelaine se mit un jour si en colère de ces impertinences, qu'en tapant de son bâton par terre il le rompit.

Après avoir passé beaucoup de temps à toiser avec des maçons que nous avions fait venir, le duc de Richelieu et moi, il fallut que M. le commissaire nommât des experts, et que l'on leur fît signifier de venir. Tout cela tiroit bien de long et me fâchoit assez. Je tâchois à ne me pas ennuyer; je me promenois, et quand il pleuvoit (ce qu'il fit assez souvent sur la fin), je jouois au volant pour faire de l'exercice, et je travaillois à mon ouvrage.

J'eus réponse de Guilloire; il ne vint pas avec mon courrier, parce qu'il étoit malade; il ne vint que le dernier jour de décembre. D'abord je fus accoutumée avec lui comme si je l'eusse vu toute ma vie. Je fus trois ou quatre jours à l'instruire de mes affaires et à lui donner les papiers que Préfontaine m'avoit laissés; et comme je les avois tous étiquetés de ma main, et que mon écriture n'est pas aisée à lire à ceux qui ne la connoissent pas, il fallut lui tout expliquer, aussi bien que beaucoup de mémoires sur mes affaires, que j'avois faits pour me ressouvenir et pour servir d'instruction. A moins que d'avoir un caractère, il ne les eût pas déchifrés en mille ans: car outre que j'écris mal quand j'écris de mon mieux, c'est que tout cela étoit écrit à la hâte, et à dire la vérité j'avois peine à les lire moi-même. Je lui dis: « Quoique je ne doute pas que Préfontaine ne vous ait donné une bonne tablature pour vous gouverner selon mon humeur, je vous dirai encore ce que je veux que vous fassiez. » Je lui contai aussi mes misères, afin de lui imprimer l'horreur et l'aversion que je voulois qu'il eût pour les gens de mon père.

Je fus fort satisfaite de lui, et je pense qu'il le fut fort de moi, et il a continué à me bien servir; il m'étoit donné de trop bonne main pour ne le pas trouver à ma fantaisie; car assurément la prévention bonne ou mauvaise sert fort aux gens, et comme j'étois prévenue que c'étoit un homme désintéressé et qui avoit de la probité, il me fut aisé de le reconnoître dans son procédé et à sa conduite. Il me dit qu'en allant dire adieu à un secrétaire de M. le cardinal, qui est de ses amis, il lui avoit dit: « Je m'étonne fort de vous voir partir pour Champigny; car M. le comte de Béthune a écrit à M. le cardinal que Son Altesse royale avoit donné à Préfontaine l'exclusion pour toujours du service de Mademoiselle, et à vous, parce que vous étiez de ses amis. » Guilloire lui dit: « Je ne puis manquer d'aller sur les ordres de Mademoiselle. » Le comte de Béthune m'avoit écrit, et en lui faisant réponse, je lui avois mandé que Son Altesse royale avoit trouvé bon que je prisse Guilloire, et que je l'avois mandé; mais je n'avois pas encore eu de réponse de lui. Sur cela il m'écrivit qu'il s'en alloit à Paris, que la cour y étoit arrivée, et que M. le cardinal l'avoit mandé, qui n'y avoit peut-être songé.

Dès que je sus la cour à Paris, j'y envoyai un gentilhomme pour faire mes excuses de ne m'y être pas rendre aussitôt; mais que mes affaires m'obligeoient à demeurer encore à Champigny. Madame la princesse de Tarente et mademoiselle de Trémouille y vinrent deux ou trois fois, et y furent longtemps à chacune. Elle me montrèrent leurs portraits27 qu'elles avoient fait faire en Hollande. Je n'en avois jamais vu; je trouvai cette manière d'écrire fort galante, et je fis le mien. Mademoiselle de La Trémouille m'envoya le sien de Thouars.

Comme mes experts furent venus, je fus occupée à trouver les occasions de les rencontrer et de les faire entretenir par de mes gens; ils n'osoient venir dans ma chambre; car pour le logis, ils étoient tous les jours dans la cour, étant le chemin pour aller au bâtiment. Il y avoit deux conseillers de Poitiers, dont l'un agissoit comme auroit fait l'homme d'affaires du duc de Richelieu; il s'appeloit Duché; et l'autre, nommé La Chaise-Perrault, [étoit] un fort honnête homme, qui avoit beaucoup de désir de me servir avec toute justice; et comme je l'avois tout entière, il suivoit son inclination en me la rendant. Je les voyois à la messe, dans la cour, dans le parc; et enfin partout où je croyois ma présence nécessaire, j'y allois. Il y avoit cinq ou six gentilshommes, dont je ne me souviens pas de noms, et des maçons, des charpentiers et marchands de bois; enfin, ils étoient au nombre de dix-huit, qui s'assembloient tous les jours, et M. Madelaine y venoit. On savoit le soir, quoiqu'ils ne le dissent pas, quel article ils avoient réglé; ainsi on espéroit de voir une fin. Dans ce temps-là il vint une bande de comédiens que je fis jouer, et tous les experts venoient à la comédie.

Je me souviens d'un jour qu'il me vint quelques nouvelles de Paris qui concernoient mes affaires: le lieutenant général de Châtellerault étoit allé en campagne pour avoir quelque papier; Losandière étoit occupé à faire des écritures qui étoient nécessaires, et mon procureur étoit malade; de sorte que je m'en allai au galop à Baché communiquer à M. Madelaine les nouvelles que j'avois eues. J'entrai dans sa chambre sans que l'on l'eût averti, avec un justaucorps et un fouet à la main, et je lui dis: « On n'a guère accoutumé de solliciter en cet état. » Il me dit: «  Les personnes de votre qualité n'ont guère accoutumé de se donner cette peine, et vous vous en pouviez dispenser. » Je lui dis que non, et que si j'eusse détourné quelqu'un de mes gens, cela auroit allongé l'affaire, et que me sentant assez informée pour l'en entretenir après avoir lu la lettre, je n'avois pas cru leur devoir faire perdre des moments qui lui étoient si précieux pour retourner à Paris, et à moi dans une chose qui m'étoit si importante. Après l'avoir entretenu, il me dit: « Vous êtes plus capable qu'il ne vous appartient; vous savez notre métier comme nous, et vous parlez de vos affaires comme un avocat. » Je lui répondis: « Ce n'a pas été par choix que je les ai apprises; ç'a été par nécessité et à mes dépens. »

Pendant que je travaillois à cette affaire, qui a été bonne pour moi, le chevalier de Béthune, qui étoit revenu de Provence, travailloit à une fort mauvaise pour eux, qui a été au mariage de mademoiselle des Marais,28 pour qui son amour étoit de beaucoup augmenté par l'absence; il ne bougeoit d'auprès d'elle, à la regarder sans cesse. Il ne se donnoit pas le loisir de manger; enfin on n'a jamais vu une telle chose: tout le monde s'étonnoit de ce que madame des Marais souffroit cela.

Mes affaires s'étant terminées heureusement pour moi, l'évaluation du bâtiment, des bois et du champart,29 monta à cinq cent cinquante mille livres. Je partis pour Paris, et j'écrivis à Son Altesse royale pour lui mander [cette nouvelle], et je ne me pus empêcher de mettre dans la lettre que cette affaire chimérique, et dont je ne devois avoir que cinquante mille francs, montoit à cinq cent [cinquante mille]; car Goulas alloit tenant ce discours à qui vouloit l'écouter. Je dis, en partant de Champigny, au chevalier de Béthune qu'il me sembloit qu'il n'étoit pas trop à propos qu'il allât à Blois; le comte de Béthune l'avoit donné à Son Altesse royale, et en avoit pension. Puis, le comte de Béthune en fut mal satisfait, et voulut rendre le brevet de la pension. Son Altesse royale ne le voulut pas prendre, mais elle ne fut pas payée depuis, et le raccommodement de Son Altesse royale et du comte de Béthune ne se fit que lorsqu'il se mêla de mes affaires. Car auparavant il ne le voyoit que comme l'on fait les personnes de cette qualité, dont on ne se peut pas dispenser de leur rendre des visites de temps en temps. Le sujet de sa plainte étoit que Son Altesse royale lui avoit refusé une abbaye qu'elle avoit donnée au fils du maréchal d'Étampes. Son Altesse royale avoit trouvé mauvais de ce que j'avois donné une pension au chevalier de Béthune, en disant: « Tous les gens qui quittent mon service (voulant parler du comte d'Escars aussi), ma fille les attache au sien. » Toutes ces raisons me firent croire que le chevalier de Béthune devoit aller à Selle, ou passer droit à Paris. Je [le] lui dis; il me répondit qu'il avoit vu Son Altesse royale à Paris la dernière fois qu'elle y étoit allée, et qu'il feroit ce que je lui commanderois, mais que je l'obligerois fort de le laisser me suivre; il vint.

Les pluies avoient été si grandes que toutes les rivières étoient débordées, et si j'eusse été un jour davantage à Champigny, je n'aurois pu passer. Le jour que j'en partis, j'allai coucher à Azay,30 où il y a un pont sur la rivière de l'Indre. La nuit, la rivière grossit tellement que le pont fut tout couvert d'eau; par bonheur pour moi je l'avois passé: car sans cela je crois que j'aurois demeuré plutôt tout l'hiver à Azay que de me hasarder à passer en bac ou en bateau, après la prédiction dont Son Altesse royale m'avoit menacée. Cela fut cause que le soir en arrivant à Tours, je passai les ponts de Saint-Avertin, qui durent une demi-lieue, à pied.

Je trouvai [à Tours] bonne compagnie: madame Bouthillier et madame la comtesse de Brienne la fille,31 et le maréchal de Clérambault.32 Tout cela étoit venu voir M. l'archevêque de Tours,33 lequel est oncle de mesdames de Clérambault et de Brienne. M. l'archevêque me logea encore et me traita magnifiquement. L'abbé de Rancé34 y étoit aussi.

Je continuai mon chemin jusqu'à Blois, où on me témoigna de la joie de me voir; on y étoit en deuil de M. d'Elbœuf. J'y appris la mort de la pauvre madame de Roquelaure,35 dont j'eus bien du déplaisir. Elle mourut en couche. Tout le monde à Blois parloit fort de voir comme le chevalier de Béthune étoit après mademoiselle des Marais. Je le dis à sa mère, à qui je n'en avois point encore parlé; elle me dit qu'elle croyoit que je lui faisois bien de la justice de ne la croire pas assez sotte pour souffrir cela, si elle ne vouloit qu'il épousât sa fille; que c'étoit une chose résolue. Je lui dis que je la trouvois bien folle; qu'avec cinquante mille écus qu'elle pouvoit donner à sa fille, elle la marieroit très-richement, et que le chevalier de Béthune étoit un cadet d'une maison mal aisée, à qui il ne convenoit point de se marier, et qu'ils n'étoient pas le fait l'un de l'autre; que je croyois que le comte et la comtesse de Béthune y consentiroient mal aisément. Elle me dit: « Dès que j'ai connu le chevalier de Béthune, j'ai souhaité cette affaire avec toutes les passions imaginables; j'y ai porté l'esprit de ma fille, et j'ai mis les choses en un point qu'ils seront les plus heureux du monde. » Je lui demandai ce que M. des Marais en disoit; elle me répondit qu'elle ne lui en avoit jamais parlé; qu'elle ne doutoit pas qu'il n'en fût bien aise.

Dès lors je vis avec déplaisir que je m'étois trompée lorsque j'avois cru que madame des Marais avoit beaucoup d'esprit et de jugement, et cela me fit changer le dessein que j'avois eu pour elle, dont l'exécution avoit été retardée par tout cela dans mon esprit. Car lorsque je partis de Paris, j'étois quasi résolue à la déclarer pour ma dame d'honneur à mon retour, ne sachant comment faire autrement, ayant pourtant toujours dans la tête d'allonger et d'éviter d'en prendre jusqu'à ce que je fusse mariée. Il me vint en pensée de mander a mademoiselle de Vandy, dès Champigny, de venir au-devant de moi à Fontainebleau, et qu'elle demeureroit auprès de moi jusqu'à ce que j'eusse une dame d'honneur, et que même quand j'en aurois, je serois bien aise de l'avoir. Elle me manda qu'elle obéiroit à mes ordres avec joie. Personne ne savoit cela; et madame des Marais, qui s'en revenoit avec moi à Paris, ne savoit si en arrivant je lui dirois de coucher à Luxembourg.

On ne me parla point à Blois qui seroit auprès de moi ou de qui n'y seroit pas; dont je fus fort aise. On dit à Son Altesse royale que j'avois fait mon portrait à Champigny;36 il me demanda à le voir, et me dit qu'il le trouvoit bien fait, et ensuite qu'il me conseilloit de ne le montrer à personne, de crainte que cette mode venant on n'en fît de médisants, et que l'on ne dit: « C'est Mademoiselle qui en a donné l'invention. » J'assurai Son Altesse royale que personne ne le verroit. J'avoue que je crus que ce conseil étoit un peu intéressé; et qu'il avoit crainte que l'on ne fît le sien. Après avoir été trois ou quatre jours à Blois, j'en partis; le soir de devant mon départ je voulus parler à Son Altesse royale, pour obtenir d'elle la permission pour Nau d'entrer dans la charge de conseiller de Metz. Il s'emporta contre lui et dit rage; dont je fus fort fâchée. Il me dit en bonne amitié que je me comportasse bien à la cour et que je ne m'y mêlasse de nulle intrigue. Je l'assurai que c'étoit fort mon dessein, et que mon humeur y étoit entièrement opposée.

Je m'en allais passer Noël à Saint-Fargeau; j'y arrivai la surveille; j'y fus trois ou quatre jours avec plaisir. Car j'en prends tout à fait à voir mon bâtiment, et à y trouver quelque chose d'achevé au dedans toutes les fois que j'y vais. Je trouvai l'hôpital fait, qui ne l'étoit point quand j'étois partie, et des filles de la Charité établies, que j'avois fait venir de Paris. On croira malaisément, mais il est pourtant vrai, que je fus fâchée d'en partir. Madame de Courtenay me vint conduire jusqu'à Châtillon; je vis mademoiselle de Vertus à Montargis; je passai à Fontainebleau, où étoit la reine de Suède. J'allai droit chez elle; on me dit qu'elle n'étoit pas éveillée. Je m'en allai à l'hôtellerie, où elle envoya un gentilhomme pour me dire qu'elle s'habilloit en diligence pour me voir. Lorsqu'elle fut en état, on me vint querir. Je trouvai dans sa cour vingt Suisses habillés de gris avec des hallebardes dorées, force valets de pied et pages vêtus de gris aussi, assez de gentilshommes dans la salle et dans l'antichambre. Elle avoit un justaucorps de velours noir, une jupe couleur de feu, et un bonnet de velours avec des plumes noires, et force rubans couleur de feu. Elle me parut lors aussi jolie que la première fois que je l'avois vue. Je lui demandai si elle ne viendroit point à la cour; elle me dit qu'elle n'en savoit rien, et qu'elle feroit tout ce que l'on lui ordonneroit. Le Roi l'étoit venu voir depuis son retour; il avoit couché à Villeroy, et l'après-dînée il y étoit allé au galop. M. le cardinal avoit été aussi à Petit-Bourg, où elle étoit allée pour le voir. En parlant à elle, je songeai tant à ce qu'elle avoit fait, et le bâton de son capitaine de ses gardes, qui étoit dans sa ruelle, me fit bien penser à celui à qui je l'avois vu porter, et au coup qu'il avoit fait, qu'il est bon de dire ici avant que de passer plus avant.

Le comte Sentinelli étoit celui qui paroissoit être le mieux avec la reine de Suède; elle l'avoit envoyé en Italie. On dit que le marquis Monaldeschi, son grand écuyer, s'étoit voulu prévaloir de son absence et lui rendre de mauvais offices, et que pour cela, il avoit pris de ses lettres, en avoit ouvert, et même de celles de la reine, sa maîtresse. On n'a point su le détail de cette affaire autrement: mais ce qui a été su et vu, est qu'un jour qu'il dînoit à la ville, elle l'envoya querir et qu'elle lui dit: «  Passez dans la galerie; » qui est celle des Cerfs, à Fontainebleau, et que là il trouva le chevalier de Sentinelli, capitaine des gardes [de la reine de Suède], qui lui dit: « Confessez-vous, voilà un père Mathurin;37 » auquel la Reine avoit conté les sujets qu'elle avoit de se plaindre de lui, pour lui faire comprendre que de lui couper le cou en Suède, ou de le faire tuer dans la galerie de Fontainebleau, pour elle étoit la même chose. Monaldeschi eut grande peine à se résoudre à mourir; il envoya le père demander pardon à la reine, et la vie. Elle le refusa; il voulut se jeter par la fenêtre; mais elles étoient fermées. Sentinelli eut peine à le tuer, ayant une jacque de maille;38 il lui donna plusieurs coups; de sorte que la galerie fut pleine de sang, et quoique l'on l'ait fort lavée, il y en a toujours des marques.39

Après qu'il fut mort, on l'emporta dans un carrosse à la paroisse, où on l'enterra à une heure qu'il n'y avoit personne; ce qui est assez aisé, la paroisse de Fontainebleau étant à un quart de lieue du bourg et du château. On a dit qu'elle [la reine de Suède] vint regarder comme on le tuoit; mais je ne sais si cela est bien certain. Cette action fut trouvée fort mauvaise, et qu'elle l'eût osé commettre dans la maison du roi. Elle prétendoit, comme j'ai dit, que c'étoit faire justice, et [que] comme les rois ont droit de vie et de mort, ce même pouvoir s'étend aux lieux où ils vont, comme à ceux qui sont à eux. Ce genre de mort est bien barbare et bien cruel à toutes sortes de personnes, et particulièrement à une femme. Elle me traita fort civilement, comme elle avoit fait toutes les fois que je l'avois vue.

Je trouvai, en sortant de chez elle, mademoiselle de Vandy qui venoit au-devant de moi. Je croyois trouver le soir à Petit-Bourg le comte et la comtesse de Béthune et madame d'Épernon, leur ayant mandé d'y venir; mais il n'y vint que madame d'Épernon, qui ne me sut dire pourquoi le comte de Béthune n'y avoit pas voulu venir. Nous crûmes que c'étoit pour bouder, et je résolus de ne faire pas semblant de le voir. Madame d'Épernon me conta que la reine lui avoit parlé de moi plusieurs fois avec bonté, et même témoigné impatience de mon retour. Pour Monsieur, il en témoignoit une la plus grande du monde. Elle me conta le déplaisir qu'il avoit fait paroître de la mort de madame de Roquelaure: le lendemain de sa mort il avoit été à confesse, avoit communié et fait dire mille messes pour elle. Jamais galant n'en avoit usé de même en pareille occasion. Elle m'apprit que la comtesse de Soissons étoit accouchée d'un fils. Je fus tout à fait aise de voir madame d'Épernon, et j'eus bien du plaisir à l'entretenir.

J'arrivai tard à Paris,40 parce que j'étois fort enrhumée; et comme je n'avois pas dormi la nuit, je regagnai sur le matin le temps que j'avois perdu. Je trouvai beaucoup de monde à Luxembourg, et entre autres M. et madame de Béthune, à qui je fis la meilleure chère du monde. Je trouvai le comte de Béthune avec un air assez froid, qui me dit que l'on m'avoit rendu bien des mauvais offices à la cour pendant mon absence. Mon rhume m'obligea à garder trois ou quatre jours le lit; ce qui m'empêcha d'aller au Louvre. Monsieur me vint voir dès le lendemain de mon arrivée, et j'appris qu'il m'avoit attendue longtemps chez madame de Choisy le jour que j'arrivai. Il me fit l'honneur de me le dire; il me parla de la mort de madame de Roquelaure, et me conta le déplaisir qu'il en avoit eu, et que depuis il n'avoit mis de couleur que ce jour-là. Il étoit fort ajusté; il me conta tout ce qu'il savoit avec la plus grande amitié du monde, me donna des oranges de Portugal; enfin il faisoit tout du mieux qu'il pouvoit. Il me parla des loteries; moi qui n'en avois jamais entendu parler, je me fis expliquer ce que c'étoit; j'en fus bientôt savante; car on ne parloit d'ature chose.

Le roi et la reine envoyèrent savoir de mes nouvelles, et M. le cardinal aussi, qui me fit faire des excuses de ne me pas venir voir, étant affligé de l'accident qui étoit arrivé à son petit-neveu.41 Ce petit garçon étoit au collège des jésuites; les fêtes de Noël, se jouant avec d'autres petits garçons, ils s'avisèrent de se berner les uns et les autres, et tour à tour tenoient la couverture. L'abbé d'Harcourt, qui tenoit un coin, qui étoit le plus foible, la lâcha, et le petit Alphonse Mancini tomba et se cassa la tête, dont M. le cardinal fut sensiblement touché; car d'abord il eut tous les signes mortels. Il n'avoit que douze ans, mais il étoit si avancé en toute chose que c'étoit un prodige; il avoit quasi achevé toutes ses études; [c'étoit] un esprit vif. Enfin M. le cardinal en avoit conçu une si grande espérance, que je lui ai ouï dire qu'il l'alloit tirer du collège, et qu'il le vouloit prendre auprès de lui et l'accoutumer aux affaires; qu'il auroit couché dans sa chambre; qu'il auroit parlé de toute chose devant lui; qu'il lui auroit montré toutes les dépêches qu'il recevoit et qu'il faisoit faire, et qu'il l'auroit dressé pour le rendre capable de servir le roi. Il n'en parle point encore qu'avec beaucoup de regret.

 


NOTES


1. Petite ville du départment du Calvados. Ce nom a été omis dans les anciennes éditions.

2. La Gazette parle en quelques lignes du séjour de Mademoiselle à Paris. Voici le passage qui fixe les dates avec précision: « Mademoiselle n'étant occupée qu'à recevoir les visites de tout ce qu'il y a de personnes de marque et à rendre les siennes, son altesse fut, le 26 de ce mois (septembre), voir la princesse de Carignan et la comtesse de Soissons, qui étoit indisposée, comme elle fit le 27, la duchesse d'Épernon. »

3. Il a été question du jardin de Renard plus haut, Chap. III; Chap. VI; Chap. XIII; etc.

4. Des comtesses de Fiesque et de Frontenac.

5. Les anciens éditeurs ont substitué dans ce passage le style indirect au style direct.

6. Voy. l'Histoire des comtes d'Eu, par M. Estancelle (Dieppe 1828), et l'Histoire du Château d'Eu, par M. Vatout.

7. Les anciennes éditions ont omis la réponse du duc de Guise à Mademoiselle; ce qui rend le passage inintelligible.

8. La Gazette fixe encore ici les dates qu'omet Mademoiselle: « Le 7 (octobre), Mademoiselle ayant dîné au Val-de-Grâce, où étoient mademoiselle de Guise, la duchesse d'Épernon, la comtesse de Béthune, et quelques autres dames, prit la route de Chartres, pour de là continuer son chemin à Blois. »

9. Bourg du départment d'Eure-et-Loir, arrondissement de Chartres, canton de Janville.

10. Ce fut le 10 octobre 1657 que la reine de Suède alla s'établir à Fontainebleau.

11. Le retour de Préfontaine et de Nau.

12. Le verbe paroître avec le sens actif se trouve souvent, comme on l'a déjà remarqué, dans les Mémoires de Mademoiselle. Le sens est, et ne me fit point paroître toute la chaleur, etc.

13. Les anciennes éditions ont mis: il n'en falloit pas douter.

14. Voy. sur ce conseiller au parlement, Chap. XVII, note 19.

15. Mademoiselle quitta Blois le 17 octobre 1657, comme le prouve le passage suivante de la Gazette de Renaudot: « Elle est partie le 17 du courant pour aller coucher à Amboise, et le lendemain à Tours; de laquelle ville elle continua sa route jusques à Champigny, où elle arriva le 19. »

16. Voy. sur la mère Louise ou Louison Roger, Chap I. et Chap. XVIII, note 8.

17. L'archevêque de Tours était alors Victor Bouthillier, qui mourut le 19 novembre 1670.

18. Le lieutenant général et le lieutenant particulier étaient des juges qui présidaient le tribunal en l'absence du bailli. De là le nom de lieutenants.

19. Les anciens éditions ne font qu'un seul personnage de M. de Losandière et du lieutenant général de Châtellerault. Mademoiselle les a très-nettement distingués.

20. Le commissaire était le conseiller au parlement de Paris, Madelaine ou La Magdelaine.

21. Fille du conseiller au parlement, La Magdelaine. Son mari, Lecoq de Corbevile, fut lui-même conseiller au parlement. Il est caractérisé en ces termes dans le Tableau du parlement de Paris: « Dévot et scrupuleux, d'esprit assez dur, capable néanmoins, bon juge, mais long à toutes choses, parleur et ayant quelque opinion de lui-même et obstiné en ses opinions. »

22. Le marquis de Chandenier, de la maison de Rochechouart, ancien capitaine des gardes du corps, était exilé depuis le 15 août 1648. Voy. l'appendice: La Séance royale où fut proclamée la régence d'Anne d'Autriche (18 mai 1643) sur les causes de sa disgrâce.

23. Ce fut le 27 octobre que Mademoiselle arriva à Thouars, comme le prouve le passage suivant de la Gazette: « Le 27 du passé, Mademoiselle vint de Champigny à Thouars, accompagnée du duc de La Trimouille, qui il'avoit été rencontrer à une lieue d'ici, avec cent gentilshommes, qui s'étoient rendus auprès de lui, sur le bruit de la venue de cette princesse, au-devant de laquelle fut aussi la duchesse de La Trimouille, la princesse de Tarente, et la princesse sa belle-sœur, avec un cortège de carrosses remplis de dames; le prince de Tarente, qui n'avoit pu être de la partie à cause de son indisposition, étant demeuré au château où elle arriva, après avoir été haranguée hors les portes par le corps de ville, puis par les officiers de l'élection et devant la Sainte-Chapelle par l'abbé de Saint-Laon, à la tête de tout le clergé; le canon n'ayant pas manqué avec la mousquetade des habitants d'exprimer la joie que l'on avoit de voir cette princesse, qui s'en retourna le 29 à Champigny, non moins satisfaite des honneurs et des bons traitements qu'elle a reçus ici que de la beauté de ce château, l'un des plus beaux de France. »

24. On a déjà vu, dans les Mémoires de Mademoiselle, le verbe paroître pour faire paroître.

25. On trouve le portrait de la duchesse de La Trémouille dans le recueil de portraits publié à la suite des Mémoires de Mademoiselle (édit. de 1735).

26. On a vu (Chap. I que l'abbesse de Fontevrault était alors Jeanne-Baptiste de Bourbon, tante de Mademoiselle.

27. Ces portraits ont été publiés, comme on l'a déjà fait remarquer (note 25), à la suite des Mém. de Mademoiselle. (édit. de 1735).

28. Il a été question plus haut (Chap XIX et Chap. XXIV) de madame et de mademoiselle des Marais.

29. Ce mot est très-difficile à lire dans le manuscrit, et je ne suis pas sûr qu'il y ait champart. Le droit de champart (campi pars) consistait en un certain nombre de gerbes que le seigneur prélevait sur les récoltes dans toute l'étendue de ses domaines.

30. Azay-le-Rideau, petite ville du département d'Indre-et-Loire (Touraine). Champigny se trouve également dans le département d'Indre-et-Loire.

31. Il s'agit ici de madame de Brienne la jeune. Elle était fille du comte de Chavigny, et petite-fille de madame Bouthillier, et non sa fille, comme on le dit dans les anciennes éditions des Mémoires de Mademoiselle, où l'on a remplacé la comtesse de Brienne la fille par sa fille.

32. Il a été question de ce maréchal de Clérambault (Palluau) plus haut (Chap. VIII, note 4).

33. Victor Bouthillier, dont il a été question plus haut, note 17.

34. Armand-Jean Bouthillier, abbé de la Trappe, dont il fut le réformateur. Il y mourut le 27 octobre 1700.

35. Charlotte-Marie de Daillon, fille de Timoléon de Daillon, comte du Lude, mourut le 15 décembre 1657, à l'âge de vingt et un ans.

36. Il se trouve parmi les portraits publiés à la suite des Mémoires de Mademoiselle (édit. de 1735).

37. Ce religieux était le père Le Bel, supérieur des Mathurins de Fontainebleau; il a laissé une relation de cet événement. Le nom du père Le Bel ne se trouve pas dans le texte de Mademoiselle, comme on pourroit le croire, d'après les anciennes éditions.

38. On appelait jack ou jacque de maille une petite casaque qui était quelquefois formée de mailles de fer entrelacées.

39. Le meurtre de Mondaleschi eut lieu le 10 novembre 1657.

40. L'époque de l'arrivée de Mademoiselle à Paris est déterminée par le passage suivant de la Gazette de Renaudot: « Le 31 décembre, Mademoiselle arriva de Blois en cette ville (Paris), et y reçut les visites de toute la cour au palais d'Orléans, où cette princesse est logée. »

41. Alphonse Mancini fut blessé le 25 décembre 1657, et ne survécut que onze jours à blessure.

 


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