Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE II.

(1637-1643.)

La cour étoit fort agréable alors : les amours du roi pour madame de Hautefort,1 qu'il tâchoit de divertir tous les jours, y contribuoient beaucoup. La chasse étoit un des plus grands plaisirs du roi ; nous y allions souvent avec lui : madame de Beaufort [sc. Hautefort(?)], Chemeraut2 et Saint-Louis, filles de la reine, d'Escars,3 sœur de madame de Hautefort, et Beaumont4 venoient avec moi. Nous étions toutes vêtues de couleur, sur de belles haquenées richement caparaçonnées, et, pour se garantir du soleil, chacune avoit un chapeau garni de quantité de plumes. L'on disposoit toujours la chasse du côté de quelques belles maisons, où l'on trouvoit de grandes collations, et au retour le roi se mettoit dans mon carrosse entre madame de Hautefort et moi. Quand il étoit de belle humeur, il nous entretenoit fort agréablement de toutes choses. Il souffroit dans ce temps-là qu'on lui parlât avec assez de liberté du cardinal de Richelieu ; et une marque que cela ne lui déplaisoit pas, c'est qu'il en parloit lui-même ainsi.

Sitôt que l'on étoit revenu, on alloit chez la reine ; je prenois plaisir à la servir à son souper, et ses filles portoient les plats. L'on avoit réglément trois fois la semaine le divertissement de la musique, que celle de la chambre du roi venoit donner, et la plupart des airs qu'on y chantoit étoient de sa composition ; il en faisoit même les paroles, et le sujet n'étoit jamais que madame de Hautefort. Le roi étoit de si galante humeur, qu'aux collations qu'il nous donnoit à la campagne, il ne se mettoit point à table, et nous servoit presque toutes, quoique sa civilité n'eût qu'un seul objet. Il mangeoit après nous et sembloit n'affecter pas plus de complaisance pour madame de Hautefort que pour les autres, tant il avoit peur que quelqu'une s'aperçût de sa galanterie. S'il arrivoit quelque brouillerie entre eux, tous les divertissements étoient sursis ; et si le roi venoit dans ce temps-là chez la reine, il ne parloit à personne et personne aussi n'osoit lui parler ; il s'asseyoit dans un coin, où le plus souvent il bâilloit et s'endormoit. C'étoit une mélancolie qui refroidissoit tout le monde, et pendant ce chagrin il passoit la plus grande partie du jour à écrire ce qu'il avoit dit à madame de Hautefort et ce qu'elle lui avoit répondu : chose si véritable, qu'après sa mort l'on a trouvé dans sa cassette de grands procès-verbaux de tous les démêlés qu'il avoit eus avec ses maîtresses, à la louange desquelles l'on peut dire, aussi bien qu'à la sienne, qu'il n'en a jamais aimé que de très-vertueuses.

Sur la fin de la grossesse de la reine, madame la Princesse et madame de Vendôme vinrent à Saint-Germain et y amenèrent mesdemoiselles leurs filles.5 Ce me fut une compagnie nouvelle ; elles venoient se promener avec moi, et le roi s'en trouva fort embarrassé ; il perdoit contenance quand il voyoit quelqu'un à qui il n'étoit pas accoutumé, comme un simple gentilhomme qui seroit venu de la campagne à la cour. C'est une assez mauvaise qualité pour un grand roi, et particulièrement en France, où il se doit souvent faire voir à ses sujets, dont l'affection se concilie plutôt par le bon accueil et la familiarité que par l'austère gravité dont ceux de la maison d'Autriche ne sortent jamais. Monsieur vint aussi à la cour, et peu après la reine accoucha d'un fils.6 La naissance de monseigneur le Dauphin me donna une occupation nouvelle : je l'allois voir tous les jours et j'appelois mon petit mari; le roi s'en divertissoit et trouvoit bon tout ce que je faisois. Le cardinal de Richelieu, qui ne vouloit pas que je m'y accoutumasse ni qu'on s'accoutumât à moi, me fit ordonner de retourner à Paris. La reine et madame de Hautefort firent tout leur possible pour me faire demeurer ; elles ne purent l'obtenir, dont j'eus beaucoup de regret. Ce ne furent que pleurs et que cris quand je quittai le roi et la reine ; Leurs Majestés me témoignèrent beaucoup de sentiments d'amitié, et surtout la reine, qui me fit connoître une tendresse particulière en cette occasion.

Après ce déplaisir, il m'en fallut essuyer encore un autre. L'on me fit passer par Ruel pour voir le cardinal, qui y faisoit sa demeure ordinaire quand le roi étoit à Saint-Germain. Il avoit tellement sur le cœur que j'eusse appelé le Dauphin mon petit mari, qu'il m'en fit une grande réprimande : il disoit que j'étois trop grande pour user de ces termes ; qu'il y avoit de la messéance à moi à parler de la sorte. Il me dit si sérieusement tout ce que l'on auroit pu dire à une personne raisonnable, que, sans rien lui répondre, je me mis à pleurer ; pour m'apaiser, il me donna la collation. Je ne laissai pas de m'en retourner fort en colère de tout ce qu'il m'avoit dit.

Quand je fus à Paris, je n'allois plus à la cour qu'une fois en deux mois ; et lorsque cela m'arrivoit, je dînois avec la reine et m'en revenois à Paris pour coucher. Madame de Hautefort y venoit quelquefois m'y rendre visite, parce qu'elle étoit tout à fait de mes amies, et qu'elle savoit bien qu'elle ne faisoit rien en cela qui pût déplaire au roi ni à la reine. Le cardinal, qui la voyoit absolument attachée à sa maîtresse, ne l'aimoit pas, et souffroit avec peine l'amitié que le roi avoit pour elle ; la reine n'en avoit aucune jalousie, et n'en avoit eu de qui que ce soit. Elle avoit assez de mépris pour les bonnes grâces du roi, parce que c'étoit l'homme du monde le plus sujet à des boutades si peu dignes d'une personne de son âge, qu'elle ne pouvoit s'empêcher de s'en moquer, et d'ailleurs madame de Hautefort lui rendoit des services qui auroient pu l'obliger à fermer les yeux. Au reste, elle étoit bien avec Monsieur et M. le comte de Soissons, et servoit par ce moyen à entretenir la bonne intelligence qui étoit entre la reine et Monsieur. Lorsque la reine sut le discours que le cardinal m'avoit tenu, elle témoigna en être fâchée, et me dit avec bonté : « Il est vrai que mon fils est trop petit ; tu épouseras mon frère. » Elle vouloit parler du cardinal-infant,7 qui étoit en Flandre pour lors capitaine général du pays, et qui y commandoit les armées du roi d'Espagne ; et moi, qui ne me souciois pas de me marier, j'écoutois moins tous ces projets que je ne songeois à danser et aux divertissements de cet hiver.

Je fus encore aux assemblées et aux comédies que madame la comtesse de Soissons faisoit donner : ce n'étoit plus à l'hôtel de Brissac, c'étoit à l'hôtel de Créqui.8 Madame la Princesse, à son imitation, en faisoit à l'hôtel de Ventadour.9 Il y avoit dans Paris des brigues perpétuelles pour ces deux assemblées, à qui s'attireroit plus de gens, c'est-à-dire plus d'hommes ; quant aux femmes, le nombre en étoit toujours réglé. Nous n'avions point de plus grand divertissement que lorsqu'il venoit quelqu'un de ceux de l'hôtel de Ventadour, comme MM. de Beaufort, Coligny,10 Saint-Mesgrin,11 que je nomme comme les tenants de l'assemblée et les plus galants qui donnoient les comédies et les violons. Quand ils venoient à l'hôtel de Créqui, nous nous donnions le mot l'une à l'autre pour ne les point faire danser. Si quelqu'une par hasard ou par intelligence secrète les prenoit, c'étoit une grande douleur à toute notre cabale ; et nous ne cessions, mademoiselle de Longueville et moi, d'en gronder. En effet, si nous embarrassions parmi nous ceux de l'hôtel de Ventadour, nous étions aussi fort embarrassées avec eux. Pour moi, qui étois quelquefois priée par madame la Princesse d'aller à ses bals, je n'y allois point avec plaisir ; quand j'étois là, je ne savois que leur dire, et aussi ne me parloit-on guère ; je ne voyois de toutes parts que chuchoteries perpétuelles entre eux, et l'on m'y traitoit tellement de petite-fille, qu'encore que je le fusse en effet, je ne revenois néanmoins de là qu'avec un dépit mortel dans le cœur. Ce fut la grande cause qui fait naître l'aversion qu'on a vue depuis entre M. le Prince12 et moi, et que j'ai eue pour toute sa maison. S'il y avoit quelques grandes assemblées où toutes nos deux bandes fussent mêlées, c'étoient des intrigues inconcevables pour s'empêcher de danser les unes les autres ; c'étoient là nos affaires d'État et nos occupations. Dieu merci, le temps a dissipé nos haines, et le fondement qu'elles avoient ne méritoit pas qu'elles durassent si longtemps qu'elles ont fait.

Pendant que nous ne nous appliquions qu'à passer notre temps, il se faisoit à la cour des brigues plus considérables que celles qui nous partageoient dans nos bals. M. le cardinal de Richelieu mit M. de Cinq-Mars13 auprès du roi, qui en fit son favori, en la place de M. de Saint-Simon,14 premier écuyer, que l'on relégua en son gouvernement de Blaye. Le sieur de Cinq-Mars ne fut pas plutôt établi que le cardinal en fit son confidant et s'en servit pour chasser de la cour madame de Hautefort et Chemeraut, dont j'eus un grand déplaisir, qui augmenta encore parce que je n'osois les aller voir. Le détail de cette disgrâce a été su de tant de monde que je n'en veux rien dire.

Ce n'étoit pas là tout l'intérêt que je prenois aux affaires de la cour : je prenois grande part à celles de M. le comte de Soissons, qui y empiroient tous les jours. Le roi alla en Champagne pour lui faire la guerre ; et durant ce voyage madame de Montbazon,15 qui aimoit fort le Comte et qui en étoit fort aimée, me venoit voir régulièrement tous les jours, me parloit de lui avec beaucoup d'affection, me disoit qu'elle auroit une extrême joie quand je l'aurois épousé, qu'on ne s'ennuieroit point alors à l'hôtel de Soissons, qu'on ne penseroit qu'à m'y donner le bal et la comédie, qu'on iroit aux promenades, qu'il auroit du respect pour moi et des tendresses non pareilles. Elle ménageoit tout ce qui pouvoit rendre heureuse cette condition et tout ce qui, selon mon âge, pouvoit m'y faire incliner. Je l'écoutois avec plaisir, et je n'avois point d'aversion pour la personne de M. le Comte. Cependant je n'avois, sans savoir pourquoi, nulle inclination à me marier. La malheureuse destinée qu'il eut en ses desseins fait bien voir que nous n'étions pas nés l'un pour l'autre ; je ne laissai pas de bien pleurer sa mort16 ; et, quand j'allai voir madame sa mère à Bagnolet, M.17 et mademoiselle de Longueville et toute la maison ne firent que témoigner leur douleur par leurs cris continuels. La colère du roi étoit si grande contre lui, qu'il ne voulut pas que l'on fit honneur à sa mémoire, et défendit que l'on en portât le deuil à la cour.

Hors la disproportion de mon âge avec le sien, mon mariage avec lui étoit très-faisable : c'étoit un fort honnête homme, doué de grands qualités, et qui, pour être cadet de sa maison, n'avoit pas laissé d'être accordé avec la reine d'Angleterre. L'on ne peut disconvenir que ce n'ait été une grande perte pour l'État que celle d'un prince du sang aussi accompli que l'étoit celui-là. Peu de temps avant la bataille de Sedan, où il fut tué, il avoit envoyé M. le comte de Fiesque à Monsieur, pour le faire souvenir de la promesse qu'il lui avoit faite à mon égard, et que la chose étoit en état de se pouvoir terminer : il le supplioit très-humblement de trouver bon qu'il m'enlevât, comme le seul moyen par lequel ce mariage pouvoit s'exécuter. Monsieur ne voulut point consentir à cet expédient, de sorte que la réponse que porta M. le comte de Fiesque toucha sensiblement M. le Comte.

Je remarquerai ici ce qui arriva à madame la Comtesse le jour de la mort de monsieur son fils, dans sa maison de Bagnolet. Elle passoit d'une chambre à une autre ; il tomba du lambris deux palmes à ses pieds, qui lui donnèrent de la surprise ; elle ne fit pas réflexion que cela pût être de mauvais augure, et dit seulement qu'on les rattachât au lieu d'où elles étoient parties. L'on a depuis voulu que la chute de ces deux palmes fût un présage de la funeste nouvelle qui lui fut annoncée, et du peu de temps dont monsieur son fils jouiroit de la victoire qu'il avoit remportée. Elle ne devoit plus penser après cela qu'à celle qu'elle pouvoit remporter sur elle-même, et pleurer dans une retraite la perte de sa maison dans celle de ce prince. Si sa douleur fut grande, elle fut bien secrète ; peu de temps après elle parut toute consolée, et vécut dans le monde de la même manière qu'elle avoit fait auparavant.

La nouvelle de cette mort, qui fut précédée à la cour de celle de la perte de la bataille, y fut portée en grande diligence, et le sieur de Noyers,18 secrétaire d'État, qui la reçut le premier à deux heures après minuit, alla éveiller le cardinal de Richelieu pour la lui dire. Elle fut si salutaire pour le relever de l'abattement où il étoit de la défaite des troupes du roi, qu'il en parut tout remis ; il prenoit autant d'intérêt à cette perte que lui en pouvoit donner le plaisir d'être délivré d'un ennemi de cette qualité. Pour achever de dissiper son part, le roi, qui étoit à Péronne, partit le jour même de l'arrivée du courrier que le maréchal de Châtillon19 avoit dépêché, et vint à grandes journées droit à Mezières. Le lendemain qu'il y fut arrivé, il alla disposer lui-même les quartiers de son armée pour le siége de Donchery, petite place près de Sedan, qui ne tint que cinq jours. Après qu'elle fut prise, M. de Bouillon20 fit son accommodement, qui fut par où finit la campagne de cette année-là ; ensuite de quoi la cour revint à Saint-Germain.

Comme je ne m'entretiens ici de ce qui est arrivé de mon temps, de ma connoissance, qu'à mesure que quelque chose de particulier m'en fait souvenir, j'ai laissé échapper la naissance de M. le duc d'Anjou21 ; j'oubliois d'en parler, parce que je n'ai pas d'autre Mémoires qui me puissent rappeler ce temps-là que la chose même. Il naquit au mois de septembre 1640. J'étois alors à Bois-le-Vicomte, où j'avois été dès le mois de juin, et j'appris cette naissance par le bruit des canons de Paris, avant que personne ne me le fût venu dire. Je n'allai pas pour cela plus tôt à Paris que pour y passer l'hiver, durant lequel il n'y eut rien de remarquable que le mariage de M. le duc d'Enghien avec mademoiselle de Brézé, nièce du cardinal de Richelieu. Ce ministre ne devoit et ne pouvoit apparemment espérer cet honneur que par de grandes soumissions et de fortes instances auprès de M. le Prince ; tout au contraire, celui-ci demanda au cardinal, comme à genoux, mademoiselle de Brézé, et fit pour l'avoir ce qu'il auroit fait s'il avoit eu intention d'avoir pour son fils la reine de tout le monde. Et pour témoigner même à ce ministre qu'il n'y avoit point d'attachement qui dépendit de lui, par lequel il ne voulût s'unir à tous ses intérêts, il le pria de marier en même temps Mademoiselle de Bourbon à M. le marquis de Brézé.22 M. le cardinal répondit qu'il vouloit bien donner des demoiselles à des princes, et non pas des gentilshommes à des princesses : il ne lui fit donc la grâce que de lui accorder mademoiselle de Brézé23 pour M. le duc d'Enghien.24 Ils furent fiancés dans la chambre du roi, comme c'est la coutume pour les princes du sang ; et ce jour-là le prince donna un fort beau ballet dans le Palais-Cardinal, où le roi, la reine et toute la cour étoient.

Il y eut bal ensuite, où mademoiselle de Brézé, qui étoit fort petite, tomba comme elle dansoit une courante, à cause que, pour rehausser sa taille, on lui avoit donné des souliers si hauts qu'elle ne pouvoit marcher. Il n'y eut point de considération qui empêchât de rire toute la compagnie, sans excepter M. le duc d'Enghien, qui ne consentoit à cette affaire qu'à regret et que par la crainte qu'il avoit de déplaire à monsieur son père. Il l'avoit toujours tenu à Dijon25 sans lui rien donner, et sans lui permettre aucune liberté : ce jeune prince s'ennuyoit de ne se pas faire connoître, et il a bien paru depuis qu'il avoit dès ce temps-là des qualités pour le pouvoir faire avantageusement. Peu après son mariage, il tomba si grièvement malade que l'on crut qu'il en mourroit, et tout le monde l'attribua au chagrin que lui avoit donné cette affaire, qui lui en pouvoit donner beaucoup de sujet, sans s'arrêter à d'autres considérations qu'à celles qui venoient de la personne de sa femme : car, outre que du côté de la beauté et des qualités de l'esprit elle n'avoit rien qui la mît au-dessus du commun, d'ailleurs elle étoit encore si enfant que, plus de deux ans après être mariée, elle jouoit avec des poupées ; aussi étoit-elle assez méprisée et maltraitée de toute la famille de monsieur son mari ; de quoi elle s'aperçut, et s'assujettit à me voir, et n'avoir de joie et de plaisir que chez moi. Je vous avoue qu'elle me faisoit pitié, et que cette seule considération me faisoit m'accommoder à ses visites : quant à moi, je n'en recevois aucun divertissement.

L'année d'après son mariage [1642], elle fut envoyée au couvent des carmélites de Saint-Denis, pour lui faire apprendre à lire et à écrire durant l'absence de monsieur son mari, qui avoit suivi le roi au voyage qu'il fit en Roussillon. L'on jugea que cette jeune femme se formeroit mieux dans un couvent qu'ailleurs, parce que l'on m'en avoit vu revenir, après une fort longue maladie, plus sage que je n'avois été : joint à cela que le cardinal avoit connu celle qui en étoit supérieure, lorsqu'elle avoit été fille d'honneur de la reine, ma grand'mère, pour une personne de beaucoup de mérite et d'esprit.

Le roi partit de Paris pour le voyage de Roussillon au mois de février de l'année 1642 ; il laissa la reine et ses deux enfants à Saint-Germain-en-Laye, après avoir donné tous les ordres et pris toutes les précautions possibles pour leur sûreté. Ces deux princes étoient sous la charge de madame de Lansac,26 en qualité de leur gouvernante ; et pour leur garde ils n'eurent qu'une compagnie du régiment des gardes-françoises, dont le bonhomme Montigny étoit capitaine, et le plus ancien de tout le régiment. Ces deux personnes-là eurent chacun un ordre particulier : celui qu'eut madame de Lansac étoit qu'en cas que Monsieur, qui demeuroit à Paris le premier après le roi, vînt voir la reine, de dire aux officiers de la compagnie de demeurer auprès de monseigneur le Dauphin, et de ne pas laisser entrer Monsieur s'il venoit accompagné de plus de trois personnes. Quant à Montigny, le roi lui donna une moitié d'écu d'or, dont il garda l'autre, avec commandement exprès de ne point abandonner la personne des deux princes qu'il gardoit ; et s'il arrivoit qu'il reçut ordre de les transférer ou de les mettre en les mains de quelque autre, il lui défendit d'y obéir, quand même il le verroit écrit de la propre main de Sa Majesté, si ce n'étoit que celui qui le lui rendroit lui présentât en même temps l'autre moitié de l'écu d'or qu'il retenoit. Il ne fut rien tenté, Dieu merci, qui eût pu faire croire qu'aucun mouvement ait dû donner lieu aux soupçons qu'on avoit eus sur ce sujet. Cela fait, le roi partit.

La reine sut ce qu'il avoit ordonné à madame de Lansac à l'égard de Monsieur ; elle le manda à madame du Saint-Georges, qui le fit savoir à Son Altesse royale, qui profita de cet avis et n'alla à Saint-Germain qu'avec le nombre de gens qu'il falloit pour y être reçu ; à quoi il n'avoit garde de manquer pour ne pas perdre l'occasion de voir la reine, avec qui il avoit pour lors beaucoup d'affaires, dont l'issue a été si funeste qu'on peut bien les appeler malheureuses. Pendant l'absence du roi, l'on menaça plusieurs fois la reine de lui ôter ses enfants et de les envoyer au bois de Vincennes. En effet, ce fut dans ce dessein que le roi lui manda souvent, durant son voyage, d'aller à Fontainebleau ; ce qu'elle ne voulut jamais faire.

M. le Prince fut laissé, avec pouvoir de commander dans Paris tant que le roi seroit éloigné. Le soin des affaires publiques ne l'empêcha pas d'en faire une domestique : il maria mademoiselle de Bourbon à M. de Longueville, qui fut pour elle une cruelle destinée.27 Il étoit vieux ; elle étoit fort jeune et belle comme un ange. Cette fâcheuse disproportion n'empêcha pas qu'elle ne s'accommodât à ce parti de très-bonne grâce, ce que je remarquai fort bien à ses fiançailles, où je fus priée. Il y eut le lendemain une grande assemblée à l'hôtel de Longueville. Celle qui se fit pour les noces de M. le duc d'Enghien, son frère, qui est à présent M. le Prince, ne fut pas tout à fait si célèbre ; il n'y eut que des parents de la femme. Le cardinal de Richelieu ne crut pas nécessaire à l'honneur de sa famille d'y voir ceux de la maison royale.

Deux jours après ce mariage, mademoiselle de Brienne28 épousa le marquis de Gamaches : ce qui fit encore une assemblée et un bal, quoique ce ne fût pas la saison ; elle n'étoit aussi guère propre au divertissement, parce que la cour fut en deuil un peu après, à cause de la mort de la reine, ma grand'mère.29

A cette nouvelle succéda celle du procès et de l'exécution de M. de Cinq-Mars, grand écuyer de France, et de M. de Thou30 dont j'eus beaucoup de regret, et par la considération de leurs personnes, et parce que Monsieur étoit malheureusement mêlé dans l'affaire qui les fit périr, jusque-là même que l'on a cru que la seule déposition qu'il fit à M. le chancelier fut ce qui les chargea le plus, et ce qui fut cause de leur mort. Ce souvenir me renouvelle trop de douleur pour que j'en puisse dire davantage.

Le deuil de la reine, ma grand'mère, m'obligeoit à me renfermer dans une chambre noire.31 J'observai cette retraite dans toute la régularité possible. Je n'eus pas de peine à me priver de recevoir des visites ; il m'arriva tout ce qu'éprouvent tous les malheureux : personne ne me vint chercher. Je puis dire à ma louange que j'ai plus montré de sensibilité pour cette disgrâce de Monsieur, que mon âge ne devoit m'en faire avoir. Ce fut dans ce temps que je connus [Mme] de Fouquerolles,32 que j'ai tant fait parler dans la vie que j'ai écrite, et qui instruira assez de ce que j'en pourrois dire sans que j'en mette rien ici.

Lorsque M. de Bouillon fit son accommodement après la mort de M. le comte de Soissons, il se remit bien à la cour, et comme l'année suivante on s'aperçut qu'il étoit de la cabale de M. de Cinq-Mars, l'on voulut faire croire que sa réconciliation n'avoit été que pour mieux tromper le cardinal, qui lui fit donner le commandement de l'armée du roi en Italie. Cet emploi n'empêcha que, dès que l'on eut découvert qu'il étoit de l'intrigue de M. de Cinq-Mars, l'on ne le fit arrêter. L'exécution de l'ordre qui en fut donné fut remise au sieur de Comminges,33 gouverneur de Casal, et aux sieurs du Plessis-Praslin et de Castelnau,34 maréchaux de camps dans l'armée que M. de Bouillon commandoit. Il fut pris dans Casal, et de là mené prisonnier au château de Pierre-Encise, à Lyon, et fut très-heureux de racheter sa vie par la cession de sa place et de sa souveraineté de Sedan. Incontinent après sa détention, on envoya M. de Longueville en Italie commander en sa place, lequel à son retour ne trouva pas madame sa femme35 dans la même beauté qu'il l'avoit laissée, parce qu'elle étoit fort marquée de la petite vérole qu'elle avoit eue peu de temps après le départ de M. son mari.

Cette année-là fut remarquable par plusieurs accidents : le cardinal ne jouit pas longtemps de la défaite de M. de Cinq-Mars36 ; il revint fort malade du voyage de Roussillon, et même il avoit été pendant quelques jours en danger de sa vie durant le séjour que la cour fît à Narbonne. L'état où il étoit dès lors ne sembloit pas lui permettre de s'appliquer à ruiner une forte cabale, et moins encore à poursuivre une vengeance jusqu'où il fit aller la sienne. Son mal empiroit tous les jours, et il ne put suivre le roi dans le retour du voyage. Sa Majesté l'attendoit à Fontainebleau, où il se rendit quelques jours après. Le sacrifice qu'on venoit de lui faire de la tête de MM. de Cinq-Mars et de Thou ne parut pas lui suffire : pour se satisfaire, il voulut que tous ceux qui avoient été des amis de ces malheureux, et qui lui faisoient ombrage, se sentissent des effets de sa colère ; et il vouloit relever son crédit avec plus d'éclat, parce qu'il savoit qu'il avoit été cru diminué. Il n'en put venir à bout à Fontainebleau ; et sans se rendre, quoiqu'il fût réduit à l'extrémité par la violence de son mal, il fit aller la cour à Paris, où il se fit transporter ; et là, quoiqu'il ne vit le roi que dans les visites que Sa Majesté lui faisoit l'honneur de lui rendre, il sut si bien se prévaloir des tendresses feintes ou véritables qu'il en recevoit, que peu de jours avant sa mort il fit chasser de la cour Troisville,37 capitaine des mousquetaires de la garde ; Tilladet, capitaine au régiment des gardes ; la Salle et quelques autres, quoique le roi eût une peine incroyable à s'y résoudre, et principalement à l'égard de Troisville. L'on croit même que la difficulté que le cardinal y reconnut le saisit tellement, par l'idée qu'il avoit de la diminution de sa faveur, que la crainte et le dépit avancèrent sa mort de quelques jours.

Il finit les siens après cette dernière victoire, le 4 décembre 1642, et il est mort en possession d'une si grande autorité et d'une si belle réputation, que ses conseils ont été suivis après son trépas, et que ses propres ennemis ont respecté sa mémoire. Le roi vint à Paris ce jour-là : il ne le vit qu'un moment devant qu'il rendit l'esprit, et lorsqu'il sortit du Palais-Cardinal,38 il voulut que les portes en demeurassent saisies par ses gardes. L'avis qu'on en donna au cardinal avant qu'il mourût le mortifia sensiblement ; ce lui eût été un bien plus rude déplaisir s'il eût prévu l'indifférence avec laquelle son maître apprit la nouvelle de sa mort.

Aussitôt que je le sus, j'allai trouver le roi pour le supplier d'avoir quelque bonté pour Monsieur. Je croyois prendre une occasion très-favorable pour le toucher : il me refusa, et alla le lendemain au parlement faire enregistrer contre lui la déclaration,39 dont on sait le sujet, sans que je l'explique ici. Je voulus m'aller jeter à ses pieds lorsqu'il entreroit au parlement, pour le supplier de n'en pas venir à cette extrémité ; il en fut averti, et me l'envoya défendre ; rien ne put le détourner de cet injurieux dessein. Après avoir donné quelques ordres particuliers, il alla à Saint-Germain, et remit le maniement des affaires au cardinal Mazarin40 par l'avis du cardinal de Richelieu,41 et eut pour conseils avec lui MM. de Chavigny42 et de Noyers. Ce dernier ne garda pas longtemps sa place ; les deux autres, qui avoient toujours eu une extrême jalousie de sa faveur pendant la vie du cardinal de Richelieu, se trouvèrent dans une parfaite intelligence et conspirèrent sa perte. De Noyers, pour une légère mortification que ces messieurs lui suscitèrent adroitement, demanda son congé, et le roi le lui accorda.43 Le cardinal Mazarin fit donner sa charge au sieur Le Tellier,44 qui étoit intendant de justice dans l'armée de Piémont, où on l'envoya chercher exprès pour être secrétaire d'État.

Le désir extrême que j'avois de revoir Monsieur à la cour m'en fit naître l'espérance quand le cardinal de Richelieu mourut, parce qu'il étoit à Blois, où il avoit toujours demeuré, depuis qu'il étoit revenu de Savoie par l'accommodement bizarre que l'abbé de la Rivière45 fit de sa part. Je n'étois pas la seule à qui cette mort donna de la joie, puisque, outre un nombre infini de particuliers, l'on peut juger que la reine et Monsieur en durent sentir beaucoup d'avoir perdu leur plus grand ennemi. Toutefois ils ne jouirent pas si tôt de la bonne fortune que cette perte sembloit leur promettre. Tous les malheurs du cardinal subsistèrent, et l'on ne devoit pas s'en étonner, puisqu'il avoit eu le crédit de faire agréer au roi celui qu'il avoit voulu substituer à sa place. Je pense qu'il n'y a jamais eu que lui au monde qui ait disposé, comme par testament, du bien qui dépendoit de la pure grâce du roi : cela se peut dire, puisqu'outre la substitution du cardinal Mazarin, il a laissé à la plupart de ses héritiers et de ses amis des charges et des gouvernements.

Il étoit arrivé l'année d'auparavant, et assez mal à propos pour ces nouveaux ministres, un changement fort considérable en France, causé par la mort du cardinal-infant. Il mourut d'une fièvre tierce qui ne l'avoit pas empêché d'être toute la campagne à l'armée, et de reprendre Aire deux mois ou environ après que le maréchal de La Meilleraye46 l'eut pris. Sa maladie ne paroissoit pas par là fort dangereuse ; néanmoins, quand il fut retourné à Bruxelles, il y mourut en fort peu de jours : ce qui a fait accuser les Espagnols de l'avoir empoisonné, dans la crainte qu'ils eurent qu'il ne se rendît maître de la Flandre par une alliance avec la France. Tel étoit véritablement son dessein. La reine m'a dit qu'elle avoit trouvé dans la cassette du roi, après sa mort, des mémoires où elle avoit vu que mon mariage étoit résolu avec ce prince ; elle ne me dit que cela : c'étoit assez pour juger que si les Espagnols en avoient eu la moindre lumière, ils s'en seroient défaits de quelque manière que ce pût être. Quand cette perte arriva, le roi dit fort rudement à la reine : « Votre frère est mort. » Cette nouvelle, si sèchement annoncée, lui fut un surcroît de douleur dans un accident aussi sensible que lui étoit la mort d'un frère qu'elle aimoit chèrement et avec justice, puisqu'elle en étoit aimée de même : d'ailleurs c'étoit un prince de mérite, fort bien fait de taille, quoique petit, autant beau de visage que l'on le peut être, et parfaitement honnête homme.47 En mon particulier, lorsque je fis réflexion sur mes intérêts, j'en fus très fâchée, parce que c'étoit l'établissement du monde le plus agréable pour moi, à cause de la beauté du pays, de sa proximité à celui-ci, et par la manière d'y vivre, qui n'est point éloignée de celle de France. Pour les qualités de la personne, quoique je l'estimasse beaucoup, c'étoit à quoi je pensois le moins. Si ces desseins-là eussent réussi, les ministres qui succédèrent au cardinal de Richelieu eussent trouvé moins de besogne. Monsieur crut avoir meilleur marché d'eux que du défunt : il envoya l'abbé de la Rivière à la cour pour traiter son accommodement, et il le traita à la vérité d'aussi bonne foi qu'il avoit fait l'autre. Dès ce voyage-là il commença d'agir avec moi de la belle manière qu'il a continué depuis : il me fit une pièce auprès du roi sur un sujet dont il ne me souvient pas.

L'accommodement de Monsieur se fit, et il revint à Paris et vint descendre chez moi. Je commençai mon discours par me plaindre de l'abbé de La Rivière, qui commençoit d'être en faveur auprès de lui ; il ne reçut pas mes plaintes ainsi que je me l'étois promis ; ce qui ne refroidit point la joie que j'eus de le voir. Il soupa chez moi, où étoient les vingt-quatre violons48 ; il y fut aussi gai que si MM. de Cinq-Mars et de Thou ne fussent pas demeurés par les chemins. J'avoue que je ne le pus voir sans penser à eux, et que dans ma joie je sentis que la sienne me donnoit du chagrin. Le lendemain il alla à Saint-Germain, où il fut fort bien reçu du roi. Pour la reine, on n'en peut pas douter, puisque la dernière affaire qui avoit fait éloigner Monsieur leur avoit été commune. Il ne fit pas grand séjour auprès de Leurs Majestés ; il y alloit de fois à autres, et passa cet hiver-là à Paris.

Il n'y eut jamais tant de bals que cette année-là (1643). Le mariage de M. de Montglat avec mademoiselle de Chiverni49 en fit faire quantité ; je me trouvai à tous. J'étois d'autant plus aise de ce mariage que cette jeune personne, qui étoit d'agréable compagnie, fut depuis toujours auprès de moi, parce qu'elle vint demeurer avec madame de Saint-Georges, sa belle-mère. Je ne possédai pas longtemps cette bonne compagnie, à cause de la mort de madame de Saint-Georges ; elle avoit été malade tout l'hiver ; peu après le mariage de son fils, elle fut contrainte de garder le lit, et son mal augmenta ; le 13 de février, elle eut le transport au cerveau, qui lui fit perdre connoissance. J'appris le matin, à mon réveil, l'état où elle étoit ; je me levai en grande diligence pour aller lui témoigner par quelques devoirs la reconnoissance que j'avois de ceux dont elle s'étoit si dignement occupé auprès de moi depuis que j'étois au monde. J'arrivai comme on employoit tous les remèdes possibles pour la faire revenir ; on y réussit après beaucoup de peine, et aussitôt on lui apporta la viatique et l'extrême-onction, qu'elle reçut avec tous les témoignages d'une âme véritablement chrétienne. Elle répondoit à toutes les prières avec une dévotion admirable : ce qui n'étonnoit pas ceux qui savoient comme elle avoit pieusement vécu.

Cela fait, elle appela ses enfants pour leur donner sa bénédiction, et me demanda permission de me la donner aussi ; elle me dit que l'honneur qu'elle avoit d'être auprès de moi depuis ma naissance faisoit qu'elle osoit prendre cette liberté. Je sentois une tendresse pour elle qui répondoit à celle qui paroissoit dans tous les soins qu'elle avoit eus de mon éducation : je me mis à genoux auprès de son lit, les yeux baignés de larmes ; je reçus le triste adieu qu'elle me dit ; je l'embrassai. J'étois tellement touchée de sa perte et d'une infinité de bonnes choses qu'elle m'avoit dites, que je ne la voulois pas quitter qu'elle ne fût morte. Elle pria qu'on me fit retirer, et ses enfants aussi ; elle s'attendrissoit trop par nos larmes et nos cris, et témoignoit que je faisois seule tout le sujet des regrets qu'elle étoit capable d'avoir. Je m'en allai dans ma chambre, où je ne fus pas plus tôt entrée qu'elle commença d'agoniser, et mourut un quart d'heure après.50

Monsieur vint presque dans ce temps-là, me trouva fort affligée, et me dit qu'il ne falloit pas que je demeurasse dans un logis où il y avoit un corps mort, et principalement celui d'une personne dont la perte m'étoit si sensible. Il me commanda d'aller coucher à l'hôtel de Guise,51 où il logeoit alors ; il me laissa sa chambre et alla chez les baigneurs.52 Quand je le revis, il me témoigna avoir beaucoup de déplaisir de la mort de madame de Saint-Georges, et de grands ressentiments des services qu'elle lui avoit rendus et à moi. Cela donna lieu de parler de remplir sa place : je lui témoignai désirer d'avoir madame de Vitry, sœur de madame de Saint-Georges ; il ne me fit point de réponse ; ce qui me fit juger qu'il pensoit à d'autres.

Aussitôt que je fus à l'hôtel de Guise, j'allai avec mademoiselle de Saint-Louis, qui m'y avoit suivie, voir madame la comtesse de Fiesque53 qui y logeoit. Elle me témoigna prendre beaucoup de part à ma douleur ; et en effet, outre ce qu'elle pouvoit sentir en cela pour ma considération, j'avois sujet de croire qu'elle étoit affligée de la mort d'une personne qui avoit été fort de ses amies. Je m'en allai le lendemain au couvent des carmélites de Saint-Denis, pour attendre là que Monsieur m'eût choisi une gouvernante. Je lui écrivis de là et à la reine, si ma mémoire ne me trompe, pour les supplier de me donner madame la comtesse de Fiesque ou madame la comtesse de Tillières,54 sa belle-sœur, toutes deux personnes de qualité, de mérite et de vertu, et mes parentes. A dire le vrai, j'affectionnois beaucoup plus la dernière que la première ; je m'attendois de l'avoir, sur la proposition que je faisois de l'alternative. Ce qui me faisoit encore espérer étoit que la comtesse de Fiesque étoit malade depuis six mois, et presque hors d'état de vaquer à une charge aussi fatigante que celle-là. Cependant ce fut un remède merveilleux contre ses maux : incontinent que Monsieur lui eut fait dire qu'il désiroit la mettre auprès de moi, les forces lui revinrent, et cette nouvelle lui redonna comme miraculeusement la santé.

Monsieur envoya Goulas à Saint-Denis, où il y avoit déjà huit jours que j'étois, me donner la nouvelle de ce choix, et me demander quand il me plairoit qu'elle vînt me trouver. Je répondis à Goulas qu'il eût à me l'amener le lendemain, et je le chargeai de faire là-dessus mes compliments à Son Altesse royale. J'ai su depuis que les raisons qui l'obligèrent de préférer la comtesse de Fiesque à la comtesse de Tillières et à toute autre, étoit la qualité de veuve, plus convenable à cette fonction que celle d'une femme mariée. Elle avoit été dame d'atour55 de feu ma mère ; il vouloit lui ôter la prétention qu'elle pouvoit avoir de l'être de Madame d'aujourd'hui, parce que, pendant qu'il l'avoit eue dans sa maison, elle s'étoit fort intriguée, et jusqu'au point que, si ma mère ne fût pas morte, Monsieur l'auroit ôtée d'auprès d'elle ; ce que je sais d'original. De sorte que Son Altesse royale, qui vouloit éloigner de telles gens de sa maison, dont il n'y en avoit déjà que trop, en fit ma gouvernante, et prévit bien que le peu d'inclination que j'avois pour elle ne me feroit rien prendre de son humeur.

Lorsqu'elle arriva à Saint-Denis, je la reçus fort bien, je ne manquai pas de lui témoigner beaucoup de joie d'être entre ses mains ; que je l'avois souhaité et y avois contribué. Elle me fit connoître qu'elle le savoit bien, et qu'elle se sentoit m'être fort obligée. Ainsi les premiers jours se passèrent bien doucement : elle y contribuoit fort aussi par les agréments de son esprit ; elle me faisoit mille contes de son temps, très-capables de divertir, qui me faisoient prendre grand plaisir à sa conversation, et de fait, quoique vieille, elle est d'aussi agréable entretien que personne du monde. Elle commença sa fonction par un inventaire qu'elle fit faire de tous mes bijoux pour m'empêcher d'en donner sans sa permission, et principalement de plusieurs qui étoient dans un cabinet à part, dont elle avoit peur que je ne fisse des présents à madame de Montglat.56 Elle prit ensuite la clef de mon écritoire, qui y tenoit d'ordinaire (ce qui faisoit qu'elle demeuroit toujours ouverte), afin de la garder, parce qu'il n'étoit pas à propos, disoit-elle, qu'elle fût en ma disposition, et qu'elle devoit voir tout ce que j'écrivois, et à qui.

Ce procédé me déplut au dernier point, et je trouvai sa direction bien gênante. Cependant, quoique peu accoutumée à une telle dépendance, je souffrois cela sans rien dire. A la vérité je n'en pus pas faire autant dans une autre occasion qui arriva bientôt après, sur quelques intérêts des enfants de madame de Saint-Georges, avec qui elle en usa mal. Je rappelai alors tous mes chagrins, et les lui témoignai assez respectueusement ; de là vint quelque aigreur ; et cette querelle, d'agréable que je l'avois trouvée, me la rendit fâcheuse. Nous devinmes depuis fort sujettes à nous brouiller ensemble. Je me trouvai un jour un peu incommodée de rhume ; mon médecin m'ordonna quelque remède, que je ne voulus point prendre, comme cela m'étoit assez ordinaire. Elle s'imagina, quoique j'eusse quinze ans passés, qu'il me falloit traiter en enfant : elle m'enferma dans ma chambre, et fit dire à ma porte qu'on ne me voyoit point, parce que j'étois malade. Je trouvai cette manière d'agir aussi haute qu'elle étoit incommode, et toutefois je ne me voulus point autrement cabrer ; je témoignai seulement des ressentiments d'enfant : j'eus le moyen d'échapper de ma chambre ; je m'en allai à son cabinet, où je savois qu'elle étoit ; je l'enfermai et j'emportai la clef. Elle fut quelques heures en inquiétude, parce que l'on ne pouvoit avoir des serruriers ; et sa peine étoit d'autant plus grande que j'avois enfermé son petit-fils dans un autre lieu, et qui crioit comme si je l'eusse maltraité. Je prenois un plaisir non pareil à l'embarras où je m'apercevois bien qu'elle étoit, et il n'y avoit point de malice dont je ne m'avisasse pour me venger d'elle ; aussi ne me consolai-je du procédé qu'elle tenoit avec moi que par toutes les pièces que je lui pouvois faire. Elle adoucit un peu son humeur et me laissa voir le monde ; cela ne laissa pas de se passer d'une manière à donner quelque sujet de picoterie. Les plus ordinaires visites que je recevois étoient de ces demoiselles, dont j'ai ci-devant parlé ; et, quand nous étions toutes ensemble, la comtesse de Fiesque venoit contrôler notre conversation ; elle trouvoit que nous ne traitions dans nos propos que des bagatelles qui ne faisoient pas d'esprit, comme si nous eussions dû à notre âge nous entretenir des choses du monde les plus sérieuses.

Deux mois après qu'elle fut avec moi, madame de Guise revint d'Italie, où la cour l'avoit relégué. Elle arriva plus tôt que l'on ne l'attendoit. Cette surprise m'empêcha d'aller au devant d'elle. Aussitôt que je sus sa venue, j'allai la visiter à l'hôtel de Guise, dont elle me témoigna une extrême joie. J'y reçus toutes les amitiés possibles de mademoiselle de Guise et de messieurs ses frères, les chevaliers de Guise et de Joinville,57 qui sont aujourd'hui, savoir : le premier, M. le duc de Joyeuse, et l'autre, le chevalier de Guise. Le lendemain madame de Guise vint dîner chez moi, et depuis, durant un très-long temps, je la voyois presque tous les jours chez elle. J'y rencontrai une fois madame et mademoiselle d'Épernon,58 qu'il y avoit cinq ou six ans que je n'avois vues : elles avoient été pendant tout ce temps-là en Guienne ou en Angleterre, et depuis leur retour elles n'avoient osé venir chez moi, parce que M. d'Épernon étoit mal avec Monsieur. Nous n'y prenions pas, elles et moi, assez d'intérêt pour en avoir moins d'amitié les unes pour les autres ; c'est pourquoi ce nous fut une extrême joie de rencontrer une si favorable occasion de nous revoir ; et, afin de pouvoir continuer, j'en demandai permission à Monsieur, qui me l'accorda.

Le premier jour que je les revis chez madame de Guise, j'y trouvai madame Martel, qui est une femme assez libre, qui dit qu'il falloit marier M. le chevalier de Guise, qui est, comme je viens de le dire, M. de Joyeuse, avec mademoiselle d'Épernon. Mademoiselle de Guise et moi sur-le-champ témoignâmes l'approuver fort et même le souhaiter ; et je pense que l'amour que le chevalier a fait depuis paroître pour elle prit naissance dans son cœur en ce moment, parce qu'il n'en avoit point donné jusque-là de marque ; ce dessein pourtant n'a pas eu l'effet que j'avois désiré. J'avois une amitié si forte pour madame et mademoiselle de Guise, que je ne me pouvois passer de les voir tous les jours. J'y avois manqué une fois : j'y voulus aller après souper. Madame la comtesse de Fiesque s'y opposa ; nonobstant toutes ses difficultés, je l'emportai. Cette visite me coûta une prison de cinq ou six jours. Je m'étois imaginé que cela n'avoit pu arriver sans la participation de madame de Guise ; je n'eus plus d'empressement de l'aller voir, et sentis depuis un peu de froideur pour elle.

Sur la peine que je faisois à madame la comtesse de Fiesque, elle voulut se fortifier contre moi des ordres de Monsieur, et lui porta pour cet effet un grand mémoire de la conduite que j'avois à tenir, dont le premier article étoit que je ferois le signe de la croix à mon réveil, et le reste de la portée de tout ce que l'on pouvoit prescrire à une enfant, quoique j'eusse déjà seize ans. Ce qui me chagrina le plus, ce fut une loi fâcheuse qu'elle me fit imposer par la seule considération de sa commodité. Son âge et son humeur lui faisoient éviter de sortir le soir ; elle n'osa directement m'empêcher d'aller au Cours59 ; qui étoit la seule occasion que j'avois de me retirer tard : elle me fit défendre d'y aller sans en demander permission à Monsieur. La distance qu'il y a des Tuileries à l'hôtel de Guise, où il logeoit, me faisoit souvent perdre l'occasion de trouver Son Altesse royale, ou d'avoir réponse à temps ; et par ce moyen il y avoit bien des jours que j'étois privée du plaisir de cette promenade. Elle se servoit aussi de l'autorité de Monsieur pour me mortifier, lorsque la sienne ne lui suffisoit pas.

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NOTES

1. Marie de Hautefort, née en 1616 ; elle épousa en 1646 le maréchal de Schomberg, et mourut en 1691. -- Voy. sur la première partie de sa vie l'ouvrage de M. Cousin, intitulé : Madame de Hautefort.

2. Françoise de Barbezière ; elle a joué un rôle fâcheux dans les intrigues de ce temps.

3. Mademoiselle d'Escars, née en 1620, épousa, en 1653, François de Choiseul, marquis de Praslin.

4. Mademoiselle de Beaumont était aussi une des filles de la reine. Voy. plus haut, sur cette personne et son humeur altière.

5. La fille de madame la Princesse était, comme on l'a vu, Anne-Geneviève de Bourbon, qui devint madame de Longueville. Mademoiselle de Vendôme (Élisabeth) épousa, le 11 juin 1643, le duc de Nemours.

6. Ce fils, qui a été Louis XIV, naquit au château de Saint-Germain-en-Laye, le 5 septembre 1638.

7. Ferdinand, fils de Philippe III, né le 17 mai 1609, était cardinal-archevêque de Tolède. Il mourut en 1641.

8. L'hôtel de Créqui occupait une partie de l'espace compris entre la rue des Poulies et la rue des Pères de l'Oratoires (aujourd'hui rue de l'Oratoire du Louvre).

9. L'hôtel de Ventadour était situé à l'angle de la rue de Tournon et de la rue du Petit-Bourbon (aujourd'hui rue Saint-Sulpice).

10. Maurice de Coligny, fils aîné du maréchal de Châtillon, mort en 1644, à la suite d'un duel avec le duc de Guise, duel dont Mademoiselle parle dans ses Mémoires.

11. Esthuert de Saint Mégrin ou Saint-Mesgrin, dont il sera question plus loin.

12. Il s'agit ici de Louis de Bourbon, qui n'était alors que duc d'Enghien et ne devint prince de Condé, ou M. le Prince, comme on disait alors, qu'après la mort de son père en 1647.

13. Henri Coiffier, marquis de Cinq-Mars, décapité en 1642.

14. Claude, duc de Saint-Simon, père de l'auteur des Mémoires.

15. Marie d'Avougour, seconde femme d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon. Elle était belle mère de madame de Chevreuse.

16. Louis de Bourbon, comte de Soissons, fut tué d'un coup de feu le 6 juillet 1641, après avoir vaincu l'armée du roi à la journée de la Marfée, près de Sedan. On a publié un récit du combat de la Marfée dans les Mémoires de Montrésor, édit. de Cologne, 1723, t. II, p. 47-19.

17. Henri d'Orléans, duc de Longueville, né le 17 avril 1595, mort en 1663.

18. Sublet de Noyers, baron de Dangu, d'abord surintendant des finances, puis secrétaire d'État chargé de la guerre le 12 février 1636, disgrâcié en 1643, mort le 20 octobre 1645. Il signait de Noyers et non des Noyers, comme on écrit quelquefois.

19. Gaspard III de Châtillon, né en 1584, maréchal de France en 1622, mort en 1646.

20. Frédéric-Maurice de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, né en 1605, mort en 1652. Il était frère aîné du maréchal de Turenne.

21. Philippe de France, plus tard duc d'Orléans, né le 21 septembre 1640, mort le 9 juin 1701. Voy. sur ce prince les Mémoires de Saint-Simon.

22. Armand de Maillé-Brézé, neveu du cardinal de Richelieu, né en 1619, tué le 14 juin 1646.

23. Claire-Clémence de Maillé-Brézé nièce du cardinal de Richelieu. Il en a été question plus haut.

24. Louis de Bourbon, célèbre sous le nom du grand Condé.

25. Le prince de Condé était gouverneur de la Bourgogne, dont Dijon était la capitale.

26. Françoise de Souvré, femme d'Arthur de Saint Gelais, marquis de Lansac.

27. Ce mariage eut lieu le 2 juin 1642. Anne-Geneviève de Bourbon avait vingt-trois ans et le duc de Longueville quarante-sept. Voy. l'ouvrage de M. Cousin, intitulé : Madame de Longueville.

28. Marie-Antoinette de Loménie, fille du secrétaire d'État Loménie de Brienne, épousa, le 4 juin 1642, Nicolas-Joachim Rouhaut, marquis de Gamaches. C'est la même personne qui est désignée plus haut sous le nom de mademoiselle de la Ville-aux-Clercs. Son père, Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, était seigneur de la Ville-aux-Clercs. Elle mourut le 8 décembre 1704, à l'âge de quatre-vingts ans. Saint-Simon en parle en termes très-favorables : « C'étoit une femme aimable, de beaucoup d'esprit, toute sa vie fort du grand monde, et qui conserva sa tête, sa santé et des amis jusqu'à la fin, etc. »

29. Marie de Médicis mourut à Cologne le 3 juillet 1642.

30. François-Auguste de Thou, décapité le 12 septembre 1642.

31. L'étiquette de l'ancienne monarchie exigeait que les princesses restassent pendant les premiers temps de leur deuil dans une pièce entièrement tendue de noir. Saint-Simon parle souvent de cet usage et notamment à l'occasion de la mort du duc de Berry : « La chambre de madame la duchesse de Berry fut entièrement fermée et sans jours.... Ce qui causa force scènes ridicules et des rires assez indécents qu'on avoit peine à retenir. Les personnes qui venoient du grand jour n'y voyoient rien, trébuchoient et avoient besoin de secours. Le P. du Trévoux et le P. Tellier, après lui, firent leur compliment à la muraille ; d'autres au pied du lit, cela devint un amusement secret. »

32. Jeanne-Lambert d'Herbigny.

33. Jean-Baptiste de Comminges, mort le 25 mars 1670.

34. César de Choiseul, né en 1598, maréchal de France en 1645, duc et pair en 1653, mort en 1675. Il a laissé des Mémoires, qui font partie de toutes les collections de Mémoires relatifs à l'histoire de France ; Jacques de Castelnau, seigneur de Mauvissière, mort en 1656.

35. Anne-Geneviève de Bourbon, dont il a été parlé plus haut.

36. Richelieu mourut à Paris le 4 décembre 1642 ; Cinq-Mars fut exécuté à Lyon le 12 septembre.

37. Henri-Joseph de Peyre, comte de Troisville ou Tréville.

38. Ce palais tirait son nom de ce qu'il avoit été bâti par le cardinal de Richelieu. Corneille a exprimé l'admiration qu'excitait alors ce monument dans les vers suivants du Menteur (acte II, scène v) :

Et l'univers entier ne peut rien voir d'égal
Aux superbes dehors du Palais-Cardinal.

Richelieu ayant légué ce palais au roi Louis XIII, il prit le nom de Palais Royal, qu'il porte encore aujourd'hui. [The first edition of Le Menteur, published in 1644, has a different version of these lines:

Et l'Univers entier ne peur rien voir d'égal
A ce que tu verras vers le Palais Royal]

39. Cette déclaration, qui excluait le duc d'Orléans de la régence, fut enregistrée par le parlement le 9 décembre 1642.

40. Jules Mazarin, né en 1602, mort le 9 mars 1661.

41. L'assertion de Mademoiselle est confirmée par une lettre de Richelieu mourant à Mazarin. La copie de cette lettre se trouve dans les mss. de Bibl. Imp. [Natl.] (Boites du Saint-Esprit, no. 177). En voici la teneur:

Monsieur,

La providence de Dieu, qui prescrit des limites à la vie de tous les hommes, m'ayant fait sentir en cette dernière maladie que mes jours étoient comptés [et] qu'il a tiré de moi tous les services que je pouvois rendre au monde, je ne le quitte qu'avec regret de n'avoir pas achevé les grandes choses que j'avois entreprises pour la gloire de mon roi et de ma patrie. Mais, parce qu'il faut nous soumettre aux lois qu'il nous impose, je bénis cette sagesse infinie et je reçois l'arrêt de ma mort avec autant de congresse infinie et je reçois l'arrêt de ma mort avec autant de constance que j'ai de joie de voir le soin qu'elle prend de m'en consoler. Comme le zèle que j'ai toujours eu pour l'avantage de la France a fait mes plus solides contentements, j'ai un extrême déplaisir de la laisser sans l'avoir affermie par une paix générale. Mais, puisque les grands services que vous avez déjà rendus à l'État me font assez connoître que vous serez capable d'exécuter ce que j'avois commencé, je vous remets mon ouvrage entre les mains, sous l'aveu de notre bon maître, pour le conduire à sa perfection, et je suis ravi qu'il recouvre en votre personne plus qu'il ne sauroit perdre en la mienne. Ne pouvant, sans faire tort à votre vertu, vous recommander autre chose, je vous supplierai d'employer les prières de l'Église pour celui qui meurt,

Monsieur, votre très-humble serviteur,

Armand, Cardinal-Duc de Richelieu.

42. Léon Le Bouthillier, comte de Chavigny, né en 1594, mort en 1652.

43. Ce fut 10 avril 1643 que de Noyers fut exilé à sa terre de Dangu (Eure).

44. Michel Le Tellier, secrétaire d'État chargé de la guerre de 1643 à 1666, chancelier de France en 1677, mort en 1685.

45. Louis Barbier, abbé de la Rivière, favori de Gaston d'Orléans. Il avait été dans l'origine régent au collége du Plessis et devint dans la suite évêque-duc de Langres. On sait que Boileau fait allusion à ces caprices de la fortune dans le passage suivant de sa première satire:

. . . . Le sort burlesque, en ce siècle de fer,
D'un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair.

46. Charles de la Porte, neveu du cardinal de Richelieu, maréchal de France en 1639, mort en 1664.

47. Ces mots honnête homme avaient, dans la langue du XVIIe siècle, un sens très-étendu : ils comprenaient toutes les qualités de l'homme distingué par l'esprit et l'éducation. C'est ainsi que Bossuet a dit (Discours sur l'hist. universelle, avant-propos) : « Il seroit honteux à tout honnête homme d'ignorer le genre humain. »

48. Les vingt-quatre violons dont il est plusieurs fois questions dans les Mémoires de Mademoiselle, étaient les vingt-quatre violons de la chambre du roi. Leur chef s'appelait le roi des violons. Ils jouaient pendant le dîner du roi et aux bals de la cour. Les particuliers obtenaient quelquefois que les vingt-quatre violons jouassent pendant leurs repas. On lit dans des Mémoires inédits sur la Fronde : « L'abbé de Bouillon donna à souper au prince de Conti, au prince de Marsillac, aux chevaliers de La Rochefoucauld et de Gramont, etc. Ils eurent en soupant les vingt-quatre violons du roi. » (Journal de Dubuisson-Aubenay, à la date du 15 juin 1649).

49. Cécile-Élisabeth Hurault de Chiverni ou Cheverny. Ce mariage eut lieu le 8 février 1643, et non 1645, comme on trouve dans quelques biographies. Le portrait de madame de Montglat a été tracé par Mademoiselle, et se trouve à la suite de ses Mémoires( t. VIII, p. 166 et suiv. de l'édition de 1735). Les amateurs de scandales trouveront des détails peu édifiants sur cette dame dans l'Histoire amoureuse des Gaules.

50. Madame de Saint-Georges mourut dans la nuit du lundi au mardi 24 février 1643 (Journal d'Oliv. d'Ormesson).

51. L'hôtel de Guise, qui comprenait les anciens hôtels de Clisson, de Laval et de La Roucheguyon, s'étendait de la rue du Paradis à la rue des Quatre-Fils, en longeant la rue du Chaume. Il passa en 1697 à la maison de Soubise, et fut reconstruit en grande partie au commencement du XVIIIe siècle. Il abrite aujourd'hui le musée de l'histoire de France.

52. Les maisons des baigneurs étaient à cette époque des établissement où l'on trouvait tous les raffinements du luxe. « On s'y enfermait la veille d'un départ, ou le jour même d'un retour, afin de se préparer aux fatigues qu'on allait éprouver, ou pour se remettre de celles qu'on avait essuyées. Voulait-on disparaître un instant du monde, fuir les importuns et les ennuyeux, échapper à l'œil curieux de ses gens, on allait chez le baigneur ; on s'y trouvait chez soi ; on était servi, choyé ; on s'y procurait toutes les jouissances qui caractérisent le luxe ou la dépravation d'une grande ville. Le maître de l'établissement et tous ceux qui étaient sous ses ordres, devinaient à vos gestes, à vos regards, si vous vouliez garder l'incognito ; et tous ceux qui vous servaient et dont vous étiez le mieux connu paraissaient ignorer jusqu'à votre nom. » (Walckenaër, Mémoires sur madame de Sévigné.)

53. Anne Le Veneur, veuve de François de Fiesque, comte de Lavagne ; elle mourut le 15 octobre 1653. On ne doit pas la confondre avec la jeune comtesse de Fiesque, dont il sera souvent question dans la suite des Mémoires de Mademoiselle.

54. Henri Le Veneur, comte de Tillières, avait épousé, en 1638, Claude Rouault ou Rohaut, veuve de Henri de Bordeille, comte de Mathas.

55. La dame d'atour était chargée de veiller à la toilette de la reine ou des princesses, et spécialement de les coiffer.

56. Il a été question plus haut de madame de Montglat. Cette belle-fille de madame de Saint-Georges resta attachée à Mademoiselle, qui dit en parlant d'elle : « Cette jeune personne, qui étoit d'une agréable compagnie, fut depuis toujours après de moi. »

57. Mlle de Guise : Marie de Lorraine, née le 15 août 1615, morte le 3 mars 1688. Le chevalier de Guise : Louis de Lorraine, qui devint duc de Joyeuse, mort le 27 septembre 1654. Le chevalier de Joinville : Roger de Lorraine, chevalier de Malte, mort le 6 septembre 1653.

58. Le duc d'Épernon avait épousé en secondes noces Marie du Cambout de Coislin, dont il est ici question. Mademoiselle d'Épernon était née de son premier mariage avec Gabrielle-Angélique de Bourbon, fille légitimée de Henri IV et de la marquise de Verneuil. Il a été question plus haut de mademoiselle d'Épernon.

59. Le Cours, ou cours de la Reine, longeait la rive droite de la Seine depuis le quai des Tuileries jusqu'au quai de la Savonnerie.


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. I, Chap. II : p. 39-73.


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