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Troisième Partie


CHAPITRE IV

(1681 -- 1682)

Je demeurai encore à Saint-Germain, et quatre jours après l'arrivée de M. de Lauzun, je m'en allai à Choisy, sans lui rien mander. Il y vint le lendemain au matin, avec Barail et La Hillière. Il dit : «  J'ai été étonné de voir la reine toute pleine de rubans de couleur à sa tête. — Vous trouvez donc bien étrange que j'en aie, moi qui suis plus vieille1 ? » Il ne dit rien. Je lui appris que la qualité faisoit que l'on en portoit plus longtemps que les autres ; que je n'en portois qu'à la campagne et en robe de chambre. Je connus que l'esprit de critique qu'il avoit, avant sa prison, n'étoit pas changé. Il faisoit très-beau : nous nous promenâmes fort ;il fut de très-belle humeur. Sur les cinq heures il dit : « M. Colbert, que je n'ai pas encore vu, m'a donné audience à sept heures : il ne le faut pas manquer. » Je le grondai de ne l'avoir pas vu plus tôt et d'avoir été deux heures chez M. de Louvois ; il me dit : « Je n'y ai été qu'un quart-d'heure, et comme il n'est pas de mes amis, j'avois plus de mesure à garder avec lui. » Je lui reprochai de n'avoir pas été chez madame de Maintenon, et [lui dis ] ce qu'elle m'avoit dit. Il me répondit : « Je n'ai osé y aller si tard. »

En partant il dit : « Je suis au désespoir de m'en aller : je suis enchanté de Choisy ; mais j'aurai l'honneur de vous voir ce soir ; » car je m'en retournois à Paris à huit heures. Barail vint me faire ses excuses de ce qu'il n'étoit pas revenu ; mais qu'il s'étoit trouvé si las, lui qui étoit désaccoutumé de marcher, qu'il n'en pouvoit plus ; qu'il s'alloit coucher. Je dis à Barail : « Est-ce de bonne foi ? » Il me dit : « Je le crois ; je l'ai laissé chez Rollinde. »

Le lendemain, au matin, il vint à Luxembourg ; il y avoit beaucoup de monde. Je ne lui parlai quasi point ; il me dit seulement : « Je m'en vais chez M. le Prince, qui est ici, que je n'ai pas encore vu, et je viendrai tantôt avant que vous partiez, pour vous rendre compte de la visite que je rendis hier à M. Colbert. » Après qu'il fut sorti, madame de Langlée, sa bonne amie, et madame de Valentinois, vinrent. Je leur dis : « Vous avez été bien aises de revoir M. de Lauzun. » Elles dirent que je [le] pouvois croire et que, depuis qu'il étoit arrivé, il avoit ou dîné ou soupé chez eux. Madame de Langlée dit : « Hier au soir il vint chez moi et se jeta dans une chaise, disant : Je me meurs ! Si Mademoiselle demeuroit ici et qu'elle me fît promener tous les jours autant que j'ai fait aujourd'hui, je mourrois. Il ne pouvoit remuer. J'avois soupé : on lui apporta une compote. Il fallut le faire manger avec une fourchette, ne pouvant pas lever les bras. »

Ce discours et cette visite, après ce qu'il m'avoit mandé, me surprirent un peu, je l'avoue. Ensuite elle dit : « Nous devons aller souper chez madame de Louvois ce soir ou demain ; je prends soin de le rapprivoiser ; car il me paroît bien sauvage. — C'est une grande charité, lui dis-je : mais je crois que vous n'aurez pas grande peine. »

Sur cela je changeai mon dessein d'aller à Saint-Germain. Après la messe, je dis : « J'ai un peu de vapeurs ; je ne m'en irai que demain après dîner. » Il vint ; je lui dis que je m'étois trouvée mal et que je demeurois ici : « Ah ! vous ne ferez pas bien : il y a deux jours que vous en êtes partie ; que dira-t-on qui vous arrête ici ? — On dira ce que l'on voudra : j'en ai assez fait pour ne me pas contraindre et pour contraindre les autres. Car je vois bien qu'en ce monde on se moque des gens qui font du bien : que l'on s'ennuie avec eux ; mais il n'importe. » Il fut embarrassé ; puis je lui demandai : « Comment vous portez-vous ? Car hier au soir vous allâtes vous coucher en sortant de chez M. Colbert, à ce que Barail me vint dire de votre part ? — Assurément, j'étois dans mon lit à neuf heures. — Vous vous relevâtes donc pour aller chez madame de Langlée ? car vous y étiez à dix. Quel conte ! — Dites-lui de n'en pas faire ; car c'est elle et madame de Valentinois qui sont venues ici, qui m'ont conté la lassitude où vous étiez et la joie que vous aviez que je m'en allois aujourd'hui. » Il fut fort embarrassé, et je repris la conversation : « Vous avez été chez M. Colbert ; en avez-vous été fatigué ? car vous lui avez de l'obligation. — Cette plaisanterie durera-t-elle longtemps ? — Tant qu'il me plaira ; je suis en droit de dire tout ce que je voudrai, et vous [en obligation] de l'écouter. » La comtesse de Fiesque étoit chez moi ; il l'appela : on se mit à parler d'autre chose. Il me demanda à voir mes pierreries ; je [les] lui montrai. On s'amusa, et il me parut qu'il avoit beaucoup d'impatience de s'en aller : car souvent il disoit qu'il n'étoit plus propre pour la cour ; qu'il ne se pouvoit tenir debout, qu'il ne pouvoit marcher, et ne se souvenant plus que Barail et moi savions bien qu'il n'avoit jamais eu mal au bras, il se prenoit le bras et disoit : « Que je sens de douleur ! »

Je m'en allai le lendemain à Saint-Germain, à son grand contentement. Lorsque j'arrivai, madame de Montespan me demanda de ses nouvelles ; je lui contai [tout]. Elle me dit : « Qu'il ne nous donne pas de ces façons ; elles ne seroient plus de mise, après avoir eu le temps de faire des réflexions sur ses fautes passées. » Madame de Nogent venoit peu chez moi, au prix de ce qu'elle avoit accoutumé ; car elle n'en bougeoit. Elle étoit fort fâchée de quoi je la connoissois, et que, n'en étant pas contente, je l'avois exclue d'avoir part au bien que j'avois fait à M. de Lauzun, étant porté dans le contrat que ce bien n'iroit qu'à ses frères et que les filles n'en auroient rien. J'appris que, dans les voyages qu'elle avoit faits depuis sa liberté depuis Lyon jusqu'à Châlon, il la grondoit tous les jours, mais avec des manières outrageantes, devant ceux qui le gardoient. Ce fut au dernier voyage de Bourbon que les mousquetaires le quittèrent. Il alla tout seul à Amboise ; il avoit eu beaucoup de démêlés avec Maupertuis, qui avoit souffert ses mauvaises humeurs avec beaucoup de patience. Je le remerciai, quand il arriva, de n'en avoir rien dit au roi.

Je venois quelquefois à Paris, où je demeurois peu ; M. de Lauzun venoit tous les jours chez moi, un moment le matin, et jouer le soir ; il me pressoit toujours fort de parler au roi pour son retour à la cour ; et quand je retournois, j'en faisois de grandes instances à M. Colbert ; car madame de Montespan me disoit : « Puisque M. Colbert s'en mêle, il est bien plus propre à parler au roi que moi ; ce n'est pas que je me veuille excuser de le faire ; car je n'ai rien tant à cœur que de vous plaire. » M. Colbert me disoit toujours : « Laissez-moi faire, je prendrai mon temps ; mais dites bien à M. de Lauzun de se bien gouverner. » Il m'avoit conté les sujets qu'il disoit avoir de se plaindre de M. Fouquet, dont il disoit pis que pendre, et de sa femme et de sa fille, pour me faire croire qu'il étoit mal avec eux. Pellisson2 et M. le maréchal de Créqui suent comme il en parloit. Ils dirent à Barail : « Il le faut raccommoder avec madame Fouquet ; Mademoiselle l'aura-t-elle agréable ? » Il me le dit. M. de Lauzun me dit aussi que le maréchal lui en avoit parlé. Je trouvai cela fort à propos et j'entendois avec peine qu'il insultât la mémoire d'un malheureux, qui étoit beau-père de M. de Charost,3 qui avoit toujours été son ami et qui en avoit usé à merveille pour lui pendant sa disgrâce. Madame Fouquet4 étoit petite-fille d'un surintendant de mon père, nommé Villemareuil, de la famille des Castille, gens que je considérois. Il se raccommoda et me dit : « J'ai été chez madame Fouquet ; vous l'avez voulu : voilà qui est fait. »

Il se plaignoit toujours de ses maux ; qu'il se mouroit ; il se portoit pourtant à merveille. La semaine sainte arriva ; je vins de Saint-Germain à Paris ; madame de Montespan y vint aussi ; je m'en devois retourner le mercredi, et elle aussi. M. de Lauzun vint comme je sortois de la messe et me dit : « Je viens de chez madame de Montespan ; elle s'en retournera avec vous aujourd'hui ; elle va venir dîner ici. » Elle arriva un moment après. En entrant elle dit : « Il faut aller à ténèbres aux Minimes de Chaillot, et on se promènera s'il fait beau. » J'en convins. Elle se tourna vers M. de Lauzun : « Vous y viendrez conduire Mademoiselle. » On causa un peu après dîner. Elle étoit de fort belle humeur, et M. de Lauzun aussi.

Nous fîmes notre voyage : on trouva ténèbres commencées. Tout d'un coup il prit des vapeurs à madame de Montespan ; elle sortit pour aller au jardin. Les Minimes lui dirent qu'elle n'y pouvoit pas entrer sans moi, et M. de Lauzun me vint querir. Nous nous y promenâmes bien deux heures par un froid enragé ; mais madame de Montespan disoit toujours que l'on arriveroit de trop bonne heure à Saint-Germain. M. de Lauzun se plaignoit qu'il en mourroit. La conversation roula sur beaucoup de choses ; enfin il se mit en colère et dit qu'il étoit le plus malheureux homme du monde que je me fusse mêlée de ses affaires, et que, s'il étoit sorti sans moi, comme il étoit sur le point de faire, il auroit encore sa charge, et qu'il sortoit comme un misérable. Madame de Montespan lui dit : « Que voulez-vous dire et quelle humeur vous prend ? Vous ne seriez jamais sorti sans Mademoiselle et on n'auroit point songé à vous sans elle. » Elle se fâcha contre lui, et moi aussi. Tout d'un coup elle se mit à rire, et se tourna de mon côté disant : « Quand les gens ont été longtemps en prison, ils croient ce qu'ils ont rêvé ;il faut pardonner à M. de Lauzun ses rêveries d'ici à quelque temps, et il reviendra dans son bon sens ; mais s'il veut suivre son humeur que je connois et que vous ne connoissez pas (car si vous l'aviez connu, vous n'auriez pas fait tout ce que vous avez fait), en ce cas il ne lui faut pas pardonner. »

M. Colbert, qui étoit chargé de travailler à ses affaires, c'est-à-dire de voir avec Barail ce qu'il falloit pour le prix de sa charge, les arrérages de ses appointements et de celle des becs-de-corbin,5 de sa pension de neuf mille francs, l'avoit envoyé querir, et il étoit à Saint-Germain. Il fut fort effrayé quand je l'envoyai chercher, en arrivant, pour lui dire tout ce qui s'étoit passé. J'oubliois que madame de Montespan lui avoit dit : « Sans Mademoiselle qui s'en est mêlée, seriez-vous payé de toutes les choses que je viens de dire, qui montent à des sommes immenses ? Le roi le fait à sa considération : on n'a pas accoutumé d'en user ainsi après les disgrâces. »

On me peut exprimer l'étonnement où étoit Barail : il avoit beaucoup d'empressement que ces affaires fussent finies ; car son dessein étoit de se retirer et de dire à M. de Lauzun : « N'étant plus utile à votre service et ayant fait tout ce que j'ai pu en exécutant les ordres de Mademoiselle, je ne veux plus me mêler de rien ; j'aurai l'honneur de vous voir de temps en temps. » Je combattois toujours ce dessein, voulant qu'il demeurât auprès de M. de Lauzun ; mais ne pouvant l'y faire résoudre, il m'avoit promis qu'il demeureroit toujours auprès de Luxembourg où il étoit, et qu'il viendroit quand je l'enverrois querir, et à Choisy et à Eu avec moi, quand je lui commanderois.

M. de Lauzun m'avoit dit quelquefois, depuis qu'il étoit venu, en parlant de mes affaires : « Il me semble que vous devriez tenir votre conseil toutes les semaines et me faire l'honneur de m'y appeler. Barail y seroit : au moins on sauroit comme toutes choses vont. » Je lui disoit : « Vous êtes un plaisant homme d'affaires ! Assurément que j'ai assez de confiance en vous pour vous les dire ; mais cela seroit ridicule d'en user d'une autre manière que celle que j'ai eue jusqu'ici. » Ce n'étoit qu'en passant que cela se disoit. Je reprends à Barail ; comme je dis : « Mais, hélas ! cela finira bientôt, » il fut tout le soir à lamenter et à tâcher que je ne prisse pas garde à tout ce que M. de Lauzun avoit dit. On me vint dire que le souper du roi étoit arrivé.

Le lendemain il vint à ma chambre, avant que le service se fît, le jeudi saint, pour me dire que M. Colbert avoit achevé tous les affaires de M. de Lauzun ; qu'il en portoit toutes les expéditions. Il en avoit pour neuf cent quatre-vingt mille livres ; il peu m'en avoir quelque obligation, et on verra par la suite que l'on me l'a assez reproché. Je revins le vendredi et le samedi à Paris pour y faire mes pâques. Je vis Barail le soir en arrivant, qui me dit qu'il ne savoit si M. de Lauzun viendroit ; qu'il étoit aux Pères de la doctrine chrétienne,6 fort enrhumé. Il vint un moment après, et ne souvenant point de tout ce qu'il avoit fait le mercredi mal à propos, ne parlant que de son rhume et de faire ses pâques, il dit à Rollinde de demander au curé de Saint-Germain qu'il les fît chez ces Pères où il étoit. Il parla fort de Dieu et paroissoit dans une fort grande dévotion, et fit sa visite courte.

Le lendemain, je fus le matin et l'après-dînée à ma paroisse. Au retour je le trouvai avec Barail ; il s'étoit fort promené dans le jardin ; il me parut fort en méchante humeur, et Barail fort triste. Je lui dis : « Voilà vos affaires finies ; vous aurez bien de l'argent. » Il se mit à jurer qu'il n'en avoit que faire ; qu'il jetteroit toutes ces assignations7 volontiers dans la rivière ; qu'il aimeroit mille fois mieux sa charge ; que dans un traité qu'il avoit commencé du temps de M. Gouquet, on lui promettoit de la lui rendre, et que l'on recommençoit tout de nouveau, lorsque Barail arriva pour le faire sortir ;qu'il ne douta point qu'après avoir tant donné je n'eusse obtenu sa charge, et qu'il avoit tant dit à Barail, quand il alla à Pignerol : « Point de liberté sans cela. » Je lui dis : « Vous n'avez point de mémoire ou vous m'avez caché ce traité ; car vous m'avez souvent dit que pendant votre prison vous n'aviez eu nul commerce, et que vous ne saviez pas pourquoi on ne s'étoit pas plus donné de soin de chercher à en avoir pour votre charge. Lorsque vous sortîtes de quartier la dernière fois, vous disiez que vous en étiez las ; que vous aviez les jambes tout écorchées d'être toujours à cheval après une calèche. » Il se mit à jurer et dit qu'il ne pouvoit y avoir que des coquins qui tinssent de pareils discours. Je lui dis : « Je suis donc une coquine ? car c'est à moi que vous l'avez dit. » Il s'emporta fort ; je ne savois contre qui c'étoit, ni ce qu'il avoit. Il n'y avoit que Rollinde, Barail et moi ; cela dura longtemps. Quand il ne parla plus, je lui dis : « vous devez être las d'avoir tant parlé et si mal à propos. Il faut que j'aie bien de la bonté pour vous et que vous soyez bien persuadé, comme vous avez lieu de l'être, de l'attachement de Barail et de Rollinde, pour faire une telle vie. » Il se radoucit sur l'attachement qu'il avoit pour le roi, sa tendresse, son amitié pour lui, qui le troubloient toutes les fois qu'il songeoit qu'il en étoit éloigné. Je lui dis que ce n'étoit pas le moyen de s'en rapprocher que de paroître toujours emporté, comme par le passé. Je lui fis une correction fort douce, mais fort bonne, dont il avoit un fort grand besoin, qu'il reçut fort bien, et m'en retournai à Saint-Germain le jour de Pâques.

Sur les six heures, je reçus un paquet de Rollinde où étoit une lettre de Barail. Rollinde me mandoit qu'il m'envoyoit une lettre qui m'en diroit plus qu'il ne m'en pouvoit dire ; que Barail étoit parti, qu'on ne savoit où il étoit allé ; qu'il étoit au désespoir, et M. de Lauzun, qui l'étoit allé chercher. Je lus sa lettre : il me demandoit pardon s'il étoit retiré, sans prendre congé de moi ; mais qu'il croyoit que je n'en serois pas surprise ; qu'il m'avoit toujours dit que, dès qu'il ne seroit plus utile à M. de Lauzun, il se retireroit ; qu'il étoit temps de songer à son salut ; qu'il ne s'étoit que trop occupé aux affaires du monde ; qu'il prieroit Dieu sans cesse de me faire aussi grande dans le ciel que je l'étois sur la terre, et que je me voulusse aider des talents qu'il m'avoit donnés pour le servir et le connoître, et pour songer plus à l'autre monde qu'à celui-ci : la plus belle lettre du monde, et la plus touchante, dont je ne me puis souvenir sans pleurer. Il me faisoit souvenir de tous les temps passés, où j'avois eu plus d'application à songer à mon salut ; il me prioit de m'en ressouvenir, de remercier Dieu des chagrins qu'il m'avoit donnés, d'en faire un bon usage. Que ne me disoit-il point ? La grande habitude que j'avois à lui parler et la grande confiance que j'avois en lui, lui donnoient bien lieu de me représenter mes défauts pour les corriger. Je suis au désespoir de n'avoir pas gardé cette lettre ; il n'y a point de livre de dévotion dont la lecture m'eût pu être plus utile. Je m'en allai chez madame de Montespan ; j'y entrai en pleurant ; elle me mena dans son cabinet, où je criai les hauts cris. Elle prit grand part à ma douleur ; elle connut la perte que j'avois faite ; elle me dit : « Il faut savoir où il est et lui donner une lettre de cachet pour le faire revenir. » Je montai en haut, ayant essuyé mes yeux, et évitai de parler à personne qui pût entrer dans la douleur où j'étois, de peur de repleurer. Quand le roi vint, il me demanda : « Qu'avez-vous ? vous avez les yeux comme une personne qui a beaucoup pleuré. » Je lui dis que je le suppliois très-humblement de ne me point parler, de peur que je ne pleurasse encore ; que madame de Montespan lui diroit ce que c'étoit. Il ne me dit plus rien.

Le lendemain, madame de Montespan approuva l'envie que j'avois d'aller à Paris, et me dit que le roi l'enverroit querir dès que l'on sauroit où il étoit, et que je faisois bien de m'en aller pour en être mieux informée. Je partis dès que j'eus dîné ; en arrivant, je pleurai fort avec Rollinde. La Hillière vint, qui me dit qu'il avoit laissé M. de Lauzun, le soir, à Notre-Dame-des- Vertus,8 où il avoit trouvé Barail, qui avoit été fort surpris quand il les avoit vus entrer ; que M. de Lauzun avoit fort pleuré et Barail aussi, et qu'il ne témoignoit pas vouloir revenir ; que M. de Lauzun y étoit demeuré à coucher, et qu'il espéroit de le ramener ; que pour lui il ne l'espéroit pas. Dans ce temps-là M. de Lauzun revint, qui nous conta que le soir il croyoit l'avoir gagné ; qu'il avoit couché dans sa chambre ; mais que le matin il s'étoit levé comme il dormoit ; qu'il étoit sorti, et que personne n'avoit su dire où il étoit allé.9 Il paroissoit fort affligé : nous lamentâmes beaucoup tous deux.

Je fus un jour à Paris ; puis je m'en retournai à Saint-Germain. Le roi vint à Saint-Cloud, où il fut huit jours. J vins un tour de trois à quatre heures à Paris ; M. de Lauzun vint chez moi ; madame la marquise de Lévi10 y vint ; il me dit : « Ah ! la fâcheuse femme ! laissez-la là, afin qu'elle s'en aille. » Je lui dis : « Je lui vais parler ; après cela elle s'en ira. » Je vis sa belle-fille, qui s'approcha de lui et qui le traita comme une personne qui le connoissoit. Je demandai à madame de Lévi : «  Vous connoissez M. de Lauzun, de Bourbon ? » Elle me dit : «  Oui, et nous le voyons chez madame Fouquet. » Elles s'en allèrent. Il me dit : « J'ai trouvé cette créature une fois chez madame Fouquet ; elle me parle tout comme si je la connoissois. »

Le beau temps étant venu, j'allai souvent à Choisy ; même j'y fis quelque séjour pur m'y baigner. Un jour, madame de Lévi me dit : « M. de Lauzun a grande peur, quand il me trouve ici, que je ne vous conte tout ce qu'il fait. » Je lui dis : « Contez-le-moi, je n'en dirai rien. — En arrivant ici il a fait semblant d'être brouillé avec mademoiselle Fouquet.11 Pour la mère, elle étoit fort en colère contre lui : il avoit dit que M. d'Autun étoit amoureux d'elle. » Comme il me l'avoit dit, cela ne me paroissoit pas nouveau. Elle me dit mille biens de madame Fouquet, et que ce n'étoit pas une femme à donner occasion de mal parler d'elle ; qu'elle avoit une solide vertu ; mais que, sa fille n'étant pas de même, elle étoit au désespoir et ce qu'il ne bougeoit de chez elle ; que c'étoit M. le maréchal de Créqui qui l'y avoit mené ; qu'elle ne le vouloit point ; qu'il y alloit les après-dînées, les soirs, se promener avec elle ; qu'en entrant dans la chambre de mademoiselle Fouquet, il jetoit ses gants et son chapeau, et demandoit du chocolat, ou du thé, ou du café ; et que, quoique sa mère pût dire, il y venoit tous les jours en revenant de Choisy. Quand il alloit à la promenade, il disoit : « J'ai mandé à Choisy que je suis malade ; » que sa belle-fille lui contoit tout cela, et elle me disoit : « Comment M. Rollinde ne sait-il pas tout cela ? Il s'en retourne les soirs chez lui à pied. » (Car elle logeoit au quartier Saint-Honoré ; quand il l'auroit su, il ne me l'auroit pas dit.) Elle ajoutoit : « Il meurt de peur que vous ne le sachiez. » Je lui dis, un jour qu'il disoit qu'il avoit été malade : « Ne fûtes-vous point hier prendre l'air auprès d'Auteuil avec mademoiselle Fouquet ? » Il étoit vrai qu'il y avoit été ; il fut dans un grand embarras.

Un jour qu'il n'étoit pas venu à Choisy, et qu'il avoit fait le malade et m'avoit envoyé faire des excuses, deux de mes gens, qui avoient été à Paris, me dirent qu'ils l'avoient vu tourner du côté de madame de La Fayette, et qu'après ils passèrent devant, ils y avoient vu son carrosse et celui de madame de Montespan. J'envoyai à Versailles et je priai madame de Montespan de me mander quel mystère c'étoit ; que j'avois appris que M. de Lauzun l'avoit été voir chez madame de La Fayette. Le lendemain il vint à Choisy comme je dînois avec la comtesse de Fiesque, et me dit : « Je fus hier toute la journée au lit ; je ne sortis point. » Je lui répondis : « Il faut se réjouir de votre guérison. » Et tout de suite : « Madame de Montespan fut hier à Paris : de mes gens la virent chez madame de La Fayette ; j'ai envoyé un page savoir de ses nouvelles. » Cela lui fit faire une mine.

Dès que j'eus dîné, je montai en carrosse pour aller à vêpres aux Camaldules12 : c'étoit le jour de ma naissance, le 29 mai. Il me suivit, puis s'en alla à une maison d'un homme d'affaires de sa connoissance, et demanda si l'on ne vouloit rien mander à Paris ; je lui dis que non. A mon retour je le trouvai qui revenoit ; il dit qu'il n'y avoit personne, et revint à Choisy. Je reçus une lettre de madame de Montespan, qui me manda qu'elle avoit la migraine ; qu'elle ne pouvoit écrire. Dès qu'il eut vu le page qui n'avoit point de lettre, il s'en alla. J'y renvoyai encore ; elle me manda que c'étoit un long détail qui ne se pouvoit écrire ; qu'elle espéroit que j'irois bientôt à Versailles. Je jouois quand le page arriva ; j'allai lire ma lettre dans mon cabinet. Comme je revins il demanda : « Oseroit-on demander s'il n'y a rien de nouveau ? » Je lui dis que non. Il fut assez embarrassé ; il le fut beaucoup ce jour-là ; car la marquise d'Alluye vint, qui joua avec moi, et en jouant elle parla fort d'Amboise, de tout ce qu'ils faisoient ; des divertissements qu'ils avoient ; des promenades, et elle disoit : « C'est beaucoup pour un homme de la cour et délicat comme M. de Lauzun, qu'il ne s'ennuie pas dans une petite ville. » Je disois : « Il me mandoit bien tout cela, et nous parlions souvent de vous. »   Elle recommençoit : « Vous souvenez-vous de madame ....13 (des noms que j'ai oubliés) ; elle étoit fort jolie ; nous en avions de Paris. Comme elles tenoient au bon air, M. de Lauzun s'ajustoit ; il faisoit des merveilles, nous donnoit des collations, perdoit des discrétions, faisoit venir des bijoux de Blois ; cela n'avoit- il pas bon air ? » Quand j'eus quitté le jeu (il étoit venu avec M. le duc de La Force), ils s'en allèrent. En sortant, je lui dis : « En passant, allez conter la scène d'aujourd'hui à mademoiselle Fouquet ; vous ne mentez jamais. »

Le lendemain il revint dès le matin (car j'allois à Versailles), faisant le miquelot,14 et ayant un air de belle humeur, afin de me prier, en partant, de parler à M. Colbert. J'allai à Paris par eau et je dînai dans le bateau. Pour gagner du temps, il fit mille singeries. Ce bateau étoit fort joli, peint, doré, meublé de damas cramoisi, avec des franges d'or. Le roi me l'avoit donné ; il avoit été fait au Havre. M. de Seignelay m'en avoit fort fait sa cour.

En arrivant à Versailles, je fus chez madame de Montespan, qui me dit que M. de Lauzun souhaitoit d'aller commander l'armée du roi en Italie, et qu'il seroit fort utile pour les intérêts du roi en ce pays-là, étant fort des amis de madame de Savoie.15 Elle ne s'étoit pas encore déclarée ouvertement en vouloir aux Espagnols. Elle avoit pourtant ménagé le mariage de son fils16 avec l'infante de Portugal, plus pour demeurer la maîtresse en Savoie que pour son avantage ; car bien des gens aimeroient mieux être ducs de Savoie que rois de Portugal. Le petit homme fut de cet avis et n'y voulut pas aller. L'ambassadeur venu à Turin pour l'y mener s'en retourna, et il reprocha à sa mère les maisons pour lesquelles elle se vouloit défaire de lui, qui n'étoient ni tendres ni respectueuses. Ainsi elle faisoit d'une pierre deux coups : en obtenant des troupes du roi, elle se défendoit des Espagnols qu'elle avoit désobligés, et se donnoit la protection du roi ; et comme elle avoit fort connu M. de Lauzun autrefois, elle croyoit qu'il revenoit dans la faveur et qu'elle en auroit une grande protection. Elle en écrivoit fort pressamment à madame de La Fayette, et même avoit écrit à madame de Montespan, qui ne voulut pas recevoir la lettre. Elle dit [à M. de Lauzun] : Quand vous en aurez demandé permission à Mademoiselle, et qu'elle l'aura bien voulu, et qu'elle s'en mêlera (car vous ne pouvez jamais rien faire à la cour que par elle ; n'attendez jamais rien du roi par d'autres voies), lorsqu'elle me commandera de parler, je le ferai avec plaisir ; mais autrement je n'agirai point ; et pour madame de Savoie, je ne veux avoir aucun commerce avec elle ; je ne me mêle de rien. « J'avois la migraine17 ; mes grandes vapeurs me prirent ; on me délaça. Je le chassai et ne lui parlai plus. Je lui demandai s'il vous en avoit parlé ; il me dit que non, et qu'il ne vous en parleroit point ; qu'il me supplioit de faire de même. Je lui dis : Si Mademoiselle m'en parle, je ne puis lui rien celer ; si elle ne m'en parle point, je ne lui en dirai mot. »

Madame de Montespan, avant cela, disoit toujours quand elle alloit et revenoit de Paris, où elle ne couchoit pas en ce temps-là : « On ne voit jamais M. de Lauzun ; » et lui se plaignoit que je ne l'en avertissois pas. Quand je le savois, je lui faisois savoir.

Je trouvai le lendemain que je fus à Versailles, M. Colbert, en allant à la messe. Je lui dis : « Eh bien ! M. de Lauzun sera-t-il toujours là ? » Il me répondit : « Il ne se conduit pas bien ; le roi n'en est pas content. Il ne se conduit pas bien aussi à votre égard, et c'est ce qui déplaît au roi. » En arrivant à Paris, où je retournai peu de jours après (ne faisant qu'aller et venir ; pourtant les séjours de Versailles étoient toujours plus longs que ceux de Paris), je lui dis ce que M. de Colbert m'avoit dit. Il se fâcha et fit tout ce qu'il put pour que je me fâchasse ; que l'on n'avoit guère d'égards pour moi, après tout ce que j'avois fait ; mais il n'eut pas contentement ; je lui dis : « Le jour que vous fûtes si malade à Paris, que vous n'aviez bougé du lit, vous fûtes chez madame de La Fayette chercher madame de Montespan, que vous importunâtes fort ; elle avoit la migraine. — Ah ! il est vrai ; je l'avois oublié. Je me levai le soir, et je passai par hasard devant le logis de madame de La Fayette ; j'y vis un carrosse et j'y entrai. — Ne lui parlâtes-vous de rien ? — Non ; car elle se trouvoit mal. — Vous donna-t-elle la réponse qu'elle avoit faite à la lettre de madame de Savoie ? — Quelle lettre ? — Ah ! vous en faites le fin ! Eh bien ! quand elle me voudroit pour commander ses troupes, auroit-elle tort, et ne seroit-ce pas pas la chose du monde la plus avantageuse pour moi ? — Mais comment cela se feroit-il, qu'un homme qui ne voit point le roi allât commander une de ses armées ? — Je prendrois congé de lui en partant, et ne devriez-vous pas faire tout ce que vous pourriez pour cela ? » Je lui répondis : « Votre Madame royale a tant de crédit et est une si grande dame, qu'il ne faut pas qu'une petite demoiselle comme moi se mêle de rien, où est son nom. C'est donc pour cela que vous me disiez que vous ne voyiez pas une princesse plus heureuse dans l'Europe que votre Madame royale (car il nommoit la toujours ainsi et en fatiguoit les oreilles à force d'en parler), honorée et considérée de toute l'Europe, pour laquelle le roi a tant de considération qu'il ne lui refuse rien. » Je lui dis : « Vous vous moquez des gens. On se moque d'elle ; et quand on lui veut faire quelque chose, on n'a qu'à donner de l'argent au comte de Mazin, et pour peu de chose elle fait ce que l'on veut ; car il y a peut d'argent en ce pays-là. » Feu Madame royale, qui s'appeloit justement ainsi, et que l'autre ne sauroit imiter en tout, avoit tant fait de libéralités, que les États de Savoie ne s'en remettront de longtemps. Je ne voyois pas qu'il eût de vue en me disant cela ; mais quand je sus son dessein, je me ramenai son discours que je lui reprochai. Il me disoit : « Seriez-vous fâchée n'ayant pas le crédit que vous devriez avoir pour faire pour moi ce que je puis espérer du roi, qu'elle achevât ce que vous avez commencé et que vous laissez ? Vous lui en devriez être obligée, si vous me considérez autant que vous dites. » Je répondis brusquement : « J'en ai fait ou voulu faire pour vous plus que personne ne sauroit jamais faire. Si par votre mauvaise conduite vous avez tout gâté, prenez-vous-en à vous-même, et très-volontiers je ne me mêlerai jamais de vos affaires. »

Nous nous séparâmes ainsi. Le lendemain il revint doux, un air et un discours flatteur ; et c'étoit de deux jours l'un, des accès de respect, de reconnoissance qui le faisoient agir ; les autres, d'un ingrat furieux. En tout son procédé, il paroissoit fort intéressé ; ce que je ne croyois pas, ni personne de ceux qui le connoissoient avant sa prison ; car il paroissoit tout jeter par les fenêtres, et en bien des occasions il en usoit ainsi. Mais ses manières extraordinaires et cachées faisoient qu'il ne se faisoit paroître que dans les beaux jours, et que l'on ne connoissoit que les bons moments : il connoissoit son humeur et la savoit cacher ;mais sa prison, au lieu de l'avoir corrigé, l'avoit fait si abandonné à lui-même, qu'il n'en étoit plus le maître.

Un jour il chanta pouille à Rollinde, au coin de son feu, devant Montaigu et La Hillière, de quoi il ne m'avoit pas empêchée d'acheter Choisy et d'y faire de la dépense, et qu'il auroit trouvé tout cet argent, qu'il m'auroit bien fait lui donner. Ces messieurs-là furent tout étourdis. Rollinde lui dit : « Vous m'avez donné à Mademoiselle comme honnête homme, et j'aurois été un fripon si j'avois eu d'autres égards que de la servir à sa mode, et de m'être voulu ingérer de lui donner des conseils qui s'opposassent à sa satisfaction. » Ensuite il lui demanda : « Où est l'argent de la chaîne de perles, dont madame de Nogent m'a dit qu'elle l'avoit vendue quarante mille écus ? » Il lui dit : « Vous pouvez, monsieur, lui demander ; elle fait ce qu'il lui plaît de son argent. » Il me demanda, le jour qu'il vit mes pierreries, s'il ne m'avoit pas vu autrefois une chaîne de perles. Je lui dis que oui ; mais que je l'avois vendue pour bâtir Choisy. Il me dit un jour que j'y étois en me promenant : « Voilà un bâtiment bien inutile ; il ne failloit là qu'une petite maison à venir manger une fricassée de poulets et point pour y coucher. Toutes ces terrasses coûtent des sommes immenses : à quoi cela est-il bon ? » Quelqu'un lui dit que ce n'étoit pas trop beau pour moi. Il se mit à jurer qu'il étoit bien aise à ceux, à qui cela ne coûtoit rien, d'en parler. Je lui dis que je n'avois rien fait que par l'avis de M. Colbert. Il dit : « Vous le payera-t-il ? Pour moi, j'ai sujet de trouver à redire ; vous auriez mieux employé cet argent en me le donnant. » Je lui répondis doucement : « Je vous en ai assez donné et fait donner pour que vous soyiez encore content, et j'en ai assez donné aussi pour racheter votre mauvaise conduite. » Il alloit jouer partout, jouoit un fort gros jeu. Quand il perdoit, il étoit au désespoir ; il venoit chez moi grondant.

Un jour je faisois mettre des pierreries en œuvre : on avoit besoin de deux diamants pareils. Rollinde dit : « Cela pourroit être fait avec un ou deux de ceux de M. de Lauzun ; on les remettra : il y en a comme il faut. » Je ne voulois point ; Barail m'en pressa : ils étoient ordinaires et ne servoient de rien.18 Quand il revint, je dis à Rollinde : « Je veux donner quatre diamants pour lui servir de boutons à ses manchettes. Il seront fort beaux, de mille pistoles les quatre. » Rollinde le lui dit, et lui en porta à choisir ; il en prit les mit à ses manchettes et les montra à des dames qui jouoient avec moi. Le lendemain il dit : « Tout le monde les a trouvés vilains, et qu'ils ne valoient pas ce prix-là. » Rollinde lui dit : « Il vaut mieux, monsieur, que vous preniez les milles pistoles, et vous en acheterez a votre fantaisie. » Il lui [dit] : « J'en ai trouvé de beaux ; mais il faudroit encore deux cents pistoles. » Je ne les voulus pas donner. Il prit l'argent, et huit jours après, [comme] on parloit en jouant de pierreries, il dit à madame de Palaiseau, qui étoit auprès de lui : « J'ai vendu mes diamants, que Mademoiselle m'avoit donnés, pour vivre ; car je n'avois pas un sou. » On n'a jamais entendu parler de pareilles choses : c'étoit tous les jours des farces, dont tout le monde se moquoit. Il alloit dans un carrosse de louage, n'en voulant point avoir qu'il ne fût duc et qu'il ne pût mettre le manteau ducal à ses armes. Il est vrai que l'on m'avoit promis qu'il le seroit ; mais ces manières-là n'avançoient rien, et l'on se moquoit de lui. Je sus que madame Fouquet lui avoit défendu d'aller chez elle et qu'il lui fit dire qu'il épouseroit sa fille, dès qu'il seroit duc ; mais que jusque-là il ne vouloit pas se marier. Madame Fouquet ne donna pas dans ce panneau-là : elle voulut mettre sa fille en religion ; mais elle ne voulut pas aller en celle que sa mère voulut ; elle alla à l'Abbaye-aux-Bois, où il y avoit toutes sortes de gens. C'étoit une vieille madame de Lannoy, qui avoit bonne opinion de tout le monde.19 M. de Lauzun n'en bougeoit.

 

FIN

 


NOTES

1. Mademoiselle avait commencé le récit de cette scène un peu différemment : « Je me coiffois : il trouva à redire que j'eusse du ruban couleur de feu à ma tête ; que je n'étois pas assez jeune. Je lui dis que les gens de ma qualité étoient toujours jeunes. Pour raccommoder ce qu'il avoit dit, il ajouta que la reine n'en devroit pas porter, etc. » Cette première leçon a été raturée.

2. Paul Pellisson-Fontanier avait été un des principaux commis de Fouquet et avait composé pour sa défense des mémoires qui sont restés ses chefs-d'œuvre.

3. Marie Fouquet, fille de surintendant, Nicolas Fouquet, et de sa première femme Marie Fourché, avait épousé, en 1657, Armand de Béthune, duc de Charost.

4. Nicolas Fouquet avait épousé en secondes noces Marie-Madeleine de Castille-Villemareuil.

5. Il a été question plus haut (t. III, p. 478) des compagnies de gentilshommes au bec-de-corbin, qui faisaient partie de la maison militaire du roi. On a vu que Lauzun commandait la première de ces compagnies.

6. Les Pères de la doctrine chrétienne habitaient rue des Fossés-Saint-Victor une maison appelée Maison de Saint-Charles, parce qu'elle était sous l'invocation de Saint-Charles Borromée.

7. Mandates sur le trésor assignés sur un fonds spécial.

8. Communauté de filles établie en 1681 dans la rue Saint-Bernard, au faubourg Saint-Antoine.

9. Mademoiselle a ajouté sur une feuille volante (fo 279 du t. II du ms.) : « Quand il (Lauzun) fut à Notre-Dame-des-Vertus, il dit de porter un sac de mille pistoles et de le mettre dans le lit de Barail. Le sac fut reporté à Paris chez M. de Lauzun, avant qu'il arrivât. J'ai appris cela longtemps depuis. »

10. Il s'agit probablement ici d'Anne Perdrier, troisième femme de Roger de Lévi. Sa belle-fille, Madeleine de Lévi, épousa Louis Fouquet, marquis de Belle-Isle. Ce qui rend notre supposition plus vraisemblable.

11. Marie-Madeleine Fouquet, qui épousa plus tard Emmanuel de Crussol-d'Usès, marquis de Monsalez.

12. Le couvent des Camaldules était situé près de Brunoi, sur le territoire de la paroisse d'Yères, dans les buis de Bouron.

13. Les anciennes éditions ont mis ici un nom qui n'est pas dans le manuscrit : Madame Tiquet. Mademoiselle ne nomme personne et déclare même qu'elle a oublié les noms.

14. La locution faire le miquelot était synonyme de faire l'hypocrite.

15. La duchesse de Savoie était, comme on l'a vu plus haut (p. 35 de ce volume), Marie-Jeanne Baptiste de Nemours.

16. Victor-Amédée II, duc de Savoie depuis 1675. Sa mère conserva la régence pendant plusieurs années.

17. Madame de Montespan s'adresse directement à Mademoiselle dans la suite du passage.

18. Les anciennes éditions portent : « Ils ne valoient pas plus de deux cent livres pièce. » Il n'y a pas un mot de cela dans le manuscrit.

19. Le sens de la phrase est la supérieure étoit une vieille dame de Lannoy, etc.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1859. T. IV, Chap. IV (troisième partie)  : p. 460-482.


This page is by James Eason, University of Chicago.