Boo the Cat. Hoorah!
Boo. 1987-2002.

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CHAPITRE XIX.

(novembre 1653 – 1654)

J'allai à la Toussaint à Orléans, où étoient Leurs Altesses royales. Monsieur alla à la chasse le jour de Saint-Hubert et m'y mena. Madame de Choisy étoit lors à Orléans ; mais comme j'étois fort déchaînée contre son mari, elle ne se présenta pas devant moi, et je témoignai que je ne serois pas bien aise de la voir. Un beau jour, comme je sortois de table, elle entra dans ma chambre, et me dit : « Faut-il pas être brave comme un César pour s'exposer ainsi à la furie d'une ennemie aussi qualifiée et aussi emportée que vous ? Mais je suis innocente, et je vous connois si généreuse, que j'ai cru que c'étoit le seul moyen de me raccommoder avec vous que d'en user ainsi. » Je lui répondis que je lui faisois bon quartier ; elle me salua ; je me mis à rire et ensuite en conversation, et nous fûmes bons amis. Je la menai chez Madame, où tout le monde la félicitoit de la voir avec moi.

Un mois après mon retour d'Orléans, où je m'étois séparée de Son Altesse royale (elle m'avoit point parlé de nos affaires en aucune façon), on me manda qu'il en étoit parti un sergent de Paris qui me portoit un exploit de sa part. Il arriva à Saint-Fargeau un matin que je n'étois pas éveillée ; il se promenoit dans la galerie. Préfontaine, qui le savoit arrivé, l'accosta et lui dit : « Que demandez-vous ? » Ce pauvre sergent lui répondit en tremblant. Préfontaine lui dit : « Il faut éveiller Mademoiselle. » Il fit appeler une de mes femmes pour m'éveiller ; on m'éveilla, et il amena le sergent, qui me signifia l'exploit. Je le reçus avec beaucoup de respect ; j'y répondis de même. Il est vrai que j'écrivis à Blois, où je me plaignois un peu des gens de Monsieur de se porter à telle extrémité contre moi. Cela n'empêcha pas que je ne fisse venir les comédiens à Saint-Fargeau, qui y demeurèrent deux mois.

J'avois trouvé à mon retour d'Orléans la compagnie de la province augmentée de M. de Matha, de sa femme et de mademoiselle de Bourdeille, sa sœur. Comme il avoit été dans les intérêts de M. le Prince, il fut bien aise de s'éloigner de la province,1 où avoit été tout le désordre ; il vint demeurer en une terre qu'il avoit en Nivernois, nommée Saint-Amand, qui n'est qu'à trois lieues de Saint-Fargeau. C'est un homme qui a de l'esprit, plaisant en conversation, qui joue ; sa sœur aussi est très-bonne fille ; ils ne bougeoient de Saint-Fargeau. En y arrivant, j'avois trouvé une de mes anciennes connoissances, madame de Courtenay-Chevillot2 ; je l'avois vue chez mademoiselle de Cesy. Comme elle étoit proche parente de feu madame de Saint-Georges,3 elle venoit souvent chez moi. C'est une femme qui a de l'esprit ; elle a été nourrie fille d'honneur de madame la duchesse de Savoie, et même été sa favorite ; enfin, c'est une femme qui sait la cour et le monde et d'agréable conversation. Dans le commencement elle venoit peu à Saint-Fargeau, parce qu'elle ne se portoit pas trop bien ; quand sa santé a été meilleure, elle y étoit un mois de suite, et j'étois fort aise de la voir.

Ensuite de l'aventure du sergent, j'écrivis à Blois ; l'on me répondit. Tout cela ne conclut rien. Son Altesse royale m'envoya le comte de Bury, par lequel elle m'écrivoit qu'elle ne se vouloit pas amuser aux formalités de justice, et que, si je ne lui donnois de bonne volonté tout ce qu'elle me demandoit, elle se mettroit en possession de tout mon bien, et ne me donneroit que ce qu'il lui plairoit. J'écrivis à cela une réponse qui ne disoit rien. Je pense qu'il n'est pas besoin de dire ici que, dans les temps que tels messagers arrivoient, il étoit bon que je m'enfermasse dans mon cabinet pour ôter au public la joie d'entendre tout ce que le ressentiment d'une personne fort mal traitée, et qui ne le mérite pas, fait dire. Je pleurois, je m'affligeois ; enfin je pâtissois beaucoup, de l'humeur dont je suis, et je me souvenois assez de ce que j'avois fait pour Son Altesse royale, et de ce qu'elle faisoit pour moi. Préfontaine me dit : « Il faut jeter les yeux sur quelque personne de condition, qui puisse parler à Monsieur de vos intérêts ; il me semble que M. le comte de Béthune y seroit bien propre : c'est une homme de mérite, ami commun, et qui sera fort aise de pacifier les choses. » Je lui écrivis, et ai toujours continué depuis, comme l'on verra.

Après l'envoi du comte de Bury, Monsieur fut quelque temps sans m'écrire, et j'apprenois qu'il s'aigrissoit fort contre moi. Préfontaine me dit : « Mais si vous proposiez à Son Altesse royale que madame de Guise s'entremit de vous accommoder, cela ne seroit-il pas bien avantageux pour vous ? Elle a l'honneur d'être votre grand'mère : apparemment elle ménagera vos intérêts ; elle a l'honneur d'être belle-mère de Monsieur. Aussi assurément cela seroit approuvé dans le monde, et vous seriez louée de ce choix. » Je lui dis : « Cela est tout comme vous dites ; mais madame de Guise n'a jamais eu d'amitié pour moi. Mais en l'état où sont mes affaires, je ne saurois prendre un autre parti. » J'écrivis à Monsieur que je croyois qu'il voudroit bien que madame de Guise se mêlât de nos intérêts ; que je serois au désespoir d'être obligée à plaider contre lui ; que, si cela arrivoit, ce ne seroit que parce qu'il me l'auroit commandé, et que je lui obéirois avec beaucoup de regret, mais que j'espérois qu'il auroit la bonté d'accepter le parti que je lui proposois ; et que, pour lui montrer que ce que je faisois étoit une pensée qui m'étoit venue dans le moment que je lui écrivois, sans en consulter personne, j'envoyois à même temps à madame de Guise ma procuration. Monsieur me manda qu'il avoit cela fort agréable ; mais il n'envoya pas sa procuration si promptement. Il y eut cent difficultés ; mais l'affaire paroissoit pourtant être en accommodement, et les longueurs ne paroissoient point de mon côté. Cela réjouit fort : le monde nous avoit vus sur le point de plaider, et même ma requête étoit toute prête ; je n'avois qu'à la signer.

Il m'arriva la meute que j'avois envoyé querir en Angleterre et force chevaux. Je me mis à chasser trois fois la semaine ; à quoi je prenois un grand divertissement. Le pays est fort beau pour la chasse auprès de Saint-Fargeau, et fort commode pour les chiens anglois, qui pour l'ordinaire vont trop vite pour des femmes ; et comme le pays est couvert,4 cela faisoit que je les suivois partout.

Depuis que la comtesse de Fiesque fut morte, j'avois souvent parlé avec Préfontaine des personnes que je prendrois pour dame d'honneur, ne voulant point prendre de personne qui en usât aussi mal avec moi qu'avoit fait la défunte, dont je louois Dieu tous les jours d'être défaite. Je voulus tant de choses en la personne que je voulois choisir, que toutes celles qui me venoient en l'esprit n'avoient point toutes les qualités que je désirois. Enfin il m'y vint un jour : « mais madame de Frontenac ? Elle est jeune ; mais c'est une personne qui s'est attachée à moi pendant ma disgrâce ; je la connois. Elle est bonne femme, a de l'amitié, de la complaisance pour moi ; j'y suis accoutumée ; je l'aime ; je l'estime ; pour être jeune, cela n'importe. Son mari n'est pas un grand seigneur ; mais il est dans le monde, comme mille gens, qui le portent assez haut. »

Tout bien examiné, je n'y trouvois à redire que la qualité. Car comme je ne savois pas encore les liaisons qu'elle avoit avec la comtesse de Fiesque, je la croyois fort fidèlement attachée à mon service. Mais, comme je suis un peu glorieuse, la qualité de feu madame de Saint-Georges et celle de la comtesse de Fiesque me paroissoient fort éloignées de la sienne. Préfontaine entroit dans mon sens, et me disoit : « Ce que vous dites est à considérer ; mais vous l'aimez. Les personnes de votre qualité élèvent les gens qui leur plaisent, et je crois que personne ne trouvera à redire que vous traitiez bien madame de Frontenac. » Nous parlions souvent de cela sans prendre de résolution ; et même, quand je l'eus prise, je ne lui en parlai point, parce que je disois, ne voulant pas exécuter la chose, il est bon de n'en dire mot : en ce monde-ci tout change, et nous pouvons changer l'un pour l'autre.

A mon voyage d'Orléans, Monsieur ne me parla point de dame d'honneur : aussi n'y avoit-il que trois semaines que la comtesse de Fiesque étoit morte. Mais madame de Choisy, qui est une femme qui entre en matière à tort et à travers, me dit : « Qui prendrez-vous pour votre dame d'honneur ? Vous devriez prendre madame de Frontenac ; car si vous ne le faites, son mari qui est un bourru ne vous la laissera plus ; il est résolu de l'emmener avec lui ce voyage. Elle ne l'aime point, comme vous savez : témoin la prière que vous savez qu'elle vous a faite de dire à M. l'évêque d'Orléans de ne lui point donner de chambre dans sa maison, de peur d'aller avec lui. Enfin, si vous l'aimez, vous voici une occasion de lui témoigner. » Je ne lui voulus rien dire, sinon que je verrois. Frontenac n'avoit de hâte de l'emmener ; mais il étoit bien vrai que l'on m'en donna l'alarme, afin de me faire expliquer.

Je partis pourtant d'Orléans sans le faire ; mais pour mon malheur, un beau jour je m'avisai, au lieu de demeurer dans la bonne résolution que j'avois faite de ne me point encore déclarer, d'avoir envie de le lui dire. J'en parlai à Préfontaine, qui ne m'en détourna pas, et qui ne connoissoit pas la dame, non plus5 que moi, si bien que nous avons fait tous deux à nos dépens ; de sorte que je lui ordonnai de [le] lui dire de ma part. Vous pouvez juger si ce discours lui fut agréable : elle m'en remercia les larmes aux yeux, avec démonstrations de joie et de reconnoissance non pareille. Je lui ordonnai de n'en parler [à personne], pas même à la comtesse de Fiesque ; cela demeura là. Je pense que l'impatience lui prit qu'un si grand honneur qu'elle recevoit fût su de tout le monde.

Madame de Choisy, qui de concert avec elle m'en avoit parlé à Orléans de même, m'écrivit que l'on disoit que la reine me vouloit donner une dame d'honneur qui auroit pour le moins soixante-dix ans ; que le nom en étoit encore secret. Cela m'alarma au dernier point et me fit déterminer à écrire à Monsieur pour avoir son agrément. Je dis à madame de Frontenac qu'il en falloit faire quelques civilités à madame la comtesse de Fiesque, laquelle me dit n'y avoir jamais prétendu. Madame de Bouthillier, qui étoit lors à Saint-Fargeau, fut transportée de joie.

J'écrivis à Son Altesse royale, et j'envoyai ma lettre à M. le comte de Béthune pour lui présenter, et pour appuyer l'affaire ; [ce] qui ne fut pas fort difficile ; et (pauvre sotte que j'étois !) je donnai dans ce panneau le plus lourdement du monde ; car j'ai su depuis qu'elle6 disoit : « Elle croit m'avoir choisie, et que je suis à elle de sa main ; mais si elle ne l'eût fait, Monsieur m'y auroit mise ; et je dépens de lui et point d'elle. »

Comme la réponse de Blois fut venue, qui étoit la même que pour madame de Bréauté, M. Damville7 envoya l'agrément de la reine, qu'elle eut bien de la peine à donner. Car j'ai su qu'elle avoit dit : « Ma nièce prend une dame d'honneur, qui n'est ni de qualité ni de mérite à l'être. » La Tour, qui revint dans ce temps-là de chez lui, d'où il n'avoit bougé depuis l'équipée qu'il avoit faite, me le dit, et cela ne me plut8 point ; car je n'aime pas que l'on blâme ce que je fais, encore moins les choses que je sens bien que l'on peut blâmer. Quand l'on le peut excuser, je voudrois que l'on prît toujours ce parti-là.

J'avois mandé à M. le Prince le dessein que j'avois de prendre madame de Frontenac, par Beauvais, qui avoit été à Saint-Fargeau, et que je n'avois pas été trop aise de voir, parce que c'étoit un homme en qui je n'avois aucune confiance, et que je n'étois pas bien aise qu'on sût à la cour quand il y venoit des gens de M. le Prince. Comme il n'avoit ordre que de me voir en passant et de savoir de mes nouvelles, cela est si peu remarquable que je ne l'aurois pas mis ici, sans qu'en passant à Paris il fut assez imprudent pour le dire, et cela fut su à la cour, et y fit un grand vacarme contre moi, qui alla à Blois, et qui me revint.9

Au mois de février en 1654, les Espagnols firent arrêter M. le duc de Lorraine. M. le Prince étoit alors à Namur ; le comte de Fuensaldagne le manda. Il apprit cette nouvelle en entrant dans Bruxelles, et comme les Espagnols disoient qu'ils l'avoient fait arrêter parce qu'il traitoit avec la France, et qu'au Mont Saint-Quentin ils n'avoient osé combattre, parce qu'il avoit promis en cette occasion de se tourner contre l'Espagne ; qu'ils lui imputoient encore pour crime d'avoir parti des lignes de Rocroy sans dire adieu, pour donner occasion à le secourir. M. le Prince eut peur que l'on l'accusât d'y avoir quelque part10 ; ce que tout le monde ne manqua pas de faire. Il envoya un gentilhomme, nommé Saler, qui est un brave et honnête garçon que je connois, il y a longtemps, me trouver. Il arriva un soir fort tard à Saint-Fargeau, et alla droit chez Préfontaine qui le cacha dans un cabinet, où il ne fut vu [que] de peu de personnes. Dès qu'il fut arrivé, on me le vint dire. Je le fis venir comme tout le monde soupoit ; il me dit que M. le Prince sachant combien M. de Lorraine étoit de mes amis, il seroit fort fâché que je crusse qu'il eût eu part à sa prison ; qu'il me supplioit de croire que, s'il pouvoit contribuer à sa liberté, il le feroit avec la plus grande joie du monde. C'étoit de quoi Saler étoit chargé, et ce que portoit sa lettre.

Dans le temps qu'il étoit à Saint-Fargeau, j'en reçus une d'un conseiller du parlement de Paris, nommé Chenailles,11 qui me mandoit que madame de Longueville l'avoit chargé de me supplier d'écrire à M. le Prince pour la raccommoder avec lui ; que je lui envoyasse ma lettre ; qu'il la feroit tenir, et la réponse ; et qu'il étoit persuadé que j'avois assez de confiance en lui pour en user ainsi, sachant le zèle qu'il avoit pour le service de M. le Prince et pour le mien. Je ne compris point ce que cela vouloit dire, et il y avoit encore dans cette lettre : « Madame de Longueville, n'ayant pas de commerce avec vous, m'a chargé de cette commission. » Moi, qui savois que j'avois souvent de ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit jamais parlé de rien approchant de cela, j'étois fort étonnée ; je montrai ma lettre à Saler, aux comtesses et à Préfontaine. Nous conclûmes que c'étoit un homme qui me vouloit tirer les vers du nez, et que c'étoit peut-être madame de Châtillon, dont il est parent et ami, qui lui faisoit faire cela.

Je lui fis réponse et lui mandai que j'avois toute la confiance possible en lui ; que je ne doutois pas de son zèle pour mon service, et de son affection pour celui de M. le Prince ; que j'en avois beaucoup ; mais que ne pouvant le servir en rien, j'en avois nul commerce avec lui, et que tout ce que l'on pouvoit faire présentement, au moins les personnes comme moi, étoit de prier Dieu qu'il lui fît la grâce de rentrer dans les bonnes grâces du roi ; que pour madame de Longueville, je ne savois point qu'elle fût mal avec M. son frère, et qu'une lettre [ne] raccommodoit guère les grands, et qu'elle étoit assez raisonnable pour comprendre que j'avois de fortes raisons de lui en refuser une, et pour ne pas écrire à M. son frère.

J'eus le plus scrupule du monde : car Saler se trouva le jour de la Notre-Dame de mars à Saint-Fargeau, et il n'entendit point la messe ; car on ne l'osoit montrer. M. le Prince l'avoit chargé aussi devoir Son Altesse royale sur le même sujet de la prison de M. de Lorraine, et me prioit de [le] lui présenter. Comme je devois aller la semaine sainte à Orléans, il séjourna huit jours à Saint-Fargeau ou aux environs. Un des jours que j'avois accoutumé d'aller à la chasse, je fis venir tous mes chiens et mes chevaux devant la porte du logis, afin de les lui faire voir par la fenêtre, et à dire le vrai, je revins de la chasse de meilleure heure que je n'avois accoutumé.

Je lui demandai des nouvelles de madame la Princesse ; il me dit que le jour qu'il étoit parti de Namur, le médecin de M. le Prince en étoit revenu, qui lui avoit dit qu'elle paroissoit mieux en apparence, mais que dans le fond elle ne l'étoit pas, et que, pour lui, il croyoit qu'il étoit difficile qu'elle en échappât. M. le Prince n'avoit point écrit, lorsque Saler partit d'auprès de lui, à Son Altesse royale ; je pense qu'il s'en avisa depuis ; car il m'envoya une lettre par l'ordinaire. Je dis à Saler qu'il falloit qu'il la rendît ; que j'arriverois le mercredi à Orléans, et que, lui, y arriveroit le jeudi au soir. Madame de Frontenac fut obligée d'aller [faire] un tour à Paris, sur l'extrémité de son père, qu'elle trouva quasi mort ; il mourut peu d'heures après son arrivée.

Devant que de partir pour Orléans, il m'arriva une fort plaisante chose. J'étois dans mon cabinet avec Saler ; il n'y avoit que la comtesse de Fiesque, j'avois fort mal à la tête ; il me prit un étourdissement ; je pensai m'évanouir, et elle tout de même. Saler étoit fort empêché ; car il n'osoit appeler du secours. La pensée de cet embarras nous donna une telle envie de rire à toutes deux, que cela nous guérit.

En arrivant à Orléans, je reçus une lettre de madame de Frontenac, qui me mandoit que madame Le Tellier lui venoit de dire que madame la Princesse avoit la petite vérole, et qu'elle se mouroit. Cela me donna beaucoup d'inquiétude, jusqu'à ce que je susse qu'elle étoit hors de danger, par les visions que l'on avoit à la cour et à celle de Son Altesse royale.

Saler arriva à point nommé, comme je lui avois dit ; je lui dis que je croyois que Son Altesse royale seroit bien préparée à recevoir ses compliments, parce que je lui avois déjà dit, en parlant de la prison de M. de Lorraine, que pour moi je ne croyois pas qu'il12 y eût nulle part, et qu'il m'avoit témoigné être fort de mon sentiment.

Le vendredi saint après la messe, je dis à Son Altesse royale que j'avois à lui parler. Il me mena dans un coin ; je lui dis : « Votre Altesse royale sera aussi surprise de ce que j'ai à lui dire, que je le fus hier au soir. Comme je m'allois coucher, une de mes femmes me dit : Voilà un gentilhomme à cette porte qui demande à vous parler. Je lui répondis : Dites-lui qu'à l'heure qu'il est je ne vois personne. Il lui répliqua que c'étoit pour quelque affaire. Je le fis donc entrer ; je pensai crier de l'étonnement que j'eus. Je lui dis : Que faites-vous ici ? Il me répondit : M. le Prince m'envoie vers Son Altesse royale sur la prison de M. de Lorraine, et il m'a dit que, si vous étiez ici, je m'adressasse à vous. Je lui dis que je parlerois aujourd'hui à Son Altesse royale. »

Monsieur fut fort effrayé et me dit : « Je ne le veux point voir ; qu'il s'en aille le plus tôt qu'il pourra. » Je le pressai extrêmement de le voir ; mais tout ce que je lui pus dire ne dissipa point sa crainte. Il me chargea de lui faire beaucoup de compliments pour M. le Prince, et qu'il recevoit bien les civilités qu'il lui faisoit sur la prison de M. de Lorraine. Tout le jour il m'entretint, me faisant mille questions sur ce que Saler m'avoit dit. Cela le mit en la meilleure humer du monde ; car il se méfie du cas que l'on en fait. Je dis le soir à Saler comme je l'avois trouvé ; nous résolûmes de lui donner la lettre.

Damville arriva à Orléans le samedi de Pâques ; je le trouvai chez Monsieur lorsque j'y allai, qui me fit mille amitiés ; car c'est un fort bon garçon et qui a bien de l'amitié pour moi. Après l'avoir entretenu, je dis à Son Altesse royale que je serois bien aise de lui dire un mot ; il entra dans mon cabinet et je lui dis : « Comme Saler a vu que Votre Altesse royale ne le vouloit pas voir, il m'a donné la lettre qu'il avoit à lui rendre de M. le Prince. » Je la tirai de ma poche ; Monsieur la prit et me demanda : « Est-il parti ? Dans combien de jours sera-t-il hors de France ? » Il se mit à me faire force questions, et ne lisoit point ma lettre. Je tirai des ciseaux13 de ma poche et je les lui présentai en disant : « Je pense que vous oubliez à lire la lettre, que je vous ai donnée. » Il l'ouvrit et la lut. Je le suppliai de la brûler ; il ne le voulut pas ; je l'en pressai fort, lui disant : « Si vous la montrez, tout tombera sur moi ; car en un lieu où je serai, l'on n'accusera jamais une autre que moi de vous donner des lettres de M. le Prince ; il ne faut plus que cela pour m'achever à la cour. » Il me promit fort de n'en point parler.

Le lendemain, Damville me dit que Son Altesse royale lui avoit conté tout ce qui s'étoit passé, et lui avoit dit : « J'ai marchandé à ouvrir la lettre ; j'ai pensé l'envoyer toute fermée à la cour ; » et qu'il l'en avoit voulu charger. Damville lui avoit dit : « Je ne me chargerai jamais d'une telle chose pour faire une pièce à deux personnes que j'honore, comme Mademoiselle et M. le Prince. L'une est votre fille, et l'autre mon cousin germain ; brûlez la lettre et qu'il n'en soit point parlé. » Je dis à Damville qu'il étoit un bon garçon d'en avoir usé ainsi, et je lui fis comprendre que je ne pouvois me défendre de donner cette lettre à Son Altesse royale ; que pour avoir vu Saler la première fois, c'étoit un homme qui avoit demandé à parler à moi pour une affaire, et que pour la seconde fois il falloit bien que je fisse réponse. Enfin, Damville prit l'affaire de manière à la tourner avantageusement pour moi à la cour, s'il en entendoit parler. J'eus terriblement sur le cœur ce que Monsieur avoit dit ; car autant en auroit-il été si Damville eût eu un zèle mal à propos [et] qu'il en eût donné avis à la cour : le pauvre Saler eût été pris.

Un jour ou deux après, en allant à la chasse nous nous mîmes à parler de la cour, de Damville. Je dis à Son Altesse royale : « Je m'attends que dans un mois l'on saura que Saler est venu ici, et que l'on fera quelques pièces comme l'on a accoutumé ; et vous y donnerez, comme si vous ne saviez point comme la chose s'est passée. » Il me dit : « Je vous dirai la vérité ; j'ai conté cela à Damville, en façon qu'on ne le pût trouver mauvais à la cour. » Je m'écriai : « Quoi ! monsieur, vous lui avez parlé de cela ? Ah ! quel tort ! Je suis assurée que dans six semaines j'en aurai une affaire. »

Je pris congé de Son Altesse royale ; je m'en allai à Bellegarde, c'est-à-dire Choisy, que l'on appelle présentement ainsi, où Chenailles vint ; je lui demandai si madame de Longueville lui avoit dit de m'écrire ce qu'il m'avoit écrit. Il fut assez embarrassé, et cela me confirma dans la pensée que j'avois eue. Je séjournai aussi deux jours à Montargis pour me promener dans la forêt, que j'avois trouvée belle, en revenant de Fontainebleau l'automne ; puis je retournai à mon Saint-Fargeau, où je fis bâtir tout de bon.

Je fis venir de Paris un architecte nommé Le Vau. Ce bâtiment a duré jusqu'à ce que j'en sois partie ; et je l'ai laissé en état d'y loger. Il n'y a plus qu'à le peindre. Assurément je n'ai pas perdu à cela mon temps ; car ce bâtiment m'a donné beaucoup de divertissement, et ceux qui le verront le trouveront assez magnifique et digne de moi. Je n'y ai pu faire davantage ; car je n'ai fait que raccommoder une vieille maison, qui avoit pourtant quelque chose de grand, quoiqu'elle eût été bâtie par un particulier. C'étoit, toutefois, un surintendant des finances sous Charles VII ; mais en ce temps-là ils n'étoient pas si magnifiques qu'ils sont maintenant. J'aurois souhaité qu'il l'eût été autant que ceux de maintenant,14 et que ma maison fût aussi belle que les leurs ; je n'aurois pas employé autant d'argent que j'ai fait, qui est beaucoup pour moi de deux cent mille francs, et peu pour ces messieurs.

Il est bon de dire comme elle m'est venue ; car de Jacques Cœur à moi il y a quelque chemin. Comme il fut disgracié,15 on décréta son bien : Antoine de Chabannes, grand maître de France,16 l'acheta. Depuis, au règne de Louis XI, où il fut disgracié, l'on voulut lui imputer qu'il s'étoit prévalu de sa faveur et de la disgrâce de Jacques Cœur pour avoir son bien à bon marché. Il l'acheta une seconde fois, ne voulant pas qu'il lui fût reproché d'avoir le bien d'un homme disgracié pour rien ; et de ce que je dis, j'en suis fort informée, car j'en ai trouvé les contrats dans le trésor de Saint-Fargeau, ce qui m'a bien réjouie ; car j'aurois été en fort grand scrupule d'avoir du bien d'autrui, et même il me déplairoit fort s'il y en avoit parmi le mien qui vînt de confiscation ; mais, Dieu merci, je n'ai pas ce déplaisir ; car tout celui que je possède est venu par de bonnes voies, et j'en aurois encore davantage si l'on me rendoit tout ce que l'on a à moi.

Ce grand maître de Chabannes eut de Marie de Nanteuil un fils, nommé Jean de Chabannes, comte de Dammartin, qui épousa Suzanne de Bourbon, comtesse de Roussillon ; et Antoinette de Chabannes, leur fille, épousa René d'Anjou, marquis de Mézières ; leur fils s'appela Nicolas d'Anjou, qui eut, de Gabrielle de Mareuil, Renée d'Anjou, femme de François de Bourbon, duc de Montpensier, père et mère de mon grand-père. Voilà à quoi le séjour de Saint-Fargeau m'a servi ; car il m'a appris ma généalogie.

J'eus la curiosité de savoir pourquoi les armes de Chabannes étoient partout, et comme je les ai fait effacer et abattre rebâtissant la maison, il m'a semblé qu'en ayant beaucoup de bien, je devois les faire remettre. J'ai fait peindre une chambre tout exprès des alliances de cette maison, qui est très-bonne et très-illustre, et dont je suis bien aise d'être descendue.

Ces généalogies m'ont fort divertie, et même je fis venir une fois à Saint-Fargeau le sieur d'Hosier pour me dresser des quartiers que je voulois faire mettre dans la salle ; et pendant le séjour qu'il fit à Saint-Fargeau, après qu'il m'eut fait connoître que j'étois de la plus grande et de la plus illustre maison du monde (ce qui est assez agréable à savoir à une personne de mon humeur), il me fit les alliances de quantité de grandes maisons du royaume ; ce qui seroit assez nécessaire que les personnes relevées en qualité au-dessus des autres sussent pour y mettre la différence qu'il y devroit avoir, et qui n'y est pas par l'ignorance que l'on en a.

Le maréchal de Gramont, s'en allant en Béarn,17 fut voir Son Altesse royale en passant à Blois, et lui fit des plaintes du voyage de Saler et de ce qu'il avoit été à Saint-Fargeau. L'on me dépêcha [un] exprès de Blois ; Son Altesse royale m'écrivit une lettre assez succincte. Goulas me mandoit que le maréchal de Gramont avoit proposé à Son Altesse royale de m'envoyer à Fontevrault,18 et que c'étoit l'intention du roi, laquelle ne changeroit point ; et, pour le mieux exprimer, il lui dit (car ces termes étoient exprès dans la lettre de Goulas) : « Quand les gens comme le roi ont une fois mis les chevaux aux carrosses et qu'ils sont en chemin, ils ne reculent plus. » Sur cela, Son Altesse royale m'ordonnoit de l'aller trouver.

Je la suppliai très-humblement de m'en dispenser, sur ce que je m'étois purgée et saignée pour me baigner ; et que je m'en allois à Pont pour cet effet, l'eau de la rivière de Seine étant meilleure qu'une autre. J'écrivis une belle et longue lettre pour me défendre, dont La Tour fut porteur. Je lui défendis de voir Goulas, et j'ai su depuis qu'il alla descendre chez lui, et qu'il y avoit toujours mangé pendant qu'il avoit été à Blois. Le comte de Béthune, qui s'y trouva, me manda que tout ce que le maréchal de Gramont avoit dit n'étoit qu'une raillerie, et que je ne m'en devois point mettre en peine. La Tour me rapporta que Son Altesse royale ne jugeoit pas à propos que j'allasse à Pont ; que la cour alloit à Fontainebleau, et que c'étoit m'en approcher.

Je renvoyai un valet de pied, par lequel j'écrivis les raisons pressantes de ma santé, et je ne laissai pas de partir. Il arriva comme je montois en carrosse, et m'apportoit des ordres exprès de ne pas bouger de Saint-Fargeau,19 et je m'excusai d'être partie sur ce que je m'étois trouvée mal, et de ne pas retourner parce que j'étois trop avancée. Madame Bouthillier n'étoit point à Pont ; j'y fus près de six semaines sans me pouvoir baigner. Il fit des pluies si grandes que la rivière déborda ; et comme elle vint dans les prés, cela la rendit si verte et si boueuse, qu'il fallut du temps pour la purifier ; ce que le grand soleil fit. Quand le temps s'échauffa, je me baignai.

Beaucoup de personnes me vinrent voir. Madame Bouthillier maria une de ses demoiselles20 et me donna une collation dans un bois, avec force lumières et les violons. Ce fut une jolie fête à voir, et encore plus à mander, pour montrer qu'on ne s'ennuyoit point hors de Paris. Je m'en approchai à dix lieues ; j'allai à une maison nommée Bisaux, qui est à mon trésorier, où je fis venir mon conseil pour donner ordre à mes affaires. En retournant à Pont, je passai à Monglat, où le maître et la maîtresse du logis me reçurent avec joie et magnificence. Il y une patte d'oie dans le parc qui est fort belle ; au bout de chaque allée il y avoit un amphithéâtre tout plein de lumières, et qui faisoit le plus bel effet du monde dans le vert des arbres. J'allai aussi au Marais,21 où l'on me reçut parfaitement bien.

Le comte d'Escars, à qui j'avois mandé par Saler de revenir, sur ce que Son Altesse royale m'en avoit fait de nouvelles instances, arriva comme j'étois à Pont. La première chose qu'il me dit, après m'avoir fait les compliments de M. le Prince, c'étoit qu'Apremont avoit été souvent en Flandre, et qu'il lui avoit écrit un billet pour le prier de ne m'en point parler, et que cette précaution lui avoit fait croire qu'il y avoit quelque chose en tout cela qui regardoit mon service, et qu'ainsi il m'en devoit avertir. Je fus fort surprise ; car je n'en avois nulle connoissance ; je lui dis tout franc que n'en sachant rien, et lui se précautionnant,22 cela ne valoit rien pour madame la comtesse [de Fiesque], après la lettre que j'avois reçue, il y avoit fort peu, de M. le Prince.

Je contai à d'Escars qu'elle m'avoit donné une lettre en chiffres, et que, Préfontaine l'ayant déchiffrée, me l'avoit donnée ; que je la lisois, ces dames présentes ; [que] M. le Prince me mandoit qu'il étoit fort étonné de la proposition que Beauvais lui avoit faite, de ma part et de celle de madame de Longueville, de s'accommoder avec la cour ; que jamais conjoncture ne lui fut moins favorable ; qu'il avoit une armée forte et considérable, et prête à mettre en campagne ; qu'il étoit sur le point de faire un traité avec les Anglois, et que je jugeasse par là ce qui lui étoit le plus avantageux ; que pourtant il se soumettroit toujours à mes volontés en toutes choses, que je serois la maîtresse de son accommodement ; et que je savois bien qu'il me l'avoit mandé plusieurs fois, et qu'il m'en assuroit encore ; mais qu'il m'osoit représenter que pour aller six mois plus tôt ou plus tard à Paris cela ne valoit pas la peine de tout abandonner ; que j'avois si bien commencé à soutenir avec force et résolution ma disgrâce, qu'il espéroit que j'irois jusqu'au bout.

En ce temps-là je croyois, et Monsieur le disoit même, qu'il ne s'accommoderoit point que M. le Prince ne le fût. Pour madame de Longueville, il [M. le Prince de Condé] mettoit : « Quant à ma sœur, je lui apprendrai à se mêler de ce qu'elle n'a que faire. » Je pensai tomber de mon haut, moi qui n'avois point vu Beauvais. Je regardai la comtesse [de Fiesque], elle se mit à rire et me dit : « Je vous veux conter ce que c'est. Beauvais vint, il y a environ deux mois, à Saint-Fargeau, et comme il ne vous plaît pas, et qu'il n'avoit rien à vous dire de la part de M. le Prince, lorsqu'il me fit avertir qu'il étoit venu, je lui mandai qu'il me vînt attendre dans le petit bois et que j'irois point parler à lui. » Il n'y a point de parc à Saint-Fargeau, et les promenades ne sont point encore fermées de murailles, de sorte qu'il est aisé d'y aller de dehors sans que l'on le voie. La comtesse donc dit que Beauvais l'étoit venu voir, et qu'en causant avec lui elle lui avoit dit : « Il faudroit que M. le Prince fît sa paix, et que ce fût Mademoiselle et madame de Longueville qui la fissent, au moins qui en eussent l'honneur, et que M. de Longueville agît. Il faut que Beauvais ait dit cela à M. le Prince, que je contois comme une bagatelle, et qu'il l'ait pris sérieusement ; » et se pâmoit de rire. Pour moi, je n'en ris point, et je lui dis assez sèchement, sans toutefois me mettre en colère, que je la priois dorénavant de ne plus me nommer sur des choses de cette nature. Elle vit bien que cela ne m'avoit pas plu.

J'écrivis, dès le soir, à M. le Prince pour lui dire que je m'étonnois qu'il eût pu croire que, si j'avois eu quelque chose de sérieux et important à lui mander, je l'eusse confié à Beauvais et à la comtesse de Fiesque ; qu'il savoit bien que je lui avois mandé par Saler qu'il ne m'envoyât jamais Beauvais, et que je ne me fiois point en lui ; qu'il m'envoyât toujours Saler, lorsqu'il y auroit quelque chose à mander d'importance. Pour la comtesse, je lui avois témoigné que c'étoit une créature que je connoissois pour une folle, en qui je ne prendrois jamais aucune confiance, et que je la croyois non-seulement imprudente, mais peu affectionnée pour moi ; que je me réjouissois de quoi il avoit donné dans leurs panneaux ; que je souhaitois fort qu'il fît sa paix, lorsqu'il y trouveroit son avantage ; mais que je ne me mêlerois point de lui donner des conseils, dans la crainte que l'événement n'en fût pas tel que je pourrois désirer ; que l'envie de retourner à Paris ne me feroit jamais conseiller à mes amis de rien faire qui fût contre leurs avantages, et que je serois fort fâchée que l'on me pût reprocher que, par le moindre de mes intérêts, je me voulusse prévaloir du crédit que je pourrois avoir sur eux et pour hasarder les leurs.

A quelque temps de là M. le Prince m'écrivit et me mandoit23 : « Je vous demande mille pardons de vous avoir écrit mille choses fausses ; c'est que Beauvais étoit arrivé le soir comme je m'allois endormir ; et m'ayant fort parlé de vous, de ma sœur et de force autres choses, je rêvai toute la nuit, et songeai tout ce que je vous écrivis le lendemain matin ; [je vous écrivis] mon songe, étant persuadé qu'il m'avoit dit tout cela. Comme je l'ai entretenu depuis, j'ai cru être obligé à vous détromper, afin que vous ne le crussiez pas capable de dire des choses, de votre part, que vous ne lui auriez pas commandées. »

Comme la comtesse de Fiesque m'avoit avoué ce qu'elle avoit dit à Beauvais, lorsqu'il la vint voir à Saint-Fargeau, je vis bien qu'elle avoit écrit à M. le Prince, et qu'imprudente comme elle est, [elle] ne lui avoit pas mandé précisément ce qu'il me falloit écrire, et que lui, par bonté, en avoit trop mis. Je lui mandai : « Au lieu de raccommoder les choses, vous les gâtez ; car vous en dites trop. Je vous ai déjà écrit les sentiments que j'ai pour la comtesse de Fiesque ; je n'en changerai jamais. C'est une dame qui fait fort bien les assemblées ; chez qu'il y a plaisir à aller voir ; qui pare un cercle, mais avec qui il n'y a pas plaisir de demeurer, et je vous assure que sans la considération de son mari que j'aime et estime, parce qu'il le mérite, qu'il est mon parent et aussi parce qu'il est attaché à votre service, je ne l'aurois pas reçue chez moi, ou de moins je ne l'aurois pas gardée si longtemps. »

Pendant tout cela, mademoiselle de Vertus,24 que j'avois vue en passant à Montargis, l'automne, qui me parla fort de madame de Longueville, pour qui elle a beaucoup d'attachement, et qu'elle servoit en tout ce qu'elle pouvoit en ses affaires pour son raccommodement avec M. son mari (car de Montreuil-Bellay elle avoit eu ordre d'aller demeurer dans le château de Nevers, où elle fut fort peu, prenant un meilleur parti, de se mettre dans les filles de Sainte-Marie de Moulins avec madame la duchesse de Montmorency, sa tante, personne d'une extrême vertu et mérite25 ; elle faisoit tout cela pour parvenir, et elle avoit raison, à se raccommoder avec M. son mari, qui avoit désiré qu'elle n'eût plus de commerce avec M. le Prince) ; mademoiselle de Vertus m'écrivit donc : « Vous avez une belle amitié pour madame de Longueville ! Au lieu de tâcher à la raccommoder avec M. son mari, et de lui conseiller toutes les choses nécessaires pour cela, comme vous me fîtes l'honneur de me dire, en passant à Montargis, que c'étoit votre sentiment, vous l'embarrassez dans de nouvelles affaires. Quand j'aurai celui de vous voir, je vous en dirai davantage et je prendrai la liberté de vous gronder. » Je lui répondis que je ne savois ce que c'étoit que ce qu'elle me disoit.

J'avois écrit à madame de Longueville une lettre fort aigre, croyant qu'elle se servoit de mon nom pour faire les propositions qu'elle n'osoit faire. Elle, qui ne savoit ce que c'étoit, m'écrivit avec beaucoup de douceur. Enfin, comme je fus retournée à Saint-Fargeau, mademoiselle de Vertus y vint, qui s'en alloit à Moulins voir madame de Longueville. [Elle] me conta que M. le cardinal avoit envoyé querir La Croisette. C'est un gentilhomme à M. de Longueville, qui est une manière de favori, qui avoit été très-mal avec madame de Longueville pendant la prison de MM. ses frères et de M. son mari, et qu'elle prétendoit qui les avoit très-mal servis, et elle aussi, mais qui depuis a bien réparé cela. Car il se raccommoda avec elle, par le moyen de mademoiselle de Vertus, de qui il est ami, et agit pour faire consentir la cour qu'elle retournât avec M. de Longueville.

Comme il travailloit à cela, et qu'il répondoit qu'elle n'avoit point de commerce avec M. le Prince, M. le cardinal l'envoya querir et lui montra une lettre de M. le Prince, et lui dit : « Vous voyez comme ils n'ont point de commerce ! » Par cette lettre il la gourmandoit fort des propositions qu'elle lui avoit fait faire par Beauvais ; et que pour ce que je lui en avois mandé, il m'avoit fait réponse avec beaucoup de respect, et suppliée que je ne lui parlasse plus de telle chose ; et qu'il voyoit bien que c'étoit elle qui m'avoit obligée à donner cet ordre à Beauvais. M. le cardinal dit à La Croisette : « Elle ne se contente pas d'avoir des commerces ; elle veut que les autres en aient. » La Croisette ne sut que répondre, car il connoissoit l'écriture de M. le Prince.

Je fus fort étonnée de tout cela ; et, quoi que mademoiselle de Vertus me pût dire, je croyois toujours que madame de Longueville en avoit quelque connoissance. Je lui contai tout ce qui s'étoit passé à mon égard. Madame de Longueville m'écrivit une grande lettre sur tout cela, quand mademoiselle de Vertus l'eut entretenue, et me disoit qu'il lui semblois ne se pouvoir mieux justifier, qu'en me priant de considérer qu'elle connoissoit la comtesse de Fiesque, et que la connoissant elle ne devoit par nulle raison se fier en elle. Je lui fis une réponse encore un peu trop sèche.

Comme j'étois à Pont, la cour partit de Paris,26 après être de retour de Fontainebleau, pour s'en aller à Reims sacrer le roi. Si j'avois été une demoiselle fort curieuse, j'aurois pu y aller inconnue pour voir une aussi belle cérémonie que celle-là, et madame Bouthillier m'y voulut mener ; force gens m'en pressèrent ; mais il m'a toujours semblé que les personnes comme moi jouent un mauvais personnage quand, au lieu où elles sont nées et où leur rang est aussi considérable que le mien est à la cour, elles sont en masque ; cela n'est bon qu'au carnaval, quand l'on y va volontairement, et la curiosité n'est point permise dès que, pour la satisfaire, il faut faire quelque chose de bas, et j'avoue que je me sens fort éloignée de rien penser qui le soit.

La cérémonie du sacre est je crois une chose fort belle ; mais quand l'on en a vu d'autres en sa vie, que l'on sait comme la cour est faite et tous les gens qui la composent, et que l'on a lu le sacre dans un livre, c'est tout comme si l'on l'avoit vu, et on n'en a pas le chaud, ni la peine de se lever fort matin. Ce qui est de remarquable à ce sacre,27 c'est que personne n'y a été ce qu'il devoit être28 : car M. l'archevêque de Reims29 de ce temps-là, qui étoit de la maison de Savoie, de la branche de Nemours, n'étant pas prêtre, ce fut M. de Soissons,30 un des suffragants, qui fit la cérémonie, et ainsi tous les autres suffragants31prirent la place l'un de l'autre, et personne n'y joua son véritable personnage, mais celui d'autrui. Pour les pairs, hors Monsieur, frère du roi, les autres étoient si peu propres à être en des places où sont d'ordinaire des princes du sang, que je crois que personne ne s'est souvent de ce qui se fit.

On le manda à M. le duc d'Orléans, et en même temps on lui laissa la liberté de n'y pas venir ; ce qu'il fit avec joie, et n'étant pas accommodé à la cour, il eût été surprenant qu'il y fût venu.

De Reims, la cour s'en alla à Sedan.32 On fit le siége de Stenay ; ce fut M. Fabert,33 qui est présentement maréchal de France et gouverneur de Sedan, qui fit ce siége. M. de Turenne étoit sur la frontière de Picardie. Pendant le siége de Stenay, les ennemis assiégèrent Arras, et comme cette place est beaucoup plus forte que Stenay, il fut pris en peu de temps, et la cour eut le loisir de revenir à Péronne.34 Le corps du maréchal de La Ferté joignit celui de M. de Turenne, et on en fit un autre des troupes de la maison du roi, commandé par le maréchal d'Hocquincourt, et tout cela se joignit et alla attaquer les lignes d'Arras. Ils y eurent le succès du monde le plus favorable et le plus surprenant : car rien n'est si aisé à des gens retranchés que de se bien défendre, et les Espagnols ne firent nulle résistance ; tous se retirèrent promptement. Il n'y eut que du côté de M. le Prince où la défense fut vigoureuse, et quoiqu'abandonné, il fit la plus belle retraite du monde. M. le duc François de Lorraine étoit avec l'archiduc ; les Espagnols l'avoient envoyé querir en Allemagne aussitôt après la prise de M. son frère, que l'on transféra en Espagne ; et lui demeura au service des Espagnols avec ses troupes.

Cette victoire d'Arras donna une joie extraordinaire à la cour ; j'en appris la nouvelle par un gentilhomme que j'avois envoyé à la reine, pour lui faire compliment sur la mort du roi des Romains,35 son neveu. J'avoue qu'en l'état où j'étois, toutes les prospérités de la cour ne me donnoient aucune joie ; et comme il me sembloit que pareilles choses éloignent M. le Prince de s'accommoder, ce n'étoit pas le moyen que j'en eusse, et à dire le vrai, je n'ai point souhaité que les Espagnols remportassent des avantages sur les François, mais je souhaitois fort ceux de M. le Prince, et je ne me pouvois persuader que cela fût contre le service du roi. Je passai cet été là à Saint-Fargeau, comme les autres, à chasser, les jours qu'il ne faisoit point soleil ; et les autres je ne me promenois que le soir, après qu'il étoit couché.

M. de Joyeuse36 fut blessé en une occasion, deux jours avant l'attaque des lignes d'Arras, au bras, qu'il eut cassé. Il servoit à sa charge de colonel de la cavalerie, qu'il avoit eue par la mort de M. le duc d'Angoulême, son beau-père. On l'apporta à Paris, où il fut longtemps malade, et mourut sur la fin de septembre en 1654. J'en appris la nouvelle à Chambord.

Je demeurai tout le mois d'octobre à Blois ; il y avoit des comédiens, dont Monsieur et Madame n'avoient point le divertissement ; il n'y avoit que moi qui y allois et mes sœurs qui en étoient ravies, n'ayant aucun divertissement.

Leurs Altesses royales vinrent passer la Toussaint à Orléans à leur ordinaire, et chassèrent à la Saint-Hubert ; je les y accompagnai, puis je m'en retournai chez moi. Nos affaires alloient toujours du même train entre les mains de madame de Guise, qui de temps à autre me demandoit de nouvelles procurations.

J'eus les comédiens à mon ordinaire. Il ne se passa rien de nouveau à Saint-Fargeau, que le mariage de mademoiselle de Piennes avec le marquis de Guerchi37 ; je lui donnai de beaux pendants d'oreilles de diamants.

Il s'en fit un à la cour bien plus considérable au mois de février 1654, celui de M. le prince de Conti avec mademoiselle Martinozzi,38 nièce du cardinal Mazarin, dont M. le Prince n'eut pas beaucoup de joie, comme l'on peut croire. Cette nouvelle et l'affaire d'Arras, la campagne en suivant, furent deux choses assez mal agréables pour lui ; il m'en témoigna son ressentiment par ses lettres. Après l'affaire d'Arras, il me mandoit qu'il n'osoit plus m'écrire, et qu'un homme aussi inutile et aussi malheureux que lui devoit souhaiter que l'on l'oubliât, et que sa plus grande douleur étoit de ne pouvoir me rendre tous les services qu'il auroit souhaités et qu'il auroit voulu me rendre. Il m'envoyoit un autre chiffre, le sien étant dans sa cassette, qu'il avoit été prise ; il m'assuroit qu'il avoit brûlé toutes mes lettres et que je ne serois point brouillée à la cour par sa négligence.

 

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NOTES

1. De la Guienne.

2. Lucrèce-Chrétienne de Harlay avait épousé, en 1638, Louis, prince de Courtenay, comte de Cesy, seigneur de Chevillon, etc. Ce prince de Courtenay fut, à partir de 1655, seul représentant de la postérité de Pierre de France, septième fils de Louis le Gros.

3. Il a été question de madame de Saint-Georges, plus haut (Chap. I).

4. Le sens est : Le pays étant boisé, je pouvais suivre partout les chiens anglais.

5. Au lieu de non plus, les anciennes éditions portent aussi bien ; ce qui est en contradiction avec ce que Mademoiselle a dit plus haut, qu'elle ne connaissait pas alors la liaison de madame de Frontenac avec la comtesse de Fiesque, et ce qu'elle répète dans la même phrase, qu'elle et Préfontaine ne l'ont connue que depuis et à leur dépens.

Voy. l'appendice sur M. Beauvais.

6. La comtesse de Frontenac.

7. Il y a dans le texte Damville, et non de La Grange, comme l'ont imprimé les anciens éditeurs. D'ailleurs il est évident par ce que l'on a vu plus haut (Chap XVIII) que c'était au duc de Damville que Gaston d'Orléans s'était adressé pour obtenir le consentement de la reine.

8. Les anciens éditeurs ont remplacé plut par déplut ; ce qui est en contradiction avec la suite de la phrase.

9. Ce passage est altéré dans les anciennes éditions, où l'on a coupé la phrase et fait dire à Mademoiselle : « J'allai à Blois, et m'en revins ; » tandis qu'il s'agit du bruit, qui se répandit contre Mademoiselle, alla jusqu'à Blois et revint à Saint-Fargeau.

Voy. l'appendice sur M. Beauvais.

10. D'avoir quelque part à l'emprisonnement du duc de Lorraine.

11. Il s'agit probablement ici de Vallée, sieur de Chenailles, qui fut arrêté en 1656 et mis en jugement comme coupable de crimes contre l'État. On lit dans un Journal inédit de cette époque (B.[N.], ms. S., F. no 1238 bis e, fo 319 et suiv.) : « Qui est-ce qui ne frémira point d'horreur, quand il saura qu'un officier (magistrat pourvu d'office) de cette considération, riche de cinq ou six cent mille livres, et d'une famille fort illustre dans la robe et par ses alliances, ait été capable de se laisser tomber dans un crime d'État par les intelligences qu'il entretenoit avec les ennemis et les pratiques qu'il faisoit, disoit-on, pour se rendre maître de Saint-Quentin ? »

12. M. le Prince.

13. Il faut se rappeler qu'à cette époque les lettres étaient fermées par des lacets de soie sur lesquels on apposait le cachet. On coupait ces lacets pour ouvrir la lettre. Voilà pourquoi Mademoiselle présente des ciseaux à son père.

14. Les surintendants des finances, à l'époque où écrivait Mademoiselle, étaient Servien et Fouquet. Tout le monde connaît les prodigalités de Fouquet pour la construction du château de Vaux-le-Vicomte.

15. Jacques Cœur fut condamné à mort par un arrêt du 19 mai 1453.

16. Le grand maître de France était un des principaux officiers de la couronne ; ses fonctions consistaient surtout à régler les dépenses de la maison du roi et à surveiller le service des maîtres d'hôtel. Au sacre, il marchait immédiatement après le chancelier et occupait une place d'honneur auprès du trône ; il présidait en personne au festin qui suivait le sacre. Lorsqu'on célébrait les funérailles du roi, il mettait son bâton dans le caveau funèbre, en disant : le roi est mort ! puis il le relevait en poussant le cri de vive le roi. (Voy. Guyot, Traité des offices, t. I, p. 464).

17. Le manuscrit porte Béarn, que Mademoiselle écrit Béar, suivant la prononciation adopté dans le pays. Les anciennes éditions y ont substitué Berry. La famille de Gramont avait ses principaux domaines en Béarn.

18. Les anciennes éditions portent Frontenac. On a vu (Chap. I) que l'abbesse de Fontevrault était parente de Mademoiselle.

19. Le premier membre de cette phrase, depuis J'écrivis jusqu'à Je m'excusai, est omis dans les anciennes éditions.

20. Les anciens éditeurs ont remplacé demoiselles par filles. Ces deux mots n'avaient pas le même sens, et on doit entendre ici par demoiselle une des personnes de la suite et de la compagnie ordinaire de madame Bouthillier.

21. Ce château appartenait à Françoise Godet des Marais. On trouve dans le Recueil de Mademoiselle le portrait de mademoiselle des Marais, fait par M. de La Chetardie.

22. Ce membre de phrase signifie : vu les précautions que prenait d'Apremont.

23. Le commencement de cette lettre de Condé a été changé dans les anciennes éditions, qui ont substitué le style indirect au style direct.

24. Françoise-Catherine de Bretagne, née en 1617, et morte le 19 novembre 1692, d'après le Journal de Dangeau. On y lit à cette date : « Mademoiselle de Vertus mourut à Port-Royal-des-Champs il y avoit vingt-deux ans qu'elle s'y étoit retirée, et depuis douze ans elle n'avoit pas sorti de son lit. Elle étoit sœur de feu madame de Montbazon. » M. Cousin a publié, dans la Bibliothèque de l'École des chartes (année 1843, mai et juin), des lettres inédites de mademoiselle de Vertus à la marquise de Sablé.

25. Marie des Ursins, fille du duc de Bracciano, avait épousé Henri de Montmorency, qui fut décapité à Toulouse en 1632. Voy. la Vie de madame de Montmorency, par J. C. Garreau.

26. La cour partit de Paris pour Reims le 30 mai 1654.

27. Louis XIV fut sacré le 7 juin 1654.

28. Les anciennes éditions font dire à Mademoiselle : « C'est que de tous ceux qui devoient y être personne n'y a été. » Ce n'est pas ce que Mademoiselle a voulu dire, et cet exemple suffit pour prouver le danger des changements faits au texte. Mademoiselle a voulu dire et a dit très-clairement que les rôles furent intervertis : ce qui est vrai. (Voy. not. 31).

29. L'archevêque titulaire de Reims était alors Henri de Savoie, duc de Nemours et d'Aumale.

30. Simon Legras, évêque de Soissons.

31. En retranchant le mot suffragants, les anciens éditeurs ont encore altéré le sens de cette phrase. On voit, en effet, par un passage inédit des mémoires d'André d'Ormesson qu'il s'agit bien ici des évêques qui, au sacre de Louis XIV, avaient un rôle différent de celui que leur assignait leur titre : « L'évêque de Soissons (Legras) représentait l'archevêque et duc de Reims (duc d'Aumale et de Nemours) ; l'évêque de Beauvais (Chouart) représentoit l'évêque et duc de Laon ; l'évêque de Noyon (Baradas) représentoit l'évêque et duc de Langres (Zamet) ; l'évêque de Châlons (Viallart) représentoit l'évêque et comte de Beauvais ; l'archevêque de Bourges (de Levy-Ventadour) représentoit l'évêque et comte de Noyon ; l'archevêque de Rouen (de Harlay) représentoit l'évêque et comte de Châlons. » La plupart de ceux qui devaient assister à la cérémonie y étaient donc présents ; mais leurs rôles étaient intervertis.

32. 28 juin 1654.

33. Abraham Fabert devint maréchal de France en 1658 et mourut en 1662.

34. La phrase de Mademoiselle, qui n'est pas très-claire, veut dire que la place de Stenay, étant moins forte que celle d'Arras, fut prise avant que le siége d'Arras fût terminé. En effet, la prise de Stenay eut lieu le 6 août et le siége d'Arras ne fut levé que le 25 août. La cour était revenue à Péronne le 13 août.

35. Ferdinand, roi des Romains, mourut le 9 juillet 1654. Il était fils de l'empereur Ferdinand III et de Marie-Anne, fille de Philippe III, roi d'Espagne, et sœur d'Anne d'Autriche.

36. Louis de Lorraine, duc de Joyeuse et d'Angoulême, né le 11 janvier 1622, mourut le 27 septembre 1654 des suites de la blessure dont parle Mademoiselle. Il avait épousé Marie de Valois, fille unique et héritière de Louis-Emmanuel, duc d'Angoulême.

37. Louis Regnier, marquis de Guerchi, épousa, comme on l'a dit plus haut, Marie de Brouilly, fille du marquis de Piennes et de Gilonne d'Harcourt.

38. Anne-Marie Martinozzi avait épousé le prince de Conti le 22 février 1654. André d'Ormesson, après avoir raconté ce fait, dans ses Mémoires inédits, ajoute : « Après cet exemple, il n'y a plus d'ennemis irréconciliables ; il n'y a plus de ferme amitié parmi les frères ; et sur ce sujet M. de Lafemans fit une petite rime assez bien reçue :

Par l'ombre d'Armand* averti,
L'autre Armand au roi se veut rendre ;
Mais bien qu'un peu tard conventi,
Il n'a rien perdu pour attendre.
La Fronde en la démenti,**
Le coadjuteur s'en veut pendre.***
Condé ressent le coup en flendre.
L'un se perd ; l'autre est garanti.
Jamais le prince de Conti
Meilleur conseil ne pouvoit prendre
Que d'embrasser ce bon parti.

[Notes d'Ormesson :]*Le Cardinal de Richelieu se nommoit Armand, avoit été parrain du prince de Conti et lui avoit donné son nom.
**Le prince de Conti avoit auparavant aspiré au mariage de mademoiselle de Chevreuse, lorsqu'il étoit prisonnier. Étant en liberté, il n'en voulut point et se moqua d'elle.
***Le coadjuteur, cardinal de Retz, étoit prisonnier dans le château de Vincennes. »

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XIX : p. 292-325.


 

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