Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE IV.

(1645–1646; 1647)

[1645.] Sur la fin de l'hiver, un mariage fit grand bruit à la cour et partout : ce fut celui de mademoiselle de Rohan,1 fille du feu duc de ce nom, qui s'est tant signalé durant la guerre des huguenots, qu'il a si souvent rallumée. Elle étoit héritière de la maison, âgée de vingt-sept à vingt-huit ans, et avoit toujours vécu dans la réputation d'une vertu non pareille. Il sembloit qu'elle ne devoit jamais rencontrer une personne digne d'elle pour la naissance et pour le mérite. Elle avoit osé espérer, par cette conduite et par ses grands biens, feu M. le comte de Soissons,2 et de fait l'on en avoit parlé ; et depuis elle avoit pensé au duc de Weimar3 ; elle avoit été accordée avec Robert,4 deuxième fils de l'électeur palatin,5 qui est mort roi de Bohème. Il posséda si peu cette qualité, qu'elle ne lui a été donnée presque qu'après sa mort. Elle avoit refusé M. de Nemours,6 aîné de la maison de Savoie en France, qui étoit aussi l'aîné de celui qui a épousé mademoiselle de Vendôme ; et ce qu'elle en fit fut sous le prétexte de la religion. Rien n'étoit pareil à sa fierté ; néanmoins elle se prit d'inclination pour M. Chabot, duquel j'ai parlé dans le commencement de ces Mémoires.7 Il avoit toujours eu la fortune assez contraire jusqu'à ce que Monsieur lui eût donné la charge de premier maréchal de ses logis, qui lui valoit plus que la pension de quatre cents écus qu'il avoit auparavant, et qui lui fut conservée avec sa charge ; ce n'étoit pas suffisamment pour paroître : aussi son équipage ne consistoit-il qu'en un misérable carrosse mal suivi, qui le traînoit chez mademoiselle de Rohan. Il relevoit à la vérité ce médiocre état par beaucoup de bonnes qualités qui le faisoient considérer de tout le monde.

Quoiqu'il ne fût pas beau, il avoit fort bonne mine, beaucoup d'esprit, étoit bien fait de sa personne, et dansoit parfaitement bien : l'on a même cru que c'étoient là les charmes qui avoient épris mademoiselle de Rohan. Quoiqu'il fût honnête homme et qu'il eût du mérite, il ne s'étoit jamais acquis de réputation dans la guerre. Il avoit été nourri jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans pour être d'église, et n'avoit fait que quelques campagnes en qualité de volontaire auprès de Son Altesse Royale ; depuis la Régence même il n'avoit pas été fort assidu, parce qu'il n'avoit rien de plus pressant dans l'esprit que l'exécution du dessein qu'il avoit pour mademoiselle de Rohan, où il trouvoit avec raison incomparablement mieux son compte qu'à la guerre. Cet amour dura quelques années et donna occasion à une infinité de jolies intrigues.

Beaucoup de personnes prirent soin d'y servir Chabot, et entre autres la marquise de Pienne,8 sa cousine germaine, qui est aujourd'hui la comtesse de Fiesque, Chabot, qui de son côté n'oublioit rien, devint magnifique sur la fin ; l'on vit augmenter son train presque tout d'un coup ; ce ne fut pas aussi sans que cela fit grand bruit, et la charité ordinaire du monde en fit parler diversement ; il ne s'arrêtoit à rien de ce que l'on pouvoit dire, pourvu qu'il vînt à bout de son affaire. Il pensa qu'il lui étoit encore nécessaire de s'appuyer d'une puissante protection : pour cela, il s'attacha beaucoup plus à M. le duc d'Enghien, qui étoit à Paris pour lors, qu'à son maître qui lui avoit refusé la sienne ; aussi fut-il bien récompensé de son attachement. M. le duc d'Enghien entreprit l'affaire et y employa tout son crédit. Quoique Chabot eût infiniment d'esprit, il engagea moins ce prince par là dans la poursuite de son entreprise, que parce qu'il avoit trouvé moyen d'être son confident auprès de mademoiselle Du Vigean. Ainsi, après avoir été servi dans l'occasion qui lui étoit la plus sensible de sa vie, il ne faut pas s'étonner qu'il prît, avec la chaleur qu'il témoigna, le soin de faire réussir ce mariage où Chabot aspiroit. Mademoiselle de Rohan le vouloit assez, sans y être tout à fait résolue ; il n'étoit question que de lui en faire prendre la résolution.

M. le duc d'Enghien fut le premier qui lui en parla, et ce fut avec succès : ses dispositions étoient trop grandes pour faire durer longtemps la négociation. Il en parla pareillement au cardinal et à la reine, pour leur faire agréer le mariage et pour obtenir un brevet de duc en faveur de Chabot, afin que mademoiselle de Rohan ne perdit point son rang lorsqu'elle l'épouseroit ; il obtint sur ce sujet tout ce qu'il demanda. Assuré de tout ce qui pouvoit faire obstacle, il fallut passer à la conclusion. M. le duc de Sully,9 cousin germain de mademoiselle de Rohan, y servit encore merveilleusement sur l'engagement où étoit sa cousine ; et pour la faire plus promptement déterminer, il l'alla trouver un soir, lui dit que tout étoit découvert, que madame sa mère vouloit la faire enlever, et qu'il n'y avoit plus pour elle lieu de sûreté. Persuadée, elle s'en alla sur l'heure à l'hôtel de Sully, où étoit le duc d'Enghien, qui lui fit prendre sa dernière résolution. Madame de Rohan, touchée au dernier point de cette affaire, alla trouver sa fille où elle savoit qu'elle étoit. M. le duc d'Enghien tourna le tout en raillerie : elle eut le déplaisir de voir sa fille sans en pouvoir rien obtenir ; et, bien qu'elle eût fait dessein de l'enlever, il se mit dans leur carrosse, et les remit chacune en leur logis. Après cela Chabot n'avoit plus à différer un moment la conclusion du mariage, et parce que ce ne pouvoit être à Paris, à cause que madame de Rohan avoit fait défendre à toutes sortes de prêtres de marier sa fille, M. et madame de Sully la menèrent à Sully avec Chabot, où un prêtre, qui passoit sur la rivière de Loire et qui venoit de Rome avec permission de les marier, les maria.10 Quand madame de Rohan le sut, elle ne pensa plus qu'aux moyens de s'en venger : ce qu'elle a fait aussi depuis en tout ce qu'elle a pu. Cette affaire entretint toute la terre durant l'hiver.11

[1646.] Sitôt que le printemps fut venu, le voyage que Leurs Majestés firent à Compiègne fit changer de discours. Monsieur, qui se préparoit pour aller à l'armée, ne partit pas en même temps ; pour moi, qui suivois la reine, j'allai prendre congé de lui et je lui parlai dans cette occasion du comte de Montrésor,12 mon parent, qui avoit été mis prisonnier la veille pour des intrigues. Il se fâcha contre moi et me dit qu'il voyoit bien que c'étoit madame de Guise qui m'avoit obligée de lui rendre ce bon office ; qu'il ne feroit rien à sa considération, parce qu'il étoit tout à fait mécontent d'elle et de la conduite de ses enfants ; et comme je témoignai d'être surprise et me mis en devoir de la justifier, il ajouta que quand il m'auroit dit ce qui en étoit, il étoit assuré que je serois de son avis : ce qui me donna lieu de la presser de nouveau. Il me dit que Montrésor, dont je louois le mérite comme de l'homme du monde qui avoit le plus d'honneur, avoit fait à mademoiselle d'Épernon la plus indigne fourberie qui se pût imaginer, savoir que, pendant qu'il faisoit paroître plus de désir et d'empressement pour son mariage, et mademoiselle de Guise aussi, ils ménageoient tous deux celui de mademoiselle d'Angoulême en sa place, par l'ordre de madame de Guise, qui ne savoit rien de ce que faisoit sa fille de l'autre côté ; que, pour y mieux parvenir, Montrésor avoit été trouver M. le Prince, et lui que madame de Guise le supplioit d'avoir cette affaire pour agréable, et qu'en reconnoissance M. de Joyeuse s'attacheroit absolument à lui et à M. le Duc son fils ; que s'il vouloit aussi procurer le retour de M. de Mercœur à la cour, et faire consentir qu'il épousât mademoiselle de Guise, toute la maison de Vendôme seroit encore dans tous ses intérêts, et qu'il étoit en état de faire tout ce qui lui plairoit.

Ce discours me surprit tellement, que je ne pus m'empêcher de demander à Son Altesse Royale s'il étoit bien certain de toutes ces circonstances ; il me dit qu'elle étoient très-certaines et qu'il les savoit de M. le Prince même, qui étoit venu lui en rende compte et blâmer M. de Joyeuse, qui, pour avoir l'honneur d'être son beau-frère, a été chercher une autre protection que la sienne, et Montrésor aussi d'avoir cru que lui, M. le Prince, se voulût mêler de tous ces mariages-là ; qu'il ne pouvoit plus après cela douter de la mauvaise foi de Montrésor. Je demandai permission à Monsieur de le dire à mademoiselle d'Épernon : ce qu'il voulut bien et dont il fut très-aise.

Quoique la mauvaise conduite de mademoiselle de Guise en cette affaire me donnât du déplaisir pour l'amour d'elle, et parce qu'elle étoit cause que la chose du monde que j'aurois le plus souhaitée ne se feroit point, ce m'étoit une espèce de satisfaction de faire connoître à madame et à mademoiselle d'Épernon que les avis que je leur avois donnés là-dessus étoient véritables, et que l'amitié que j'avois pour elles m'avoit donné des lumières qui m'avoient fait voir plus clair que les autres dans le procédé de mademoiselle de Guise. Je les allai trouver sur-le-champ, et je m'acquittai dans cette occasion de tout ce que l'amitié me pouvoit prescrire : elles furent autant étonnées que la confiance qu'elles avoient eue en leurs entremetteurs les devoit rendre tranquilles.13

[1647.] Je partis le lendemain avec la cour pour aller à Chantilly,14 où M. le Prince et madame la Princesse traitèrent le plus magnifiquement qu'il étoit possible. De là on alla coucher à Liancourt, où le cardinal Mazarin et moi eûmes une longue conversation sur la prison de Montrésor. Il voulut railler avec moi sur ce qu'on lui avoit trouvé entre les mains une lettre de mademoiselle de Guise qu'il jeta dans le feu, et me faire accroire que ce que l'on avoit publié pouvoit recevoir un sens bien contraire à la haute pruderie dont elle se pique. Je lui dis et je lui fis voir que la conduite de mademoiselle de Guise étoit telle, que l'on ne pouvoit pas, sans injustice, la soupçonner de la moindre galanterie, quand même Montrésor auroit été fort jeune, fort beau et fort dangereux galant ; que cette lettre ne pouvoit et ne devoit lui nuire en aucune façon, parce que Montrésor étoit trop proche parent de la maison et homme de mérite ; que M. de Guise, qui avoit beaucoup de confiance en lui, lui auroit sans doute fait écrire de quelque affaire par mademoiselle de Guise, sa fille ; qu'il n'y avoit pas sujet de s'en étonner, parce que je savois que M. de Guise n'agissoit en rien sans avoir pris auparavant le conseil de Montrésor. Je dis outre cela tout ce qui se put pour le servir auprès de ce ministre, qui eut la méchanceté de me vouloir faire aller du blanc au noir, et me tendre le panneau ; il croyoit que l'amitié que j'avois pour madame d'Épernon m'y feroit donner.

Il me conta, pour m'animer, les mêmes circonstances que Monsieur m'avoit déjà dites ; et, quoiqu'il fût aisé de me mettre en colère pour dire sur cette occasion autant de mal de Montrésor que j'en avois autrefois dit de bien, je ne m'échappai point et le laissai toujours en doute du sentiment que j'en avois. Il me dit qu'il empêcheroit bien que M. de Joyeuse ne vint à bout de son dessein pour mademoiselle d'Angoulême ; que madame de Carignan,15 qui depuis quelque temps étoit revenue d'Espagne, la désiroit pour un de ses fils ; qu'il falloit l'y servir, et que cela étoit sortable, parce que la fille étoit folle, et qu'un muet lui seroit plus propre qu'un autre. Nous nous réjouîmes quelque temps tous deux de la plaisante imagination que nous donnoit ce couple informe. Je le priai de persister dans cette résolution, sans toutefois me trop soucier du succès de l'affaire. Je rendis à madame de Carignan tous les bons offices que je pus. La reine survint à notre conversation et en fut quelque temps, après lequel nous nous séparâmes tous fort contents les uns des autres.

De Liancourt l'on alla coucher à Compiègne, où, peu après que l'on fut arrivé, le duc d'Enghien vint prendre congé de Leurs Majestés pour aller commander l'armée en Champagne. Quelques jours après, Monsieur se rendit à la cour, où il fit peu de séjour. Il alla à Amiens, selon le désir de Leurs Majestés, qui étoient bien aises qu'il s'y rendit devant qu'elles y arrivassent. Ce fut alors que la cour étoit belle pendant que Son Altesse Royale y séjourna, parce que tout ce qu'il y avoit de jeunes gens de qualité à la cour s'y étoient rendus avec leurs équipages pour aller à l'armée. Le lendemain que la cour fut arrivée à Amiens,16 la reine reçut la nouvelle de la mort de l'impératrice, sa sœur,17 qui mourut d'apoplexie comme elle étoit grosse. L'abbé de La Rivière me dit qu'il falloit que j'épousasse l'empereur, et puis il se reprit, et me dit qu'il y avoit trop loin ; que l'archiduc Léopold, son frère, venoit en Flandre ; qu'il falloit l'en faire souverain ; que je l'épouserois. Je lui dis que j'aimois mieux l'empereur ; et, quoique nous en eussions parlé assez longtemps, ce discours n'eut point de suite.

Quand les apprêts de la guerre furent en état, Monsieur partit pour l'armée, et la cour pour Abbeville, qui alla à Dieppe, en la province de Normandie, où les corps de la noblesse et des compagnies souveraines vinrent rendre leurs respects au roi. Le premier président du parlement de Rouen,18 homme de mérite et de vertu, âgé de soixante ans, tomba en foiblesse vers la fin de sa harangue, dont les termes furent fort véritables. Il sentit quelques convulsions, et, pour terminer sa harangue, il dit au roi qu'il mouroit son très-humble et très-obéissant et très-fidèle serviteur et sujet. Il sortit aussitôt du cabinet de la reine, où il avoit fait sa harangue ; il tomba sur le degré, perdit la parole, et mourut une demi-heure après, fort regretté de ceux de sa connoissance.

[1646/47.] Comme les affaires n'étoient pas grandes en Normandie, de Dieppe la cour vint à Paris pour y attendre la prise de Courtray,19 qui résista fort longtemps, quoique l'armée de Monsieur fût très-considérable. M. le duc d'Enghien l'avoit joint avec ses troupes ; les Espagnols de leur côté étoient bien forts cette campagne-là ; le marquis de Caracène commandoit l'armée, et celle de M. le duc de Lorraine y étoit jointe, de sorte que les nôtres se virent presque assiégés lorsqu'ils assiégèrent Courtray : ce qui ne fut pas arrivé sans la négligence du cardinal Mazarin, qui, faute de prévoyance, laissa manquer de tout à ce siége ; et les généraux se virent dans une telle nécessité, que, lorsque la place se rendit, il n'y avoit plus ni poudre ni boulets. Jugez de la capacité et de l'intention d'un tel ministre, qui expose la réputation des armes de son maître et celle de deux personnes de cette qualité avec leurs vies. J'ai ouï dire à Monsieur, que dès lors il connut avec M. le duc d'Enghien que le cardinal Mazarin étoit un homme incapable des affaires qu'il manioit. Ils ont depuis conservé la bonne opinion qu'ils ont toujours fait paroître avoir de sa personne.

[1646.] Pendant que M. le duc d'Enghien s'exposoit à ce siége incessamment pour le service du roi, comme il l'avoit fait déjà beaucoup de fois avec assez de succès, le duc de Brézé, son beau-frère, mourut au siége d'Orbitello20 d'un coup de canon : il étoit amiral de France et gouverneur de Brouage. Toute la reconnaissance qu'on devoit aux signalés services de M. le duc d'Enghien ne fut pas assez considérable pour lui faire avoir aucune de ces deux charges ; la reine les prit toutes deux21 ; et, quoique ce refus donnât beaucoup de déplaisir à celui qui les avoit demandées, il en témoigna peu, et continua la campagne avec le même soin et la même vigueur qu'il l'avoit commencée.

Courtray pris, l'armée resta encore quelque temps en Flandre, et sur le point de combattre celle des ennemis dans la plaine de Bruges, où toutefois on ne fut que sur les apparences. Les Hollandois avoient marché jusque-là, et faisoient mine de vouloir se joindre à nous pour entreprendre quelques grands desseins ; et c'en auroit été un bien grand que de donner bataille, nos forces jointes aux leurs. Le tout se passa sans coup férir. Guillaume de Nassau, prince d'Orange,22 qui étoit lors leur capitaine général, plut à Monsieur et à M. le duc d'Enghien ; il étoit beau de visage et avoit été fort bien fait. Depuis quelques années sa taille s'étoit gâtée ; comme il avoit une casaque volante, lorsqu'il étoit dans la plaine de Bruges, ce défaut ne parut point. L'on dit qu'il avoit beaucoup de mérite et de cœur, dont il avoit donné des marques en plusieurs occasions, entre autres dans une révolte qui se fit quelque temps avant sa mort, qu'il apaisa par sa résolution et la vigoureuse manière dont il agit. Ce nom de Nassau est si heureux pour être brave et pour bien réussir dans la Flandre, qu'il ne sera pas difficile à ceux qui auront vu les histoires de ce pays de concevoir une grande idée de ceux qui le portent maintenant. Ce prince avoit épousé la fille du roi d'Angleterre23 : cette alliance parut fort avantageuse par sa grandeur ; et tous ceux qui se piquent d'être bons politiques crurent bien dès lors, quoique les troubles d'Angleterre ne fussent pas commencés, que ce seroit la perte de cette maison en partie, si elle ne l'étoit en tout. Pour l'ordinaire les républiques n'aiment pas que ceux qui ont leurs armées entres les mains fassent nuls pas qui témoignent aller à la souveraineté ; et c'est le moyen de les en démettre, dès qu'ils en ont le moindre soupçon. Toutefois, à l'égard de M. le prince d'Orange, les désordres d'Angleterre vinrent trop tôt après son mariage, pour pouvoir donner des soupçons contre lui.

Revenons à la plaine de Bruges. Pendant le temps que notre armée et la hollandoise y séjournèrent, il y eut quantité de soldats qui y moururent de chaud et de soif ; il fit une chaleur incroyable cette année-là ; la canicule n'a jamais été si rude. Les Hollandois s'en retournèrent en leur pays, où ils assiégèrent, si je ne me trompe, le Sas de Gand24 ; et nos troupes à leur retour assiégèrent Mardick25 pour une seconde fois, parce que, depuis que Monsieur l'avoit pris, les Espagnols l'avoient repris. Ce siége fut poussé chaudement ; aussi y eut-il quantité de gens de qualité tués en une sortie que firent les assiégés : La Roche-Guyon,26 premier gentilhomme de la chambre du roi, jeune, très-bien fait, et fils unique de M. de Liancourt ; le comte de Fleix,27 de la maison de Foix, gendre de madame la marquise de Senecey, dame d'honneur de la reine ; le chevalier de Fiesque28 ; Le Terrail, maréchal de camp ; le marquis de Thémines, mestre de camp du régiment de Navarre, et le baron de Grignan, capitaine au régiment de Navarre, et le baron de Grignan, capitaine au régiment des gardes, furent de ce nombre. M. le duc de Nemours fut blessé à la jambe. Toutes ces morts causèrent beaucoup de déplaisir et de chagrin à la cour, qui étoit à Fontainebleau. Madame de Senecey et madame la comtesse de Fiesque étoient les plus à plaindre dans ce malheur ; les enfants qu'elles perdoient été d'honnêtes gens, surtout le chevalier de Fiesque, qui étoit le plus sage et le plus dévot gentilhomme de la cour. je regrettai ces deux-là particulièrement, parce qu'ils étoient plus de mes amis que les autres : ils étoient tous gens de mérite et de qualité. M. le duc d'Enghien rapporta aussi des marques du péril où il avoit été exposé dans ce siége ; il avoit couru risque d'être tué d'une grenade qui creva si près de lui, comme il étoit dans la tranchée, qu'il en eut tout le visage brûlé.29 J'en appris la nouvelle avec assez de joie, et l'aversion que j'avois pour lui me fit même souhaiter qu'il en eût le visage défiguré. Il n'y parut cependant en aucune manière.

Comme le malheur des affaires d'Angleterre continua, le roi d'Angleterre envoya le prince de Galles, son fils, en France, pour qu'il y fût en sûreté. Il arriva à la cour, qui étoit à Fontainebleau. Leurs Majestés allèrent au-devant de lui jusque dans la forêt, où, quand on se fut joint, l'on mit pied à terre, et la reine d'Angleterre présenta son fils au roi, puis à la reine, qui le baisa : ensuite il nous salua, madame la Princesse et moi. Il n'avoit que seize ou dix-sept ans : il étoit assez grand pour son âge, la tête belle, les cheveux noirs, le teint brun, et passablement agréable de sa personne. Ce qui en étoit le plus incommode, c'est qu'il ne parloit ni n'entendoit en façon du monde le françois. L'on ne laissoit pas d'avoir soin de lui tenir bonne compagnie ; et durant les trois jours qu'il resta à Fontainebleau on lui donna le divertissement de la chasse, et tous les autres que l'on put dans ce temps-là ; il rendit ses visites à toutes les princesses. Je reconnus dès ce moment que la reine d'Angleterre eût bien voulu me persuader qu'il étoit amoureux de moi ; qu'il lui en parloit sans cesse ; que, sans qu'elle le retenoit, il seroit venu dans ma chambre à toute heure ; qu'il me trouvoit tout à fait à son gré, et qu'il étoit au désespoir de la mort de l'impératrice, parce qu'il étoit dans une extrême appréhension que l'on ne voulût me marier avec l'empereur. Je reçus ce qu'elle me disoit comme je le devois, et je n'y ajoutai pas toute la foi qu'elle eût peut-être voulu.

Quand ils furent partis de Fontainebleau, je m'en allai à Paris voir Madame, qui étoit grosse et dangereusement malade ; je la trouvai hors de péril. Sur la nouvelle de cette maladie, Monsieur partit de l'armée et arriva inopinément auprès de Madame deux jours après moi, dont je fus très-agréablement surprise. Je vis à Paris madame et mademoiselle d'Épernon, qui me dirent à peu près ce que la reine d'Angleterre m'avoit dit à Fontainebleau ; elles avoient fait habitude particulière avec elle, à cause qu'elles avoient été longtemps dans son pays lorsque M. d'Épernon s'y retira ; elles y avoient reçu tous les honneurs possibles de Leurs Majestés Britanniques, quoiqu'elles ne les eussent point vues ; de sorte qu'elles furent obligées d'en témoigner tout le ressentiment qu'elles devoient par leurs respects et leurs visites. M. d'Épernon avoit durant son exil assisté le roi d'Angleterre si à propos de son argent, qu'il lui prêta pour la guerre et qui n'est pas encore rendu, que la reine ne pouvoit pas moins faire que d'en conserver de la reconnoissance. Cela forma l'habitude entre elle et madame et mademoiselle d'Épernon : cette habitude y établit la confiance. Quoique je fusse bien instruite des sentiments de la reine, ma tante, je ne donnai pas plus de croyance à la seconde déclaration qu'elles me firent de ceux du prince de Galles, qu'à la première qui me fut faite par la reine, sa mère. Je ne sais pas, s'il eût faite lui-même, quel en eût été le succès ; je sais bien que je ne ferois pas grand compte de ce que l'on me diroit de la part d'un homme qui ne pourroit rien dire lui-même.

Monsieur ne fut qu'un jour à Paris, d'où il alla à Fontainebleau, où je m'étois rendue un jour auparavant. Leurs Majestés furent au-devant de lui et il en fut parfaitement bien reçu. Il est vrai que pour de belles paroles et de bons sentiments dans l'apparence, il n'a point manqué d'en recevoir durant la régence ; et comme l'on s'est contenté d'en demeurer là, il ne s'est pas aussi beaucoup empressé pour se faire donner des effets de leur bonne volonté. Il avoit laissé M. le duc d'Enghien à l'armée pour achever la campagne ; il employa glorieusement le temps qu'il y resta : il assiégea Furnes, qu'il prit en peu de jours ; il assiégea ensuite Dunkerque.30 Tant de prospérités31 et la cour paisible faisoient qu'on se réjouissoit fort à Fontainebleau : les violons et les comédiens y étoient, et l'on en avoit le divertissement presque tous les jours.

Il y vint dans ce temps-là un ambassadeur extraordinaire de Pologne, pour demander en mariage la princesse Marie,32 fille de M. le duc de Nevers, depuis duc de Mantoue, qui lui fut accordée très-promptement : ce qui le fit retourner de même, afin que l'on ne perdit point de temps à envoyer ceux qui devoient l'épouser.

La cour n'attendit pas que la campagne fût finie pour retourner à Paris. Lorsqu'elle y arriva, on eut la nouvelle de la prise de Dunkerque ; l'aversion que j'avois pour M. le duc d'Enghien m'empêcha d'en avoir de la joie ; et je fus fort aisé d'une indisposition qui me vint le jour du Te Deum que l'on fit chanter en actions de grâces, et qui m'empêcha d'y assister.33 Il vint, après cette action, passer l'hiver à Paris ; il étoit absolument guéri de la blessure qu'il avoit reçue au dernier siége de Mardick ; il ne lui en restoit qu'un peu de rougeur au visage, dont il avoit peu d'inquiétude, parce qu'il ne s'étoit jamais flatté de beauté ; en récompense, il a fort bonne mine, et tout à fait l'air d'un grand prince et d'un grand capitaine.

[1645.] Il est vrai que l'ambassadeur de Pologne étoit venu à Fontainebleau. Je me suis méprise au temps ; ce fut l'année devant cette fameuse campagne que la demande fut faite, et aussi le mariage de la princesse Marie. Je ne laisserai pas d'en parler ici, quoique j'aie déjà parlé de ce qui est arrivé depuis. Cet ambassadeur arriva à Fontainebleau au mois de Septembre 1645 ; il en partit avec une réponse favorable le 27. Vers la fin du mois d'octobre qui suivit, les ambassadeurs députés pour faire le mariage arrivèrent à Paris, où le bruit de leur grand équipage et de leur magnificence les avoit fait attendre de tout le monde avec curiosité. Après avoir passé tout le jour avec impatience de les voir, ils arrivèrent si tard que, joint à cela que l'on n'avoit pas eu la prévoyance de leur donner des flambeaux, l'on ne put discerner leur pompe ni l'ordre de leur marche ; de quoi les Polonois, de leur côté, étoient fâchés. Ils firent demander permission d'aller le lendemain à cheval à l'audience34 ; ce qui leur fut accordé. Ils furent mis dans la cour du Palais-Royal au même ordre qu'ils étoient entrés dans la ville. Il en a été fait trop de relations pour que je m'amuse au détail d'une description : tout ce que j'en dirai est que la manière de leurs habits, toute différente de la nôtre, nous fit regarder cette cérémonie comme une mascarade fort magnifique.

Après qu'ils eurent vu Leurs Majestés, ils rendirent leurs visites aux princesses du sang, et puis allèrent voir celle qui devoit être leur reine. L'affaire ne fut pas longtemps à se conclure, et les noces furent célébrées dans le Palais-Royal. La reine s'avisa de ne vouloir faire manger personne avec elle, outre la nouvelle reine de Pologne, au dîner qu'il s'y fit ce jour-là, que M. le duc d'Anjou, M. le duc d'Orléans et les ambassadeurs. Je ne m'y trouvai point, et même je n'y voulus point aller l'après-dînée. Ainsi je n'assistai point à cette cérémonie ; il m'auroit déplu d'ailleurs de n'avoir qu'un tabouret devant cette reine d'un jour que j'avois toujours vue au-dessous de moi, quoique ce fût une trop grande délicatesse, puisque la reine la plaçoit au-dessus d'elle. Cela me fit passer huit jours sans voir la reine ; le cardinal Mazarin me trouva au Luxembourg et me voulut persuader d'y aller : je m'en excusai.

Je ne pouvois assez m'étonner que madame la Princesse, glorieuse comme elle étoit, ne bougeât de chez la reine de Pologne, qui la traitoit de haut en bas. La princesse de Carignan ne l'alla point voir ; Madame n'y alla point non plus ; Monsieur lui rendit visite, où il ne fut pas traité civilement. Il voulut que, pour ôter à la reine sujet de se fâcher contre moi, je visitasse celle de Pologne au Palais-Royal, et m'assura que la reine ne me diroit rien. J'y fus, par l'ordre de Son Altesse Royale, un jour qu'il devoit y avoir comédie ; j'arrivai, qu'elle étoit pressée d'y aller. Je n'eus que le loisir de faire mes compliments, et puis je ne la revis plus, parce que la reine mena avec elle la reine de Pologne dans une tribune. Elle me dit de descendre dans la salle, où je ne trouvai pas à propos de me trouver seule avec toutes les dames, sans aucune princesse, en présence de tous ces étrangers ; je me retirai chez moi, au lieu d'aller à la comédie. La reine en fut mal contente, et Monsieur me gronda dès le même soir. Le cardinal Mazarin me raccommoda avec la reine, et l'abbé de La Rivière, qui se voulut faire de fête en cette occasion, me fit tant valoir le bon office du cardinal, qu'il me persuada que je l'en devois remercier, et me mena effectivement pour cela dans sa chambre : c'est la seule visite que je lui aie jamais rendue de mon chef, et encore la fis-je avec assez de regret.

Tout cela n'aidoit pas à me faire brûler d'amour pour la reine de Pologne, et ce fut pour moi une espèce de vengeance lorsqu'elle alla dire adieu à Monsieur, où elle reçut quelque embarras dans sa visite.35 Il arriva malheureusement qu'à l'heure qu'elle y alla Monsieur se faisoit faire la barbe, et ne jugea pas à propos de se pouvoir montrer avec bienséance dans cet état ; il fut obligé de la faire attendre ; et, parce qu'elle n'avoit pas vu Madame et qu'elle ne faisoit pas état de la voir, le temps lui dura plus qu'elle n'eût voulu ; ce que je fus bien aise d'apprendre, et encore plus lorsqu'elle s'en fut allée. Il y avoit assez de gens ennuyés de cette royauté.

Ce n'étoit pas cependant ce qui me tenoit le plus à cœur. J'avois trouvé mademoiselle d'Épernon au retour de Fontainebleau dans de si fortes pensées de dévotion, que l'appréhension de la perdre me tenoit l'esprit dans une inquiétude perpétuelle ; ce qui me déplut et surprit. Je l'avois toujours vue éloignée de l'austérité qu'elle prêchoit à toute heure : elle ne parloit plus que de la mort, du mépris du monde, du bonheur de la vie religieuse et de semblables propos qui témoignoient des sentiments, dont je craignois véritablement l'effet, quand je vis qu'elle étoit bien aise que M. d'Épernon, qui étoit gouverneur de Guienne, l'eût mandée avec sa belle-mère pour aller à Bordeaux, et qu'elle disoit qu'elle feroit là son salut bien mieux qu'à la cour ; qu'elle y auroit le loisir de prier Dieu et de se confirmer dans les bonnes inspirations qu'elle avoit ; que, sans cet éloignement, elles pourroient être ou détruites ou au moins altérées.

Nous continuâmes à nous entretenir de ces tristes discours jusqu'à la veille de son départ, qui fut le jour de Sainte-Thérèse,36 qu'elle me vint dire adieu. Elle me trouva au lit, où j'étois demeurée pour quelque indisposition ; elle se mit à genoux devant moi, et me dit que les bontés que j'avois eues pour elle, et la confiance réciproque qui avoit été entre elle et moi, l'obligeoient à me donner part de la résolution où elle étoit de se rendre carmélite,37 et qu'elle espéroit, de tous les soins qu'elle apporteroit, de s'y entretenir et d'exécuter sa résolution le plus promptement qu'elle pourroit. Il n'en falloit pas tant pour émouvoir la tendresse que j'avois pour elle : touchée de son dessein, je ne pus en avoir part sans pleurer ; j'employai alors toutes les raisons que je pus pour l'en détourner : je lui reprochai le peu de sentiment qu'elle avoit pour moi ; je lui dis que, quand il n'y auroit point de considération qui la regardât, celle de M. d'Épernon devoit être puissante pour la retenir, parce que sa malheureuse condition ne pouvoit être adoucie que par sa compagnie ; qu'il n'avoit de consolation que celle qu'elle lui donnoit, et qu'elle ne pouvoit peut-être rien faire de plus méritoire que de lui aider à supporter son infortune. Elle avoit déjà formé sa résolution trop fortement pour rien écouter qui la pût changer ; elle m'engagea à n'en parler à personne, et s'en alla ainsi cruellement à Bordeaux avec madame d'Épernon, et notre séparation nous coûta bien des larmes.

[1646.] Après la campagne du second siége de Mardick, Saujon, duquel j'ai déjà parlé, se rendit fort assidu à me faire la cour, et témoigna se vouloir attacher tout à fait à mes intérêts ; aussi eus-je beaucoup de considération pour les siens. Il perdit son père en ce temps-là, et il avoit deux sœurs ; je mis l'aînée fille d'honneur de Madame, qui la trouva fort à son gré : aussi étoit-ce une bonne fille, fort bonne fille, fort agréable, de jolie taille. En même temps que je l'établis là, je lui donnai beaucoup de marques de mon affection, qui alloit jusqu'à l'instruire de ce qu'elle devoit faire pour sa conduite, et que l'éducation de la province lui faisoit ignorer. La crainte que j'avois qu'elle ne se laissât aller à quelque galanterie m'y fit prendre les précautions que je pus ; ce fut inutilement : Monsieur devint amoureux d'elle. Soit l'inclination naturelle, soit la considération de la personne de Monsieur, elle eut trop de complaisance pour ses soins, et aucun égard pour ce que je lui en dis, quoique je l'eusse avertie de prendre garde que l'amitié des personnes comme Monsieur perdoit aisément la réputation d'une fille. Comme elle se contentoit de bien recevoir la peine que je prenois, je me contentai aussi depuis de la recommander particulièrement à mademoiselle de Fontaine, fille de la dame d'atour de Madame, fort honnête personne, pleine d'esprit et de vertu ; je témoignois en toute occasion que ce qui la regardoit me touchoit sensiblement. Lorsque je revins de Picardie, où j'avois suivi la cour, j'appris que mademoiselle de Saujon avoit reçu une lettre de Monsieur, lorsqu'il étoit à l'armée ; qu'elle avoit demandé à mademoiselle de Fontaine si elle y devoit faire réponse. Elle étoit demeurée mal satisfaite d'elle, à cause qu'elle lui avoit conseillé de ne pas le faire ; et depuis ce temps-là elle ne la vit plus et évita son entretien. Ce procédé me devint suspect et me fit juger qu'elle n'avoit pas suivi le conseil de mademoiselle de Fontaine ; elle ne laissa pas de vivre toujours avec beaucoup de soumission et de respect envers moi, d'un air cependant tout différent qu'elle n'avoit accoutumé.

J'avois toujours dans l'esprit par-dessus tout l'éloignement de madame et mademoiselle d'Épernon ; et pour ne pas perdre tout à fait la douceur de leur compagnie, je leur écrivois et recevois de leurs nouvelles régulièrement deux fois la semaine. Je leur mandois tout ce que je savois et tout ce que je faisois ; je n'avois pas un plus grand plaisir que de les entretenir, de même que si leur eusse parlé, et j'attendois le jour de l'ordinaire de Bordeaux38 avec des impatiences incroyables. Les soins mêmes du prince de Galles me faisoient plus penser à elles qu'aux sentiments qu'on vouloit qu'il eût : ce que je remarque, parce qu'elles en avoient été caution, et qu'il arriva que durant leur absence il témoigna de la sujétion pour moi ; nous nous voyions souvent, parce que c'étoit une saison où il y avoit souvent comédie au Palais-Royal. Le prince de Galles ne manquoit point de s'y trouver et de se mettre toujours auprès de moi ; quand j'allois voir la reine d'Angleterre, il me menoit toujours à son carrosse, et, quelque temps qu'il fit, il ne mettoit point son chapeau qu'il ne m'eût quittée ; sa civilité paroissoit pour moi jusque dans les moindres choses.

Un jour que je devois aller à une assemblée chez madame de Choisy,39 femme du chancelier de Monsieur, qui m'en donnoit tous les ans, la reine d'Angleterre, qui voulut me faire coiffer et me parer elle-même, vint le soir à mon logis exprès, et prit tous les soins imaginables de m'ajuster. Le prince de Galles cependant tenoit toujours le flambeau autour de moi pour éclairer, et eut ce jour-là une petite oie40 incarnate, blanche et noire, à cause que la parure des pierreries que j'avois étoit attachée avec des rubans de ces couleurs-là ; j'avois aussi une plume de même ; le tout étoit comme la reine d'Angleterre l'avoit ordonné. La reine, qui savoit de quelle main j'étois parée, me manda de l'aller voir avant que d'aller au bal : ce qu'elle ne manquoit jamais de faire toutes les fois que je devois aller à quelques assemblées, parce qu'elle vouloit voir si j'étois habillée à son gré.

Le prince de Galles arriva chez madame de Choisy, avant moi, et vint me donner la main à la descente de mon carrosse. Avant que d'entrer dans l'assemblée, je m'arrêtai dans une chambre pour me recoiffer au miroir, et toujours il tint le flambeau ; il me suivoit presque pas à pas ; et, ce qui est rare et que je laisse à croire à qui voudra, c'est qu'au dire du prince Robert, son cousin germain et mon proche parent, qui lui servoit d'interprète, il entendoit tout ce que je lui disois, quoiqu'il n'entendit pas le françois.

Quand, après l'assemblée finie, je me retirai, je fus tout étonnée que, lorsque j'arrivai au logis, il m'avoit suivie jusqu'à la porte ; et, lorsque je fus entrée, il passa son chemin. La galanterie fut poussée si ouvertement qu'elle fit grand bruit dans le monde : tout l'hiver elle dura de la même force ; elle parut encore fortement à une fête célèbre qu'il y eut au Palais-Royal sur la fin de l'hiver, où il y eut une magnifique comédie italienne à machines et en musique, avec un bal ensuite, pour lequel la reine me voulut parer. L'on fut trois jours entiers à accommoder ma parure : ma robe étoit toute chamarrée de diamants avec des houppes incarnat, blanc et noir ; j'avois sur moi toutes les pierreries de la couronne et de la reine d'Angleterre, qui en avoit encore en ce temps-là quelques-unes de reste. L'on ne peut rien voir de mieux ni de plus magnifiquement paré que je l'étois ce jour-là, et je manquai pas de trouver beaucoup de gens qui surent me dire assez à propos que ma belle taille, ma bonne mine, ma blancheur et l'éclat de mes cheveux blonds ne me paroient pas moins que toutes les richesses qui brilloient sur ma personne.

Tout contribua ce jour-là à me faire paroître, parce que l'on dansa sur un grand théâtre accommodé tout exprès pour ce sujet, orné et éclairé de flambeaux autant qu'il le pouvoit être ; il y avoit au milieu du fond de ce théâtre un trône élevé de trois marches, couvert d'un dais, et tout autour du théâtre des bancs pour les dames qui devoient danser, au pied desquelles étoient les danseurs ; et le reste de la salle étoit en amphi-théâtre qui nous avoit pour perspective. Le roi ni le prince de Galles ne se voulurent point mettre sur ce trône ; j'y demeurai seule ; de sorte que je vis à mes pieds ces ceux princes et ce qu'il y avoit de princesses de la cour. Je ne me sentis point gênée en cette place, et ceux qui m'avoient flattée, lorsque j'allai au bal, trouvèrent encore matière le lendemain de le faire. Tout le monde ne manqua pas de me dire que je n'avois jamais paru moins contrainte que sur ce trône ; et que, comme j'étois de race à l'occuper, lorsque je serois on possession d'un, où j'aurois à demeurer plus longtemps qu'au bal, j'y serois encore avec plus de liberté qu'en celui-là.

Pendant que j'y étois et que le prince étoit à mes pieds, mon cœur le regardoit du haut en bas aussi bien que mes yeux ; j'avois alors dans l'esprit d'épouser l'empereur ; à quoi il y avoit beaucoup d'apparence, si de la part de la cour on eût agi de bonne foi, parce que Mondevergue, qui avoit été envoyé pour faire à l'empereur, de la part de Leurs Majestés, leur compliments de condoléance sur la perte de sa femme, avoit rapporté que dans tout le pays et dans la cour de Vienne l'on souhaitoit fort que je fusse impératrice ; que même quelques ministres lui avoient dit que la reine avoit moyen de procurer à l'empereur toute la consolation qu'il pouvoit trouver. Ce qui me rendoit encore la chose plus présente à l'esprit, c'est que la reine, en m'habillant ce soir-là, et qu'elle y feroit tout son possible, persuadée que c'étoit un bonheur considérable pour sa maison. Ainsi la pensée de l'empire occupoit si fort mon esprit, que je ne regardois plus le prince de Galles que comme un objet de pitié.

M. le duc d'Enghien n'eut aucune part aux divertissements de cet hiver-là, parce que dès le commencement M. le Prince son père mourut,41 et ce même jour Madame accoucha d'une seconde fille,42 appelée aujourd'hui mademoiselle d'Alençon,43 de la naissance de laquelle j'eus encore plus de douleur que de la première. Leurs Majestés visitèrent M. le duc d'Enghien, qui a depuis été appelé M. le Prince, et M. le prince de Conti,44 sur leur perte ; et j'accompagnai la reine dans sa visite. Après les compliments reçus de la cour, M. le Prince alla passer les premiers mois de son deuil en son gouvernement de Bourgogne, d'où il alla en Catalogne commander l'armée.45

Je ne veux pas oublier de dire qu'à ce bal, dont je viens de parler, la reine d'Angleterre s'étoit aperçue que j'avois regardé son fils avec dédain : après en avoir découvert la cause, aussitôt que la vis, elle me le reprocha, et même elle disoit toujours depuis que j'avois l'empereur en tête ; dont je me défendis de tout mon pouvoir ; j'en eus si peu pour déguiser dans mon visage les sentiments de mon cœur, qu'il ne fut pas difficile de les connoître à me voir. Le cardinal Mazarin me parloit souvent de me faire épouser l'empereur ; et quoiqu'il ne fit rien pour cela, il m'assuroit fort qu'il y travailloit. L'abbé de la Rivière s'en faisoit aussi de fête pour faire sa cour auprès de moi, et m'assuroit qu'il ne négligeoit point d'en parler à Monsieur et au cardinal. Ce qui depuis m'a fait juger que tout cela n'étoit que pour m'amuser, c'est que Monsieur me dit un jour : « J'ai su que la proposition du mariage de l'empereur vous plaît ; si cela est, j'y contribuerai tout ce que je pourrai. Je suis persuadé que vous ne serez pas heureuse en ce pays-là : l'on y vit à l'espagnole ; l'empereur est plus vieux que moi ; c'est pourquoi je pense que ce n'est point un avantage pour vous, et que vous ne sauriez être heureuse qu'en Angleterre, si les affaires se remettent, ou en Savoie. » Je lui répondis que je souhaitois l'empereur, et que ce choix étoit pour moi-même ; que je le suppliois d'agréer ce que le désirois ; que j'en parlois ainsi avec bienséance ; que ce n'étoit pas un homme jeune et galant ; que l'on pouvoit voir par là, comme c'étoit la vérité, que je pensois plus à l'établissement qu'à la personne. Mes désirs néanmoins ne purent émouvoir pas un de ceux qui avoient autorité pour faire réussir l'affaire, et je n'eus de tout cela que le déplaisir d'en entendre parler plus longtemps.

 

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NOTES

1. Marguerite de Rohan, princesse de Léon, morte le 9 avril 1684. Elle était fille de Henri de Rohan, chef du parti protestant sous Louis XIII.

2. Louis de Bourbon, comte de Soissons, dont il a été question plus haut.

3. Bernard de Saxe-Weimar, un des plus célèbres lieutenants de Gustave-Adolphe ; né le 16 août 1600, il mourut le 18 juillet 1639.

4. Le prince Robert s'illustra dans les guerres civiles d'Angleterre, où il commanda les armées de son oncle Charles 1er. Il mourut en 1682.

5. L'électeur palatin, Frédéric V, avait été proclamé en 1619 roi de Bohême, puis proscrit et chassé de ses états.

6. Louis de Savoie, mort le 16 septembre 1641, était frère aîné de Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, qui épousa Élisabeth de Vendôme. Charles-Amédée de Savoie ayant été tué en duel par le duc de Beaufort, son beau-frère, en 1652, le troisième frère, Henri de Savoie, prit le titre de duc de Nemours et épousa, en 1657, mademoiselle de Longueville (Marie d'Orléans), dont on a parlé plus haut

7. Premier chapitre

8. Gilonne d'Harcourt avait été marié en premières noces à Louis de Brouilly, marquis de Pienne, qui fut tué au siége d'Arras, en 1640. Elle épousa en secondes noces Charles-Léon de Fiesque, dont la mère était gouvernante de Mademoiselle. Il sera souvent question de cette personne dans la suite des Mémoires de Mademoiselle.

9. Maximilien de Béthune, duc de Sully et marquis de Rosny. C'étoit le fils du célèbre ministre de Henri IV.

10. Ce mariage fut célébré en juin 1645.

11. Il y a quelque confusion dans la chronologie de cette partie des mémoires de Mademoiselle. Ces événements sont antérieurs à la bataille de Nordlingen, dont il a été question plus haut.

12. Claude de Bourdeille, comte de Montrésor. Il a laissé des Mémoires publiés dans les principales collections de Mémoires relatifs à l'histoire de France.

13. Mademoiselle passe très-rapidement sur les événements de 1646, et les confond souvent avec ceux de 1647. Il paraît, d'après une lettre écrite par un des agents de Mazarin pour lui être communiquée, que l'on soupçonnait Mademoiselle, ou du moins plusieurs des personnes qui l'entouraient, d'être hostiles au ministre. Cette lettre, en date du 28 mars 1646, est en partie chiffrée. Les passages chiffrés sont entre [ ] :

« Bien que peut-être monseigneur [Mazarin] sache les particularités de ce qui se trame à la cour, je suis trop obligé au service que je dois à Son Éminence pour manquer à vous avertir de ce que j'ai appris par un domestique du duc de Mercœur, lequel retournant de Chenonceaux à Vendôme m'est venu visiter, ayant su ma longue maladie : c'est, monsieur, que l'on se promet chez le même duc que bientôt l'on verra une grande [union] entre [les maisons] de [Luxembourg], de [Guise] et de [Nemours] avec [celles] de [Condé] et de [Longueville]. Divers esprits contribuent à ce dessein, et, entre autres, ce même domestique m'a nommé [la duchesse de Montbazon, la princesse de Marsillac, la comtesse de Fiesque la jeune] et quelques autres personnes qui sont proches de [Mademoiselle], lesquelles lui persuadent pour le faire croire à Monsieur [son père] que [ses avis dans les conseils] sont beaucoup moins [considérés] que [ceux de M. le Prince]. Quelques domestiques de [S. A.] sont [de cette cabale]. »

Mademoiselle ne parle pas non plus des actes de violence auxquels la passion de son père pour mademoiselle de Saint-Mégrin faillit le porter. « M. le duc d'Orléans, dit Olivier d'Ormesson, ayant pris quelque jalousie du marquis de Jarzay à cause de mademoiselle de Saint-Mégrin, le voyant entrer dans Luxembourg, commanda au comte de Saint-Aignan de le faire jeter par les fenêtres. Saint-Aignan, ayant prié Monsieur de lui commander de se battre contre lui, mais non pas de le traiter ainsi, Monsieur le commanda à quelqu'un de ses gardes. M. l'abbé de la Rivière courut au-devant et arrêta les gardes, fit retirer promptement Jarzay, lequel depuis s'est retiré de la cour pour donner le temps à son accommodement. Cette action a été très-mal reçue, comme n'étant pas même permis au roi de maltraiter un gentilhomme de la sorte. » Il sera question dans la suite de ce Jarzay ou Jarzé (René du Plessis de la Roche Picmer ou Pichemer).

14. La cour partit de Paris le 9 mai 1647.

15. Marie de Bourbon, fille de Charles, comte de Soissons, avait épousé le prince Thomas de Savoie. Leur fils aîné, dont il s'agit ici, est le muet célèbre dont Saint-Simon parle dans ses Mémoires et dans ses notes sur le Journal de Dangeau (8 juin 1692).

16. La cour arriva à Amiens le 28 mai 1647.

17. Marie-Anne, fille de Philippe III, roi d'Espagne, et femme de l'empereur Ferdinand III.

18. Ce fut au commencement du mois d'août 1647 qu'arriva cet événement. On lit dans le Journal d'Olivier d'Ormesson, à la date du 10 août 1647 : « Je fus au Palais-Cardinal, où je vis le roi en bonne santé. On me dit la mort du premier président de Rouen [Faucon de Ris], lequel ayant dîné chez M. de Montigny, gouverneur de Dieppe, remarqua qu'ils étoient treize à table. L'on fit venir un fils de M. de Montigny. Le premier président témoigna n'avoir jamais eu plus de santé. Ensuite il fut faire sa harangue, qui fut mauvaise, et se retirant sur le bas de la montée il tomba mort, sans dire autre chose [que] :« Mon Dieu, que je me trouve mal ! » Il fut porté dans la chambre de M. de Guitaut, où la reine le fut voir. On lui donna force coups de lancette ; mail il étoit mort. »

19. Cette ville avoit été prise le 8 juin 1646. Mademoiselle a donc eu tort de placer cet événement après le voyage de la cour à Dieppe, qui eut lieu l'année suivante. Ces erreurs sont si graves, qu'on se demande si les éditeurs n'en sont pas coupables. Malheureusement nous n'avons pas le manuscrit autographe pour cette partie des Mémoires.

20. Le duc de Brézé fut tué le 14 juin 1646.

21. « Le lundi 16 juillet 1646 furent registrées au parlement les lettres de l'amirauté pour la reine. » - « Le 30 juillet, on me dit que la cour étoit bien brouillée : M. le cardinal étoit fort en peine de la bonne intelligence qui étoit entre M. le duc d'Orléans et le duc d'Anguien [Enghien] ; que l'amirauté sera sans doute le flambeau de division, parce que M. le duc d'Anguien demande toujours la lieutenance sous la reine. » (Journ. d'Olivier d'Ormesson).

22. Guillaume de Nassau ne succéda à son père Frédéric-Henri dans la principauté d'Orange que le 14 mai 1647. Il mourut le 6 novembre 1650.

23. Guillaume de Nassau avoit épousé Marie, fille de Charles 1er, roi d'Angleterre.

24. Ville forte située au nord de Gand.

25. Le fort de Mardick se rendit le 25 août 1646.

26. Henri-Roger du Plessis-Liancourt, comte de La Roche-Guyon.

27. Jean-Baptiste Gaston de Foix, comte de Fleix.

28. Jean-Louis de Fiesque.

29. Bussy-Rabutin, qui n'aimoit pas le duc d'Enghien, lui rend le même témoignage dans ses Mémoires : « Je ne songe point, dit il en parlant de ce siége de Mardick, à l'état où je trouvai ce prince, qu'il ne me semble voir un de ces tableaux où le peintre a fait un effort d'imagination pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat. Il avoit le poignet de la chemise ensanglanté de la main dont il tenoit l'épée. Je lui demandai s'il n'étoit point blessé. - Non, me dit-il, c'est du sang de ces coquins. » (Voy. Mémoires de Bussy Rabutin ; Paris, 1857, édit. Charpentier, t. 1er, p. 127.)

30. La ville de Furnes se rendit le 7 septembre 1646. Dunkerque fut investi le 19 septembre et se rendit le 11 octobre 1646. La prise de cette ville fut un événement de haute importance, et Sarrazin écrivit à cette occasion son Histoire du siége de Dunkerque, et une ode assez remarquable.

31. Olivier d'Ormesson a résumé dans son Journal les succès de cette campagne, une des plus brillantes de la France : « La postérité lira avec admiration les grandes actions que nous voyons de nos jours : que les armes d'un roi de neuf ans se fassent craindre partout, et que, depuis trois ans, nous ayons battu partout nos ennemis sans que la division soit encore parmi les princes. Car, en cette campagne, le maréchal de Turenne a poussé les ennemis, qui ne l'ont osé attendre. En Flandre, après avoir pris Courtray en présence d'une armée aussi forte que la nôtre, au milieu de leurs pays, forcer Mardick avec deux mille cinq cents hommes dedans, fermer (bloquer) Dunkerque et la prendre, sans qu'ils aient tenté aucun secours ; en Catalogne, assiéger Lérida au milieu des États d'Espagne, et ne paroître pas de secours ; en Italie, retourner une seconde fois plus forts que la première et y prendre pied, ce sont choses qui seront admirées à l'avenir, et le duc d'Anguien surpasse maintenant les plus grands héros, ayant fait quatre campagnes admirables, terminées par la prise de Dunkerque, non pas seulement par bonheur, mais par valeur et conduite, donnant lui seul tous les ordres, les exécutant et ayant été deux fois blessé dans cette campagne et plusieurs des siens tués autour de lui, vigilant, libéral, caressant. »

32. Il y a encore des erreurs chronologiques dans cette partie des Mémoires de Mademoiselle, comme elle le reconnaît elle-même plus loin. Le mariage de Louise-Marie de Gonzague-Nevers avec Wladislas VII, roi de Pologne, avoit été célébré le 5 novembre 1645. Une lettre de cette époque donne sur la cérémonie les détails suivants : « Dimanche, 5 novembre [1645], le mariage se fit dans le Palais-Royal entre le roi de Pologne, représenté par le palatin de Posnanie, et la princesse Marie en personne. La cérémonie se fit par l'évêque de Varsovie, l'un des ambassadeurs. Il y eut ensuite un festin fort magnifique, où étoient le roi et les deux reines, Monsieur, frère du roi, M. le duc d'Orléans et les deux ambassadeurs. »

33. Ce Te Deum fut chanté le 16 octobre 1646.

34. « Le dimanche 5 novembre [1645], nous suivîmes M. le chancelier, qui alloit dans la rue Saint-Honoré, pour voir passer les Polonois qui alloient au Palais-Royal pour le mariage. Les Polonois passèrent à cheval, fort magnifiques, avec les mêmes habits d'entrée. J'y eus plus de plaisir en les voyant en plein midi. Le chambellan de Guise accompagnoit le palatin de Posnanie à cheval, l'évêque de Warmie étant passé devant en carrosse pour se préparer à la cérémonie, en ayant eu permission du grand aumônier. » (Journ. d'Olivier d'Ormesson.)

35. Olivier d'Ormesson parle aussi de ces querelles d'étiquette. Racontant le départ de la reine de Pologne, il ajoute : « Il n'y eut pas un seul carrosse de Monsieur ni des Guisards, parce que Madame et Mademoiselle, quoique la reine ait donné le dessus partout à la reine de Pologne, ont voulu avoir une chaire chez elle ; et, à cause de ce, elles ne l'ont point saluée chez elle ; aussi elle ne les a point vues ; et, allant prendre congé de Monsieur, il la fit attendre une demi-heure à cause qu'elle ne voyoit point Madame. La maison de Guise a suivi le même parti. Il n'y a que la maison de M. le Prince qui l'ait visitée et lui ait rendu tout l'honneur. »

36. 15 octobre.

37. Mademoiselle d'Épernon fit profession aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques et y prit le nom de sœur Anne-Marie de Jésus. Elle y mourut en 1701.

38. C'est-a-dire le courrier ordinaire chargé de porter les lettres de Bordeaux à Paris.

39. Jeanne-Olympe Hurault de l'Hôpital, mariée en 1628 à Jean de Choisy, maître des requêtes, et chancelier du duc d'Orléans.

40. On donnait le nom de petite oie aux rubans, bas, chapeau, nœud de l'épée, gants et autres ajustements jugés nécessaires à cette époque pour rendre un habillement complet. Dans les Précieuses ridicules, le marquis de Mascarille dit aux Précieuses (sc. X) : « Que vous semble de ma petite oie? La trouvez-vous congruent à l'habit ? »

41. Henri de Bourbon, prince de Condé, mourut le 26 décembre 1646. Le lendemain Olivier d'Ormesson écrivait dans son journal : « L'après-dînée, je fus avec mon père à l'hôtel de Condé, où nous lui jetâmes de l'eau bénite. Il étoit dans la chambre et dans le lit où il étoit mort, et dans le même linge et bonnet de laine rouge. Il étoit fort changé, ayant le visage bouffi et de travers. Il avoit autour de lui des religieux qui prioient. Je le vis avec étonnement, me souvenant de l'avoir vu quinze jours auparavant dans le conseil. De là, au sermon du P. Castillon, qui le recommanda aux prières. »

Un contemporain anonyme, que nous avons déjà cité plus haut, a tracé un portrait flatté de Henri de Condé : « C'étoit, dit-il, un prince d'un esprit vif et pénétrant. Il fut élevé par les huguenots ; mais Henri le Grand étant parvenu à la couronne, le tira aussitôt des mains de sa mère et le fit venir à la cour, où d'abord on l'instruisit dans la foi catholique, dont il a toujours été depuis le protecteur. A l'âge de dix-sept ans, il épousa Henriette, fille du connétable de Montmorency et passa quelque temps avec elle dans une assez heureuse tranquillité, jusqu'à ce que la passion violente du roi pour cette belle princesse l'obligea de sortir du royaume et de chercher sa sûreté parmi les étrangers. Durant la régence de Marie de Médicis, la fortune lui fut presque toujours contraire, et enfin il fut confiné en prison. Le règne de Louis le Juste lui fut plus favorable, et le monarque en prenant l'administration des affaires lui rendit la liberté et lui donna part à ses conseils. Pendant la minorité de Louis XIV, il soutint le poids du gouvernement avec autant de prudence que de fermeté. Enfin il mourut à l'âge de cinquante-neuf ans. Il laissoit à ses proches et à ses amis un puissant protecteur, et à la France un prince dont les bonnes intentions et les sages conseils ne se peuvent assez louer. Cependant, comme il n'y a rien d'accompli sur la terre, il ne faut pas nier que tant de grandes qualités ont été mélangées de quelques imperfections : on l'a accusé d'avarice, de foiblesse et surtout de n'avoir pas poussé les avantages qui étoient dus à sa naissance et à son rang. » Voir aussi cette page sur "la famille Condé" (ou la page principale).

42. Élisabeth d'Orléans, née le 26 décembre 1646, mariée le 15 mai 1667 à Louis-Joseph de Lorraine, duc de Guise, morte le 17 mars, 1696.

43. Élisabeth d'Orléans porta le titre de "mademoiselle d'Alençon" jusqu'à son mariage.

44. Armand de Bourbon, prince de Conti, mort en 1666.

45. Ce fut seulement en 1647 que Louis de Bourbon, prince de Condé (« le grand Condé »), alla prendre le commandement de l'armée de Catalogne.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. I, Chap. IV : p. 110-143.


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