[1647.] Après Pâques il y eut une assemblée au Palais-Royal à cause de la femme d'un ambassadeur de Danemark. Le prince de Galles mena au bal mademoiselle de Guise à ma prière, au lieu de mademoiselle de Longueville, qui le prétendoit. Le commandeur de Jars,1 qui est serviteur de la reine d'Angleterre, engageoit, autant qu'il le pouvoit, le prince de Galles à faire le galant de mademoiselle de Guerchy2 ; il souhaitoit fort qu'il dit qu'elle étoit plus belle que madame de Châtillon.3 Il n'eut pas cette complaisance pour le goût du commandeur de Jars. Ce prince avoit oublié dans ce bal-là de me rendre une courante, comme c'est la coutume ; je dis au prince Robert d'un ton, qui lui fit juger que je le trouvois mauvais, que c'étoit bien là le trait d'un habile homme ; et tout aussitôt il m'en fit toutes les excuses imaginables.
Peu de temps après la cour partit pour Compiègne,4 et de là elle alla à Amiens ; et le désir d'être impératrice, qui me suivoit partout, et dont l'effet me paroissoit toujours proche, me faisoit penser qu'il étoit bon que je prisse par avance les habitudes, qui pouvoient être conformes à l'humeur de l'empereur. J'avois ouï dire qu'il étoit dévot, et, à son exemple, je la devins si bien, après en avoir feint l'apparence quelque temps, que j'eus pendant huit jours le désir de me faire religieuse aux Carmélites, dont je ne fis confidence à personne. J'étois si occupée de ce désir, que je ne mangeois ni dormois, et j'en eus une inquiétude si grande que, jointe à celle que j'ai naturellement, l'on appréhenda fort que je ne tombasse dangereusement malade. toutes les fois que la reine alloit dans les couvents, ce qui arrivoit souvent, je demeurois seule dans l'église ; et, occupée de toutes les personnes qui m'aimoient et qui regretteroient ma retraite, je me mettois à pleurer ; ce qui paroissoit en cela un effet du détachement de moi-même en étoit un de la tendresse que j'ai. Seulement je puis dire que pendant ces huit jours-là l'empire ne m'étoit rien. Je n'étois pas sans avoir quelque vanité de quitter le monde dans une pareille conjoncture, qui feroit dire que ce n'étoit que la connoissance parfaite que j'en avois qui me faisoit l'abandonner malgré l'espérance d'un établissement si considérable et dont j'étois satisfaite ; l'on ne pouvoit pas m'accuser d'avoir pris cette résolution par aucun dépit.
Confirmée de jour à autre dans ce dessein, je me déterminai d'en parler à Monsieur ; j'allai chez lui, et, comme il étoit au jeu, je ne fis qu'une visite et remis la communication de mon dessein à une autre jour. Le lendemain il vint chez moi, et j'étois à la messe. Après avoir manqué plusieurs fois l'occasion de l'entretenir, il vint enfin un soir chez moi ; où je le priai de m'entendre sur une affaire dont j'avois à lui rendre compte ; il me tira aussitôt à part, et, sur l'ouverture que je lui fis du bon mouvement qui m'étoit venu, je lui demandai la permission d'examiner cette pensée et de l'exécuter, si elle continuoit avec les sentiments qui l'avoient fait naître. Il me dit que cela venoit de ce que l'on ne travailloit pas assez à mon gré à me marier avec l'empereur ; je lui répondis que cela ne pouvoit pas être, puis que je ne m'en souciois plus, que j'aimois mieux servir Dieu que d'avoir toutes les couronnes du monde, à quoi j'ajoutai mille discours de cette sorte, desquels enfin il se mit en colère, et s'en prit aux personnes qui me voyoient le plus, et me dit : « c'est madame de Brienne5 et ces bigots qui vous mettent cela en tête, vous ne leur parlerez plus, et je prierai la reine de ne vous plus mener avec elle dans les couvents. » Lorsque je le vis prendre ma déclaration de cette sorte, la crainte que j'eus qu'il n'en fît du bruit me détermina à le supplier de n'en plus parler, et je l'assurai que je ne ferois que ce qu'il me commanderoit ; aussi n'a-t-on jamais mieux obéi que je fis en cette occasion-là. A trois jours de là je ne pensai plus à ce que j'avois dit à Son Altesse royale. Madame de Fouquerolles, qui l'avoit découvert, servit à m'en détourner ; et Mondevergue, qui me parloit incessamment de ce mariage et qui s'étoit aperçu de ma dévotion, disait quelquefois : « Je suis le diable qui vous tente. » A la fin l'on eut à la cour quelque soupçon de l'intention que j'avois eue de me retirer du monde ; et, sur ce que j'appris qu'on en avoit raillé, je raillai aussi, et me défendis d'y avoir seulement pensé.
Pendant que le temps de la campagne se passoit, notre armée n'étoit occupée qu'à regarder l'archiduc reprendre une partie des places de Flandre, que Monsieur y avoit prises les années précédentes avec les armées du roi. Cette oisiveté qui entretenoit l'humeur mélancolique de Saujon, qui y étoit, et qui y faisoit sa charge de capitaine aux gardes, lui donna lieu de s'entretenir l'esprit d'une vision ; qu'il n'eut pas plutôt conçue qu'il la fit paroître, et dont je ne dois pas omettre le récit, puisque ç'a été le fondement d'une affaire qui a fait assez parler à la cour et dans le monde. Vilermont, gentilhomme de mérite, capitaine aux gardes, fut fait prisonnier durant cette campagne-là à une sortie où il se trouva, pendant que le duc d'Amalfi, Picolomini,6 assiégeoit Armentières. Ce général lui permit de s'en revenir sur sa parole ; avant que de partir il lui donna à dîner, et, comme c'est une chose ordinaire d'entretenir les étrangers en termes civils et avantageux de leur pays, le duc d'Amalfi, qui est estimé un des plus honnêtes et des plus galants hommes de notre siècle, parloit de la cour de France et parla de moi en des termes avantageux, et voulut fair connoître que j'étois dans son pays en la même estime et affection avec laquelle il venoit de s'exprimer. Pour finir cet éloge il dit : « Nous serions trop heureux d'avoir en ce pays une princesse faite comme celle-là. »
Vilermont, qui étoit obligé pour venir à la cour de passer par l'armée, s'entretint avec Saujon, qui étoit son ami, de sa prison, des civilités qu'on lui avoit faites, et des nouvelles du pays d'où il venoit. Il lui conta ingénument et sans dessein les propos qui avoient été tenus à la table du duc d'Amalfi. Saujon s'imagina qu'on ne devoit pas les négliger par le grand profit qu'il se figuroit qu'on en pouvoit tirer, aussi fit-il incontinent connoître par le fondement qu'il en fit, la mince portée de son jugement. Comme il faisoit son compte sur ce discours en l'air, il m'écrivit par Vilermont, que je ne connoissois que de vue, et qui n'étoit jamais venu chez moi, afin de nous obliger d'entrer en conversation l'un avec l'autre ; il me manda que Vilermont avoit souhaité de me faire la révérence ; que c'étoit un homme d'honneur et de mérite ; que la belle action qu'il avoit faite pendant cette campagne-là le prouvoit bien, qu'il s'étoit jeté dans Armentières où étoit sa compagnie ; qu'il passa pour cela déguisé au travers de l'armée des ennemis, et que, si je voulois l'écouter, il me diroit beaucoup de choses particulières que je serois bien aise de savoir. Après avoir lu cette lettre, je fis la meilleure chère que je pus à Vilermont, et je m'enquis de lui de ce qu'il pouvoit m'apprendre du pays d'où il venoit ; après m'en avoir dit beaucoup de bien, il me rendit compte des sentiments qu'avoit témoignés à mon sujet le duc d'Amalfi, et des souhaits qu'il avoit faits, et ajouta de plus à ce que je viens de dire, que ce duc lui avoit demandé si l'on me marieroit au prince de Galles, à quoi il avoit répondu que non. Quoique ce discours ne méritât pas la moindre réflexion, néanmoins les termes mystérieux de la lettre de Saujon, conférés avec ce que j'avois déjà reconnu de son esprit songe-creux et visionnaire, je jugeai que c'étoient-là les importantes affaires qu'il avoit à me dire, et qu'il vouloit me faire comprendre par sa dépêche.
Pendant que l'on perdoit en Flandre, on ne gagnoit pas ne Catalogne : la Moussaye7 arriva à Amiens envoyé par M. le Prince pour apporter la nouvelle de la levée du siége de Lérida.8 Ceux qui étoient bien aises d'empêcher que M. le Prince ne tirât de cette action l'honneur qui lui étoit dû, comme s'il n'y en avoit pas à acquérir dans les disgrâces aussi bien que dans les prospérités de la guerre, voulurent que ce fût un malheur capable de le décrier et de rabattre un peu de sa fierté. Le cardinal Mazarin, qui étoit le plus flatté de cette fausse opinion, y trouvoit pour son intérêt particulier plus de joie que personne ; depuis le refus qu'on avoit fait à ce Prince de la dépouille de son beau-frère,9 dont le cardinal avoit profité sous main, ce ministre redoutoit toujours le ressentiment qu'il voyoit bien que le prince en pouvoit conserver ; de sorte qu'il vouloit se servir de cette occasion pour affoiblir le crédit de son ennemi dans le public, comme il faisoit toujours bien aisément dans le cabinet. Il alloit au-devant de tout ce qui pouvoit être imputé à la justification de M. le Prince, parce qu'il savoit bien qu'il ne s'étoit vu dans la nécessité d'abandonner ce siége, que parce qu'on l'avoit laissé dans la nécessité de tout ce qu'il falloit pour l'entreprendre et pour l'achever.
Tous ces artifices ne purent prévaloir contre la vérité, qui fut bientôt connue de tout le monde, qui trouvoit que c'étoit une sagesse au-dessus de l'âge de M. le Prince d'avoir su si bien prévoir le péril où on l'avoit engagé d'exposer l'armée du roi, de l'avoir conservée par une retraite, qui en lui faisant manquer la conquête de Lérida, lui faisoit remporter une victoire sur son humeur et sur son inclination, qui lui coûtoit plus que toutes les fatigues de ses campagnes passées. Il avoit à la vérité si chèrement acquis la réputation d'une incomparable valeur, qu'il eût fallu pour la rendre seulement douteuse dans le monde, qu'il eût levé autant de siéges qu'il avoit pris de places, et qu'il eût perdu autant de batailles qu'il en avoit gagné. Aussi ce que ses ennemis voulurent en cela tourner contre sa gloire n'a servi qu'à la relever davantage, et à faire dire qu'il étoit bienheureux, parce qu'il ne manquoit à toutes les preuves qu'il avoit données de son courage, qu'une occasion d'en donner de sa prudence pour être estimé le plus grand capitaine de son siècle, et qu'il n'avoit pas perdu le temps de la faire paroître. J'étois pourtant de ceux qui appeloient cela disgrâce. Quoique j'eusse alors de l'aversion pour sa personne et pour sa maison, la dévotion, où j'étois dans ce voyage-là, fit que néanmoins je n'en eus pas de joie, et jusque-là que je ne pus prendre plaisir à le voir insulter et ne voulus pas apprendre les chansons que l'on en fit, et je ne les ai sues que longtemps après. 10
Depuis la nouvelle de la levée du siége de Lérida, l'on ne fit pas grand séjour à Amiens, d'où la cour revint à Paris. Quoique le dessein d'être religieuse m'eût quitté, la dévotion, qui s'étoit séparée de cette envie, m'étoit demeurée, et je me l'étois rendue si sévère que je n'allois point au Cours, je ne mettois point de mouches ni de poudre sur mes cheveux11 ; la négligence que j'avois pour ma coiffure les rendoit si malpropres et si longs que j'en étois toute déguisée ; j'avois trois mouchoirs de cou, qui m'étouffoient en été, et pas un ruban de couleur, comme si j'eusse voulu avoir l'air d'une personne de quarante ans, et je pense même que l'on m'auroit fait plaisir de me le dire, quoique je fusse très-éloignée d'en avoir l'âge. Je n'avois de satisfaction qu'à lire la vie de sainte Thérèse, et de parler ou d'entendre parler d'Allemagne ; il y avoit une telle réforme dans ma manière de vivre et de m'habiller, que vous ne vous étonnerez pas que cela n'ait pas continué. Ce qui m'abandonna le dernier fut ma pensée pour l'Allemagne. Monsieur en écrivit à M. le duc François de Lorraine, qui étoit à Vienne, qui voulut bien s'en entremettre ; toute sorte de médiation m'étoit bonne, sans examiner quelle elle pouvoit être. La qualité de celui-ci ne me faisoit point douter de sa capacité ni de son crédit ; ainsi j'en attendois beaucoup.
Ce fut l'abbé de la Rivière qui m'en parla le premier, et qui fut ravi de m'amuser de ce qui pouvoit me plaire pour être bien auprès de moi, parce que je ne l'aimois pas naturellement. Ce qui lui faisoit le plus de peine, c'est que je disois librement à Monsieur tout ce que j'apprenois qu'on disoit dans le monde de son ministère, où je n'apprenois rien à son avantage, parce qu'il étoit souvent soupçonné de trahir son maître, et que personne que moi n'osoit le faire remarquer à Son Altesse royale. Cet incident me mit dans une grande amitié avec Madame, que je négligeois assez auparavant ; et, contre ce que j'avois accoutumé, je lui rendois de grands soins et de fréquentes visites sans m'ennuyer avec elle. Je savois que l'amour de Monsieur pour mademoiselle de Saujon ne lui plaisoit pas ; j'en avertis la demoiselle et la grondai de ce qu'elle ne faisoit pas là-dessus ce qu'elle devoit. Ce furent des réprimands inutiles, parce qu'elle avoit pris là-dessus un si mauvais pli, que la manière suffisante dont elle recevoit ce que je lui disois m'en rebuta, de sorte que je m'abstins de lui parler à mon ordinaire, et je ne lui parlai presque plus, en quoi je ne fis pas plaisir à Monsieur, qui devint aussi mal satisfait de moi que Madame en étoit contente. A ce propos je dirai ici ce que j'ai remarqué, et qui m'a été confirmé par Monsieur même, qui est que l'on ne sauroit être parfaitement bien avec lui et avec Madame ensemble, quoiqu'il lui témoigne et qu'il ait effectivement beaucoup d'amitié pour elle, et qu'il vive dans sa maison avec la même facilité d'humeur et de complaisance qu'un bon bourgeois vit dans sa famille.
Saujon qui ne voyoit point de réponse à sa lettre, et à qui il ennuyoit de ne pas savoir de quelle manière je m'étois laissée prendre à l'appât de l'entretien du duc d'Amalfi, eut impatience d'en venir apprendre lui-même des nouvelles. Il fit un voyage à Paris pour quelques affaires de l'armée par l'ordre des généraux, dont je crois qu'il les sollicita, afin d'avoir un prétexte de venir. Il ne concevoit pas que l'on pût, sans manquer de bon sens, perdre un moment de temps à profiter de ce que Vilermont lui avoit rapporté. La dévotion où il me trouva, les sermons que je lui fis sur le bon état où se doivent mettre les gens de guerre qui sont plus souvent exposés que les autres au péril de la mort, l'étonnèrent tellement qu'il ne me parla de rien ; ce qui lui en ôta encore le moyen fut que je ne lui nommai pas seulement le nom de Vilermont.
La cour fit vers l'automne un voyage à Fontainebleau où je recommençai à prendre goût pour les divertissements, de sorte que j'étois avec plaisir aux promenades, aux divertissements et aux comédies. Cela ne servit qu'à modérer l'excès de l'austérité où je m'étois réduite ; il resta toujours dans mon cur les sentiments de la dévotion qui m'avoient pensé conduire jusques aux Carmélites. Monsieur, frère du roi, ne fut point du voyage, parce qu'il n'étoit point encore guéri de la rougeole qu'il avoit eue dans l'été, à laquelle succéda une fort grande dyssenterie qui le mit en danger.12 Incontinent que la nouvelle en fut apportée à Leurs Majestés, la reine s'en alla en toute diligence à Paris. Le roi et M. le cardinal Mazarin demeurèrent à Fontainebleau. Il n'y eut que moi qui accompagnai la reine. L'on ne fut pas longtemps dans l'appréhension d'un mauvais événement de la maladie de M. le duc d'Anjou ; nous ne fûmes obligées que d'être deux jours à Paris pour y voir l'amendement, après lequel la reine reprit le chemin de Fontainebleau avec la même diligence qu'elle en étoit partie.
Madame y vint ensuite où notre amitié et mes rigueurs pour mademoiselle de Saujon continuèrent comme auparavant ; aussi Monsieur n'en étoit-il pas plus content là qu'à Paris. L'abbé de La Rivière qui s'en apercevoit, me disoit quelquefois que, si je voulois, je serois admirablement bien avec Monsieur, parce que je ne lui déplaisois qu'en certaines choses de peu de conséquence, auxquelles je pouvois et je devois prendre garde. Je lui demandai ce que c'étoit, il me répondit que je n'avois qu'à les bien étudier, et que, quand je les connoîtrois, j'eusse à m'en corriger. Entre les divertissements que l'on eut à Fontainebleau, il y eut un bal pour l'amour du prince de Galles, qui y vint faire un tour. L'affaire d'Allemagne, qui pour lors étoit publique, et pour laquelle l'on croyoit que la cour agissoit de bonne foi, refroidit un peu les empressements du prince de Galles, et l'on dit qu'il faisoit l'amant désespéré. Je n'étois pas tendre là-dessus. Il ne fut que trois jours à son voyage, et la cour revint à Paris, où l'hiver se passa à l'ordinaire en bals et en comédies, et le seul M. de Guise fut la matière de l'entretien de toute la cour, par le voyage qu'il fit alors à Rome, pour solliciter la dissolution de son mariage avec la comtesse de Bossu, afin de pouvoir épouser mademoiselle de Pons.13
La cour qui n'avoit eu d'autre intention que de me tromper dans l'espérance qu'elle m'avoit toujours donnée de me marier avec l'empereur, et qui savoit qu'il étoit prêt de conclure un autre mariage, que les nouvelles du monde rendroient bientôt publique, se vit obligée de m'en faire part et de commencer par là à se dégager de la parole qu'on m'avoit donnée. Pour ne montrer leur fourbe que le moins grossièrement qu'ils pourroient, l'abbé de La Rivière, qui dans cette comédie jouoit un personnage considérable, fut le premier qui me vint dire que les nouvelles d'Allemagne alloient mal, que l'on parloit de marier l'empereur avec une des archiduchesses du Tyrol, et me donna à entendre que ce dessein venoit de la cour d'Espagne ; qu'il ne falloit pas essayer de le pouvoir rompre. Le dépit que j'en eus me fit rechercher avec tant de curiosité la vérité de ce fait, que je découvris que le cardinal Mazarin et l'abbé de La Rivière m'avoient trompée ; qu'ils ne m'avoient fait voir de belles apparences à cet établissement que pour m'entretenir d'un vain espoir ; qu'ils n'avoient en effet jamais travaillé aux moyens d'en faire réussir le dessein. Quoique je fusse persuadée que ces gens-là n'agissoient point de bonne foi, je ne laissai pas d'être sensiblement saisie de colère contre la cour, et c'étoit un ressentiment qui me faisoit d'autant plus de peine que je n'avois pas moyen d'en donner des effets.14
[1648.] Pendant que j'étois ainsi leurrée à toute heure de tous les établissements qui me pourroient être propres, Saujon revint de l'armée qui ne me parla de rien ; il me venoit voir souvent, et un jour entre autres qu'il y étoit, un gentilhomme qui est à moi nommé La Tour, que j'aime fort, avec qui, par la confiance que j'ai en lui, je m'entretenois de mon chagrin contre la cour, me demanda si Saujon ne m'avoit point montré de lettres ; je lui dis que non. Je le vis sur l'heure ; je l'appelai ; il m'en fit voir une qu'on lui avoit écrite de Flandres, qui portoit que le bruit avoit succédé aux souhaits qu'ils avoient faits ensemble, que l'on y parloit de l'espérance que l'on avoit de me voir mariée avec l'archiduc ; que l'on ne doutoit point qu'il ne devînt souverain du pays, et ce correspondant lui marquoit que par les grandes habitudes qu'il avoit auprès des plus considérables de ceux qui gouvernoient pour le roi d'Espagne, et même auprès de ceux qui étoient le mieux dans l'esprit de l'archiduc, il lui en pouvoit mander des nouvelles assurées. Saujon me montra deux ou trois lettres qui étoient sur le même ton ; il m'entretenoit souvent du bonheur qui pourroit être attaché à cette condition future, et me faisoit comprendre la beauté de l'établissement par celle du pays. Je comprenois bien ce qu'il disoit, non pas qu'il fût capable de faire réussir un tel dessin. Pour me le rendre encore plus indubitable, il me demanda permission de se défaire d'une compagnie qu'il avoit au régiment des gardes, pour se pouvoir plus librement attacher auprès de moi. Après s'en être défait, il me dit sur la fin du carême qu'il vouloit penser à trouver un prétexte pour faire quelques voyages en Flandre. Je trouvois cette vision assez creuse, de plus il me disoit que je verrois combien il avanceroit l'affaire.
Cette chimère lui dura longtemps dans l'esprit ; il en parloit souvent, et comme j'aime les fous, soit gais, soit mélancoliques, et que je ne croyois pas que cette action pût devenir sérieuse, je l'écoutois. J'allai à Saint-Denis passer la semaine sainte aux Carmélites où j'avois accoutumé de me retirer aux bonnes fêtes ; il envoya savoir de mes nouvelles, sur ce qu'il apprit que je m'étois heurté la tête, afin de m'écrire pour me mander qu'un ordinaire par lequel il attendoit les nouvelles ne lui avoit point apporté des lettres. Je n'avois jamais pris cette affaire dans une autre intention que celle que je viens de dire. Quant à Saujon, je ne sais quelle conduite il eut ; je le vis le lendemain que je fus revenue de Saint-Denis, et je fus tout étonnée que le jour d'après Vilermont me vint voir, et me dit que Saujon venoit d'être arrêté.15 Je ne connoissois point de crime dans tout ce qu'il avoit fait ; j'en demandai la raison à Vilermont, qui me dit que je la savois bien ; et après l'avoir cherchée, la connoissance que nous avions de l'humeur qu'il a de se faire de fête mal à propos, nous fit juger à tous deux en même temps que ce seroit sa prétendue négociation ; ce qui me fit craindre aussitôt qu'il n'en eût fait plus qu'il ne m'en avoit dit. Je m'en allai d'abord chez la rein où je rencontrai Comminges, parent de Saujon, qui m'annonça avec surprise la même nouvelle que m'avoit dite Vilermont, dont je témoignai de l'étonnement et ne fis pas semblant d'en rien savoir ; ce qu'il ne crut cependant pas.
Je fus à la vérité encore plus étonnée que la reine ne m'en parlât point, et de ce que de là j'allai au Luxembourg, où Monsieur ne m'en dit rien. Pour Madame, qui je crois n'avoit point de part au secret de cette conduite, elle me témoigna que, selon l'opinion qu'elle avoit que Saujon étoit mon serviteur, elle étoit fâchée de sa disgrâce. Je voulus voir en même temps la sur de Saujon, qui étoit alors fille d'honneur de Madame et présentement sa dame d'atour, et elle n'y étoit pas. J'y retournai le lendemain et j'allai dans sa chambre. Aussitôt qu'elle me vit, elle s'abandonna à de grands cris de douleur, m'adressa ses plaintes, et se prenoit à moi de la prison de son frère, quoiqu'elle ne m'en dit rien. J'en fus assez surprise, néanmoins je trouvai le moyen de la laisser un peu consolée, et au bout de deux jours on ne parla plus de cette affaire que comme d'une bagatelle. Saujon n'avoit encore eu jusque-là que la maison du prévôt de l'Ile16 pour prison, et l'on ne lui disoit rien du crime, dont l'on prétendoit l'accuser. Je trouvois de l'injustice de ce qu'il étoit traité de la sorte ; j'en parlai à l'abbé de La Rivière pour qu'il en parlât au cardinal Mazarin. La Rivière me dit seulement que Saujon étoit fort criminel, et à quelques jours de là il me vint voir, et sans me parler du prisonnier, il se mit assez hors de propos, ce me semble, à m'entretenir d'Allemagne et des partis qui m'y pouvoient être propres ; et pour me laisser une impression favorable de sa conversation, il me dit que Monsieur n'avoit jamais été plus content de moi qu'il l'étoit alors, et que j'étois tout à fait bien avec lui ; ce que je croyois assez aisément, parce que je savois bien n'avoir rien fait qui l'obligeât au contraire.
Ces deux seuls points firent tout l'entretien que l'abbé de La Rivière eut avec moi ; je ne sus que juger de son dessein, sinon qu'il vouloit me dépayser par là, pour m'ôter de l'esprit qu'il se voulût mêler de l'affaire de Saujon ; en quoi je me confirmai par un message que je reçus peu après de la part de Saujon, qui me fit savoir qu'on ne l'avoit pas oublié. Il me manda que le lieutenant criminel17 avoit été l'interroger ; qu'il lui avoit demandé s'il avoit été en Hollande et s'il y écrivoit quelquefois. Il répondit affirmativement à ces deux questions, et, pour mieux satisfaire à la seconde, il avoit ajouté qu'il y avoit un frère, capitaine d'infanterie, à qui il écrivoit tous les ans une fois ou deux ; qu'il lui avoit demandé s'il avoit été en Flandre, et qu'il lui avoit répondu qu'il y avoit servi deux ou trois campagnes, et que l'interrogatoire avoit fini là. M. le cardinal Mazarin l'envoya querir, et lui fit d'abord toutes les promesses imaginables pour lui faire dire que je savois ce qu'il avoit fait ; ce qui étoit si faux, que je n'ai jamais pu savoir ce que portoit sa lettre, que l'on avoit surprise. Saujon nia que j'eusse aucune connoissance de sa lettre. Cette conversation dura quelques heures sans que le cardinal Mazarin pût tirer de Saujon que la vérité, quoique celle-là ne lui fût pas agréable, puisqu'elle me justifioit absolument ; elle ne l'étoit pas encore en une autre manière : Saujon n'étoit ni agréable ni éloquent.
A son retour de chez le prévôt de l'Ile, il envoya chercher son frère pour me mander par lui ce que M. le cardinal Mazarin lui avoit dit, et qu'il croyoit que la reine et Monsieur me feroient une réprimande là-dessus ; qu'il me demandoit pardon d'en être la cause, et me supplioit de considérer qu'il avoit fait cela à bonne intention. Cette affaire me devoit faire songer toute ma vie à n'avoir point de commerce avec des gens imprudents ni des visionnaires. J'ai une trop grande bonté naturelle qui me fait croire que tout le monde a toujours les intentions aussi droites que moi, et par la suite de ces Mémoires vous verrez comme j'ai encore été attrapée par des gens imprudents. La sincérité avec laquelle j'agis, et mon innocence en cette rencontre, me persuadèrent qu'elles me tireroient de ce pas-là ; ainsi je n'eus nulle inquiétude de tout ce que M. le cardinal Mazarin avoit dit à Saujon, et je traitai cela de bagatelle. Je me promettois bien plus des bontés de la reine et de Monsieur que je ne leur en trouvai. J'allai au Palais-Royal ensuite de l'avis de Saujon, comme je faisois tous les jours ; on ne me dit mot. Comme je sortois de chez mademoiselle de Beaumont, qui est une personne libre et à qui j'ai toujours permis d'agir de cette manière avec moi, elle me cria : « Princesse, l'on dit que Saujon vous vouloit enlever pour vous mener épouser l'archiduc. » Je me mis à rire, et nous traitâmes cette affaire-là, elle et moi, de ridicule, comme elle l'étoit, et cela tout haut dans la chambre de la reine.
Je m'en allai au palais de Luxembourg dans la résolution d'en parler à l'abbé de La Rivière, puis à Monsieur ; il soupa chez M. le cardinal Mazarin, il revint si tard que je ne l'attendis point. Pour La Rivière, il me fit des excuses de ce qu'il ne venoit point me parler, qu'il étoit occupé pour les affaires de Son Altesse royale Monsieur. Le lendemain, le jeune Saujon me vint voir et me dit que son frère avoit encore eu une conversation avec M. le cardinal Mazarin, et que la conclusion avoit été que, puisque l'on ne pouvoit tirer de lui ce qu'on désiroit, la reine et Monsieur verroient ce qu'ils auroient à faire avec moi. J'allai au Palais-Royal, et l'on étoit encore au conseil ; je fis cependant une visite, résolue de tirer quelques éclaircissements de cette affaire ; comme j'y retournai, l'abbé de La Rivière, qui sortit des premiers du conseil, vint à moi et me dit : « Il n'est plus temps de vous celer la colère où la reine et Monsieur sont contre vous ; il vous le témoigneront bientôt, et vous n'en ignorez pas le sujet. » Je lui répondis que je ne savois pas ce que j'avois pu faire qui pût déplaire à la reine et à Monsieur, que si ma conduite méritoit un aussi mauvais traitement que celui dont il me menaçoit, j'espérois que la reine prendroit son temps pour me dire ce qu'il lui plairoit au Val-de-Grâce en particulier, et Monsieur dans son cabinet ; et que je n'étois pas d'un âge à me faire des réprimandes devant le monde.18
Comme nous en étions-là, Monsieur m'appela, j'entrai dans la galerie de la reine ; mademoiselle de Guise, qui étoit avec moi, me suivit. Monsieur lui ferma la porte au nez avec assez de furie ; ce qui m'eût dû effrayer, si ma conscience m'eût causé quelques remords. J'étois fort tranquille, je me sentois innocente de l'accusation formée contre moi ; j'avançai vers la reine qui me salua d'une mine en colère ; elle dit à M. le cardinal Mazarin : « Il faut attendre que son père soit venu. » Je me mis dans une fenêtre, qui étoit plus élevée que le reste de la galerie, et j'écoutai là avec toute la fierté qu'on peut avoir, quand elle a la raison de son côté ; ce qui est beaucoup avoir par-dessus les personnes qui ont tant d'autres prérogatives au-dessus de nous. Comme Monsieur fut venu, la reine commença d'un ton assez aigre : « Nous savons notre père et moi les menées que vous avez avec Saujon et les grands desseins qu'il avoit. » Je répondis que je n'en avois nulle connoissance ; que j'avois bien de la curiosité de savoir ce que Sa Majesté vouloit dire, et qu'elle me feroit bien de l'honneur de me l'apprendre ; sur quoi elle répartit que je ne l'ignorois pas, puisqu'il étoit en prison pour l'amour de moi, et que j'étois la cause de l'état où il étoit. Je répliquai que, pour être mon serviteur, cela ne donnoit ni de la prudence ni du bonheur, et que, quoique Saujon le fût, il pouvoit bien manquer de l'un et de l'autre, sans que j'en fusse cause. Elle poursuivit : « Nous savons que Saujon vous veut marier à l'archiduc ; qu'il vous dit qu'il aura les Pays-Bas en souveraineté, et force autres chimères dont vous vous êtes laissée persuader comme d'une vérité ; l'archiduc est le dernier des hommes, et le plus méchant parti qui se puisse trouver. »
Comme je ne disois mot, la reine me disoit : « Répondez. » Je lui obéis, et lui répondis qu'elle faisoit bien de l'honneur à Saujon, s'il avoit été capable de se persuader un tel dessein, de le mettre en prison comme un homme raisonnable, et que les Petites-Maisons étoient un lieu bien plus propre, si le fait étoit vérifié ; que d'entreprendre de faire ce qui n'appartenoit qu'au roi, son frère, il falloit être fou ; que pour moi je n'avois pas passé jusqu'à cette heure pour être folle dans le monde ; et qu'il faudroit que le fusse bien pour laisser le soin de mon établissement à M. de Saujon ; et que je devois bien espérer, après celui qu'elle avoit eu d'établir la reine de Pologne, qui n'étoit ni de ma qualité ni en rien égale à moi, qu'elle feroit paroître en ma personne la reconnoissance des obligations qu'elle avoit à Monsieur ; et qu'ainsi je me reposois entièrement sur elle de ma fortune ; que je savois comme elle étoit obligée pour l'amour de lui à m'en procurer une grande et conforme à ma qualité, et à la reconnoissance qu'elle devoit avoir pour Monsieur. Sa Majesté fut assez étonnée de la manière dont je répondois ; elle disoit à Monsieur et à M. le cardinal Mazarin : « Voyez avec quelle assurance elle soutient qu'elle ne sait rien de toute cette affaire. » Je disois : « L'on en a beaucoup pour soutenir la vérité quand on la dit. » Elle me reprochoit et me disoit : « Il est fort beau qu'une personne qui est attachée à votre service, pour récompense vous lui mettiez la tête sur l'échafaud. »
Comme j'avois ouï dire que pour le service de la reine et de Monsieur plusieurs avoient péri de cette manière, et que cela me vint dans l'esprit à ce propos, je répondis : « Au moins ce sera le premier. » Soit en reproches, soit en questions de pareille nature, cela dura assez longtemps, je me laissois d'y répondre, et si je l'ose dire, j'avois pitié de la reine et de Monsieur de les voir agir ainsi. La reine disoit : « Répondez donc à ce qu'on vous demande. » J'obéis, et lui dit que, comme je n'avois jamais été interrogée, je ne savois pas répondre à ce qu'elle me demandoit. M. le cardinal Mazarin, qui étoit de sang-froid et qui écoutoit cela, remarquoit tout ce que je disois et en rioit. Cette dernière parole se pouvoit remarquer ; la reine et Monsieur avoient été interrogés plusieurs fois par M. le chancelier.19 L'on pouvoit croire que je leur répondois à dessein des choses aussi fortes que celles qu'ils me disoient, et encore plus, puisque la vérité étoit contre eux, et qu'il n'y avoit que des suppositions contre moi. La conversation me parut longue : les répétitions qui ne nous sont pas agréables paroissent toujours telles, et effectivement elle dura une heure et demie ; ce qui m'ennuya ; et comme je vis que, si je ne m'en allois, cela ne finiroit point, je dis à la reine : « Je crois que Votre Majesté n'a plus rien à me dire. » Elle me répliqua que non : je fis la révérence, et sortis assez victorieuse de ce combat, mais fort en colère.
Comme je sortois, l'abbé de La Rivière voulut me parler ; je déchargeai ma colère contre lui, et m'en allai chez moi, où la fièvre me prit ; ce qui ne m'empêcha pas de sortir le lendemain pour aller voir madame de Guise, qui avoit eu nouvelle de la prison de M. de Guise, que les Espagnols avoient fait arrêter à Naples, comme il alloit pour le révolter.20 Et même cela étoit fait et il en étoit le maître ; s'il avoit eu autant de prudence que de courage, et un peu de bonheur, il eût pu soutenir cette conquête qu'il avoit acquise avec beaucoup de gloire ; en tout ce qu'il a fait en sa vie tout lui a toujours manqué, hors le courage.
Au retour de cette visite, je me vins mettre au lit, et la crainte que j'eus que beaucoup de gens ne me vinssent voir, plutôt par curiosité que pour me plaindre, me fit donner ordre à ma porte que je ne voulois voir personne, et je fis dire que je me trouvois mal ; ce qui étoit véritable. L'on peut juger combien une telle affaire donne de douleur à une personne de mon humeur, et la pensée que ces bruits-là couroient dans les pays étrangers, avec les mauvais sentiments de la reine et de Monsieur à mon égard, m'accabloit de chagrin et de mélancolie. Il se trouva que l'ordre que j'avois donné à ma porte fut suivi d'un pareil de Monsieur à madame la comtesse de Fiesque, qui étoit une manière de prison, qui ne me fâcha pas, puisque je m'y étois mise moi-même volontairement. Monsieur commanda aussi à madame la comtesse de Fiesque d'ôter d'auprès de moi une petite femme de chambre que j'avois, à qui Saujon parloit souvent ; il l'accusoit d'être de cette intrigue ; j'en fus fort touchée par l'éclat que cela feroit, parce que je n'avois pour elle ni amitié ni confiance ; et même je l'ai chassée deux ans après, parce qu'elle s'étoit mariée par amour. Le trouble que toutes ces circonstances me causèrent, alla jusqu'à me donner la fièvre double tierce, dont j'eus plusieurs accès. M. l'abbé de La Rivière me vint voir avec soin pendant mon mal ; ses visites ne le diminuoient pas : j'étois persuadée qu'il y avoit beaucoup contribué. La suite des temps et des événements m'a assez fait connoître que toutes les personnes qui m'ont voulu rendre de mauvais offices auprès de Monsieur y ont réussi, d'autant plus aisément que Son Altesse royale faisoit la moitié du chemin ; à la moindre ouverture, elles étoient obligées à poursuivre, plutôt pour lui plaire, que pour la mauvaise intention qu'elles ont eue pour moi.
Soit que l'abbé de La Rivière se repentit de l'embarras qu'il m'avoit causé et du mauvais pas qu'il avoit fait faire à son maître, il me vint dire que Son Altesse royale trouvoit bon que je visse le monde dès que ma santé me le permettroit. Je me servis de cette permission : je fut visitée de toute la cour qui étoit dans des sentiments fort avantageux pour moi. L'on blâmoit fort la reine et Monsieur, et l'on ne pouvoit comprendre à quelle intention ils en avoient usé ainsi envers moi, puisque le blâme en tomboit sur eux. L'on me connoissoit trop bien, pour croire que je fusse capable de m'être mis dans la tête un dessein aussi chimérique et aussi ridicule que celui qu'ils débitoient pour justifier leur procédé. Je n'avois jamais rien fait en ma vie qui pût faire croire que j'eusse eu une pensée si à mon désavantage ; aussi ma douleur n'étoit-elle point fondée sur ce que l'on pouvoit croire de mes intentions ; elle rouloit sur le peu de tendresse que Monsieur faisoit connoître avoir pour moi. Quand le fait auroit été véritable, il l'auroit dû cacher. Si j'avois été capable du doux plaisir, que donne la vengeance contre des personnes qui me sont aussi proches que la reine et Monsieur, j'en aurois pu prendre de voir la confusion dont cette affaire les couvrit ; je vis cela avec confusion moi-même, et songeois à ce que j'avois l'honneur de leur être, avec un esprit de charité et de respect.
Comme j'eus vu quelques jours le monde, et que ma santé étoit bonne, je ne m'avisai pas que je devois voir la reine et Monsieur. Cet oubli-là fit peut-être croire à l'abbé de La Rivière que dans le monde l'on attribueroit cela à quelque mépris de ma part, et que j'agissois avec hauteur, quoique ce ne fût pas ma pensée ; il me demanda quand je voulois voir Monsieur et la reine. Je répondis que ce seroit quand il leur plairoit, que je recevrois cet honneur avec joie ; il me manda d'aller au Luxembourg le lendemain matin. J'y allai : l'on me fit descendre mystérieusement à un degré, qui donne dans le cabinet des livres de Monsieur ; l'abbé de La Rivière me vint prendre à mon carrosse et me mena en haut. Il y a deux cabinets : un petit par où l'on passe, où demeurèrent madame la comtesse de Fiesque et mon écuyer ; j'entrai dans celui de Monsieur, qui changea de visage et me parut fort interdit. Il voulut me faire une réprimande et commença du ton dont on les fait ; il sentit qu'il étoit plutôt obligé à me faire des excuses qu'à me gronder ; il prit ce parti-là sans toutefois le croire prendre. Je m'assure que qui lui demanderoit ce qu'il me dit, lorsqu'il me gronde, le prendroit comme moi pour manière d'excuse. Je pleurai fort, je ne sais si ce fut d'embarras ou de tendresse ; il vaut mieux croire que ce fut l'un que l'autre. Les larmes vinrent aux yeux de Son altesse royale ; ensuite M. de La Rivière me mena chez Madame : je traversai la galerie, la chambre et l'antichambre de Monsieur ; il y avoit beaucoup de gens qui regardoient ; ce qui est assez ordinaire. Madame et moi nous eûmes peu de discours.
Je m'en allai chez la reine : c'étoit au Palais-Royal, où je fus bien regardée encore ; j'entrai avec assez de fierté, et l'adversité n'a guère diminué celle qui m'est naturelle, quoique j'en aie beaucoup eu depuis ce temps-là. La reine sortoit du lit. Quoique j'aie toujours entrée à toutes les heures chez elle, à cause de ce que je suis et de ce que j'ai toujours été avec elle depuis la régence, et qu'elle a vécu avec grande familiarité avec moi, au lieu de m'approcher comme j'avois accoutumé, je demeurai à la porte, où M. le duc d'Anjou me vint embrasser et me dire : « Ma cousine, j'ai toujours été pour vous, et j'ai pris votre parti contre tout le monde. » La reine ne me disoit mot ; elle s'avisa de me dire : « Asseyez-vous, vous devez être foible après avoir été malade. » Je lui répliquai que ma maladie ne m'avoit point affoiblie et que j'avois assez de force pour me tenir debout. Je ne sais si elle ne crut point, lorsque je parlai de ma force, que j'étois bien aise de la faire souvenir que j'en avois assez eu à soutenir les persécutions qu'elle m'avoit faites, et si elle ne croyoit pas que j'avois dit cela avec quelque esprit de picoterie, et même je ne justifiai pas mon intention ; elle rougit. Comme elle fut habillée, et prête d'aller à la messe, je lui présentai ses gants ; elle me tira à part et me dit peu de mots. Je me souviens fort bien qu'ils n'étoient pas des plus obligeants ; mais je ne les puis redire. Si j'eusse eu en pensée dans ce temps-là que me trouverois un jour en dessein d'écrire mes aventures, et, si j'eusse cru même qu'il m'en fût arrivé autant que j'en ai eu depuis et aussi dignes d'être écrites, j'aurois bien retenus ces propos, et c'étoit à quoi je songeois le moins dans ce temps-là. Sa Majesté alla à la messe et je me retirai. Le lendemain, M. le cardinal Mazarin me vint voir et me témoigna être fort fâché de tout ce qui s'étoit passé, et fit son possible pour me persuader qu'il n'y avoit eu aucune part. Pour moi je lui laissai croire que j'en étois toute persuadée ; ce qu'il crut aisément : il se flatte assez d'avoir ce don-là.
Depuis tout cela j'allois de temps à autre rendre mes devoirs à la reine, mais non pas si souvent que j'avois accoutumé, je ne croyois pas que la présence d'une personne qu'elle avoit si fort maltraitée lui pût être agréable. Je compris en ce temps-là, ce que je fais encore mieux présentement, que l'on se passe aisément de la cour, quand on connoît n'y être pas selon sa qualité et avec l'éclat que l'on y doit être. J'allois souvent à ma maison de Bois-le-Vicomte, où j'étois trois ou quatre jours ; je fis un voyage un peu plus long, j'allai à Monglat,21 où je fus reçue avec joie et magnificence du maître et de la maîtresse du logis. J'allai à Pont, chez madame Bouthillier22 ; c'est une des plus belles maisons de France : elle est située à mi-côte, on y voit des fontaines, des canaux et la rivière de Seine au bas des jardins qui sont en terrasse ; les avenues sont belles et la maison bâtie par un surintendant : c'est pour laisser juger des beautés du dedans, des meubles et de la magnificence avec laquelle je fus reçue. J'y restai trois jours et j'y dansai fortement ; je me promenai à cheval ; il y avoit un bateau le plus joli du monde ; j'y allai peu : je crains l'eau. Madame Bouthillier avoit pris avec elle une de ses parentes, nommée mademoiselle de Neuville, jeune, jolie, et spirituelle, qui me fit fort bien l'honneur de son logis ; c'est madame de Frontenac présentement. Dès ce moment j'eus de l'amitié pour elle, dont elle a depuis senti les effets ; elle dit qu'elle en eut aussi pour moi : elle m'en a donné des marques ; vous la verrez ma compagne dans mes triomphes passés et dans mes disgrâces présentes.
Après un jour ou deux de séjour, je m'en revins au Bois-le-Vicomte ; je passai par Senars pour y faire la fête de Notre-Dame de mi-août. L'abbesse étoit de la maison de la Trimouille et fort mon amie ; c'étoit une religieuse de grande vertu et de beaucoup de mérite.23
Un jour après que je fus au Bois-le-Vicomte, la nouvelle vint de la bataille de Lens que M. le Prince avoit gagnée.24 Comme l'on savoit l'aversion que j'avois pour lui, personne ne me l'osa dire : l'on mit sur ma table la relation qui étoit venue de Paris ; au sortir de mon lit je vis ce papier sur ma table, je le lus avec beaucoup d'étonnement et de douleur. Comme je ne devois pas mêler mon aversion à un si grand avantage pour l'État, je ne savois comment démêler l'un de l'autre ; dans cette rencontre je me trouvois moins bonne Françoise qu'ennemie ; je me sauvai et je couvris mes pleurs par les plaintes que je fis de quelques officiers de ma connoissance qui avoient été tués ; et, comme le bon naturel est louable principalement aux grands qui sont accusés de n'en guère avoir, et surtout aux grands de la maison de Bourbon, je m'attirai une louange au lieu d'un blâme que je méritois. Je ne sais comment je pouvois être sensible aux victoires de M. le Prince : il en gagnoit si souvent que je devois m'y accoutumer ; mais l'on ne s'accoutume pas à ce qui déplaît.
Monsieur me manda de revenir à Paris pour me réjouir avec la reine. Ce commandement me déplut fort : le traitement qu'elle m'avoit fait étoit encore si récent, que ce qui lui donnoit de la joie ne m'en donnoit guère ; joint à cela celui qui avoit gagné la bataille, vous pouvez juger comment je m'en souciois. J'obéis cependant et m'en vins à Paris, et le jour de saint Louis [25 août] je trouvai la reine qui s'en alloit aux Jésuites ; je lui dis que j'étois revenue sur la bonne nouvelle, et que je croyois qu'elle me feroit bien l'honneur de croire que j'y prenois la part que je devois. Ce n'étoit pas beaucoup dire : je n'étois pas trop obligée à en prendre à ce qui la regardoit. Le lendemain, jour assez remarquable, j'allai au Te Deum avec elle à Notre-Dame ; je me mis auprès du cardinal Mazarin, et, comme il étoit en bonne humeur, je lui parlai de la liberté de Saujon, pour laquelle il me promit de travailler auprès de la reine, que je laissai au Palais-Royal, et m'en allais dîner.
Je ne fus pas plutôt arrivée à mon logis que l'on me vint dire la rumeur qui étoit dans la ville, que le bourgeois prenoit les armes et faisoit des barricades, sur ce que l'on avoit arrêté le président de Blacmenil25 et M. de Broussel.26 Ce dernier étoit bien plus aimé que l'autre, et parmi le peuple ils l'appeloient leur père, c'étoit un homme de bien et de vertu, au reste de peu d'esprit. Quand je l'ai vu, je me suis étonnée comme il put soutenir si longtemps une telle réputation avec si peu de capacité. Je m'en allai au Luxembourg, je passai le long du quai de la galerie du Louvre, où je ne trouvai que des compagnies des régiments des gardes suisses et françoises sous les armes ; comme j'eus passé le pont Neuf je trouvai force chaînes tendues. Le peuple de Paris m'a toujours beaucoup aimée, parce que j'y suis née et que j'y ai été nourrie ; cela leur a donné un respect pour moi et une inclination plus grande que celle qu'ils ont ordinairement pour les personnes de ma qualité, de sorte que dès qu'ils voyoient mes valets de pied ils abattoient les chaînes.
Après avoir fait ma visite chez Madame, je m'en allai au Palais-Royal, où tout le monde étoit en grande rumeur, étonné de ce mouvement peu considérable par lui-même, et seulement par les suites qui en pouvoient arriver, et par les exemples des choses passées,27 dont toutes nos histoires sont remplies. Pour moi qui n'en avois jamais vu, et qui n'étois pas en âge de faire aucune réflexion, toutes les nouveautés me réjouissoient ; et, comme je n'étois pas fort satisfaite de la reine ni de Monsieur dans ce temps-là, ce m'étoit un grand plaisir que de les voir embarrassés. De quelque importance que pût être une affaire, pourvu qu'elle pût servir à mon divertissement, je ne songeois qu'à cela tout le soir ; et, les jours qui suivirent, je ne m'amusois qu'à regarder tous les gens qui avoient des épées, qui n'avoient pas coutume d'en porter, et qui les portoient de mauvaise grâce ; voilà à quoi je m'amusois, pendant que toute la France trembloit, quoique j'eusse grande intérêt à sa conservation. Les régiments des gardes suisses et françoises, dont j'ai parlé, demeurèrent toute la nuit où j'ai dit et dans la rue devant les Tuileries, de peur que le bourgeois ne se saisît de la porte de la Conférence.28
Sur le soir de ce jour-là, les bourgeois étoient en armes dans tous les quartiers avec des corps de garde dans tous les carrefours ; et une entreprise terrible, c'est qu'ils en avoient posé un à la barrière des Sergents de Saint-Honoré, où il y avoit une sentinelle qui n'étoit qu'à dix pas de celle de la garde du roi. Le lendemain je fus éveillée par le tambour, qui battoit aux champs de bonne heure, pour aller prendre la Tour de Nesle,29 que quelques coquins avoient prise. Je me jetai hors du lit courus à la fenêtre pour les voir partir ; ils eurent bientôt fait cette expédition : des gens aguerris font bientôt quitter prise à des coquins. toutefois ils blessèrent quelques soldats, lesquels suivirent leur compagnie, qui revenoit à son poste. Je voyois ces blessés par la fenêtre avec grande pitié et frayeur ; je n'en avois jamais vu ; le malheur des temps, qui ont suivi, m'aguerrit à voir des morts et des blessés, sans m'ôter les premiers sentiments de pitié que j'eus pour ceux-là.
Comme toutes les histoires, et les mémoires de force gens qui écrivent, disent tout ce qui se passa : comme M. le chancelier alla au palais et fut ensuite contraint de se sauver à l'hôtel de Luynes,30 et toutes les autres circonstances des barricades, je n'en dirai pas davantage ; si ce n'est que je me trouvai au Palais-royal dans le temps que tout le parlement y venoit voir le roi. Après que l'on eut résolu de leur rendre les prisonniers, il sortirent fort fièrement et d'un air à faire croire qu'ils s'en prévaudroient et qu'ils connoissoient les gens avec qui ils avoient affaire ; dès lors ils commencèrent à fronder M. le cardinal, et même pendant qu'ils parloient au roi je me trouvai auprès d'un, que je ne connoissois point pour lors, qui m'en parla fort librement.
Ce fut là l'origine des troubles qui ont suivi, et où l'autorité du roi a commencé à être attaquée. Cela doit bien faire connoître aux rois, quand ils sont en âge de gouverner, et, quand ils n'y sont pas, aux personnes, entre les mains de qui l'autorité est en dépôt, qu'il faut peser tout exactement, même les moindres choses, et en examiner les suites : trop de clémence dans un temps est aussi blâmable que trop de rigueur dans un autre ; et, quand l'on a embrassé l'un de ces deux partis, il seroit quelquefois plus nécessaire de le continuer que d'en changer ; l'un et l'autre, en beaucoup de rencontres importantes dans tous les empires du monde, ont causé de mauvais effets. Je me suis ni assez capable pour en décider, ni d'humeur à le faire : il faut laisser à de plus habiles gens à donner leur avis. Dieu les veuille inspirer à les donner de manière qu'après avoir été suivis, ils puissent à l'avenir profiter à toute la chrétienté et surtout à nos rois.
Quoique le mot de Fronde ne soit venu que sur une bagatelle, il faut que je mette ici son origine. Un jour dans ce commencement de troubles que le parlement s'assembloit souvent, Bachaumont,31 conseiller, parloit d'une affaire qu'il avoit ; il dit de sa partie : « je le fronderai bien ; » et, comme chacun étoit assis à sa place, on commença à parler contre M. le cardinal, sans cependant le nommer, quoique l'on le fît assez connoître. Barrillon l'aîné commença à chanter :
Un vent de Fronde
S'est levé ce matin,
Je crois qu'il gronde
Contre le Mazarin.
Un vent de Fronde
S'est levé ce matin.
Peu après, Leurs Majestés sortirent de Paris sous prétexte de faire nettoyer le Palais-Royal32 et allèrent à Ruel. Le château de Saint-Germain étoit occupé par la reine d'Angleterre, dont le fils, M. le prince de Galles, étoit allé en Hollande. Monsieur ne sortit point de Paris ni moi non plus ; j'y allois seulement deux ou trois fois la semaine faire ma cour, et je prenois mon temps les jours de conseil. Je voulois voir M. le cardinal pour lui parler de la liberté de Saujon ; ce n'étoit pas tant par sa considération que par la mienne, parce qu'il me sembloit que tant qu'il seroit en prison l'on me croiroit mal à la cour, ou bien l'on m'accuseroit d'abandonner les gens attachés a moi. Comme on étoit persuadé que celui-là l'étoit, il m'étoit dur d'entendre ces deux raisons et surtout la dernière. Être mal à la cour, quoique cela soit fâcheux, comme c'est un malheur et non pas un défaut, l'on s'en console plus aisément, puisque le temps fait qu'on se raccommode. Saujon avoit été transféré de chez le prévôt de l'Ile au château de Pierre-Encise, à Lyon, quelque temps avant que la cour partît de Paris.
Pendant que la cour étoit à Ruel, le parlement s'assembloit tous les jours pour le même sujet qu'il avoit commencé : c'étoit pour la révocation de la paulette,33 et il continuoit à fronder M. le cardinal ; ce qui avoit plus contribué à faire aller la cour à Ruel que le nettoiement du Palais-Royal. L'absence du roi augmenta beaucoup la licence et la liberté avec laquelle l'on parloit dans Paris et le parlement. Ce corps fit même quelques démarches qui déplurent à la cour, de sorte qu'elle fut obligée d'aller à Saint-Germain, d'où la reine d'Angleterre délogea et vint à Paris. Monsieur qui couchoit quelquefois à Ruel y étoit pendant ce temps-là et manda à Madame de quitter Paris, et d'emmener avec elle ses deux filles, qui étoient très-petites, ma sur d'Orléans et ma sur d'Alençon. Madame la Princesse manda M. le duc d'Enghien, son petit-fils ; et je me trouvai assez embarrassée d'être la seule de la maison royale à Paris, à laquelle on ne mandoit rien.
Comme l'on ne doit jamais balancer à faire son devoir, quoique notre inclination ne nous y porte pas, je m'en allais à Ruel, et j'arrivai comme la reine alloit partir pour Saint-Germain. Elle me demanda d'où je venois ; je lui dis que je venois de Paris, et que, sur le bruit de son départ, je m'étois rendue auprès d'elle pour avoir l'honneur de l'accompagner, et que, quoiqu'elle ne m'eût pas fait l'honneur de me le commander, il m'avoit semblé que je ne pouvois manquer à faire ce à quoi j'étois obligée, et que j'espérois qu'elle auroit assez de bonté pour l'avoir agréable. Elle me répondit par un souris que ce que j'avois fait ne lui déplaisoit pas, et que c'étoit beaucoup pour moi, après la manière dont on m'avoit traitée, de voir que l'on me souffroit, quoique mon procédé méritât bien qu'ils en eussent un obligeant pout moi, pour réparer le passé. Je témoignai à Monsieur et à l'abbé de La Rivière que n'étois pas contente que l'on eût envoyé querir jusqu'aux petits enfants, et qu'à moi l'on ne m'eût dit mot ; la réponse ne fut que de gens fort embarrassés. quand l'on manque envers des personnes, qui ne manquent jamais, leur conduite nous coûte beaucoup de confusion, et pour l'ordinaire dans cet état, l'on tient des discours meilleurs à être oubliés qu'à être retenus. Pendant ce voyage, je ne fis ma cour que par la nécessité qui m'y obligeoit ; j'étois logée dans la même maison que la reine, je ne pouvois manquer à la voir tous les jours ; ce n'étoit pas avec le même soin et la même assiduité que j'avois fait depuis la régence ; aussi n'y avois-je pas les mêmes agréments. Il faut laisser quelque temps Saint-Germain, pour parler de mademoiselle d'Épernon, et puis j'y reviendrai trouver la cour.
L'on avoit fait parler à M. le cardinal du mariage du prince Casimir.34 frère du roi de Pologne, qui en est maintenant roi, avec mademoiselle d'Épernon ; dès lors il en étoit présomptif héritier, autant qu'on le peut être d'un royaume électif ; il y en avoit beaucoup d'apparence, et la suite a fait voir qu'elle étoit bien fondée. J'avoue que, lorsque je sus cette nouvelle, j'eus la plus grande joie du monde. Quoique l'empereur fût marié, il avoit un fils qui étoit roi de Hongrie d'un âge proportionnée au mien et prince de bonne espérance ; ainsi la proximité de l'Allemagne et de la Pologne me faisoit croire que nous passerions nos jours quasi ensemble, ma bonne amie et moi ; je la trouvois hautement vengée de mademoiselle de Guise et de M. de Joyeuse. Il n'y avoit en cette affaire aucune circonstance qui ne me plût, et l'on en peut juger de la manière dont je lui en écrivois et si je ne la détournois pas d'être carmélite. La conjecture étoit la plus favorable du monde : le prince Casimir demandoit à M. le cardinal une Françoise, et M. le cardinal souhaitoit avec passion le mariage de M. le duc de Candale35 avec une de ses nièces, à quoi M. d'Épernon ne consentoit pas volontiers pour lors. Comme c'est un homme qui a beaucoup d'ambition, lorsqu'il eut vu sa fille reine, il eût consenti volontiers au mariage de son fils.
La dévotion de mademoiselle d'Épernon rompit ce dessein, et elle préféra la couronne d'épines à celle de Pologne. Quoiqu'elle ne rebutât point cette proposition et qu'elle la reçût comme un grand honneur, elle feignit d'être malade et se fit ordonner les eaux de Bourbon, afin de se mettre dans le premier couvent de Carmélites qu'elle trouveroit sur le chemin : elle savoit bien qu'en pas un couvent du gouvernement de M. son père on ne l'oseroit pas recevoir. Madame d'Épernon la mena à ce voyage, sans savoir son dessein. Elles passèrent à Bourges, où le lendemain elle s'alla mettre dans des Carmélites, qui savoient biens dès Bordeaux qu'elle y devoit aller ; elle y prit l'habit, avec une des demoiselles de madame d'Épernon, laquelle sitôt qu'elle eut appris cette nouvelle alla au couvent : les larmes ni les prières ne purent rien obtenir sur mademoiselle d'Épernon, Elle m'avoit écrit la veille, d'une de mes terres, où elle avoit passé, et ne me mandoit rien de l'exécution de son dessein, dont elle s'étoit pourtant fiée à moi ; ce qui redouble mon déplaisir, lorsque je la sus aux Carmélites, de voir que sa confiance pour moi étoit diminuée : je craignis qu'elle ne cessât aussi son amitié. Elle m'écrivit, dès qu'elle fut à Bourges, d'un style monastique, plein de sermons et de compliments, qui ne me paroissoient pas aussi tendres et aussi francs qu'à son ordinaire. Elle me mandoit qu'elle venoit dans le grand couvent à Paris, quoiqu'elle eût paru toujours en avoir un grand éloignement.
Je lui écrivis pour lui témoigner mon déplaisir et pour tâcher de la persuader de se mettre dans le petit couvent,36 ou dans celui de Saint-Denis ou de Pontoise ; je n'aimois pas la maison qu'elle avoit choisie. Je ne devois pas m'étonner qu'elle eût changé de résolution : quand l'on renonce au monde, c'est-à-dire à ses proches, à ses amis, à une couronne et à soi-même, le reste n'est rien. L'aversion que j'avois pour ce l'eu venoit de ce que madame la princesse y alloit souvent ; et c'en étoit là le fondement qui n'étoit pas trop bon. Cependant mademoiselle d'Épernon ne pouvoit pas être mieux : c'est une grande maison, un bon air, une nombreuse communauté, remplie de quantité de filles de qualité et d'esprit, qui ont quitté le monde qu'elles connoissent et qu'elles méprisoient ; et c'est ce qui fait les bonnes religieuses. Quand mon aversion fut passée, je trouvai qu'elle y étoit fort bien et pour elle et pour moi, puisqu'elle étoit carmélite, quoique je 'eusse mieux aimée dans le monde. Comme Paris est le lieu où l'on demeure quasi toujours, au moins l'on la peut voir souvent.
Lorsqu'elle fut arrivée, elle m'envoya prier de l'aller voir : j'y allai dans un esprit de colère et d'une personne outrée d'une violent douleur, et bien résolue de lui témoigner mon ressentiment sur tous les sujets que j'avois de me plaindre d'elle. Lorsque je la vis, je ne fus touchée que de tendresse ; et tous les autres sentiments cédèrent si fort à celui-là qu'il me fut impossible de le lui cacher, puisque mes larmes et l'extrême douleur que j'avois m'empêchèrent de lui pouvoir parler ; elles ne discontinuèrent pas pendant deux heures que je fus avec elle, sans lui pouvoir dire une parole. Elle reçut cela avec la dernière cruauté ; peut-être que les autres trouvèrent cela fermeté ; l'amitié, que j'avois eue pour elle, fait que je ne la puis nommer autrement. Elle me plaignoit de plaindre ainsi son bonheur, et me reprochoit que ce n'étoit pas l'aimer que d'en user ainsi ; puis elle me fit des sermons qui ne me touchèrent point : je n'en pus profiter ; je m'affligeai seulement. Cette dureté ne me rebuta point ; j'y retournai deux jours après ; ce fut la même vie, et je crois que, si je n'eusse quitté Paris pour suivre la cour, il y auroit toujours eu la même douleur en moi et la même dureté en elle. Le temps m'a fait connoître dans la suite le bonheur dont elle jouissoit ; mes déplaisirs m'ont fait sentir qu'elle étoit plus heureuse que moi et que c'étoit à moi à avoir de la joie pour elle, et à elle de la douleur de me voir aussi avant dans le monde et aussi peu touchée de ce qui regarde Dieu. Quant à l'amitié que j'ai pour elle, elle durera autant que ma vie.
Pendant que la cour étoit à Saint-Germain, on fit force allées et venues pour s'accommoder avec le parlement. Ils envoyèrent des députés qui conférèrent avec M. le cardinal en vertu d'une déclaration que le roi donna. Elle est si célèbre que, quand il n'y auroit que les registres du parlement qui en feroient mention, ce seroit assez pour me dispenser d'en dire davantage.37 L'on disoit alors, et je l'ai encore ouï dire depuis, qu'elle auroit été fort utile pour le bien de l'État et le repos public, si elle fût demeurée en son entier. Il est à croire qu'elle n'est pas tout à fait conforme à l'autorité du roi, puisqu'il sembloit qu'elle avoit été obtenue quasi par force, et donnée à dessein d'apaiser les troubles, dont l'on étoit menacé si on l'eût refusée. Les connoisseurs et les politiques jugeront mieux que je ne pourrois faire, si on a eu raison de l'enfreindre.
Madame accoucha pendant le séjour de Saint-Germain d'une fille que l'on appela mademoiselle de Valois38 ; comme elle est délicate, elle ne put venir à Paris avec la cour, qui partit la veille de la Toussaint pour s'y rendre. Un jour avant, la reine et Monsieur avoient eu un grand démêlé sur le chapeau du cardinal qu'elle avoit promis à l'abbé de La Rivière,39 en quoi elle l'avoit trompé en faveur du prince de Conti ; ce n'est pas que la justice ne fût tout à fait du côté du dernier ; aussi Son Altesse royale n'auroit-elle pas préféré les intérêts d'un de ses domestiques à ceux d'un prince de son sang. Le cardinal Mazarin, qu'on accusoit dans ce temps-là d'avoir dit qu'il n'étoit pas esclave de sa parole, en avoit usé comme un homme qui ne l'étoit pas, à ce que disoit Monsieur, qui prétendoit qu'il lui en avoit manqué. Il dit à M. le Prince que Monsieur ne vouloit point que son frère fût cardinal, de sorte que cela l'anima contre Monsieur ; il se joignit à la reine et au cardinal, et c'auroit été un grand sujet de division dans la cour, si Monsieur avoit été d'une autre humeur ; sa bonté naturelle le fit passer par-dessus toute considération pour le repos et le bien de l'État ; il fut seulement quelques jours sans voir la reine, pendant lequel temps tous les mécontents lui firent la cour à l'ordinaire ; et, à dire le vrai, il y en avoit peu d'autres. Quoiqu'il fût lieutenant général de l'État, l'on prévoyoit bien ce qui arriveroit. Pendant ce temps-là, ceux qui négocioient alloient les soirs en cachette du Palais-Royal à celui d'Orléans, et on les nomma oublieurs,40 parce qu'ils n'alloient que la nuit.
La déclaration, dont j'ai parlé, fut fort avantageuse aux prisonniers, parce qu'il y avoit un article qui portoit qu'ils ne le seroient que vingt-quatre heures, sans être interrogées, et que les coupables seroient punis et les innocents mis en liberté. C'étoit terriblement borner l'autorité du roi, et c'étoit bien là un article passé en minorité.41 Quoiqu'il faille rendre la justice à tout le monde, il est des crimes qui ne vont pas à la mort, et qui toutefois doivent obliger le roi de retenir les gens en prison, sans rendre compte des sujets pour lesquels on les y met. Comme il ne doit compte de ses actions qu'à Dieu, il étoit bien rude que l'on voulût par cette déclaration le contraindre à le rendre au parlement. Je suis née d'une qualité si peu propre à approuver cet endroit de la déclaration, qu'il est vraisemblable que les gens qui y sont inférieurs l'approuvent par la pente naturelle que chacun auroit à être maître. Il me semble que l'autorité d'un seul tient tant de la divinité, que l'on devroit avec joie et respect s'y soumettre par son propre choix, quand Dieu ne nous y auroit pas fait naître. Pour moi je comprends fort bien que, si j'étois née dans une république, je serois toute propre à la révolter, si je pouvois, quand même ce ne seroit pas pour moi ; tant j'estime la monarchie.
Saujon se trouva fort bien de la déclaration ; l'on envoya les ordres du roi à M. l'abbé d'Aisnay,42 lieutenant du roi en Lyonnois, et qui commandé à Lyon, en l'absence de son frère, M. le maréchal de Villeroi ; l'ordre portoit que Saujon s'en iroit en l'une de ses maisons ; ce qui auroit été fort difficile : Saujon étoit un gentilhomme qui n'avoit que la cape et l'épée.
NOTES
1. François de Rochechouart, commandeur de Lagny-le-Sec, de l'ordre de Malte, mort en 1670.
2. Voy. plus haut sur mademoiselle de Guerchy.
3. Élisabeth-Angélique de Montmorency-Bouteville, duchesse de Châtillon. Elle était née en 1626 et mourut en 1695. Elle avait, en 1647, vingt et un ans et était dans tout l'éclat de sa beauté, une des plus renommées de la cour.
4. Ce voyage de la cour eut lieu au mois de mai 1647 ; elle quitta Paris le 9 mai. Il a déjà été question plus haut (Chapitre IV, p. 118-120) de ce voyage, qui a été placé a tort en 1646.
5. Louise de Béon, morte le 2 septembre 1655.
6. Octave Piccolomini, un des plus célèbres généraux de la guerre de Trente ans, né en 1599, mort en 1656. Voy. aussi cette page.
7. Amaury Goyon, marquis de La Moussaye, un des Petits-maîtres attachés à Condé. On lui doit une relation de la bataille de Rocroy. Ce fut le 29 juin 1647 que La Moussaye arriva à Paris, porteur de la nouvelle de la levée du siége, d'après le Journal d'Olivier d'Ormesson: « Le dimanche 30 juin, je fus chez M. de Metz (Henri de Bourbon-Verneuil). M. Pelot m'apprit que M. de La Moussaye étoit arrivé la veille, qui apportoit la nouvelle de la levée du siége de Lérida. »
8. Le siége de Lérida fut levé le 17 ou 18 juin 1647.
9. On lui avait refusé la charge de grand amiral qu'avait le maréchal de Brézé, son beau-frère. Voy. plus haut, Chapitre IV, p. 123.
10. Les ennemis du prince de Condé répandirent à cette occasion des chansons injurieuses. En voici une qui se trouve dans le recueil dit de Maurepas (B. nat., mss, t. II, p. 367). On n'en citera que les premiers couplets comme un spécimen de ce genre de documents. Cette chanson ne dut son succès qu'aux médisances et aux calomnies dont elle est remplie contre les hommes et les femmes de cette époque. On a trouvé moyen, dans les premiers couplets, d'attaquer à la fois Condé et son père qui venait de mourir.
Ils reviennent, nos guerriers
Fort peu chargés de lauriers ;
La couronne en est trop chère,
Lère la lère, lanière,
Lère la,
A Lérida.La victoire a demandé :
Quoi ? le prince de Condé ?
Je l'avois pris pour son père,
Lère, etc.Quand il a changé de nom,
Il a perdu son renom ;
Pour lui je n'ai rien pu faire,
Lère, etc.Ce bon prince, assurément,
Parut bien ouvertement
Le digne fils de son père,
Lère, etc.
11. L'usage des mouches, dans la toilette des femmes, paraît dater du XVIIe siècle, d'après une pièce datée de 1656 et conservée dans les mss. Conrart, Bibliot. de l'Arsenal, in-fo, t. XI, p. 313-315. Cette pièce, qui est signée la bonne faiseuse, commence ainsi :
Après avoir raconté à sa manière l'origine de cette mode, l'auteur termine ainsi :J'en ai de toutes les façons
Pour radoucir les yeux, pour parer le visage,
Et pourvu qu'une adroite main
Les sache bien mettre en usage,
On ne les met jamais en vain.
Si ma mouche est mise en pratique,
Tel galant qui vous fait la nique,
S'il n'est pris aujourd'hui s'y trouve pris demain ;
Qu'il soit indifférent ou qu'il fasse le vain,
A la fin la mouche le pique.
Ce Dieu redouté des humains,
Que fait toujours mille desseins
Contre la liberté des hommes,
Mit en vogue, au siècle ou nous sommes,
Toutes ces belles mouches-là.
Voy. aussi la fable de La Fontaine intitulée : la Mouche et la Fourmi.
[The word first occurs in English early in the fourth quarter of the seventeeth century (without explanation, implying that il was already at least somewhat known and hence dated back to at latest the third quarter).]
12. Louis XIV fut aussi malade vers la fin de l'année 1647. La petite vérole se déclara le 11 novembre. Oliv. d'Ormesson dit à cette occasion : « La maladie du roi de la petite vérole l'avoit mis en très-grand péril, dont Monsieur avoit témoigné allégresse, le petit Monsieur (Philippe d'Anjou, frère de Louis XIV) étant chez M. de Mauroy tout languissant, jusque à que, Monsieur soupant chez Fremont avec M. de La Rivière, on avoit bu à la santé de Gaston 1er. L'on avoit déjà partagé les charges ; même la reine fut avertie que l'on avoit fait dessein d'enlever le petit Monsieur chez M. de Mauroy, la nuit d'un samedi au dimanche que le roi étoit très-mal ; et, pour l'empêcher, le maréchal de Schomberg fut toute la nuit à cheval avec la compagnie de gens d'armes. Et de tout ce Monsieur fit des excuses, et M. d'Émery fit l'accommodement de La Rivière. »
13. Il y a encore ici des erreurs chronologiques qu'il est nécessaire de signaler ; ce fut en 1646, et non en 1647 que le duc de Guise alla à Rome. Le Journal d'Oliv. d'Ormesson, qui fut rédigé au moment même des événements, et dont les dates sont très-précises, ne laisse aucun doute sur ce point : « Le lundi 29 octobre 1646, M. de Guise partit avec M. l'abbé d'Elbeuf pour aller à Rome faire rompre, à ce qu'on dit, son mariage d'avec madame de Bossu et épouser ensuite mademoiselle de Pons. On croit que si la comtesse de Bossu peut lui parler à Rome, il en redeviendra amoureux. D'autres disent que c'est pour rentrer dans ses bénéfices. » On peut consulter sur ce sujet les prétendus Mémoires de Henri de Lorraine, duc de Guise, qui commencent précisément au voyage de ce prince à Rome ; l'auteur de cet ouvrage a dédaigné les indications chronologiques.
Il a déjà été question de Suzanne de Pons, fille de Jean-Jacques de Pons. Madame de Motteville en parle plusieurs fois et entre autres à l'année 1646 : « Le duc de Guise, dont le cur alloit voltigeant de passion en passion, aimoit alors mademoiselle de Pons, fille de la reine, belle, de bonne maison, et fort coquette ; il lui avoit promis de l'épouser quoiqu'en effet il fût marié à la comtesse de Bossu, en Flandre. Pour lui tenir sa promesse, il résolut d'aller à Rome pour faire rompre son mariage avec cette dame ; mais il n'y réussit pas. » Mademoiselle de Pons ne tarda pas à quitter la cour, comme le prouvent les mêmes Mémoires, à l'année 1647 : « Mademoiselle de Pons étoit depuis quelque temps sortie de la cour, et vivoit sous les ordres de ce prince (le duc de Guise). Elle étoit dans un couvent irrégulier depuis qu'elle n'étoit plus auprès de la reine, servie par les officiers du duc de Guise et défrayée, à ses dépens. » Madame de Motteville, d'ordinaire portée à l'indulgence, a caractérisé Suzanne de Pon avec une énergique sévérité ; elle l'appelle gloutonne de plaisir. Le passage entier mérite d'être cité (Mémoires au commencement de l'année 1648) : « Mademoiselle de Pons, qui n'étoit qu'à demi enfermée, n'étoit pas si remplie des grandes pensées de la couronne et des espérances de l'avenir que le présent ne lui fût encore plus cher. Elle comptoit sûrement sur la passion que le duc de Guise avoit pour elle ; elle se mettoit déjà au rang des plus grandes reines de l'Europe : mais cela ne l'empêchoit pas de songer à se divertir. Cette âme, gloutonne de plaisir, n'étoit pas satisfaite d'un amant absent qui l'adoroit, et d'un héros qui pour la mériter vouloit sa faire souverain et mettre à ses pieds toutes ses victoires. L'ambition et l'amour ensemble n'étoient pas des charmes assez puissants pour occuper son cur entièrement : il falloit pour la satisfaire qu'elle allât se promener au Cours, qu'elle fût de quelques cadeaux (fêtes), qui se firent pour elle, et qu'elle reçût de l'encens de toutes ces nouvelles conquêtes. Madame de Guise, craignant qu'elle n'allât trouver le duc de Guise, son fils, supplia la reine de la faire enfermer dans une religion (abbaye) plus réformée que celle où elle étoit ; car elle ne trouvoit pas à propos de la laisser espérer d'être reine, ni même duchesse de Guise, et la vie qu'elle menoit de toute manière ne lui plaisoit pas. La reine, qui regardoit alors l'affaire de Naples comme une chose qui pouvoit devenir considérable, fut bien aise de lui complaire en cela ; et, comme cette fille avoit eu l'honneur d'être à elle, il étoit juste qu'elle prît soin de sa conduite. Madame la duchesse d'Aiguillon, qui lui avoit fait ce mauvais présent, par son ordre fit savoir à mademoiselle de Pons qu'il falloit qu'elle entrât dans les filles de Sainte-Marie. Elle n'aimoit pas à être contrainte ; ainsi elle obéit à ce commandement avec beaucoup de peine, et demeura dans ce couvent malgré elle jusqu'à ce que le peu de bonheur du duc de Guise et l'inclination de la demoiselle, qui n'étoit pas tournée du côté de la pénitence, la mirent dans une entière liberté. »
14. Il is unlikely that the French throne, always greedy for money, always seeking to consolidate its hold on power and territory, would have sanctioned, let alone encouraged, Mademoiselle's marriage to a foreign power (and for that matter, to practically anyone save the French monarch himself or, just possibly, to a captive prince like Charles, Prince of Wales or, later, the King of Portugal) ; she was, after all, enormously wealthy, and her temporal powers, inherited from her mother, were, at least theoretically, significant.
15. Ce fut au mois de mai 1648 que Saujon fut arrêté.
16. Prévôt de l'Isle de France.
17. Lieutenant du prévôt de Paris, qui était chargé de l'instruction et du jugement des affaires criminelles au Châtelet de Paris.
18. Olivier d'Ormesson dit, à la date du 6 mai 1648 : « Chacun parloit diversement d'une autre nouvelle : Mademoiselle est accusée d'avoir voulu se marier avec l'archiduc Léopold. Saujon, que l'on dit avoir fait les négociations, est à la Bastille. Elle a été traitée par la reine d'insolent en présence de Monsieur. On lui a donné ensuite des gardes chez elle ; elle dénie hardiment le fait, désavoue Saujon et ses lettres, et parle fort courageusement. Les uns disent qu'elle a véritablement ménagé cette affaire, et qu'elle devoit se rendre sur la frontière ; les autres, que c'est une pièce qu'on lui joue, parce qu'elle a demandé son bien et a maltraité et appelé coquin La Rivière, n'ayant nulle apparence qu'elle eût entendu à ce mariage qui ne lui peut être avantageux. » Tous ces doutes sont éclaircis par les Mémoires de Mademoiselle. Je n'ai fait la citation du Journal d'Olivier d'Ormesson que pour préciser les dates et montrer que l'opinion publique s'occupait de ces événements qui ne paraissent d'abord avoir d'intérêt que pour Mademoiselle.
19. La reine Anne d'Autriche avait subi, entre autres, un interrogatoire au Val-de-Grâce, dont le procès-verbal est parvenu jusqu'à nous et a été publié par M. Cousin dans les pièces annexées à l'ouvrage intitulé : Madame de Chevreuse. Madame de Motteville donne une idée de l'humiliation qu'avait subie Anne d'Autriche dans le passage suivant de ses Mémoires [Mémoires de Mme de Motteville sur Anne d'Autriche et sa cour; Edition nouvelle ed. d'après le manuscrit de Conrart avec une annotation extraite de Montglat. Paris, G. Charpentier, 1855. 4 v. A somewhat abridged English translation is available: Memoirs of Madame de Motteville on Anne of Austria and her court. With an introduction by C.-A. Sainte-Beuve. Translated by Katharine P. Wormeley, illustrated with portraits from the original. Boston, Hardy, Pratt & Co. ["Cour de France edition"], 1902], à la date de 1638 : « Elle avoit été réduite à ce point de ne pouvoir obtenir de pardon qu'en signant de sa propre main qu'elle étoit coupable de toutes les choses dont elle étoit accusée, et le demanda au roi en termes fort humbles et fort soumis, se confessant elle-même indigne de l'obtenir. »
Voy. aussi le premier chapitre.
20. Comme on a indiqué plus haut, ce fut le 5 avril 1648 qu'il fut fait prisonnier. La nouvelle devint publique à Paris le 29 avril. « Le mercredi 29 avril, se publia l'affaire de Naples ; même la reine alla visiter madame de Guise. » (J. d'Oliv. d'Ormesson.)
21. Il a été question plus haut de M. et de madame de Montglat : Chapitre I, note 6 et Chapitre II.
22. Marie de Bragelongne ou de Bragelonne, femme de Claude Bouthillier ou Le Bouthillier, qui avait été surintendant des finances sous le règne de Louis XIII.
23. Il s'agit probablement de Madame de La Tremouille, qui fut abbesse de Pont-aux-Dames, et mourut en 1676.
24. La bataille de Lens fut gagnée le 20 août 1648 par le prince de Condé, sur les Espagnols que commandait l'archiduc Léopold.
25. René Potier, seigneur de Blancmesnil, fut successivement conseiller au parlement de Paris et président en la première chambre des enquêtes. Il mourut le 17 novembre 1680. Il est sévèrement caractérisé dans le tableau du parlement de Paris: « Mélancolique, extravagant, bizarre, de très-mauvaise humeur, foible, de difficile accès, ne manque pas de sens, mais prend toujours les affaires à contre-pied, peu sûr et de qui on ne se peut rien promettre, obstiné quelquefois, par boutade au parti qu'il prend, n'a point de crédit dans sa chambre. » Il ne faut pas oublier en lisant ces notes, rédigées probablement vers 1657 pour le cardinal de Mazarin, que les frondeurs y sont très-maltraités.
26. Pierre Broussel, conseiller en la grand'chambre du parlement de Paris.
27. Allusion aux barricades de 1588.
28. Cette porte était située à l'extrémité occidentale de la terrasse des Tuileries, qui longa la Seine. Elle tirait probablement son nom des conférences qui eurent lieu, en 1593, entre les députés de Henri IV et ceux de la Ligue, et qu'on appelle conférences de Suresne. Cette porte fut détruite en 1730.
29. La Tour de Nesle était située sur les bords de la Seine (rive gauche du fleuve). Elle fut rasée en 1663 avec ce qui restait de l'hôtel de Nesle ; et, sur l'emplacement, on bâtit le collège des Quatre-Nations ou collège Mazarin (aujourd'hui palais de l'Institut).
30. L'hôtel de Luynes était situé sur le quai des Augustins, au coin de la rue Gît-le-Cur. Il a été démoli en 1672. Voy. Journée des barricades.
31. François Le Coigneux, seigneur de Bachaumont, fils du président Le Coigneux.
32. Ce départ de la cour eut lieu le 13 septembre 1648. Olivier d'Ormesson dit dans son Journal: « Le dimanche 13 septembre, je fus pour aller à la messe du roi. J'appris de M. Rose (Toussaint Rose, secrétaire du cabinet du roi) que le roi étoit parti dès six heures du matin, avec M. le cardinal, pour Ruel ; que la reine iroit l'après-dînée. Chacun commençoit à parler comme d'une fuite à Paris. »
33. On appelait paulette, ou droit annuel, un impôt que les magistrats payaient pour devenir propriétaires de leurs charges. Il avait été établi par Sully, en 1604, et affermé au financier Paulet, d'où il prit le nom de paulette. Le droit payé annuellement par les magistrats était le soixantième du prix de leur charge. Il ne s'agissait pas seulement de la paulette dans les discussions du parlement. On y préparait la célèbre déclaration du 24 octobre, l'acte le plus important des discussions parlementaires de cette époque. Voy. Déclaration du 24 octobre 1648.
34. Jean-Casimir Wasa succéda, en 1648, à son frère Wladislas VII, comme roi de Pologne, et épousa sa veuve Louise-Marie de Gonzague-Nevers.
35. Louis-Charles Gaston de Nogaret et de Foix, duc de Candale, fils de Bernard, duc d'Épernon. Né en 1627, il mourut en 1658. Il était renommé par son élégance et ses succès auprès des femmes.
36. Le grand couvent des Carmélites de Paris était situé au faubourg Saint-Jacques. Elles avaient leur petit couvent rue Chapon. On trouvera beaucoup de détails sur les Carmélites et en particulier sur mademoiselle d'Épernon, dans l'ouvrage où M. Cousin a retracé la vie de madame de Longueville. [Victor Cousin, 1853 : Madame de Longueville. Nouvelles études sur les femmes illustres et la société du XVIIe siècle. La jeunesse de Madame de Longueville. Paris : Didier.]
37. Voy. Déclaration du 24 octobre 1648
38. Françoise-Madeleine d'Orléans, née le 13 octobre 1648, mariée en 1663 à Charles-Emmanuel II, duc de Savoie, morte en 1664.
39. On voit par les carnets du cardinal Mazarin à quel point les exigences perpétuelles de l'abbé de La Rivière lui étaient devenues odieuses. « La Rivière, écrivait-il (carnet XIII, p. 2 et 3), est insouffrable, se conduit le plus désobligeamment du monde, n'aime rien. tout doit servir à son contentement et avantage ; point de probité, vérité et amitié. C'est une masse de timidité : celui qui le fait le plus craindre a plus de pouvoir sur lui et en dispose mieux. Cette timidité le fait avoir toujours mille égards ; il craint M. le Prince et il le veut contenter, craint le parti contraire et travaille à sa satisfaction, sans s'apercevoir qu'il est impossible de faire deux choses de diamètres contraires ; mais sa peur l'empêche de le voir. Il est persuadé que tout doit être sacrifié pour son cardinalat.... Il n'entend rien faire que son maître n'applaudisse à tout ce qu'il dit, et est persuadé que chacun en doit faire de même, et est altier au point que personne ne veut avoir affaire à lui. » Mazarin énumère à la page suivante (p. 4 du carnet XIII) les richesses dont était comblé La Rivière, qui ne craignait pas de solliciter encore l'archevêché de Reims, la première dignité ecclésiastique de France à cette époque ; et il termine par ces mots : « Il est admirable que, dans le même temps qu'il en fait instance, il exagère qu'il n'est intéressé ni ambitieux. Et néanmoins avec cela il faut dissimuler, et, pour sauver le tout, il faut le contenter ; car autrement S. A. R. (Gaston d'Orléans) prendroit de mauvaises résolutions ; tant est grand l'ascendant que ledit abbé a sur lui. »
40. Allusion à ces garçons pâtissiers qui, sur les huit heures du soir, allaient l'hiver par Paris crier des oublies, qui sont une espèce de pâte faite de farine, d'ufs et de miel, qu'on fait cuite entre deux fers sur le feu. Ces oublieurs ont été chassés depuis quelques années. (Note de l'édition de 1735.)
41. Les carnets autographes de Mazarin prouvent que tel était aussi l'opinion de ce ministre, et qu'il était indigné des prétentions hautaines du parlement : « C'est une chose étrange, écrivait Mazarin (carnet X, p. 64), qu'insensiblement le roi se réduise à traiter un accommodement avec le parlement d'égal à égal et sans que la reine le puisse empêcher, puisque les personnes les plus considérables auprès d'elle donnent par leur conduite les mains à cela. » L'article, dont parle Mademoiselle, fut un de ceux qui coûtèrent le plus à Mazarin. « Le président de Mesmes, écrit le ministre à la même page de ses carnets, est fort déclaré pour la sûreté publique et contre les lettres de cachet. » Et un peu plus loin (p. 66) : « c'est étrange qu'en traitant avec l'empereur et le roi d'Espagne on le fasse civilement, quoique [nous] soyons en guerre, et que, en se relâchant de quelque point on se relâche d'autres ; et avec le parlement, après avoir, de quarante articles, relâché à leur satisfaction entière les trente-neuf [premiers], on insiste pour le dernier comme si de rien n'étoit. »
42. Camille de Neufville, né en 1606, mort en 1698. Il était lieutenant général au gouvernement de Lyon et du Lyonnais, qui appartenait à son frère Charles de Neufville, maréchal-duc de Villeroy. Aisnay ou Aînay était une ancienne abbaye de Bénédictins, de la congrégation de Cluny, situé au confluent de la Saône et du Rhône.
Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris : Charpentier, 1858. T. I, Chap. V : p. 143-191.
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