Boo the Cat. Hoorah!

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CHAPITRE XIV.

(juillet-15 septembre 1652.)

aoûtseptembre

Il y avoit longtemps que l'on parloit de faire une assemblée générale à l'Hôtel[-de-Ville] pour faire une union entre elle et le parlement, Monsieur et M. le Prince ; pour voir aussi faire un fonds pour payer les troupes et pour en faire de nouvelles. Cette assemblée fut donc convoquée, et elle se tint le 4 de juillet, qui fut un jour après le combat,1 où, pour se reconnoître, M. le Prince avoit fait prendre à tous ses soldats de la paille. Je ne sais comment cela fut su parmi le peuple ; enfin ils crurent que, pour être zélés pour le parti, il en falloit avoir ; de sorte que, le matin du 4, cela courut tellement que même les religieux furent contraints d'en prendre, et ceux qui n'en avoient point l'on leur crioit au mazarin ! et ils étoient battus.2

Je m'en allai à Luxembourg après avoir dîné ; je trouvai Monsieur fort en colère contre M. le Prince, qui le pressoit d'aller à l'Hôtel-de-Ville ; il ne le vouloit point. Je ne savois ce que c'étoit que tout ce mystère ; cela m'effraya fort. J'envoyai promptement chercher M. le Prince, qui étoit dans la chambre de Monsieur, et lui demandai ce que c'étoit que la colère où étoit Monsieur, qui me paroissoit être contre lui. Il me dit : « Ce n'est rien : Monsieur craint une sédition à cause de la paille. » Je lui dis que je ne comprenois point ce que c'étoit et qu'il me l'expliquât ; ce qu'il fit de la manière dont j'en ai parlé.

Il me fit connoître que rien n'étoit si nécessaire, en l'état où étoient nos affaires, que l'assemblée que l'on tenoit à l'Hôtel-de-Ville, et que, si Monsieur n'y alloit point, cela feroit un fort mauvais effet ; de sorte que, lorsque Monsieur m'en vint reparler, je le pressai fort de l'y aller. Mais il me paroissoit être bien contraire aux sentiments de M. le Prince. Tout d'un coup il s'y résolut y alla, mais un peu tard à la vérité. L'assemblée devoit commencer à deux heures, et Son Altesse royale n'y alla qu'à quatre ; ce qui fut cause qu'il s'assembla une grande quantité de peuple autour de l'Hôtel-de-Ville et force canaille.

L'on devoit reconnoître en cette assemblée Monsieur pour lieutenant général de l'État, comme l'on avoit fait au parlement, avec pouvoir de donner ordre à toutes choses, ayant l'autorité du roi entre les mains, tant que Sa Majesté seroit prisonnière en celles du cardinal Mazarin, déclaré ennemi de l'État, criminel et perturbateur du repos public par arrêts de tous les parlements, banni pour jamais du royaume, et ces arrêts depuis confirmés par plusieurs déclarations du roi ; que depuis l'on avoit mis sa tête a prix ; que toutes ces choses le rendoient indigne d'être dépositaire d'une personne aussi sacrée que celle du roi ; et que les peuples, connoissant le zèle de Son Altesse royale pour l'État et pour Sa Majesté, son amour pour la patrie et pour le bien public, toutes choses prospéreroient par son ministère.

M. le Prince devoit aussi, suivant ce qui avoit été fait au parlement, être déclaré généralissime des armées du roi. Cet emploi ne lui convenoit pas mal, et je crois que personne ne doutoit qu'il ne s'en acquittât bien. Il me semble que tout cela étoit assez nécessaire pour obliger Monsieur à ne pas faire difficulté d'y aller, comme3 lui et M. le Prince n'assistoient pas aux délibérations de l'Hôtel-de-Ville, n'étant pas de leur corps, après avoir déclaré en pleine assemblée, comme ils avoient fait en parlement, qu'ils n'avoient d'intérêt que le service du roi et le bien public ; qu'ils ne faisoient la guerre qu'à cette fin et pour chasser le cardinal Mazarin hors du royaume, et que, dès qu'il en seroit [dehors], ils mettroient bas les armes.4

Cependant qu'ils étoient à l'Hôtel-de-Ville, ne sachant que faire, je m'étois allée promener dans les rues avec un bouquet de paille à mon éventail, noué d'un ruban bleu, qui étoit la couleur du parti. Tout le peuple crioit fort ce jour-là : Vivent le roi, les princes, et point de Mazarin ! Je m'en retournai à Luxembourg, où Monsieur arriva un moment après et entra dans sa chambre pour changer de chemise, ayant eu grand chaud à l'Hôtel-de-Ville. M. le Prince demeura avec moi dans l'antichambre, où étoient madame la duchesse de Sully, la comtesse de Fiesque et madame de Villars-Orodante. Il s'amusa à lire des lettres qu'un trompette de M. de Turenne lui apporta. Je lui demandai ce que c'étoit ; il me dit : « C'est pour des prisonniers ; si c'étoit quelque chose qui pût vous divertir, je vous montrerois les lettres. »

Dans ce moment, il vint un bourgeois essoufflé et qui ne pouvoit quasi parler, tant la vitesse dont il étoit venu et la frayeur qu'il avoit l'avoient saisi. Il nous dit : « Le feu est à l'Hôtel-de-Ville et l'on y tire ; l'on se tue, et c'est la plus grande pitié du monde. » M. le Prince entra pour le dire à Monsieur, qui fut si surpris de cette nouvelle que cela lui fit oublier qu'il n'étoit pas habillé : il sortit et vint en chemise devant toutes les dames que j'ai nommées. Il dit à M. le Prince : « Mon cousin, allez à l'Hôtel-de-Ville ; vous donnerez ordre à tout. » Il lui répondit : « Monsieur, il n'y a point d'occasions où je n'aille pour votre service ; mais je ne suis pas homme de sédition, je ne m'y entends point et j'y suis fort poltron. Envoyez-y M. de Beaufort : il est aimé et connu parmi le peuple ; il y servira plus utilement que je ne pourrois faire. »

L'on envoya M. de Beaufort. Monsieur et M. le Prince me parurent être fort étonnés de cet accident, et souhaitoient fort d'y remédier, agissant et disant toutes les choses nécessaires pour cela. J'entrai dans le cabinet de Monsieur et je lui proposai et à M. le Prince que, s'ils vouloient, j'irois tâcher à pacifier les choses, et que ce seroit faire un coup de partie si l'on se servoit de cette rencontre pour mettre le maréchal de L'Hôpital dehors et le prévôt des marchands ; que le peuple en seroit fort content, et que nous ne pouvions donner une plus grande marque de l'autorité que nous avions que de les tirer de l'embarras où ils étoient, d'entre les bras d'un peuple irrité contre eux. Ils dirent que, si je pouvois réussir, ce seroit bien, et que je m'y en allasse. M. le Prince voulut venir avec moi : je ne le voulus point. Tout ce qui se trouva de gens de Son Altesse royale et de M. le Prince, d'officiers d'armée, me suivirent ; madame de Sully, qui étoit avec moi, et madame de Villars-Orodante. La comtesse de Fiesque, la mère et la fille, avoient assez de peur.

Nous trouvâmes en sortant de Luxembourg un homme mort dans la rue : cela ne servit pas à les rassurer. Si nous avions été jusque dans la Grève, comme c'étoit ma pensée, l'on auroit couru quelque péril, et beaucoup plus qu'en de plus belles occasions ; de sorte que nous nous mîmes à prier Dieu, croyant nous aller exposer, et chacun songea tout de bon à ses conscience. Comme je fus au bout de la rue de Gêvres,5 prête à tourner sur le pont Notre-Dame, nous vîmes rapporter mort M. Ferrand de Jenveri,6 conseiller au parlement, fort de nos amis ; j'en eus beaucoup de regret. Ceux qui venoient de là disoient que l'on avoit tiré même sur le Saint-Sacrement7 ; de sorte que l'on m'empêcha d'y aller. Tout ce qu'il y avoit de gens avec moi mirent pied à terre et entourèrent mon carrosse. J'avois beau envoyer à l'Hôtel-de-Ville ; il ne venoit point de réponse. L'on y tua encore un autre conseiller, nommé Miron,8 fort honnête homme et fort de nos amis. Enfin, après avoir été longtemps sans pouvoir savoir même ce qui se passoit, j'avois résolu d'y envoyer un trompette et de les faire sommer ; mais il ne s'en trouva point. Je m'en allai en chercher à l'hôtel de Nemours,9 où je n'en trouvai point. M. de Nemours se portoit assez bien de sa blessure : car elle avoit été très-légère.

Il m'arriva un accident sur le Petit-Pont, qui m'auroit bien fait peur un autre jour, que j'aurois eu moins de choses dans l'esprit : mon carrosse s'accrocha à la charrette des morts que l'on mène toutes les nuits de l'Hôtel-de-Dieu à la Trinité.10 Je ne fis que changer de portière, de craint que quelques pieds ou mains qui sortoient ne me donnassent dans le nez.

Je m'en retournai à Luxembourg, où je rendis compte de mon voyage ; j'eus peu de choses à dire, ayant peu fait. Monsieur voulut que j'y retournasse encore : ce que je fis avec les mêmes personnes dans mon carrosse, hors madame de Villars, qui étoit demeurée à l'hôtel de Nemours, et la bonne femme comtesse de Fiesque, qui s'en alla coucher. J'étois moins accompagnée que la première fois : car tout ce qui m'avoit suivi la première fois, voyant qu'à minuit j'étois à Luxembourg, ils crurent qu'il n'y avoit plus rien à faire.

Je trouvai toutes les rues pleines de corps de garde et point du peuple : tout le monde étoit retiré. Des corps de garde, ils me donnoient une escouade pour m'escorter. Je trouvai madame Riche, une vendeuse de rubans, en chemise (car il avoit fait un fort grand chaud ce jour-là, et la nuit étoit la plus belle qui se puisse) avec le bedeau de Saint-Jacques de la Boucherie, qu'elle appeloit son compère Paquier : il étoit en caleçon. Cette mascarade-là me parut assez plaisante ; ils se mirent à me faire mille contes en leur patois de francs badauds, qui me firent rire, nonobstant l'embarras où l'on étoit. Comme je fus dans la place de Grève, mon carrosse étoit arrêté ; il vint un homme qui mit la main sur la portière où j'étois, et me demanda : « Le Prince est-il là » Je lui répondis : « Non. » Il s'en alla ; il étoit sans manteau. Ainsi je vis, à la lueur des flambeaux qui étoient devant mon carrosse, qu'il avoit quelque arme sous son bras, que je ne pus pas bien discerner. Mais, ayant fait réflexion, après qu'il s'en fut allé, je jugeai que c'étoit un homme qui vouloit tuer M. le Prince. Je suis bien fâchée de n'avoir pas eu cette pensée d'abord : car je l'aurois fait arrêter ; je ne sais même si je lui ai dit depuis.

M. de Beaufort vint au-devant de moi, qui fit avancer mon carrosse et qui me mena dans l'Hôtel-de-Ville. Nous passâmes par-dessus des poutres qui étoient encore toutes fumantes du feu qui y avoit été ; je ne vis jamais un lieu si solitaire : nous tournâmes tout autour sans trouver qui que ce soit. Comme je fus dans la grande salle, je m'amusai à regarder les échafauds et la disposition de l'assemblée qui y avoit été. Il vint pendant ce temps-là un nommé Le Fèvre, qui est maître-d'hôtel de la Ville, et qui est officier de Son Altesse royale, qui me dit que M. le prévôt des marchands étoit dans un cabinet et qu'il seroit bien aise de me voir ; je m'y en allai. Je laissai ces dames dans la halle, et je menai avec moi MM. les comtes de Fiesque et de Béthune, et Préfontaine. Je trouvai M. le Fèvre11 avec une perruque qui le déguisoit, avec un visage aussi serein et aussi tranquille que s'il ne lui étoit rien arrivé.

Je lui dis : « Son Altesse royale m'a envoyée ici pour vous tirer d'affaire, j'ai accepté cette commission avec joie, ayant toujours eu de l'estime pour vous. Je n'entre point dans les sujets de plaintes que le parti a eus d'en faire : car pour moi, je crois que vous avez cru bien faire, et que, si vous avez manqué, ce n'a pas été votre intention ; mais quelquefois l'on a des amis qui s'embarquent à des choses fâcheuses. » Il me répondit que je lui faisois beaucoup d'honneur d'avoir cette pensée de lui ; qu'il étoit très-humble serviteur de Son Altesse royale et de moi, et qu'il ne manqueroit jamais de reconnoissance des obligations qu'il nous avoit ; et qu'il agissoit, selon qu'il le croyoit faire en honneur et en conscience ; qu'il voyoit bien que l'on le vouloit déposséder ; qu'il étoit tout prêt à me donner sa démission, et qu'il s'estimeroit fort heureux, dans un temps comme celui-ci, de n'être point en charge. Il demanda du papier et de l'encre. Je lui dis : « Je rendrai compte à Son Altesse royale de ce que vous me dites : si l'on veut votre démission, l'on vous l'enverra demander ; mais pour moi, je ne m'en veux point charger, et je serois fâchée d'exiger rien d'un homme à qui je viens sauver la vie. »

M. de Beaufort lui demanda : « Que voulez-vous devenir ? » Il lui répondit qu'il seroit bien aise de s'en aller à son logis, et qu'il s'y croiroit en sûreté ; de sorte que, pour plus grande [précaution], M. de Beaufort alla reconnoître une petite porte par où il vouloit passer avec un de ses gens ; puis il le vint querir. Le bonhomme me parut assez aise de s'en aller, et en partant, me fit mille compliments de la bonté que j'avois eue pour lui ; à dire le vrai, je le tirai d'un assez mauvais pas. Je demeurai là jusqu'à ce que M. de Beaufort fût de retour. Puis je m'en allai dans la grande salle, où j'appris de madame de Sully qu'il avoit passé entre la comtesse de Fiesque et elle une balle de mousquet d'un coup que l'on avoit tiré dans la place, qui leur avoit fait grand peur.

Je m'en allai au bout de la salle, pensant entrer dans une chambre où l'on m'avoit dit qu'étoit le maréchal de L'Hôpital, pour le sauver de même que le prévôt des marchands ; je [le] lui avois mandé, et il m'avoit dit que je lui ferois beaucoup d'honneur. Je ne sais si ce fut qu'il se méfiât de M. de Beaufort, qu'il croyoit qui avoit causé tout ce désordre pour être gouverneur de Paris, ou s'il ne trouvoit pas que cela fût de sa dignité de chercher sûreté entre les bras de ses ennemis. Au lieu de m'attendre, il passa par des fenêtres et se sauva12 ; de sorte que, comme j'eus été une heure à la porte sans que l'on me répondit, je m'ennuyai. Le jour commençoit à être assez grand ; le peuple se rassembloit, et il y avoit à craindre que, dans l'humeur où ils étoient ils n'eussent de la méfiance du long séjour que je faisois à l'Hôtel-de-Ville. Comme je sortis, tout ce que je trouvai de gens me disoit : « Dieu vous bénisse ! tout ce que vous faites est bien fait. » Je n'allai point à Luxembourg, étant quatre heures du matin ; je m'en allai me coucher et je dormis le lendemain tout le jour.

Sur le soir, M. le comte de Fiesque me vint dire qu'il avoit rendu compte à Son Altesse royale de ce qui s'étoit passé, et qu'elle l'avoit chargé d'aller, avec le comte de Béthune, chez M. le Fèvre pour lui demander la démission qu'il m'avoit promise devant eux, et [qu'il vouloit] que Préfontaine, qui en étoit témoin, y allât aussi. Il ne fit nulle difficulté de la donner, et le jour d'après, on fit une assemblée à l'Hôtel-de-Ville pour créer M. de Broussel prévôt des marchands, qui vint ensuite à Luxembourg, en prêter serment entre les mains de Son Altesse royale, comme l'on a de coutume de le faire entre les mains du roi ; et M. le président de Thou tint le scrutin.13 J'étois dans la galerie de Luxembourg, lorsque cela se passa, et j'avoue que cela me parut être une comédie.

L'on a parlé diversement de cette affaire ; mais toujours l'on s'accordoit à en donner le blâme à Son Altesse royale et à M. le Prince. Je ne leur en ai jamais parlé, et je suis bien aise de l'ignorer, parce que s'ils avoient tort je serois fâchée de le savoir ; et cette action m'a tant déplu, que j'aurois beaucoup de déplaisir, que non-seulement elle eût été faite, mais tolérée par des personnes qui me sont si proches.14

Il se passa quelques jours sans qu'il arrivât rien de nouveau. Cette affaire fut le coup de massue du parti, à ma fantaisie15 : elle ôta la confiance parmi les gens les mieux intentionnés, intimida les plus hardis, ralentit le zèle de celui qui en avoit davantage ; enfin fit tous les plus mauvais effets qui pussent arriver. L'on parla de tenir un conseil plus réglé que l'on n'avoit encore fait ; il fallut pour cela voir ceux qui y entreroient, et, comme il y avoit beaucoup de princes, il naquit les disputes qui sont d'ordinaire dans ce royaume, où rien n'est réglé, et où il seroit difficile, tant qu'il y aura des princes étrangers, que les préséances le puissent être, les maisons de Lorraine et de Savoie n'en cédant point.

Depuis l'affaire d'Orléans, l'on avoit toujours cru que M. de Nemours en vouloit à M. de Beaufort. Cependant, le jour du combat [du faubourg] Saint-Antoine, ils s'étoient fait mille amitiés : ce qui donna bien de la joie à la pauvre madame de Nemours,16 qui aimoit beaucoup son mari, quoiqu'il ne l'aimât guère, et qui eut toujours beaucoup de tendresse pour son frère, qui l'y obligeoit bien par sa conduite et par une tendresse réciproque. Il s'émut donc quelque dispute pour le rang entre eux. M. de Beaufort prit la chose avec autant de douceur que M. de Nemours la prit avec aigreur ; cela donna beaucoup d'inquiétude à madame de Nemours. M. son mari ne sortoit point encore, à cause de la blessure qu'il avoit reçue à la porte Saint-Antoine. Lorsqu'il sortit, son inquiétude redoubla, et ce jour-là même Son Altesse royale et M. le Prince lui demandèrent sa parole, pour vingt-quatre heures, qu'il ne diroit rien à M. de Beaufort.

J'étois à mon logis toute seule : il n'y avoit avec moi que deux conseillers au parlement, Le Coudray et Bermont, et un capitaine du régiment de cavalerie de mon frère, qui avoit des béquilles, ayant été blessé à la dernière occasion. Il vint un homme qui demanda à parler à une de mes femmes ; il lui dit : « Je vous prie de dire à Mademoiselle que M. de Beaufort a querelle, et qu'il est dans le jardin des Tuileries qui se promène. » Je priai ces deux conseillers d'y aller : il ne se trouva au logis pas un de mes gentilshommes, ni page ni valet de pied, et qui que ce soit, qu'un valet de chambre que j'envoyai chez Bautru,17 où son Altesse royale alloit souvent jouer, pour l'en avertir. Cette solitude dans ma maison étoit assez extraordinaire ; car à cette heure-là il y avoit tous les jours cent officiers qui me venoient faire leur cour. Mon valet de chambre me rapporta qu'il n'avoit point trouvé Son Altesse royale, et qu'il avoit trouvé le comte de Bury qui lui avoit dit : « Assurez Mademoiselle que je ne quitterai point M. de Beaufort. »

Il vint un de ses pages à mon logis : je l'envoyai querir pour lui demander où étoit son maître ; il me dit qu'il lui avoit commandé de le venir attendre chez moi. Ces messieurs les conseillers, que j'avois envoyés aux Tuileries le chercher, me vinrent rapporter qu'ils ne l'avoient point trouvé,18 mais qu'il y avoit quatre ou cinq gentilshommes avec lui ; ce qui faisoit juger qu'il n'y avoit point de querelle. Madame de Chavigny19 entra lorsque nous étions en cette inquiétude, qui me dit que ce n'étoit point sans raison, parce que madame de Nemours venoit d'écrire un billet à M. de Chavigny pour l'avertir de prendre garde à son mari et à son frère.

Son Altesse royale arriva là-dessus, à qui je dis tout ce que j'avois appris ; il se moqua de mes avis, et me dit : « Vous croyez toujours que les gens ont querelle ; et par la crainte que vous en avez, vous seriez toute propre à faire aviser les gens d'en avoir. » Il s'en alla aux Tuileries et chez Renard, qui étoit la promenade ordinaire depuis que l'on n'alloit point au Cours. J'y allai aussi ; mais comme j'allois plus doucement, je demeurai derrière à parler à Jarzé. Comme je montois un degré qui mène à la terrasse de chez Renard, un page de madame de Châtillon me tire par la robe, et me dit : « Madame vous mande que M. de Nemours est aux Petits-Pères,20 et qu'ils se vont battre ; que vous le disiez à Monsieur. » Je pris ma course pour aller jusques à un bac où il étoit assis, et je lui dis : « J'avois tort tantôt de vous avertir ? Madame de Châtillon me mande telle chose. » Il fut fort surpris, et commanda au comte de Fiesque et [à] Fontrailles,21 qui se trouvèrent là, de s'y en aller ; mais ils y arrivèrent trop tard.

Un moment après, un laquais de l'hôtel de Vendôme vint dire : « M. de Nemours vient de mourir ; M. de Beaufort l'a tué. » Monsieur s'en alla aussitôt à Luxembourg, et M. le Prince chez madame de Nemours, où j'allai aussi ; elle étoit dans son lit sans connoissance, dans une affliction terrible, ses rideaux ouverts, tout le monde autour d'elle. Rien n'étoit plus pitoyable, aussi bien que la manière dont elle apprit ce malheureux accident : elle étoit dans sa chambre, dont la fenêtre donne sur la cour ; elle entendit crier : Il est mort ! Elle s'évanouit. Parmi toute cette désolation, madame la comtesse de Béthune dit je ne sais quoi d'un ton lamentable qui fit rire madame de Guise, qui étoit la plus sérieuse femme du monde ; de sorte que voyant cela, M. le Prince et moi, nous éclatâmes. Ce fut le plus grande scandale du monde.

Nous allâmes, madame de Guise, M. le Prince et moi, visiter M. de Reims, frère de M. de Nemours,22 où nous eûmes encore assez envie de rire : il étoit dans son lit tous les rideaux fermés, et parloit au travers.

Il y eut une furieuse fatalité à cette mort ; car Monsieur et M. le Prince ne s'étoient mis en nulle peine de la prévenir, croyant avoir la parole de M. de Nemours pour vingt-quatre heures. M. de Beaufort fit tout ce qu'il put au monde pour refuser l'appel, et Villars qui l'alla faire, fit tout ce qu'il put au monde pour s'en dispenser,23 à tel point que M. de Nemours se pensa fâcher contre lui. Enfin, comme M. de Beaufort ne put plus refuser, il trouva des difficultés pour l'exécution, ayant beaucoup de gentilshommes avec lui, dont il ne pouvoit se défaire, et [dit] qu'il falloit remettre la partie à un autre jour. Comme M. de Nemours vit cela, il s'en alla à son logis, où par malheur il trouva le nombre de gentilshommes dont il avoit affaire ; de sorte qu'il vint trouver M. de Beaufort, et ils se battirent dans le marché aux chevaux, derrière l'hôtel de Vendôme.

M. de Nemours avoit avec lui Villars, le chevalier de La Chaire, Campan et Luserche ; et M. de Beaufort, le comte de Bury, de Ris, Brillet et Héricourt. Le comte de Bury fut fort blessé ; de Ris et Héricourt moururent dans les vingt-quatre heures. Pour les autres, s'il y en eut de blessés, ce fut légèrement. M. de Nemours avoit porté les épées et les pistolets ; ils avoient été chargés chez lui. Comme ils furent en présence, M. de Beaufort et lui, le premier lui dit : « Ah ! mon frère, quelle honte ! oublions le passé ; soyons bons amis. » M. de Nemours lui cria : « Ah ! coquin, il faut que tu me tues ou que je te tue ! » Il tira son pistolet qui manqua, et vint à M. de Beaufort l'épée à la main ; de sorte qu'il fut obligé à se défendre : il tira, et le tua tout roide de trois balles qui étoient dans le pistolet.

Il courut du monde qui étoit dans le jardin de l'hôtel de Vendôme, et entre autres madame l'abbesse d'Yères,24 qui se tenoit pour lors à Paris, comme beaucoup d'autres religieuses, à cause de la guerre. Elle dit que, comme elle cria : Jésus Maria ! il lui serra la main, et un nommé l'abbé de Saint-Spire, qui est à M. de Reims, dit la même chose ; mais les médecins et chirurgiens dirent que c'étoit un mouvement convulsif, et qu'à moins d'un miracle il falloit mourir sur-le-champ. Il faut espérer que Dieu lui aura voulu donner ce moment de vie pour se reconnoître, pour lui donner le temps de lui demander pardon, et qu'il a permis qu'il ait donné ce signe de connoissance pour que l'on puisse ne désespérer pas de son salut et que l'on ose prier pour lui.

M. l'archevêque de Paris défendit que l'on fît des prières publiques pour lui en sa paroisse, qui est celle de Saint-André, où son corps fut quelques jours, en attendant que l'on le portât à Nemours, qui fut peu de jours après, disant qu'il étoit défendu dans l'église de prier Dieu pour des personnes qui mouroient de cette manière. Cela donna beaucoup de déplaisir à madame de Nemours.

Bien des gens ont voulu blâmer M. de Beaufort, disant qu'il pouvoit éviter cette fâcheuse rencontre ; que [M. de Nemours] étoit un homme foible de sa blessure, qui n'avoit pas la force de tirer un coup de pistolet. L'on peut répondre à cela qu'un enfant de cinq ans en tireroit ; et, pour sa blessure, il en étoit si bien guéri, que la veille, pour s'essayer [et] voir si les forces lui étoient revenues, il arracha un petit arbre dans le jardin de l'Arsenal. Il me vint voir, et me montra sa main où il ne paroissoit point qu'il eût été blessé, hors qu'elle étoit un peu rouge.

M. de Nemours avoit de bonnes qualités : il étoit brave autant qu'homme du monde, avoit de l'esprit fort agréable dans la conversation, enjoué, plaisant ; mais il y auroit eu à craindre que cette humeur ne lui fût pas demeurée en vieillissant : car il est bon que l'esprit des personnes s'avance comme leurs années. Il étoit assez changeant et inégal, chagrin quand les affaires n'alloient pas à sa fantaisie, et laissoit aisément ses amis sans savoir pourquoi. [Il étoit] inconstant en amour ; le seul ami qu'il a eu jusques à la mort, c'est M. de Belesbat.25 Il aimoit fort madame de Choisy, et avoit une telle confiance en elle, qu'il ne lui celoit rien : je ne sais si c'est louer son jugement. Il étoit bien fait à tout prendre, mais point en détail : il avoit la carrure étroite et les épaules hautes ; il étoit rousseau, avoit les cheveux plats, fort picoté de petite vérole ; et si, avec tout cela, sa personne plaisoit.

Il avoit conçu une telle rage contre M. le Prince depuis quelque temps, qui ne pouvoit venir que de jalousie (car il recevoit de lui tous les bon traitements imaginables) ; elle étoit donc venue à tel point qu'il avoit résolu de se battre contre lui. Je ne sais s'il eût exécuté ce dessein ; il avoit dit l'avoir pris, mais je crois que l'on l'en eût détourné. Son chagrin l'eût porté à quitter le parti plutôt qu'à se battre ; il en parloit souvent, et de s'en aller à la cour de Savoie, où il eût été aussitôt las d'être qu'en celle de France.

Si Dieu lui avoit fait la grâce de lui donner le temps de se confesser, ses amis ne l'eussent point regretté, puisqu'il s'ennuyoit du monde et que le monde se seroit bientôt ennuyé de lui : aussi d'abord qu'il passa en Flandre26 il fut aimé des troupes qu'il amena, au dernier point ; et lorsqu'il mourut, tous les officiers étoient enragés contre lui : car au combat de Saint-Antoine il en avoit fait des railleries, et avoit dit : « Rien n'égale mes troupes pour bien fuir, et il n'y eut jamais de si bons officiers que ceux-là pour une prompte retraite. » Cela les avoit mis au désespoir : car les officiers n'en peuvent mais quand les troupes fuient. Au retour donc de ce combat de Saint-Antoine, nos troupes allèrent camper dans les faubourgs de Saint-Victor et de Saint-Marceau, où ils furent dix ou douze jours, et après retournèrent à Saint-Cloud.

M. le Prince témoigna beaucoup de regret de la mort de M. de Nemours ; mais l'on voyoit assez, au travers de son affliction, qu'il se trouvoit débarrassé d'un homme dont il commençoit à être las. Il y en avoit qui disoient qu'il étoit aise d'être défait d'un rival ; mais c'est de quoi il ne se soucioit guère. M. de Nemours ne payoit que d'agrémens, et lui27 donnoit des terres. La première fois que madame de Châtillon sortit après la mort de M. de Nemours, elle alla aux filles de Sainte-Marie, rue Saint-Antoine, où madame de Nemours s'étoit retirée, et où je l'avois été voir, et ensuite elle vint aux Tuileries. Elle avoit un habit tout uni et une grande coiffe comme un voile, qui la cachoit toute. Comme elle entra dans ma chambre, je m'en allai au-devant d'elle, et je lui fis un compliment sur la perte qu'elle avoit faite d'un bon ami ; ce que j'avois déjà fait par un billet dès le lendemain. Nous nous allâmes asseoir dans un coin, où elle me fit force lamentations. Comme nous en étions sur le mépris du monde, Son Altesse royale entra, et M. le Prince, qui s'approchèrent de nous ; elle leva son voile et se mit à faire une mine douce et riante. Je crus voir une autre personne ; car sous cette coiffe, elle étoit poudrée, avoit des pendants d'oreilles ; enfin rien n'étoit plus ajusté. Dès que M. le Prince alloit d'un autre côté, elle rabaissoit sa coiffe et faisoit mille soupirs. Cette farce dura une heure et réjouit bien les spectateurs.

[août 1652.] Le lendemain de la mort de M. de Nemours, il arriva une affaire entre M. le Prince et M. le comte de Rieux, fils de M. le duc d'Elbœuf,28 qui surprit assez. Ce fut pour quelque [dispute de] rang ; je pense que c'étoit avec M. le prince de Tarente, fils aîné de M. le duc de La Trémouille. Comme il a épousé une fille de M. le landgrave de Hesse, et que ce mariage a fait qu'il a été longtemps en Allemagne, où il a été traité comme les autres princes, il n'a pas cru diminuer en venant en son pays, où la maison de La Trémouille a toujours tenu des premiers rangs entre les plus considérables du royaume. Ces messieurs-là souffrent assez malaisément les princes étrangers, et surtout les quantités de cadets de la branche d'Elbœuf, et le mérite qu'avoient autrefois les Lorraines en France, du temps du Balafré et de tous ces illustres messieurs de Guise, n'a pas continué dans tout ce qui est resté du même nom ; ainsi les personnes étant moins considérables, l'on leur dispute plus aisément.

M. le Prince prit la parti du prince de Tarente, qui lui est très-proche, contre le comte de Rieux, et s'échauffant en la dispute, M. le Prince crut que le comte de Rieux l'avoit poussé ; ce qui l'obligea à lui donne un soufflet. Le comte de Rieux lui donna ensuite un coup. M. le Prince, qui n'avoit point d'épée, sauta à celle du baron de Migen qui se trouva là ; M. de Rohan qui y étoit se mit entre deux, et fit sortir le comte de Rieux, que Son Altesse royale envoya à la Bastille pour avoir osé manquer de respect à un prince du sang dans la maison de Son Altesse royale. Beaucoup ont dit que M. le Prince avoit frappé le premier ; mais assurément s'il la fait, c'est qu'il a vu quelque geste du comte de Rieux, qu'il a pris pour une insulte. Car, quoiqu'il soit bien emporté, il ne l'est pas à tel point qu'il eût fait une chose de cette nature. Je le vis l'après-dînée, et il me dit : « Vous voyez un homme qui a été battu pour la première fois. » Le comte de Rieux demeura à la Bastille jusques à la venue de M. de Lorraine, qui le fit sortir et blâma fort ce qu'il avoit fait.29

Nous fîmes une chose sans exemple pour M. de Rohan : il avoit eu, comme j'ai dit, en se mariant, le brevet et les lettres de duc pour faire revivre le duché de Rohan en sa personne ; mais il étoit question de la vérification au parlement. Il crut que le temps lui étoit favorable pour cela, il ménagea les amis qu'il avoit dans le parlement, fit sa brigue, et quand il crut la chose en état, il supplia Son Altesse royale et M. le Prince d'y vouloir aller. Je pense qu'il avoit assez de méfiance de beaucoup de gens, même de notre parti ; de sorte que Son Altesse royale et M. le Prince n'envoyèrent30 solliciter pour lui que la veille qu'ils voulurent aller au parlement. Il me pria de faire la même chose ; j'écrivis à tout ce que je connoissois de conseillers de mes amis, et j'allai au palais dans la lanterne,31 voir comme cela se passeroit ; madame de Rohan, madame la comtesse de Fiesque et mademoiselle de Chabot y vinrent avec moi. J'entrai par le greffe, où je parlai à beaucoup de conseillers, à qui je tâchai de prouver par vives raisons qu'ils me pouvoient promettre, devant que d'entrer, d'être de l'avis que je désirois, puisque c'étoit une chose de faveur et où il n'alloit point de leur conscience. Ils m'alléguoient la déclaration de 164832 : je leur disois des cas où elle avoit été enfreinte ; mais ils me répliquoient que ce n'étoit pas par eux.

Comme neuf heures sonnèrent, j'eus peur que l'on se levât à la grand'chambre : je mandai à M. le premier président que Son Altesse royale alloit venir, qui prioit la compagnie de l'attendre, et à l'instant j'envoyai dans les chambres des enquêtes pour leur dire de venir prendre leurs places ; ce qu'ils firent. Comme Son Altesse royale fut venue, l'on délibéra, et la chose ne passa que de deux voix, qui fut de deux conseillers de mes amis, qui le firent à ma prière ; de sorte qu'il prêta son serment en la forme accoutumée et prit sa place de duc et pair ; et l'on peut bien dire que ce fut une grande marque du crédit que nous avions dans la compagnie : car la chose fut fort débattue et l'on demeura longtemps aux opinions. Cela étoit assez plaisant : car les serviteurs particuliers de Son Altesse royale, les amis de M. le Prince et les miens, quand ils avoient achevé d'opiner en faveur de M. le duc de Rohan, nous regardoient, et leur mine faisoit assez connoître à toute la compagnie vers qui ils dressoient leurs intentions.33

L'on avoit proposé de faire de nouvelles troupes ; mais comme il y avoit quantité de princes et de grands seigneurs dans notre parti qui vouloient avoir des régiments de cavalerie et d'infanterie, et compagnies d'ordonnance, cela faisoit que, de peur de mécontenter ou les uns ou les autres, rien ne s'avançoit. M. le Prince dit que, pour lever cette difficulté, il falloit que Son Altesse royale et lui [et] M. le prince de Conti, les missent toutes sous des noms de leurs terres ou de leurs gouvernements. Il lui prit encore fantaisie de dire : « Il faut que l'on en fasse sous celui de Mademoiselle ; elle a tant fait de choses extraordinaires dans cette guerre, qu'il faut que nous en fassions une qui la soit tout à fait pour elle. » Le soir à son logis, comme il étoit avec de ses amis particuliers et domestiques, il se mit à parler de cette proposition et dit : « Songeons à qui Mademoiselle donnera son régiment de cavalerie. » M. le Prince, après avoir un peu pensé, dit : « Ce sera au comte de Brancas34 : c'est un homme de qualité qui a l'honneur d'être son parent ; il doit servir de lieutenant général, et il n'y a que sa brouillerie avec M. de Beaufort qui l'en empêche. Ce sera son fait ; et [si] l'on voit que Mademoiselle travaille à les raccommoder, cela sera. »

Le même jour que M. le Prince en parloit, Brancas m'étoit venu trouver pour me prier de faire cette proposition à Son Altesse royale, et de la communiquer devant à M. le Prince, me disant : « Ils seront trop heureux, dans l'embarras où ils sont de faire des troupes, d'en mettre sous votre nom ; vous aurez un fort beau régiment qui les servira bien. » Comme j'ouvrois la bouche pour en parler à M. le Prince, il devina ce que je lui voulois dire, et me dit tout ce qu'il en avoit dit. Le soir, nous parlâmes à Son Altesse royale ; il en parla le premier, afin de l'y disposer, en lui faisant connoître comme cela seroit à propos. Je lui en parlai ensuite. Il le trouva très-bon, et M. de Brancas l'en remercia.

L'on fut huit jours à ne parler d'autre chose que de mon régiment : il n'y avoit personne qui n'y voulût avoir des compagnies, et il n'y en avoit que douze, et je ne pouvois en refuser ; de sorte que Brancas et moi comptions depuis le matin jusqu'au soir pour trouver moyen de ne fâcher personne. Son Altesse royale me demanda une compagnie pour un capitaine de son régiment d'infanterie ; M. le Prince m'en demanda une pour Du Bourg, qui avoit été enseigne-colonel de Conti. J'en donnai aux chevaliers de Béthune et de Sourdis ; les autres, je ne m'en souviens pas. Comme cela fut résolu, le comte de Hollac me demanda une compagnie de gendarmes. Je la lui accordai, et je le chargeai de proposer au comte d'Escars celle de chevau-légers ; ce qu'il fit, et il me l'amena le lendemain pour m'en remercier.

Comme il fut question d'en parler à Son Altesse royale, il se fâcha et dit que tous les officiers le quittoient pour se donner à moi. On lui représenta que Hollac ne quitteroit point son régiment, et que ce seroit un nouvel attachement qu'il prendroit à son service ; que pour le comte d'Escars, qui servoit de maréchal de camp, il ne servoit plus dans son régiment, et qu'il lui avoit promis de faire un autre régiment sous son nom pour [le] lui donner, et qu'il aimeroit autant avoir ma compagnie. A la fin il y consentit : je donnai la sous-lieutenance de mes gendarmes au comte de Lussan de Languedoc, qui étoit capitaine dans le régiment de cavalerie de Son Altesse royale. L'enseigne, je la donnai au marquis de Noë, et le guidon au chevalier de Brigueil,35 frère de M. le marquis d'Humières,36 qui étoit un petit garçon de quinze ans, et qui étoit encore à l'académie.37 Toutes ces dispositions faites, elles demeurèrent sans être exécutées.

M. de Valois, mon frère, mourud38 : ce qui fut une grande affliction pour Son Altesse royale. Jamais je ne fus plus surprise. Je me surprise. Je me promenois chez Renard : l'on me vint dire : « M. votre frère est fort malade. » Je m'en allai à Luxembourg. Madame me dit qu'il s'étoit trouvé un peu mal, mais que ce n'étoit rien ; qu'il dormoit. Le lendemain j'y vins de fort bonne heure et j'allai droit dans sa chambre ; l'on le tenoit sur les bras : car il n'avoit que deux ans. Les médecins me dirent pourtant qu'il étoit mieux et qu'il en échapperoit ; son mal étoit un dévoiement qu'il avoit depuis six semaines. Je rencontrai le soir M. le Prince à la promenade ; je lui dis que mon frère se mouroit : cette nouvelle le surprit fort. J'y envoyai le soir ; l'on me manda qu'il étoit mieux. Le matin à mon réveil on me dit sa mort. Je m'en allai en diligence à Luxembourg, où je trouvai Monsieur fort pénétré de douleur, et Madame qui mangeoit un potage, qui me dit : « Je suis obligée de me conserver, étant grosse. » Je m'en allai dans la chambre de ce pauvre enfant, qui étoit dans son berceau, beau comme un petit ange ; des prêtres prioient Dieu autour, ou pour mieux dire le louoient de la grâce qu'il lui avoit faite.

Cela m'attendrit furieusement : je pleurai jusqu'aux sanglots, et l'on fut obligé de m'en ôter. L'on a grand tort de plaindre les enfants qui meurent à cet âge, et c'est bien une marque du peu de connoissance que nous avons du vrai bien et de notre foiblesse naturelle : car l'on s'en devroit réjouir. Pour le monde, cet enfant ne donnoit aucune espérance : car à deux ans il ne parloit ni ne marchoit, et n'avoit point la connoissance qu'ont les autres à cet âge. Il auroit eu une difformité extraordinaire, s'il eût vécu : une jambe toute cambrée sans être boiteux, et les médecins disoient que cela venoit de ce que Madame s'étoit toute d'un côté pendant sa grossesse.

Je reçus beaucoup de compliments sur cette mort. L'on en prit le plus grand deuil qu'il fut possible : M. le Prince avoit un manteau traînant jusqu'à terre ; s'il ne fut affligé de son âme,il le contrefaisoit bien : car il parut l'être en cette rencontre et en usa tout à fait obligeamment pour Monsieur. L'on mit son corps en dépôt au Calvaire. Monsieur en donna part à la cour, et, au lieu d'en recevoir des lettres de compliments, celle qu'il en eut fut un refus de l'enterrer à Saint-Denis, et l'on lui disoit que cette mort étoit une visible punition de Dieu, de l'injuste guerre qu'il faisoit, et force choses de cette nature. L'on attribua cette lettre à M. Servien, disant qu'elle étoit de son style, et cela fut assez mal reçu : tous ces reproches ne peuvent être à propos dans le temps d'une affliction ni en nul autre. Ce qui fait que je ne les blâme pas tout à fait, quoique ce soit une chose assez blâmable, c'est que je suis assez sujette à en faire ; et c'est un de mes défauts, aussi bien que beaucoup d'autres.

Comme j'aime extrêmement à me promener, j'étois au désespoir que ma promenade se bornât à aller tous les soirs chez Renard, et de n'oser aller plus loin : car j'aime fort à aller à cheval. Je demandai permission à Son Altesse royale d'aller au bois de Boulogne, et que j'enverrois querir de l'escorte ; il me le permit. J'y envoyai un page au galop, et, à dire le vrai, je le suivois de près, ne jugeant pas qu'il y eût beaucoup de péril ; de sorte que je me promenois longtemps dans le bois avant qu'elle fût venue, et elle me servit que pour le retour, qu'elle m'accompagna jusqu'au Cours ; ce qui réjouit tous ceux qui se promenoient chez Renard : car il y avoit beaucoup de trompettes qui faisoient un beau concert. J'y allai encore une autre fois ; et, comme mon page n'y trouva point d'officiers généraux françois, parce qu'ils étoient tous allés promener à Ruel, il alla au quartier des étrangers, qui furent bien aises de me rendre ce service. J'avoue que, quand je songeois que, pour m'aller promener au bois de Boulogne, il me falloit une escorte des troupes du roi d'Espagne, et que [de] tout ce qui étoit avec moi il n'y avoit pas un François que mes gens, j'étois étonnée, et je ne pus m'empêcher de faire paroître mon étonnement à l'officier, qui s'appeloit Barlon, et qui parloit françois. Il me dit sur cela un bon mot : « Qu'il ne se falloit pas étonner de voir les Espagnols dans le parc de Madrid. »

J'eus un petit démêlé avec M. le Prince, pour le comte de Hollac, sur ce que Tavannes avoit fait mettre un officier de son régiment en arrêt ; et, comme Hollac le sut, il le trouva mauvais, disant que les Allemands ont toujours eu ce privilége d'être maîtres de leurs gens. Le tort qu'eut Hollac, c'est qu'il ne s'en alla pas plaindre à M. le Prince, et qu'il envoya appeler Tavannes par Lussan, à l'hôtel de Condé. Lussan, qui croyoit que l'on n'en savoit rien, vint chez moi, où Monsieur le trouva. Il le gronda fort et l'envoya à la Bastille, et dit qu'il en feroit autant de Hollac, que j'envoyai avertir de ne se pas montrer, ni même d'être à son logis, et qu'il vînt à mon écurie, à la chambre de Préfontaine ; ce qu'il fit.

Je trouvai chez Renard M. le Prince, qui me fit de grandes plaintes de Hollac avec beaucoup de colère et d'emportement, disant qu'il le feroit mettre à la Bastille. Je lui maintins qu'il n'en feroit rien, et qu'il avoit trop de considération pour moi ; je voulus tourner l'affaire de sérieux en raillerie. Comme je vis qu'il étoit toujours en colère, je m'y mis aussi, et je lui reprochois un peu les obligations qu'il m'avoit ; que Hollac n'avoit point manqué ; que c'étoit un homme que je protégeois, un étranger que j'avois engagé au service de Monsieur, et que tout le mauvais traitement qu'on lui feroit, je m'en tiendrois offensée ; et que j'avois assez bien servi le parti pour y être d'une manière à y protéger qui il me plairoit. Enfin nous nous séparâmes dans une grande aigreur ; mais je ne fus pas à mon logis, que M. le prince courut après moi pour me dire : « Il faut accommoder Tavannes et Hollac ; envoyez-les querir tous deux, et puis quand cela sera fait, vous m'enverrez Hollac, à qui je vous promets que je ferai bonne chère, comme si de rien n'étoit. » Je me récriai : « Vous êtes bien radouci ; quelle fantaisie vous a-t-il pris ? Vous avez tort présentement, et tantôt vous disiez des merveilles. » Il se mit à rire et me dit : « Si l'on manque quelques moments à ce que l'on doit, croyez que vous êtes toujours la maîtresse et que l'on en est bien fâché. »

Après j'envoyai querir Hollac qui étoit enragé, attribuant cela à un mépris que l'on avoit pour lui, et les Allemands sont fort glorieux ; de sorte que j'avois quasi autant de peine avec lui qu'avec M. le Prince. Pourtant il étoit fort soumis à toutes mes volontés. Tavannes ne put venir, à ce que manda M. le Prince, parce qu'il étoit tout seul d'officier général au quartier ; de sorte que je fis l'accommodement le lendemain, et j'envoyai ensuite Hollac voir M. le Prince, qui le reçut fort bien, et l'on fit sortir Lussan de la Bastille. Je fus fort fâchée de cette rencontre : Tavannes est mon parent et de mes amis ; mais en cette rencontre-là j'étois obligée d'être contre lui.

Cette affaire fit assez de bruit, et l'on connut assez que je portois avec quelque hauteur les intérêts des gens qui étoient en ma protection. Ils furent encore quelque temps sans se parler, et même Hollac, qui étoit maréchal de camp, quand il étoit de jour et que Tavannes étoit au quartier, envoyoit prendre l'ordre par un autre. Mais cette froideur pouvant préjudicier au service et ne me semblant pas être de bienséance entre deux personnes que j'avois raccommodées, je les raccommodai une seconde fois, et depuis ils furent bons amis comme devant.

L'on jugea à propos de faire revenir l'armée de Saint-Cloud auprès Paris ; on la mit à la Salpêtrière, derrière le faubourg de Saint-Victor.39 Comme ils avoient logé déjà dans ce faubourg et [dans] celui de Saint-Marcel, sans savoir s'il falloit aller aux mêmes logements, il y eut force cavaliers allemands qui y allèrent. Cela fâcha le bourgeois : l'on en battit quelques-uns ; de sorte que cela fit rumeur, et l'on en vint avertir Monsieur qui se promenoit chez Renard. M. le Prince y alla aussitôt, qui trouva la rumeur apaisée ; car Hollac, qui étoit à Paris, s'en allant au quartier, trouva tant de désordre à la porte Saint-Marceau, qu'il battit des cavaliers, dit aux bourgeois : « Voulez-vous que je les tue ? Ordonnez, l'on en fera telle justice qu'il vous plaira ; » de sorte qu'ils furent contents.

Comme il s'en alloit, il trouva un bataillon du régiment de Languedoc, qui marchoit vers la ville ; il le renvoya. Jugez quel malheur c'eût été, s'ils n'eussent trouvé personne ! Tout cela arriva parce que M. de Valon, qui étoit de jour lieutenant général, et qui devoit marcher avec l'armée, étoit demeuré derrière et venoit en carrosse. Car, s'il eût été au logement, cela ne fût point arrivé ; de sorte que M. le Prince le gronda fort, et lui commanda expressément de s'en aller coucher au quartier, et qu'il iroit le lendemain au matin.

[septembre 1652.] Le lendemain Valon vint à l'hôtel de Condé ; M. le Prince lui demanda : « Venez-vous de l'armée ? » Il lui dit que non, et qu'il s'y en alloit. M. le Prince lui dit : « Mais allez-y donc vitement, je vous en prie : car je m'y en vais. » M. le Prince monta à cheval et s'y en alla. Comme il arriva, il croyoit trouver les troupes en bataille, comme il avoit commandé à M. de Valon de les y faire mettre ; il n'y étoit point. Il commanda que l'on prît les armes ; et comme Valon fut venu, il lui dit qu'il falloit que tous les corps donnassent un soldat pour être passé par les armes, à cause de ce qui étoit arrivé, et que dorénavant tous les commandants répondroient de leurs corps. M. le Prince avoit avec lui les échevins qu'il avoit envoyé querir, afin qu'ils vissent la justice qu'il en feroit faire.

Valon lui répondit qu'il ordonnât ce qu'il voudroit, et qu'il n'iroit point chercher les gens pour les faire pendre ; qu'il n'étoit point bourreau. M. le Prince se fâcha tout de bon et voulut le tuer ; mais heureusement pour tous deux, M. de Beaufort se mit devant Valon ; et l'on l'emmena. M. le Prince n'en parla point à Son Altesse royale, ni Son Altesse royale à M. le Prince. Cette affaire pensa causer un fort grand désordre : Valon alla dire aux officiers que M. le Prince les vouloit faire pendre ; de sorte qu'après que M. le Prince eut fait faire justice, et qu'il fut parti, tout ce qu'il y avoit d'officiers d'infanterie s'en allèrent faire leur cour à M. de Valon, et tout le régiment de Languedoc et celui de Valois jetèrent leurs armes et s'en allèrent. Si les ennemis fussent venus attaquer dans ce moment, ils auroient trouvé peu de gens à les recevoir : il n'y demeura que les régiments de M. le Prince pour l'infanterie. Celle des étrangers étoit pour lors fort déchue.

J'allai à Luxembourg l'après-dînée ; je parlai de ce qui s'étoit passé à M. le Prince : il m'avoua que M. de Beaufort lui avoit fait un fort grand plaisir de se mettre devant Valon, parce que, avant qu'il eût tiré son épée, sa colère étoit passée, et qu'il eût été fort fâché d'être obligé de tuer Valon. Nous raisonnâmes sur la faute qu'il avoit faite, et nous admirâmes la bonté de Son Altesse royale de n'en dire mot. M. le Prince disoit : « Si c'étoit à un autre que cela fût arrivé, je ferois tout mon possible pour que l'on remédiât aux inconvénients qu'il en pouvoit arriver ; mais à cause que c'est moi, je lairrai tout en désordre, puisque Son Altesse royale le trouve bon ainsi. Il me semble que pour l'ordinaire les officiers doivent quelque respect à leur général, et que c'est l'intérêt de Son Altesse royale et son service que l'ordre soit maintenu ; mais peut-être que je ne suis pas d'assez bonne maison pour que l'on m'obéisse, ou que Son Altesse royale doute de ma capacité et trouve que M. de Valon en a davantage. »

Valon fort sottement s'en alla chez lui,40 et tous les officiers de Languedoc qu'il commandoit le suivirent, après avoir jeté leurs armes ; beaucoup de l'Altesse et Valois en firent de même. M. le Prince n'en disoit rien à Monsieur : c'étoit un désordre épouvantable. J'envoyai querir les principaux officiers de l'Altesse ; je les priai pour l'amour de moi de retourner au quartier et d'aller le lendemain chez M. le Prince. Ils étoient outrés : il falloit avoir autant d'autorité que j'en avois sur eux, et eux autant de respect pour moi, pour les y faire retourner. Ils y furent et firent le lendemain leur cour à M. le Prince qui les traita fort bien, à la réserve de ceux de Languedoc, qui n'y allèrent point.

On laissa passer le premier feu à Valon ; puis M. le Prince me dit : « Le service souffre de la mésintelligence de Valon et de moi ; si Monsieur avoit fait ce qui est dû à la place que je tiens de général d'armée, quand je ne serois pas ce que je suis, tous les officiers de Languedoc seroient châtiés, et Valon à la Bastille. Ce n'est pas son humeur ; on ne le changera pas : pour ne nuire à rien, il faut passer sur bien des circonstances. » Il me dit : « Je vous prie d'envoyer chercher Valon et de nous raccommoder ; » ce que je fis. Il me vint trouver ; je lui dis ce qu'il falloit. Il me répondit : « Vous m'êtes suspecte ; entre vous autres princes, vous vous maintenez les uns les autres. » Quand je vis que je ne gagnerois rien à lui parler avec toute la douceur et l'honnêteté imaginables, je changeai de ton et lui parlai aux termes que je le devois : je le menaçai de le faire mettre à la Bastille ; que Monsieur le devoit ; que je lui ferois bien faire ; qu'il m'en croiroit ; que je l'avois assez bien servi pour l'obliger à m'accorder ce que je lui demandois en une occasion si pressante que celle de la perte de son armée ; que je ne leur avois pas sauvé la vie pour se révolter ; que si le régiment de Languedoc ne reprenoit les armes le lendemain, et que les officiers n'allassent pas au camp, sa tête m'en répondroit ; qu'après l'avoir considéré il y avoit longtemps, j'avois pitié de l'état où je le voyois ; qu'il songeât à ne pas abuser de la bonté de Monsieur et de la mienne. Il s'en alla là-dessus.

Le lendemain il vint me demander pardon, et me dire qu'il feroit tout ce que je voudrois. M. le Prince vint à mon logis ; je les raccommoda6 ; je dis raccommodai, parce que M. le Prince l'embrassa et le traita comme s'il eût été son égal. Monsieur ne m'en parla point, ni à M. le Prince. Cette occasion, aussi bien que plusieurs autres, feront connoître qu'ils n'étoient pas malheureux de m'avoir, puisque je leur redressois bien des affaires. Je ne puis m'empêcher de dire que le soir et le lendemain de l'affaire de la porte Saint-Antoine, j'envoyai chez tous les blessés savoir de leurs nouvelles de la part de Monsieur et de M. le Prince, et faire des compliments aux parents. Ils ne s'en seroient jamais avisés, et ces sortes de soins gagnent les cœurs, conservent l'affection qu'on a pour les grands, et leur font des amis et des serviteurs.

Le même jour, on eut nouvelle de Bordeaux que madame la Princesse se mouroit : elle avoit la fièvre continue, et étoit grosse de huit mois. Monsieur lui en demanda des nouvelles ; il lui dit qu'elle étoit en un état que la première qu'il en recevroit seroit la mort. M. de Chavigny causoit avec madame de Frontenac, qui commençoit à revenir au monde, son mari se portant mieux. C'étoit sur la terrasse de Luxembourg, qui est sur la porte ; je m'en allai à eux, et je leur demandai ce qu'ils disoient ; ce qui m'est assez ordinaire. M. de Chavigny me dit : « Nous parlons de la pauvre madame la Princesse, et nous remarions M. le Prince. » Je rougis et m'en allai. Madame de Frontenac me dit ensuite que M. de Chavigny lui contoit que M. le Prince en étoit déjà consolé, dans l'espérance de m'épouser ; qu'ils en avoient parlé ensemble tout le matin, et qu'ils avoient résolu de faire le duc d'Enghien cardinal.

Je me fus promener chez Renard : M. le Prince y étoit ; nous fûmes deux tours d'allée, sans nous dire un seul mot ; je crus qu'il pensoit que tout le monde le regardoit, et j'avois la même pensée que lui. Pour moi, j'avois dans l'esprit tout ce que madame de Frontenac m'avoit conté ; ainsi nous étions tous deux fort embarrassés. Un jour ou deux après, comme je me promenois chez Renard, où j'attendois Son Altesse royale, je vis entrer son écuyer, qui me dit : « Monsieur ne viendra point ce soir ; il est chez M. de Chavigny, et vous mande de l'y venir trouver et de n'amener avec vous que madame la comtesse de Fiesque et madame de Frontenac. » La première n'y étoit point ; je l'envoyai chercher.

Comme l'on me vit partir avec cette diligence, tout le monde s'imagina que l'on me vouloit envoyer en quelque lieu où il y avoit quelque grande chose à faire, pour voir si j'y réussirois aussi bien, que j'avois fait à Orléans ; de sorte qu'ils me vouloient tous suivre ; mais je les assurai que ce n'étoit rien, et que,41 si j'avois quelque voyage à faire, je les en avertirois, au moins mes amis particuliers. En chemin, madame de Frontenac me disoit : « Je crois que madame la Princesse est morte, et que l'on vous veut parler du mariage, et le résoudre et le faire promptement, avant que l'on le sache à la cour, qui feroit tout son possible pour l'empêcher. » Pour moi, je ne disois rien et ne savois que penser. En descendant de carrosse, je trouvai M. de Clinchamp ; c'étoit sa première sortie. Je lui demandai : « Qu'est-ce que l'on me veut ? » Il me répondit : « Vous le saurez là-dedans. » L'on peut juger si cela redoubla ma curiosité.

Monsieur et M. le Prince quittèrent le jeu, vinrent à moi et me dirent : « Devinez ce que l'on vous veut. » Je ne le comprenois pas et je ne devine jamais rien. M. le Prince, qui tenoit une lettre de M. de Lorraine, me la montra, et elle portoit : « Si vous voulez que j'aille vous trouver, obtenez mon pardon de Mademoiselle ; et qu'elle me le commande, et madame de Frontenac aussi : car sans cela je n'irai jamais. » Saint-Etienne, qui avoit apporté la lettre, me dit la même chose ; de sorte qu'ils firent écrire une lettre à M. de Lorraine, par laquelle je lui pardonnois tout le mal qu'il nous avoit fait, dans l'espérance qu'il venoit pour le réparer, et que j'avois beaucoup d'envie de le voir.42 Madame de Frontenac lui écrivit aussi ; et nos dépêches faites, je m'en retournai fort satisfaite de la curiosité que j'avois eue.

Je demandai permission à Monsieur de m'aller promener le lendemain au bois de Vincennes ; j'avois envie de voir mes compagnies qui étoient sur pied. Comme il falloit cent mille francs pour le régiment de cavalerie, la somme étoit un peu forte ; mais pour les deux compagnies, il n'en falloit que vingt [mille]. Je ne voulus pas que l'on sût que c'étoit moi qui les donnois. J'envoyai Hollac et d'Escars chez M. le Prince pour lui dire qu'ils vouloient mettre mes deux compagnies sur pied à leurs dépens, et qu'ils le supplioient d'en obtenir la permission de Son Altesse royale ; ce qui ne fut pas bien difficile, parce qu'ils ne lui en coûtoit rien. Je ne voulus pas qu'elle me vinssent prendre à mon logis ; elles passèrent la rivière. L'armée étoit toujours à la Salpêtrière. Ces messieurs ne furent pas si diligents que moi ; de sorte que mes compagnies ne me vinrent trouver que hors le faubourg Saint-Antoine. J'avoue que je les trouvai belles ; elles vinrent au-devant de moi en escadron, les officiers, l'épée à la main, à la tête ; car les François ont pris cette mode des Allemands ; puis ils se mirent devant et derrière mon carrosse. Il n'y avoit point de cornette à mes chevau-légers, parce que madame la marquise de Bréauté me l'avoit demandée43 pour un de ses neveux qui ne vint point. Un capitaine du régiment de Monsieur, nommé le chevalier de La Motte, me demanda avec beaucoup d'instance : je [la] lui donnai.

Le soir, en revenant, je permis que mes compagnies me suivissent jusques à mon logis ; de sorte que cela fut assez beau à voir. J'avoue que je fus un peu enfant, et que j'en sentis assez de joie, et que le son des trompettes me réjouissoit : jamais troupes, il n'y en eut de si bien vêtues qu'étoient les miennes. Le comte de Hollac fut fort fâché d'être obligé à me quitter à la porte de Saint-Antoine. Il y trouva Monsieur, et ses valets de pied lui dirent qu'il étoit allé à Charenton pour voir les logements, l'armée y devant aller le lendemain, et comme [le comte de Hollac] étoit de jour, il me demanda la permission d'y aller. S'il avoit quitté le quartier pour autre chose que pour me suivre, M. le Prince auroit grondé ; mais pour cela il n'avoit garde. Je revins depuis le bois de Vincennes jusques à la porte de la ville à cheval, et je me fis montrer par d'Escars et par Hollac toutes les attaques, et comme tout s'y passa le jour du combat.

Je ne fus pas plus tôt arrivée aux Tuileries que Son Altesse royale m'envoya Saint-Taurin pour me dire qu'il venoit d'avoir des nouvelles de M. de Lorraine, et qu'il étoit à Brie-Comte-Robert ; qu'il avoit trouvé les maréchaux des logis de l'armée de La Ferté qui faisoient les logements, et qu'étant tout faits, cela avoit épargné de la peine, et qu'il s'y étoit mis avec ses troupes. Cette nouvelle me réjouit. Le lendemain on m'éveilla pour me donner une lettre de M. de Lorraine : c'étoit la réponse à celle que je lui avois écrire ; elle me fut rendue par un gentilhomme de M. le Prince, qui me dit que M. de Lorraine seroit le soir même à Paris. A deux heures de là, Son Altesse royale me manda que M. de Lorraine étoit arrivé, et que j'allasse à Luxembourg sur les quatre heures.44

Comme j'étois un peu embarrassée de toutes les choses que j'avois dites de lui, non pas pour lui (car c'est un fort honnête homme et qui entend raillerie), mais pour Madame, que j'avois peur qui ne me picotât,45 ainsi je n'y allai point. L'on m'envoya querir deux fois ; je mandai qu'il faisoit trop chaud et que j'avois peur que cela ne me fît mal de sortir. Sur les sept heures je me résolus de sortir, espérant de trouver [M. de Lorraine] parti.

Comme M. le Prince le pressoit de s'en retourner, parce qu'il n'y avoit pas de plaisir d'aller la nuit sans escorte, il montra sur le premier cheval qu'il trouva à la porte de Luxembourg pour venir chez moi. Je le rencontrai près de la porte Saint-Germair46 ; il descendit de cheval et se mit à genoux dans la rue, et ne voulut pas se relever que je ne lui eusse pardonné. Je le relevai et l'embrassai. M. le Prince arriva là-dessus, qui le pressoit de s'en aller ; je lui dis : « Montez dans mon carrosse, je vous mènerai jusques à la porte Saint-Bernard.47 » Notre armée étoit campée pour lors à Limé48 et aux villages des environs ; celle de M. de Lorraine étoit à Valenton,49 les ennemis étoient à Villeneuve-Saint-Georges et lieux circonvoisins. Il y avoit quelques petits retranchements sur une hauteur, qui se nomme la Montagne du Griffon, ou le Cheval noir. On croiroit à ces noms-là que ce seroit dans quelque contrée bien éloignée que ce seroit situé, et si ce n'est qu'à quatre lieues de Paris.50 Les armées s'étoient retranchées pour être hors de l'insulte.

Après que M. de Lorraine y eut été deux jours, il y laissa M. le Prince tout seul et s'en revint en cette ville. M. le chevalier de Guise commandoit son armée ; il s'en étoit allé avec lui le premier voyage qu'il étoit venu. Il y avoit des gens qui trouvoient à redire qu'il eût quitté la France, sa maison y ayant de si grands établissements ; [et] qu'il n'eût pas trouvé à prendre son parti d'un côté ou d'autre. De celui de la cour, il n'y avoit nulle charge. Les premières années de la régence il avoit suivi Son Altesse royale aux campagnes de Flandre ; depuis il avoit été à Malte servir la religion. De suivre toujours la personne du roi à l'âge qu'il avoit, sans avoir quelque emploi dans les armées, cela lui étoit rude ; d'en demander pour servir contre Son Altesse royale, de qui il étoit beau-frère, cela ne l'étoit pas moins ; de sorte que, sur la rupture de Son Altesse royale et de la cour, il partit de Poitiers, et vint en cette ville voir ce qu'il pourroit faire. Il trouva que Son Altesse royale avoit donné le commandement de son armée à M. de Beaufort. Ainsi il ne trouva pas d'autre parti qui lui convint mieux que de suivre son souverain et l'aîné de sa maison, qui lui donna le commandement de son armée.51

La première chose que fit M. de Lorraine étant en cette ville, fut de me venir voir. Je me trouvois mal ; il se mit à genoux devant mon lit, et me dit : « Jusques à cette heure j'ai raillé avec vous, et je ne vous ai point parlé sérieusement ; je sais ce que vous valez ; je veux être votre serviteur et avoir en vous toute la confiance possible. C'est pourquoi je me veux justifier de tout ce qui s'est passé à mon dernier voyage, et vous dire les choses comme elles sont. » Il m'avoua qu'il étoit bien venu ici en intention de servir Son Altesse royale en tout ce qu'il pourroit, mais qu'il n'avoit rien promis aux Espagnols ; à l'égard de M. le Prince, qu'il n'avoit eu nulle intention de secourir Étampes, parce que, dès qu'il avoit été ici, il s'étoit laissé empaumer par des amis du cardinal de Retz qui l'en avoient dissuadé, et qu'il avoit aussi écouté des propositions de la cour52 ; que tout cela ensemble l'avoit tellement embarrassé, qu'il s'en étoit allé de la manière que je l'avois vu. Il me conta ce que madame de Guémené lui avoit dit, que j'ai mis ci-devant.

La conclusion de son discours, fut qu'il venoit cette fois de bonne foi ; qu'il agiroit en tout ce qu'il pourroit pour le parti et pour celui de M. le Prince, parce qu'il étoit de mes amis, et que tous deux feroient leur possible pour que les choses allassent à un accommodement avantageux, où l'on pût me procurer un établissement tel que je le méritois ; que Madame étoit sa sœur ; mais qu'il me supplioit très-humblement de croire qu'il me considéroit plus que ses filles, et que mes intérêts alloient devant les leurs ; qu'il étoit fort fâché que Madame et moi ne fussions pas bien ensemble ; mais que, de crainte que l'on ne pût croire qu'il se partialisât, il ne vouloit point se mêler de nous raccommoder ; qu'enfin il étoit mon serviteur et mon ami, et qu'il me le témoigneroit en toutes rencontres. Je répondis à cela comme je le devois. [Il ajouta] qu'il me donneroit part de tout ce qui se passeroit ; qu'il me prioit de trouver bon que quelquefois il me priât de dire de certaines choses à M. le Prince, parce que, comme il étoit fort prompt et lui aussi, il craignoit d'avoir des démêlés et que j'étois toute propre à empêcher cela.

L'on eut des nouvelles de madame la Princesse, qu'elle étoit hors de danger ; de sorte que cela fit cesser les bruits qui avoient couru. Je ne sais si cela fit cesser les pensées de M. le Prince : car elle resta dans un extrême abattement, que tout le monde disoit n'être pas bon à une femme grosse de neuf mois.

 

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NOTES

1. « Jeudi, 4 juillet, l'après-dînée, grande assemblée à l'Hôtel-de-Ville, où sont invitées douze personnes de chaque quartier, à savoir six officiers du roi ès cours souveraines et six notables bourgeois. » (Journal de Dubuisson-Aubenay) Parmi les récits contemporains sur ces événements, on consultera avec utilité celui de Conrart publié dans les Mémoires qui portent son nom, et la relation du greffier de l'hôtel de ville dans l'ouvrage intitulé Registres de l'Hôtel-de-Ville de Paris pendant la Fronde. C'est une des publications de la Société d'histoire de France.

2. On prétendait que c'était Mademoiselle elle-même qui avait imposé ce signe de ralliement. Dubuisson-Aubenay écrit dans son Journal, à la date du 4 juillet : « Cette après-dînée même, s'est introduite la manière de se déclarer non mazarin, en portant sur la tête un bouquet de paille. Ceux et celles qui n'en avoient pas étoient dans la rue arrêtés par la canaille avec menaces de mort. Les carrosses mêmes en avoient. Et dit-on que c'est Mademoiselle qui a commandé d'en porter. »

3. Comme a ici le sens de quoique.

4. Les violences commises à l'hôtel de ville et la conduite odieuse des princes ne paraissent pas assez nettement dans le récit de Mademoiselle. Voy. à l'Appendice un extrait de Mémoires contemporains sur ce massacre de l'hôtel de ville.

5. La rue de Gêvres était parallèle au quai de Gêvres ; elle aboutissait d'un côté au pont Notre-Dame, et de l'autre à l'extrémité du quai de la Ferraille.

6. Il y a dans le manuscrit de Ganvri. J'ai suivi l'orthographe ordinaire.

7. Le vicaire de Saint-Jean-en-Grève avait fait porter le Saint-Sacrement à l'hôtel de ville, comme on le faisait d'ordinaire en cas d'incendie.

8. Miron était maître des comptes et ardent frondeur.

9. L'hôtel de Nemours, qui a été démoli en 1671, était situé entre la rue Pavée et la rue des Grands-Augustins. On a ouvert sur son emplacement la rue de Savoie, qui a tiré son nom de ce que l'hôtel de Nemours appartenait à une branche de la maison de Savoie.

10. L'hôpital de la Trinité, dont je présume qu'il est ici question, était situé rue Saint-Denis, entre les rues Grenetat et Guérin-Boisseau. L'abbé Lebeuf, Histoire de la ville et du diocèse de Paris (t. 1, p. 27), cite un arrêt du 8 août 1545, qui défendit d'enterrer les morts au cimetière de la Trinité ; mais c'était à une époque où l'on craignait la peste, et on voit par ce passage des Mémoires de Mademoiselle que l'ancien usage avait prévalu. Les anciens éditeurs ont supprimé ces mots à la Trinité et rendu ainsi la phrase inintelligible.

11. On a vu plus haut que c'était le nom du prévôt des marchands.

12. D'après le Journal de Dubuisson-Aubenay, « le maréchal de l'Hôpital se sauva en l'habit de l'un de ses gardes, lesquels gardes firent défense et tuèrent plus de vingt [des gens qui remplissaient la place d Grève]…. Il n'y eut personne des gardes tué ou blessé que Le Maire, qui a quatorze ou quinze coups, sans que pourtant l'on désespère de sa vie. »

13. Les anciennes éditions ont remplacé ce dernier membre de phrase par celui-ci : M. le président de Thou fit le secrétaire d'État. Ce qui n'explique nullement les usages relatifs à l'élection du prévôt des marchands. Celui qui tenait le scrutin faisait prêter serment à chacun des électeurs de procéder bien et loyalement à l'élection. Il avait un sac de velours cramoisi, où chaque électeur déposait son bulletin. On trouvera, dans le Journal de l'avocat Barbier, à la date du 17 août 1750, tous les détails de l'élection d'un prévôt des marchands. — L'élection de Broussel, eut lieu le 5 juillet 1652.

14. La fin de ce passage depuis Et cette action jusqu'à qui me sont si proches, a été omise dans les anciennes éditions. L'action dont parle ici Mademoiselle est le massacre de l'hôtel de ville et non l'élection du prévôt des marchands.

15. Il y a bien dans le manuscrit à ma fantaisie ; ce qui veut dire sans doute à mon avis. Ces mots ont été supprimés dans les anciennes éditions.

16. On a vu (Chap. III des Mémoires de Mademoiselle) que la duchesse de Nemours était fille du duc de Vendôme et par conséquent sœur du duc de Beaufort.

17. Nicolas Bautru, comte de Nogent et marquis du Tremblay-le-Vicomte, mort en 1661.

18. La phrase semble inintelligible en donnant au mot trouvé le sens ordinaire. Mademoiselle a sans doute voulu dire qu'ils ne l'avaient point abordé.

19. Anne Phelypeaux, qui vécut jusqu'en 1694. Voy. le Journal de Dangeau, à la date du 3 janvier 1691.

20. L'église des Petits-Pères, ou Augustins-Déchaussés, est maintenant Notre-Dame-des-Victoires. — Ce fut le 30 juillet 1652 qu'eut lieu le duel, où le duc de Nemours fut tué.

21. Louis d'Astarac, marquis de Fontrailles, mort en 1677. On a sous son nom une Relation des choses particulières de la cour pendant la faveur de M. de Cinq-Mars.

22. Henri de Savoie, qui prit, à cette époque, le titre de duc de Nemours et épousa dans la suite mademoiselle de Longueville, dont on a des Mémoires sur le règne de Louis XIV.

23. Passage omis, dans les anciennes éditions, depuis refuser l'appel jusqu'à s'en dispenser.

24. L'abbesse d'Yères, ou Hières (Seine-et-Marne), était alors Claire-Diane d'Angennes, seconde fille de la marquise de Rambouillet. Ce passage depuis et entre autres jusqu'à les médecins est un de ceux qui ont été le plus altérés dans les anciennes éditions. Il n'y est pas question de l'abbesse d'Yères. Il se réduit à ces mots : entre autres M. l'abbé de Saint-Spire, qui étoit à M. de Reims ; il lui cria : Jésus Maria ! Il dit qu'il lui serra la main.

25. Henri Hurault de l'Hospital, seigneur de Belesbat, ou Belébat, fut conseiller au parlement en 1633, puis maître des requêtes ; il mourut en 1684. Il était frère de madame de Choisy.

26. Le sens de la phrase est lorsqu'il alla chercher des troupes en Flandre et qu'il les amena en France. Il a été question dans Chap. X des Mémoires de Mademoiselle de cette expédition du duc de Nemours. Dans les anciennes éditions, au lieu des troupes qu'il amena, on a imprimé des troupes qu'il aima.

27. C'est-à-dire M. le Prince. On se rappelle qu'il avait donné à madame de Châtillon la terre de Merlou (voy. Chap. XI). Cette donation avait ait beaucoup de bruit : la Muze historique (lettre du 26 mai 1652) en avait parlé :

Monsieur le Prince …
A donné, d'un cœur magnanime,
A cette beauté rarissime,
Sa riche maison de Merlou,
Terre propre à chasser le lou,
Et qui vaut, de valeur présente,
Plus de dix mille écus de rente.

28. Charles de Lorraine, duc d'Elbœuf, avait plusieurs fils : Charles, qui porta après lui le titre de duc d'Elbœuf, François, qui est la tige des comtes d'Harcourt, et François-Marie, avec lequel commença la branche de Lislebonne, dont Saint-Simon parle si souvent dans ses Mémoires. L'aîné, Charles, portait le titre de comte de Rieux pendant la vie de son père.

29. Cette querelle eut lieu le 1er août 1652. Dubuisson-Aubenay la raconte ainsi dans son Journal : « Cette même jour on a su le démêlé du comte de Rieux avec le prince de Condé, qui fut pour le rang prétendu au conseil de guerre, qui se va établissant au palais d'Orléans, par ledit comte, comme prince de la maison [de Lorraine] par dessus tous autres après M. le duc d'Orléans et M. le Prince ; dont ayant, à l'issue du dîner, entretenu le duc de Rohan, qu'il trouva arrivant dans la galerie du palais, et puis le prince de Tarente, qu'il avoit croyance de lui disputer sous la protection du prince de Condé ; ce prince passant là et voyant le comte parler au prince de Tarente avec chaleur, dont le duc de Rohan lui dit la cause, s'y en alla pour empêcher qu'ils ne se querellassent. Mais le comte de Rieux s'emportant encore plus, disant au prince de Condé qu'il étoit pour sa partie et qu'il ne seroit jamais son serviteur, lui fit de plus certain signal et extension de la main par mépris, dont le prince de Condé ému lui donna un fort grand soufflet, auquel le comte voulant repartir ne put que donner du poing à l'épaule par devant au prince, et puis voulant tirer l'épée fut saisi au corps par le duc de Rohan, le prince de Condé cherchant aussi une épée au côté d'un gentilhomme, Millangen [Mademoiselle écrit Migen], jadis lieutenant de roi à Sedan, là présent à une fenêtre, qu'il ne put avoir. Le prince de Condé saisit l'épée du comte de Rieux, en se coupant un peu à la main, et puis lui en donna de la garde dans les dents…. Sur quoi le duc d'Orléans vint qui commanda que l'on conduisit le comte prisonnier à la Bastille, et envoya querir M. le chancelier et quelques conseillers du parlement pour lui faire son procès, le prince de Condé le priant que cela ne fût point. » La Muze historique (lettre du 5 octobre 1652) indique l'époque où le comte de Rieux sortit de la Bastille.

30. On a imprimé dans les anciennes éditions ne m'envoyèrent solliciter. Ce qui est en contradiction avec la suite. Mademoiselle n'alla pas d'abord solliciter en personne ; elle se borna à écrire.

31. Tribune d'où l'on voyait et entendait tout ce qui se passait dans la salle du parlement.

32. La déclaration du 24 octobre 1648.

33. L'enregistrement des lettres de duc et pair en faveur de M. de Rohan eut lieu le 15 juillet 1652.

34. Henri de Brancas, mort en 1656.

35. Une partie de cette phrase a été supprimé dans les anciennes éditions, et spécialement ce qui concerne le marquis de Noë et le chevalier de Brigueil.

36. Le marquis d'Humières avait deux frères dans l'ordre de Malte : Roger de Crevant reçu le 18 septembre 1638, et Balthazar de Crevant qui y fut admis le 8 février 1641. Il s'agit probablement ici du second.

37. On a déjà vu que le mot académie désignait, au XVIIe siècle, une école d'équitation pour les jeunes gens de famille noble.

38. Le duc de Valois mourut le 10 août. La Muze historique (lettre du 11 août) indique le jour de cet événement :

Monseigneur le duc de Valois,
Agé de vingt et quatre mois,
. . . . . . . . . . .
Décéda samedi matin.

39. Ce fut le vendredi 30 août et le samedi 31 qu'eurent lieu les événements dont parle Mademoiselle, sans entrer dans les détails. Voici un passage du Journal de Dubuisson-Aubenay, qui peut servir de complément aux Mémoires de Mademoiselle : « Vendredi au soir, 30 août, la milice des princes, ayant quitté ses postes de Saint-Cloud et environs, se vint rendre, à 6 heures, ès faubourgs Saint-Marcel et Saint-Victor, voulant y loger. Il y eut barricades et résistance des habitants, même d'aucuns bourgeois qui, de la ville où ils logent, vinrent auxdits faubourgs où ils ont des maisons, prêter secours, comme le sieur du Vaussell, marchand linger et dizainier d'entre les deux portes du Palais, qui ce jour là et le lendemain samedi soir, qu'il y eut à pareille heure pareille alarme par ladite milice, [se mit en] devoir de la repousser et fut trouver S.A.R., à qui il fit ses plaintes, et le prince de Condé y fut le lendemain dimanche et fit pendre deux soldats françois, qui avoient, l'un arraché une porte d'une maison, et l'autre fait vanterie d'avoir tué les jours précédents des bourgeois, entre lesquels le nommé Aimé, apothicaire à Saint-Marcel, a été regretté, et les livra entre les mains du prévôt des bandes pour être exécutés le lendemain lundi, même réprimanda le sieur de Valon et tira l'épée sur lui pour n'avoir pas réprimé ses soldats. »

40. Les pages suivantes, depuis Valon fort sottement s'en alla jusqu'à Le même jour on eut nouvelle de Bordeaux, manquent dans le manuscrit autographe. Elles ont un tel cachet de vérité et d'authenticité, que nous avons cru devoir les conserver.

41. Les anciens éditeurs ont omis plusieurs lignes, depuis que j'avois fait à Orléans jusqu'à que ce n'étoit rien, et que. La phrase ainsi mutilée n'a plus de sens.

42. La Muze historique du 8 septembre 1652 parle de l'approche du prince de Lorraine et de la lettre que Mademoiselle lui écrivit :

Il voulut que Mademoiselle,
Da sa main ivoirine et belle,
Lui fit un petit mandement,
De venir ici promptement ;
Et que cette dame jolie,
Dont l'âme est, dit-on, si jolie,
Frontenac écrivit aussi :
« Mon cher monsieur, venez ici ! »

43. C'est-à-dire m'avait demandé la charge de cornette.

44. Le duc de Lorraine arriva à Paris le jeudi 5 septembre, d'après le Journal de Dubuisson-Aubenay. Cf. Muze historique, lettre du 8 septembre 1652.

45. Cette phrase s'entend parfaitement, et on a eu tort de la remplacer par celle-ci, dans les anciennes éditions : « Madame, qui avoit peur qu'il (le duc de Lorraine) ne me picotât. » Ce changement est d'autant plus fâcheux qu'il est en opposition avec ce que Mademoiselle vient de dire du caractère du duc de Lorraine.

46. La porte Saint-Germain était située à l'extrémité occidentale de la rue des Cordeliers, vers le point où l'on a ouvert la rue de Touraine (maintenant rue Dupuytren). L'ancienne rue des Cordeliers répond à une partie de la rue de l'École-de-Médecine.

47. La porte Saint-Bernard était située sur le bord de la Seine, un peu à l'est du pont de la Tournelle et vers l'extrémité de la rue actuelle des Fossés-Saint-Bernard.

48. Mademoiselle a écrit Limé, et j'ai respecté le texte ; mais il faut sans doute lire Limeil, village près de Villeneuve-Saint-Georges.

49. Les anciens éditeurs ont remplacé Valenton, village près de Villeneuve-Saint-Georges, par Charenton.

50. Tout ce passage depuis Il y avoit quelques petits retranchements jusqu'à quatre lieues de Paris a été supprimé dans les anciennes éditions. Le texte de Mademoiselle est confirmé par le passage suivant du Journal de Dubuisson-Aubenay, à la date des 10 et 11 septembre : « Le maréchal de Turenne tient Villeneuve-Saint-Georges ; il est campé à la hauteur-au-dessus, qui s'appelle Mont-Griffon, lieu rocheux, où il y a vignoble. »

51. Le chevalier de Guise, dont parle Mademoiselle, était Roger de Lorraine, chevalier de Malte, mort en 1653.

52. Voy. à l'Appendice (lettre du Marquis de Châteauneuf) le traité du duc de Lorraine avec le marquis de Châteauneuf, qui stipulait pour la cour.

 


Mémoires de Mlle de Montpensier, Petite-fille de Henri IV. Collationnés sur le manuscrit autographe. Avec notes biographiques et historiques. Par A. Chéruel. Paris  : Charpentier, 1858. T. II, Chap. XIV : p. 116-163.


 

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